Petit manuel de Justice réparatrice

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Table des matières

Introduction :

Les personnes à qui l'on a demandé de contribuer à l'élaboration de ce petit manuel de justice réparatrice ont toutes pris part, depuis de nombreuses années, au mouvement de justice réparatrice qui existe au Canada et à l'étranger. Cet ouvrage est conçu pour vous offrir un outil de formation élémentaire. Les thèmes qui sont traités dans les divers modules ont été choisis par les rédacteurs et les intervenants qui les ont jugés utiles pour éduquer les communautés au concept de justice réparatrice et pour faire participer les citoyens à une réflexion plus approfondie sur le système de la justice pénale. Certains des modules sont courts et ne visent qu'à attirer votre attention sur quelques éléments clés qui permettront de soulever des questions dont vous pourrez débattre. D'autres sont plus longs et ont pour but de nourrir votre réflexion. Selon la longueur des séances pédagogiques, il se peut que tous les modules ne soient pas utilisés. On estime que trois journées complètes au minimum seront nécessaires pour que les participants apportent une contribution valable et assimilent adéquatement tous les modules. Théoriquement, nous recommandons de dispenser la formation au cours d'une semaine complète. Toutefois, les modules peuvent également être présentés hebdomadairement, selon la disponibilité des participants. Si ce manuel vous conduit à approfondir avec autrui la réflexion sur les possibilités qu'offre la justice réparatrice, sur la complexité de ce concept, et s'il vous incite à en apprendre davantage sur la façon dont il peut offrir un moyen constructif de transformer la justice, il aura alors atteint son objectif.

Je vous souhaite une bonne lecture!

Pierre Allard, président
Juste.Équipage
Ottawa (Ontario)
Canada

Module 1 :

La justice réparatrice

par Pierre Allard, président
Juste.Équipage

En 1988, on m'a demandé de faire partie de l'équipe du Service correctionnel du Canada (SCC), qui était chargée de rédiger un énoncé de mission pour le compte du Service. Je me souviens très clairement des discussions enflammées que nous avons eues lorsqu'il a été suggéré que les victimes devraient être mentionnées dans l'énoncé de mission. Pour finir, le groupe minoritaire est parvenu à faire inscrire une petite ligne dans l'énoncé de mission du SCC (valeur fondamentale 1, 1 : 10). Vingt ans plus tard, le SCC dispose d'une division intégrale qui se consacre aux victimes et le gouvernement actuel a nommé un ombudsman pour les victimes.

Victor Hugo nous dit : « Rien n'est plus puissant qu'une idée, si l'heure est venue de la dévoiler » . Cette citation exprime fort bien l'incroyable intérêt qu'a suscité la justice réparatrice au cours des dernières années. Nous sommes aujourd'hui bien loin des efforts solitaires entrepris par quelques pionniers tels Mark Yantzi et David Worth lors de l'Elmira Project (programme de réconciliation entre la victime et le délinquant, 1974), David Daubney qui présidait le groupe auteur du rapport de 1988 intitulé Des responsabilités à assumer et Howard Zehr avec son ouvrage fondamental Changing Lenses (1990).

Aujourd'hui, si vous tapez les termes « justice réparatrice » sur le moteur de recherche « Google » , vous verrez apparaître plus de cent pages d'entrées. Dans le cadre des forums de justice communautaire qu'elle met sur pied, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) organise désormais régulièrement des conférences de familles (initiative qui a vu le jour en Nouvelle-Zélande avec les Maori), et des juges comme Barry Stuart et Bria Huculak ont contribué à l'augmentation du nombre de cercles de détermination de la peine. Pour les cas les plus graves, sous la houlette de David Gustafson, les initiatives de justice communautaire réservent une place importante à la médiation. Le Code criminel de 1996, alinéas 718e) et f), précise que les objectifs explicites de la détermination de la peine visent notamment à « assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité » et à « susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité. » . Grâce à l'Association canadienne de justice pénale (ACJP) et au Centre international pour la réforme du droit criminel et la politique en matière de justice pénale (CIRDC), la conférence de Vancouver de 1997 a pris un tournant et constitué un catalyseur pour le concept de justice réparatrice. En 1999, la Commission du droit publiait un document intitulé De la justice réparatrice à la justice transformatrice et, en l'an 2000, elle a produit un document vidéo De la justice réparatrice à la justice transformatrice : Le défi des conflits pour les collectivités. Et que dire du rôle essentiel joué notamment par David Daubney et Robert B. Cormier qui ont permis l'adoption, à Vienne, le 18 avril 2002, par la Commission des Nations Unies pour la prévention du crime, lors de sa 11e séance, d'un ensemble de principes fondamentaux régissant l'utilisation des programmes de justice réparatrice pour les affaires criminelles. En Afrique du Sud, la Commission de la vérité et de la réconciliation offre, à l'échelle internationale, un exemple de justice réparatrice à l'œuvre avec ses limites, mais également avec ses remarquables réussites. Les tribunaux communautaires de village (les « gacacas » ) au Rwanda réappliquent certaines pratiques tribales de justice réparatrice. Nous avons également beaucoup à apprendre des membres de nos Premières nations qui ont une riche tradition de justice réparatrice.

De façon assez surprenante, on pourrait faire valoir l'argument irréfutable, dont la portée va évidemment bien au-delà de ce petit manuel, que la justice réparatrice est véritablement un trésor perdu à redécouvrir dans l'héritage judéo-chrétien qui a fortement marqué la civilisation occidentale et contribué à façonner les premiers codes juridiques. Mais tout d'abord, nous allons préciser le concept de justice réparatrice.

Voici la définition que je donne au concept de justice réparatrice : « La justice réparatrice nous dit que le fait de commettre un crime va bien au-delà d'une simple infraction législative. Il s'agit plutôt de la détérioration des relations humaines au sein d'une communauté composée de personnes réelles qui ont causé un préjudice à d'autres personnes réelles. La question que cet état de fait soulève est la suivante : Comment pouvons-nous améliorer les choses? » J'aimerais vous proposer également deux autres définitions de nature plus théorique. La première, formulée par Robert B. Cormier, de Sécurité publique Canada, se lit comme suit : « La justice réparatrice est une approche de justice axée sur la réparation des torts causés par le crime en tenant le délinquant responsable de ses actes, en donnant aux parties directement touchées par un crime — victime(s), délinquant et collectivité — l'occasion de déterminer leurs besoins respectifs et d'y répondre à la suite de la perpétration d'un crime, et de chercher ensemble une solution qui permette la guérison, la réparation et la réinsertion, et qui prévienne tout tort ultérieur. » (Cormier, 2002).

La seconde nous est proposée par Howard Zehr qui, après avoir précisé : « Certains d'entre nous s'interrogent quant à la sagesse et à l'utilité d'une telle définition. Si nous reconnaissons qu'il faut des principes et des modèles à suivre, nous sommes inquiets relativement à la finalité de créer une définition rigide et à l'absence de questionnement qui entoure celle-ci » , l'auteur poursuit ainsi sur sa lancée : « Sans perdre de vue ces préoccupations, voici ma suggestion quant à une définition pratique de la justice réparatrice : La justice réparatrice est un processus qui englobe, dans la mesure du possible, toutes les personnes concernées par une infraction spécifique et qui a pour objectif de définir collectivement les dangers, les besoins, les obligations découlant de cette infraction et d'y faire face afin d'obtenir la guérison et de rétablir du mieux possible l'ordre des choses » (Zehr, 2002).

En ce qui concerne ces définitions, il est évident que la justice réparatrice s'efforce de faire participer le plus possible la ou les victimes, le ou les délinquants et la collectivité. Il s'agit d'un appel à faire montre d'un profond respect à l'endroit de toutes les personnes concernées. Ces approches visent à écouter attentivement toutes les parties et à mettre l'accent sur l'élément de vérité de l'événement et sur la possibilité de réparation. La justice réparatrice ne peut en aucun cas être imposée aux personnes. Il s'agit d'une démarche volontaire qui a pour objectif d'humaniser le processus juridique qui, au fil des siècles, a pris un caractère professionnel et aseptisé. La justice traditionnelle énonce le postulat suivant : Les délinquants obtiennent ce qu'ils méritent. Le postulat de la justice réparatrice, quant à lui, se lit comme suit : Il faut voir aux besoins des victimes et à la responsabilité du délinquant qui doit réparer les torts causés. Les questions que l'on se pose diffèrent également. Dans le système de justice pénale, nous demandons : Quelles lois ont été enfreintes? Qui est coupable? Quelles sont les sanctions à appliquer? La justice réparatrice soulève des questions bien différentes : Qui est la victime? Quels sont ses besoins? À qui incombent ces obligations? Face à des approches si opposées, il reste à savoir dans quelle mesure le système judiciaire traditionnel produira des résultats positifs si nous ajoutons aux procédures rigides qui le régissent des programmes et des processus de justice réparatrice. La bonne nouvelle est que la règle de droit au Canada n'a pas à être modifiée pour permettre divers points d'entrée dans le système de justice pénal existant. Le programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse a mis en évidence quatre points d'entrée distincts éventuels : 1) avant l'inculpation : au moment de l'intervention de la police; 2) après l'inculpation : au moment de l'intervention de la Couronne; 3) avant la déclaration de culpabilité ou avant le prononcé de la sentence : au moment de l'intervention judiciaire; 4) après le prononcé de la sentence : au moment de l'intervention des services correctionnels.

Si la règle de droit n'a pas besoin d'être modifiée, une révolution similaire à celle qui s'est produite il y a quelques années dans les salles d'accouchement des hôpitaux devra avoir lieu au sein de notre appareil judiciaire, dit Wilma Derksen qui ajoute : « Je pense que le même scénario se produit actuellement pour nos tribunaux. Dans notre tentative de faire naître et de rendre la justice, nous n'avons pensé qu'à établir la culpabilité. Nous avons mis la salle d'audience uniquement entre les mains de professionnels qui en ont fait un lieu stérile où règnent la loi et l'ordre. Ils ont banni de la salle le père qui s'évanouit et fait taire les hurlements de la mère. De plus en plus, ils s'efforcent de faire disparaître de la scène publique le processus ardu de prise de décisions pour l'intégrer à la sphère de la négociation de plaidoyers, en ayant les mêmes intentions que les médecins qui veulent un bébé propre, qui ne court aucun risque, loin des bras de sa mère affaiblie. C'est pourquoi nous sommes désormais confrontés à des délinquants et à des victimes qui vivent des expériences traumatisantes dans la salle d'audience. La même révolution qui s'est produite dans la salle d'accouchement doit avoir lieu dans la salle d'audience.

La justice ne consiste pas uniquement à établir la culpabilité mais également à créer un état de paix et d'harmonie entre la victime et le délinquant afin qu'ils puissent se rencontrer à l'épicerie sans s'entretuer. Toutefois, la salle d'audience est conçue de manière à les séparer. Plus souvent qu'autrement, ceci renforce le sentiment de colère qui existe entre les protagonistes, engendre davantage de désaccords et exacerbe le conflit… Cependant, la justice ne peut naître que dans le sang, l'émotion, le chaos et les choix. Le processus de justice devrait tenir de tout cela. Les victimes et les délinquants sont des intervenants de ce processus. Ils doivent se réapproprier le devant de la scène, car c'est la place qui leur appartient. Nous devons adapter la salle d'audience de la même façon que nous avons adapté la salle d'accouchement pour les patients » . Quel magnifique défi nous attend!

Suggestions

  1. Que pensez-vous de la dernière citation de Wilma Derksen?
  2. Rédigez votre définition personnelle de la justice réparatrice.
  3. Veuillez nommer les programmes de justice réparatrice pour chacun des quatre points d'entrée éventuels (avant l'inculpation; après l'inculpation; après la déclaration de culpabilité; après le prononcé de la sentence).

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Module 2 :

Historiques de participants

par Pierre Allard, président
Juste.Équipage

« Nous apprenons mieux si nous sommes sensibilisés à une question donnée » . Ce grand principe éducatif est extrêmement important lorsque l'on tente de présenter aux personnes le concept de justice réparatrice. L'introduction d'un nouveau paradigme amène nécessairement des points d'entrée dans l'historique des participants. Nous avons constaté que l'exercice nommé « la construction du mur » est un bon moyen d'obtenir l'historique des participants de façon non menaçante. En janvier 2002, Jacqueline Pelletier que j'avais engagée pour diriger, sous ma responsabilité, le Secteur de l'engagement communautaire m'a fait découvrir, lors d'un exercice de visualisation d'avenir, cet exercice essentiel. Depuis lors, je me suis servi, avec succès, de ce processus dans plusieurs contextes dont le plus dramatique et le plus déchirant a été, en février 2007, le Rwanda. Laissez-moi vous en expliquer le fonctionnement.

Il vous faut pour commencer de grandes feuilles de papier et autant de crayons marqueurs qu'il y a de participants. Les feuilles de papier doivent être fixées au mur en trois différentes sections. Une des sections s'intitulera « Mur personnel » , la deuxième section, « Mur politique » et la troisième « Mur du traitement des prisonniers » (cette troisième section peut varier en fonction de l'intérêt du groupe visé et pourrait par exemple s'intituler « Mur du traitement des victimes » ). Vous assignerez à chaque mur une période de temps qui demeurera inchangée. À titre d'exemple, au Rwanda, nous avions divisé chaque mur en deux segments temporels précis : jusqu'en 1994 (année du génocide) et de 1994 à aujourd'hui.

Le groupe de participants est ensuite divisé en trois, au hasard, et chaque groupe est envoyé devant un mur précis. On donne à chaque membre du groupe l'instruction suivante : Veuillez écrire sur le mur qui vous est assigné les souvenirs positifs ou négatifs qui vous viennent à l'esprit, en gardant le silence. Après quinze minutes environ, les personnes qui se trouvent devant le mur numéro trois sont invitées à se déplacer jusqu'au mur numéro un; les personnes installées devant le mur numéro deux se déplacent jusqu'au mur numéro trois et les personnes qui font face au mur numéro un se rendent au mur numéro deux. Quinze minutes plus tard environ, les personnes se déplacent à nouveau vers le mur sur lequel elles n'ont pas encore inscrit leurs souvenirs.

Lorsque le processus d'écriture sur les murs est terminé, invitez les personnes à se déplacer devant les trois murs, toujours dans le silence, comme lors d'un pèlerinage, afin qu'elles puissent intégrer certains renseignements concernant les existences des autres participants. Assurez-vous de laisser aux participants suffisamment de temps pour aller au-delà de la phrase écrite et comprendre les sentiments qu'elle peut évoquer.

Lorsque ce « pèlerinage » silencieux devant le mur est terminé, invitez les participants à discuter de ce qui leur a fait une forte impression. Ce n'est pas le temps de la discussion ou des éclaircissements mais simplement un moment de partage respectueux concernant la joie ou la peine qui existe au-delà des mots exprimés. Dans tous les cas, la pleine portée des émotions humaines sera inscrite sur les murs. Il y aura des événements heureux mais également bon nombre d'événements tristes et de tragédies. Il se peut que vous soyez surpris quant au nombre de personnes qui expriment ainsi qu'elles ont été victimisées, harcelées et blessées. En règle générale, ce procédé permet de tisser un important lien d'humanité et conduit à un profond respect pour l'histoire et le passé humains qui existent derrière les mots écrits et au-delà de ceux-ci. Dans le cas du Rwanda, les participants avaient de la difficulté à en croire leurs yeux, tant les trois murs affichaient d'émotions négatives. À cette lecture, ils ont ressenti une profonde déprime qui les a certainement conduit à être plus attentifs au concept de justice réparatrice qui pouvait, l'espéraient-ils, leur offrir une lueur d'espoir. Si les groupes auprès desquels vous travaillerez n'auront pas un vécu aussi horrible que les survivants ou les auteurs du génocide, vous serez sidérés de constater à quel point l'expérience humaine est similaire dans le monde entier lorsque les humains sont confrontés aux injustices, à la douleur et à de nombreuses luttes pour leur survie.

Nous vous invitons à conserver les trois murs et leurs inscriptions durant toute la séance de formation. En effet, en tant que leaders, vous pourriez trouver très utile de faire référence aux vécus de vos participants, tels qu'ils auront été exprimés sur les trois murs, pour mieux faire comprendre votre enseignement au sujet de la justice réparatrice.

Suggestions

  1. Vers la fin de la séance de formation, demandez aux participants si le concept de justice réparatrice leur a permis de faire une interprétation différente de certains des événements dont il est fait mention sur les murs.
  2. Le dernier jour de formation, demandez aux participants d'envisager l'avenir avec une lentille réparatrice, sous forme de souhaits, et d'inscrire certains de ces souhaits sur le mur approprié.

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Module 3 :

Lesracines de la violence et l'ombre du transfert

par Rod Carter, directeur
Programme de justice réparatrice
Université Queen's

Les racines de la violence

Il semble que les êtres humains soient incapables de résoudre leurs conflits autrement que par la violence. La vengeance, semble-t-il, fait partie intégrante de l'ADN des êtres humains. Comme le rapporte la psychologue Nancy Reeves : « La vengeance est la drogue la plus attrayante que nous possédions » . Au cours des cinquante dernières années, René Girard, de l'Université Stanford, s'est imposé dans de nombreux milieux en tant que leader pour expliquer les racines de la violence. Ses écrits et ses recherches ont mené à la mise sur pied du forum annuel sur la violence et la religion. L'Université Saint-Paul d'Ottawa a eu le privilège d'accueillir ce tout dernier forum.

René Girard a élaboré une théorie mimétique qui, selon lui, explique la dynamique centrale qui régit le désir humain et les modèles de violence. Selon cet auteur, nous sommes confrontés, dès notre plus tendre enfance, à ce qui est souhaitable pour les personnes que nous prenons comme modèles et, par conséquent, nous calquons les désirs de nos modèles. Nous pensons souvent que nos désirs sont spontanés mais, dans les faits, nous les avons appris des autres. Le désir nait de la prise de conscience d'un vide qui est en nous, un vide non seulement matériel mais également moral. Nous désirons être en « imitant quelqu'un d'autre » . Nous faisons face à une personne qui désire quelque chose et nous lui emboîtons le pas. S'il peut être difficile et même humiliant de l'admettre, notre plus profond désir est de devenir nous-mêmes, en nous appropriant l'être du modèle que nous imitons. L'objet tire son éclat du désir du modèle, mais n'y trouve aucune satisfaction.

Dans sa recherche, Girard se concentre sur les modèles de violence et sur l'utilisation d'un bouc émissaire. La mimèse, notion issue de la théorie mimétique, peut facilement conduire à la rivalité qui mène elle-même à la violence, physique ou non. En soi, la violence est mimétique et elle rend les humains de plus en plus semblables, ce qui engendre encore davantage de violence. Une telle violence ainsi répétée risque de devenir incontrôlable. Girard a découvert que, dans les cultures anciennes, lorsqu'un groupe était sur le point de s'autodétruire pour cause de violence mutuelle, le recours à un bouc émissaire avait un mystérieux effet calmant. L'utilisation d'un bouc émissaire était décrétée en ayant recours à la mise à mort ou à l'expulsion d'un individu ou d'un groupe donné. Le bouc émissaire permettait de restaurer la paix au sein du groupe. Au fil du temps, les premiers humains ont utilisé ce processus de façon ininterrompue, ce qui leur a permis de comprendre que le moyen le plus efficace de prévenir la violence incontrôlable était de décharger les tensions pesant sur le groupe, sur des individus ou des groupes d'individus donnés. Il n'est pas nécessaire de réfléchir longuement pour nommer des exemples d'utilisation, à vaste échelle, de boucs émissaires durant toute l'histoire du vingtième siècle.

Si l'on accepte la théorie de Girard sur l'utilisation d'un bouc émissaire, on en vient à la conclusion que, parfois, les délinquants peuvent facilement devenirs les boucs émissaires d'une communauté qui désire décharger sur ceux qui ont attaqué sa structure un châtiment « illimité » . L'appel au châtiment « exagéré » que l'on entend dans certains quartiers représente bien souvent le désir de décharger sur le délinquant les maux dont la communauté est atteinte. Les gouvernements eux-mêmes peuvent parfois agir ou être perçus comme agissant de façon à marginaliser, au nom de l'ensemble de la société, certains segments de la population, comme les délinquants.

Suggestions

  1. Que signifie pour vous être un être humain qui fait preuve d'empathie dans notre société actuelle?
  2. Croyez-vous que notre désir et ses conséquences résultent de notre tentative d'imiter autrui?
  3. Pensez-vous que la société actuelle continue d'utiliser le mécanisme du bouc émissaire afin de se disculper? Discutez!

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L'ombre du transfert

Carl Jung, psychiatre suisse, a contribué grandement à nous faire comprendre le mécanisme de la violence grâce à l'élaboration de sa théorie de l'ombre.

Il écrit : « Malheureusement, il ne fait aucun doute que l'être humain est, dans l'ensemble, moins bon qu'il l'imagine ou désire l'être. Nous portons tous une ombre et moins celle-ci s'exprime dans la vie consciente d'une personne, plus elle est noir et dense. Si une personne est consciente d'une infériorité, elle sera à même de la corriger. De surcroit, cette infériorité est en permanence confrontée aux intérêts d'autrui et, par le fait même, continuellement sujette à se modifier. Si elle est réprimée et se trouve isolée de notre conscience, elle ne sera jamais corrigée et risquera d'éclater sans prévenir dans un moment d'inconscience. Pour tous les événements de l'existence, elle constitue une difficulté inconsciente qui vient contrecarrer nos meilleures intentions.

Nous portons tous en nous notre passé, à savoir, l'homme inférieur et primitif animé de ses désirs et de ses émotions, et c'est uniquement au prix d'un effort colossal que nous pouvons nous détacher de ce fardeau. Si ce détachement s'accompagne d'une névrose, nous devons invariablement composer avec une ombre bien plus présente et si nous souhaitons guérir, il nous faut absolument trouver un moyen de faire coexister notre personnalité consciente et notre ombre. »

L'un des aspects les plus importants de notre guérison et de la guérison de notre planète est la propension à affronter notre ombre, c'est-à-dire les sentiments qui nous habitent et les parties de nous-mêmes que nous avons rejetées, réprimées ou reniées.

Lorsque nous sommes enfants, nous apprenons à rejeter et à réprimer nos sentiments vulnérables pour devenir forts et puissants ou à réprimer la violence et l'agressivité qui sont en nous pour devenir doux et vulnérables. Lorsque nous réprimons notre agressivité et notre vulnérabilité, nous devenons des personnes agréables, modérées qui ne constituent pas un danger pour la société. Dans tous les cas, nous perdons non seulement des éléments essentiels de notre personnalité et de notre moi profond, mais également une grande partie de notre énergie vitale.

Les sentiments qui nous habitent et les parties de nous-mêmes que nous avons réprimées ne disparaissent pas uniquement parce que nous les refusons. Si nous ne trouvons pas des moyens de les exprimer, ils commencent à apparaître de façon déformée ou nous entrainent progressivement à nous trouver dans des situations où ils auront l'occasion d'émerger. À titre d'exemple, si vous avez réprimé la violence qui est en vous, vous aurez accumulé de la colère. Si vous ne trouvez pas un moyen d'exprimer cette colère d'une manière constructive et directe, elle apparaîtra sous forme d'hostilité indirecte et voilée ou elle éclatera tôt ou tard en rage explosive ou en violence. Il se peut fort que vous soyez attiré par des personnes agressives, avec l'intention inconsciente de déclencher votre propre colère.

Bon nombre de disciples de Jung ont approfondi la métaphore du concept de l'ombre. Robert Bly précise : « L'ombre est le grand sac que nous traînons derrière nous » et qui contient toutes les parties sombres de nous-mêmes que nous aimerions tenir secrètes.

L'ombre comprend éventuellement nos sentiments de colère, d'égoïsme, de jalousie, de fierté, d'insécurité, notre caractère sauvage et notre penchant destructeur. Tôt ou tard, lorsque nous les projetons sur autrui — mari, femme, enfant, ami, voisin, collègue ou race et culture différentes, ces sentiments débordent de notre sac.

La pratique spirituelle de l'ombre comprend l'aptitude à pouvoir reconnaître ces éléments, lorsqu'ils surgissent dans nos existences, et à les affronter.

Nous laisserons pour finir la parole à Carl Jung qui nous dit ceci : « La reconnaissance de l'existence de notre côté sombre permet de relativiser le bon et le mauvais qui se trouvent en nous et de transformer ces deux entités en deux moitiés d'un tout paradoxal » .

Suggestions

  1. Êtes-vous d'accord avec Jung qui prétend que nous avons tous un côté ombre qui comprend des émotions et des traits psychologiques négatifs?
  2. Vous souvenez-vous d'une période où votre colère ou penchant destructeur est apparu et vous a occasionné des problèmes?
  3. Selon Jung, nous permettons à nos diverses natures, bonnes et mauvaises, de cohabiter tout en ayant conscience de synchroniser l'ensemble de nos traits psychologiques. Discutez!

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Module 4 :

Déshumanisation, diabolisation et crimes haineux

par Rod Carter, directeur
Programme de justice réparatrice
Université Queen's

Ver Redekop, directeur du programme de maîtrise en résolution de conflits de l'Université Saint-Paul, traite du sujet des racines du meurtre et du génocide où la diabolisation tient une large place. Les deux facteurs ci-après peuvent inciter des groupes de personnes à « sacrifier » leurs pairs :

Lors des périodes d'hostilités exacerbées notamment, les souvenirs que l'on a des autres et la déshumanisation à leur endroit conduisent à la diabolisation d'un groupe donné. La diabolisation de « l'autre » , qui est alors désormais perçu comme l'ennemi, s'opère du point de vue d'une société qui désire surveiller ses membres afin que « l'autre » reste confiné à son rôle d'ennemi. La crainte qu'éprouve l'ensemble de la société envers les délinquants sexuels, notamment les pédophiles, et les délinquants à risque élevé conduit fréquemment à une forme de stéréotypes qui laisse peu de place à un modèle de réinsertion productive. Une personne qui est déshumanisée ou diabolisée se sent humiliée et dégradée, et elle est très susceptible de se trouver en état de détresse. Cet état peut facilement se transformer en rage ou en désir de vengeance et faire ainsi augmenter d'autant plus les actes préjudiciables commis par la personne « rejetée » .

Avec quelle facilité nous en venons à diaboliser les ennemis et à faire porter le blâme sur quelque chose qui ne nous appartient pas reste un des grands mystères de l'existence. À l'instar des individus, les États agissent de cette manière.

Barbara Coloroso a récemment écrit sur la question du génocide qui, bien souvent, fait suite au processus de diabolisation. Elle nous dit : « Le génocide n'existe pas en dehors de la sphère comportementale ordinaire des êtres humains. Parallèlement, cette forme de meurtre collectif n'est ni normale, ni naturelle, ni nécessaire. Il s'agit de la forme la plus extrême de l'expression de la persécution, un comportement beaucoup trop répandu qui est appris au cours de l'enfance et qui est enraciné dans la haine et le mépris envers un autre être humain qui a été jugé, par le tyran et par ses complices, comme étant sans valeur, inférieur et ne méritant pas le respect » . J'ajouterais que la persécution est, en fait, un acte délibéré et délibérément hostile qui vise à blesser, à faire naître la peur par la menace d'actes de violence supplémentaires et à engendrer la terreur. Trois facteurs caractérisent la persécution. Premièrement, un déséquilibre par rapport au pouvoir fait en sorte que le tyran est généralement perçu comme plus âgé, plus imposant, plus fort, doué sur le plan verbal et occupant une place plus élevée dans l'échelle sociale. Ensuite, le tyran agit avec l'intention délibérée de blesser sa victime et de lui infliger de la douleur psychique ou physique; il espère que ses actes seront blessants et prend plaisir à infliger des blessures. Pour finir, il existe une menace d'agressivité supplémentaire lorsque le tyran et le persécuté savent que la persécution peut se produire et se produira de nouveau. Lorsque la persécution augmente en intensité et que la situation n'est pas corrigée, on voit alors poindre un quatrième élément, la terreur. La persécution est en fait la violence systématique utilisée pour intimider et maintenir la domination. Lorsque la terreur s'instaure, le tyran peut agir sans crainte de récriminations ou de représailles. L'enfant persécuté se sent si impuissant qu'il est peu probable qu'il se défende ou qu'il dise à quelqu'un qu'il est victime de persécution. Le tyran escompte que les spectateurs participeront aux actes de persécution ou, tout au moins, qu'ils ne feront rien pour y mettre fin. C'est ainsi que s'installe le cercle de violence et que, sans surprise aucune pour les adultes qui travaillent auprès de délinquants, jeunes ou adultes, ce moyen est devenu leur principal « mode opératoire » .

Toutes tentatives sérieuses visant à éliminer la déshumanisation et la diabolisation au sein de notre société devraient cibler le facteur de persécution qui est présent dans notre système scolaire, des petites classes à l'université. Dans les services correctionnels, le fait d'aider les délinquants à prendre conscience de leur « mode opératoire » destructeur contribuera à faire de nos communautés des endroits sûrs.

Il serait trop facile de croire que cette tendance à la déshumanisation, à la diabolisation et à la persécution ne fait pas partie de tous les êtres humains. Elle n'est pas uniquement le lot des « auteurs de génocide » ou des délinquants qui composent nos établissements. Nous sommes nous aussi capables d'accomplir de tels actes. La capacité à faire le mal existe en chacun de nous. Refuser d'admettre cette vérité consiste à vivre dans un monde imaginaire, aseptisé. Comme le dit Alexandre Soljenitsyne en si beaux termes : « Si seulement les choses étaient aussi simples! Si seulement il y avait quelque part des méchants responsables de tous les maux et si seulement il suffisait de les éloigner de nous et de les détruire. La ligne de démarcation entre le bien et le mal traverse le cœur de tout être humain. Qui est prêt à arracher une partie de son cœur? » . Mahatma Gandhi, quant à lui, nous dit : « Il est désormais temps d'accepter la haine qui fait partie de nous. Les seuls démons qui existent sont ceux qui vivent au plus profond de nos cœurs » .

Il est judicieux d'accepter notre ombre et d'en prendre possession, de nommer nos démons, de tirer des enseignements de ces derniers et de reconnaître que nous ne sommes pas seuls à surmonter le défi que posent la déshumanisation et la diabolisation. Le conseil de Francis of Assissi est un conseil à suivre : « Aimons le lépreux qui se trouve en nous » .

Suggestions

  1. La persécution peut augmenter en intensité de façon terriblement rapide. Avez-vous déjà subi ou infligé des actes de persécution ou assisté à de tels actes?
  2. Quelles sont les formes de pouvoir que vous utilisez dans votre vie, au quotidien, de façon hebdomadaire et annuelle?

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Module 5 :

Traitementdes délinquants et des victimes d'actes criminels

par David Shantz
Aumônier de prison pour le SCC de la région du Québec

Si nous décidons d'envisager la justice réparatrice avec sérieux, quelles conséquences cette démarche aura-t-elle sur la façon dont nous traitons les délinquants et les victimes?

Ce module est présenté en cinq parties :

A. Nous traiterons les victimes et les délinquants comme des personnes à part entière.

Si nous décidons d'envisager la justice réparatrice avec sérieux, les victimes et les délinquants devront être reconnus comme des personnes à part entière. Tout ce qui les concerne, comme leurs noms, leur réputation, leurs familles et les communautés auxquelles elles appartiennent devra être traité avec un profond respect. Nous ne devons pas les déshumaniser en leur attribuant des numéros ou d'autres étiquettes qui font oublier leur dignité et leur identité individuelle.

Un homme dont la mère avait été tuée dans un accident de voiture rapporte que durant tout le procès, la Poursuite et l'avocat de la défense ont fait mention d'elle en l'appelant la « dame » . Elle ne représentait qu'un élément de preuve pour la Poursuite et qu'un élément d'attaque pour l'avocat de la défense qui voulait prouver que son client n'était pas responsable de sa mort. Le fils est sorti du procès très en colère et blessé : « Pourquoi donc ne pouvaient-ils pas nommer ma mère par son nom? » s'est-il demandé tristement.

Il arrive également que les délinquants soient traités de façon inhumaine. Les appellations négatives dont nous faisons usage pour désigner le délinquant et son comportement ne font que renforcer les pensées négatives du délinquant et de la victime.

Nous devons nous convaincre qu'il nous faut écouter et respecter ce que le délinquant et la victime ont à dire. Nous devons nous convaincre qu'ils méritent une place à la table de discussion et doivent bénéficier de tous les privilèges accordés aux autres s'ils acceptent les lignes directrices et la discipline définies par le groupe.

Nous devons nous laisser guider par les valeurs éthiques qui accordent une large place à l'intérêt commun au détriment de l'intérêt personnel.

Lorsque nous adoptons ces valeurs qui comportent des caractéristiques telles que l'intégrité, l'impartialité, le courage de dire la vérité, la volonté de respecter la loi, d'assumer ses responsabilités et d'être responsable, nous en venons à croire que même les personnes les plus violentes pourront modifier leur comportement destructeur pour adopter un mode de vie constructif.

B. Nous nommerons des leaders compétents pour diriger les programmes qui s'adressent aux délinquants et aux victimes.

Si nous décidons d'envisager la justice réparatrice avec sérieux, nous devrons prendre très au sérieux la question du choix du leadership. Au premier abord, la justice réparatrice peut sembler être une forme plutôt élémentaire de médiation au cours de laquelle on recueille des renseignements qui visent à prononcer une décision arbitraire pour résoudre un conflit. Plus souvent qu'autrement, l'éventail des besoins des victimes et des délinquants sont ignorés et le cas est réduit à une simple forme de médiation.

La justice réparatrice est un processus qui nécessite un leadership de la part de personnes douées en la matière, qui ont été formées au concept de la résolution pacifique et à l'amiable des conflits. Les leaders qui possèdent les qualités requises ont acquis de solides convictions concernant la résolution à l'amiable des conflits, car ils ont appliqué ces principes à leur propre vécu.

Nous avons tous été victimisés et nous devons admettre que nous avons également offensé les autres. Ce n'est qu'en acceptant ces faits que nous pourrons devenir un leader. Nous recommandons fortement que les futurs leaders prennent part à une séance en face à face, à titre de victime ou de délinquant, avant de s'employer à diriger un groupe.

La communauté blessée se soumettra de son plein gré à l'autorité des leaders s'ils prêchent en premier lieu par l'exemple. Ces leaders ne se présentent pas avec un programme qui leur est propre pas plus qu'ils n'offrent au groupe de réponses préconçues. Ils disposent d'outils pour aider les participants à comprendre et à exprimer les sentiments qui les habitent et qui sont associés aux événements qui se sont produits. Les leaders compétents, du fait qu'ils doivent atteindre un degré de satisfaction qui est à la fois équitable et réparateur pour les participants, sont extrêmement essentiels au processus de justice réparatrice.

De tels leaders ne ressemblent pas à ceux dépeints par Tana Dineen dans son ouvrage intitulé Manufacturing Victims. Elle y décrit certains leaders qui, à titre de fournisseurs de soins professionnels, croient être les seuls à détenir les réponses. Elle précise ce qui suit : « En règle générale, il est évident que les diagnostics correspondent davantage aux croyances des psychiatres qu'aux problèmes des patients » . Elle fait cette observation lors de sa recherche sur la façon dont les psychiatres diagnostiquent leurs patients et décident quel est le traitement qui s'applique (préface, page 13). Elle poursuit sur sa lancée en détaillant bon nombre d'études de cas pour lesquelles les problèmes des victimes et des délinquants ont été interprétés par les psychiatres de telle sorte que le traitement prescrit ne puisse être administré que par le fournisseur de soins professionnel. Le diagnostic a souvent peu de rapport avec les problèmes réels du patient. Il a été posé dans l'intention délibérée de créer une dépendance à l'égard du fournisseur de soins.

Tous ceux qui désirent assumer un rôle de leadership en matière de justice réparatrice devront être conscients de ce problème afin de pouvoir le contourner.

Au sein d'un groupe à la dynamique efficace, le leadership sera assumé par plusieurs personnes. Les victimes et les délinquants, au fur et à mesure qu'ils se sentiront plus à l'aise pour parler de leurs expériences, fourniront au groupe une forme de leadership. Bien souvent, leurs idées et la compréhension qu'ils se font du problème permettront aux membres du groupe d'atteindre des niveaux d'ouverture et d'honnêteté qui sont essentiels pour guérir et tourner la page.

C. Nous encouragerons les victimes et les délinquants à briser leur isolement et à former une communauté avec ceux qui, comme eux, vivent dans la souffrance.

Une communauté peut se définir comme un groupe de personnes qui est concerné par une question ou un problème précis. En ce sens, la communauté transcende la race, le sexe, l'âge, la langue ou le lieu géographique. Nous traiterons les victimes, les délinquants et toutes les personnes qui ont été victimes d'une infraction comme une communauté de personnes qui cherche à résoudre un conflit de façon pacifique. Lors de ce processus, c'est l'infraction à l'origine de l'état de souffrance et de douleur excessives qui incite les personnes à se réunir pour former une communauté. Tous les êtres humains sont égaux dans la souffrance, et le même sentiment de détresse affecte les personnes qui soufrent. Bien souvent, les victimes et les délinquants souffrent en silence. Très peu de personnes, y compris leurs amis, sont disposées à écouter leur histoire.

En 1991, alors que je travaillais comme aumônier pour le Service correctionnel du Canada, au Centre fédéral de formation, un établissement fédéral situé à Laval, au Québec, nous avons mis sur pied une activité intitulée Face à Face. À cette poque, il y avait des règlements complexes qui interdisaient aux délinquants et à leurs victimes de se rencontrer ou même de communiquer par courrier; c'est pourquoi nous avons demandé à des victimes qui n'étaient pas spécifiquement celles des délinquants de venir à la prison pour rencontrer les détenus. Si ces personnes n'étaient pas les victimes personnelles des délinquants, elles avaient toutefois vécu des expériences similaires (dans la prochaine section, je décrirai la préparation que doivent nécessairement suivre les détenus, les victimes et les coordonateurs de l'activité.).

Lors de l'activité Face à Face, les victimes et les délinquants ne se réunissent pas dans l'objectif de prouver la culpabilité ou les actes répréhensibles des auteurs de crimes, tel qu'on l'entend au sens de la loi territoriale. Ils se réunissent pour affronter la souffrance et la douleur irrésolues, problèmes qui ne relèvent pas des tribunaux. À titre d'exemple, même si le crime commis est de nature très grave, il se peut que la police et l'avocat de la Couronne portent une accusation de moindre gravité parce qu'ils savent qu'il n'y a pas assez de preuves pour établir le mobile et l'intention du crime qui a réellement été commis. La Poursuite se contentera de ce qu'elle est certaine de pouvoir prouver dans un tribunal devant un juge. Les victimes et les délinquants savent que la Poursuite « conclura une entente » afin de clore le dossier. C'est pourquoi victimes et délinquants ne pourront guérir des blessures psychologiques et émotionnelles qui résultent du comportement du délinquant ni tourner la page sur cet événement. Bien souvent, les sentiments associés à une justice qui n'a pas été pleinement rendue persistent à jamais dans l'esprit de la victime et du délinquant. Qui peut véritablement faire montre d'empathie envers eux? Qui peut les encourager à trouver la voie de la guérison?

Les membres du groupe Face à Face se réunissent une fois par semaine, durant cinq à six semaines. Chaque personne a l'occasion de faire part de son expérience et de poser des questions aux autres membres du groupe qui se compose de cinq détenus et de cinq victimes, au maximum. Il y a également une personne supplémentaire qui représente la communauté et qui offre une perspective du point de vue des voisins qui vivent sur les lieux où le crime a été commis. Cette expérience s'avère très positive pour ceux qui y prennent part. Cette activité se poursuit à l'heure actuelle dans plusieurs établissements correctionnels, d'un bout à l'autre du Canada.

Dans un groupe de cette nature, les victimes et les délinquants ont, pour la première fois, le sentiment qu'ils font partie intégrante d'une communauté qui les accepte, en dépit de ce qui s'est produit dans leur existence.

Ainsi, les délinquants sont appelés à parler de leur expérience, ce qui, en soi, est important, mais ils sont également amenés à exprimer des regrets pour les souffrances qu'ils ont causées à leurs victimes. Auparavant, c'était uniquement au sein de la salle d'audience que les détenus avaient l'occasion d'exprimer, en public, des regrets pour leurs actes. Pour l'ensemble des personnes concernées, il ne s'agit pas d'un endroit très approprié pour parler de la souffrance, de la peur, de la colère et des coûts émotionnels, physiques et psychologiques associés au crime.

Il se peut que les victimes n'abordent pas vraiment le pardon à l'aide de mots. Ce sont les actes plus que les paroles qui comptent. Si l'on fait montre d'acceptation et de bienveillance à l'égard des détenus, cela contribue à leur faire comprendre que les autres les accepteront également une fois qu'ils seront libérés de prison.

Les participants sont appelés à entendre les témoignages d'autrui et à en tirer des enseignements, ce qui constitue un autre avantage pour l'ensemble du groupe. J'ai réalisé que, pour chaque personne, il y avait un point précis de leur expérience qu'il leur était difficile d'aborder. Les délinquants et les victimes peuvent surmonter leur peur et leur timidité lorsqu'ils entendent les autres nommer cet « élément particulier » de leur expérience.

Les avantages du programme Face à Face sont quelque peu particuliers. En voici un aperçu.

  1. Étant donné que les personnes qui se réunissent ne sont pas directement concernées par le même crime, le degré d'émotions et d'intensité est plus objectif. Les participants sont tous davantage conscients de ce qui se passe au sein de la dynamique du groupe. Si la victime ou le délinquant direct était présent, l'attention se porterait sur une personne en particulier, ce qui limiterait la capacité des participants à tirer des enseignements du vécu d'autrui.
  2. Le programme offre aux victimes et aux délinquants l'occasion d'établir un dialogue. Bon nombre d'entre eux ont suivi des thérapies mais ils n'ont jamais parlé à quelqu'un qui, comme eux, ont véritablement vécu une expérience de ce type. En raison du crime commis, ils seront toujours étroitement liés les uns aux autres et cette activité offre un cadre qui leur permet, sans crainte ni honte, de poser des questions directement à l'autre personne ou de lui faire part de commentaires.
  3. Le temps a fait son œuvre et les émotions ne sont pas aussi intenses que juste après le crime. Les parties respectives sont à mêmes de témoigner de leur expérience de façon plus objective.
  4. Il s'agit d'une initiative spéciale pour le délinquant car, pour la première fois depuis qu'il est incarcéré, il peut parler des détails relatifs à son cas avec un certain nombre de personnes issues de la communauté. Avec ces personnes, il sera à même de confronter les « démons » auxquels il est confronté, en tant que prisonnier. De fait, il n'aura plus à les combattre seul. Alors qu'il fait preuve d'humilité devant le groupe, il se sent habilité à vivre. Les victimes peuvent également faire l'expérience de sentiments semblables, mais elles ont l'occasion de les exprimer dans la communauté contrairement au détenu qui, lui, ne peut le faire dans le cadre de l'établissement.

D. Nous attendrons que la victime ou le délinquant soit prêt à prendre volontairement part au processus de réparation.

Les programmes de justice réparatrice ne sont efficaces que si les participants s'y inscrivent de leur plein gré. Il est essentiel que l'ensemble des membres de la communauté comprennent clairement ce fait. Parfois, des personnes bien intentionnées tentent de persuader les victimes de prendre part au processus alors qu'elles ne sont pas encore prêtes. Les résultats peuvent être tout à fait désastreux et la personne se trouver à nouveau victimisée.

Certaines personnes croient connaître tous les tenants et les aboutissants du processus, toutefois, celui-ci requiert un tel degré d'honnêteté et d'intégrité de leur part que parfois, elles se retirent de l'activité. Les victimes et les délinquants se retirent parce qu'ils se rendent compte qu'il leur est impossible de se cacher derrière un avocat ou une interprétation de la loi. Ils ne sont pas prêts ou pas disposés à être questionnés au sujet de leurs émotions et de leurs mobiles par les autres victimes ou délinquants.

Les délinquants peuvent avoir de la difficulté à accepter le fait qu'ils sont également eux-mêmes des victimes. Pour bon nombre d'entre eux, les émotions et les pensées associées à la victimisation représentent une forme de faiblesse qui pourra être utilisée contre eux comme une arme, si elle est admise. Ils se plaisent à se considérer comme des leaders, comme des personnes ne pouvant pas être contrôlées et non pas comme des suiveurs. Lorsque les délinquants sont prêts à accepter qui ils sont et s'ils sont préparés à parler de leur comportement criminel sous l'angle des émotions qui les animent, ils peuvent alors être admis au programme.

Fréquemment, certains détenus qui désirent prendre part à cette activité rapportent qu'ils espèrent ainsi faire bonne impression sur la commission des libérations conditionnelles : la lettre que j'envoie à la commission des libérations conditionnelles reprend uniquement les dates auxquelles les détenus ont participé à l'activité. Ainsi, tous les renseignements communiqués sont de nature confidentielle et ne seront pas divulgués à l'extérieur du groupe.

Les délinquants qui désirent prendre part au processus doivent accepter de déposer les armes qu'ils ont choisies et utilisées pour s'octroyer du pouvoir et en ôter aux autres. Ils ont appris comment utiliser ces outils de pouvoir pour créer, à leur avantage, un déséquilibre leur permettant d'obtenir ce qu'ils voulaient. Ces armes, utilisées pour intimider autrui, peuvent être une arme à feu, un stylo pour établir des chèques falsifiés, un air menaçant ou un ton de voix. Privés de ces outils, les délinquants se sentiront quelque peu impuissants et lorsqu'ils seront forcés de donner des réponses, ils éprouveront un certain malaise, étant donné que le déséquilibre de pouvoir n'est plus en leur faveur. L'autre personne a autant de pouvoir qu'ils en ont. Le seul choix qui leur reste est de coopérer et de dire la vérité, ce qui peut être une démarche douloureuse, ou de quitter lâchement le groupe, ce qui est également une décision très pénible à prendre.

Les victimes qui désirent prendre part aux programmes de justice réparatrice doivent également accepter de déposer toutes les « armes » qui pourraient leur procurer un avantage sur le délinquant.

Ces « armes » , qui comprennent notamment l'exagération des faits, la déformation intentionnelle de la vérité, les éclats de colère accompagnés de larmes et d'accusations à l'endroit du délinquant visent à détourner l'attention des autres portée aux victimes. Celles-ci se considèrent comme les survivants d'une guerre et, par conséquent, elles croient qu'elles sont en droit de faire tout ce qui est nécessaire pour percer les lignes ennemies. La justice réparatrice exige que les victimes cessent d'utiliser leur expérience comme un motif pour obtenir des privilèges supérieurs à ceux qui sont accordés à l'ensemble des membres de la société. Elles doivent également reconnaître la violence et la colère qui les habitent afin de pouvoir faire preuve d'empathie à l'endroit des délinquants.

Les programmes de justice réparatrice ne sont pas conçus pour les curieux ou pour ceux qui ont un intérêt confinant au voyeurisme. Chaque membre devrait être interrogé par les leaders du groupe en vue d'évaluer la sincérité de sa participation. Étant donné qu'il existe un degré élevé de réelle communication entre les membres du groupe, les participants doivent faire montre d'un profond respect pour les émotions et les faits précis qui sont communiqués dans le groupe. La confidentialité est de mise pour tous.

E. Nous proposerons aux victimes et aux délinquants une démarche différente visant la compréhension de la vérité.

Dans notre pays, au sein de nos tribunaux, les victimes et les délinquants sont appelés à jurer sur la bible et à répéter les termes suivants : « Je jure de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, et que Dieu me soit en aide? » . Ce qui s'ensuit alors est une sérieuse bataille entre le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense qui vise à établir quelle vérité sera retenue. L'objectif du tribunal étant de déterminer la culpabilité du délinquant et de le punir, le procureur de la Couronne ne choisira que la vérité qui permettra de prouver la culpabilité. La défense, quant à elle, sera tout aussi déterminée à présenter la vérité qui prouve que son client est innocent.

Nous proposons une démarche différente qui consiste à réunir tout d'abord les parties intéressées pour les aider à mettre en évidence la douleur et la souffrance vécues. La vérité de chaque personne est une chose très privée et, si elle est utilisée dans un esprit de vengeance, elle sera sujette à exagération. S'il existe une crainte de représailles, la vérité sera niée. Il incombera alors au leader de diriger volontairement l'attention de la communauté hors de ces deux impasses. Il s'établira alors un processus qui permettra à chaque personne de la communauté blessée d'exprimer sa vérité sur la façon dont elle a vécu l'événement.

Alors que les membres du groupe abordent dans le détail l'événement et les émotions qui y sont rattachées, sans aborder les raisons qui ont conduit à ce dernier, la victime et le délinquant sont encouragés à apprécier les sentiments et la vérité du point de vue de l'autre personne. Les membres du groupe sont encouragés à trouver un consensus concernant la véracité de l'événement. Ensuite, hors consensus, ils peuvent s'entendre sur les sanctions et les mesures disciplinaires appropriées devant être prises, lesquelles devraient permettre à toutes les personnes concernées de guérir et de tourner la page.

L'expression « compromis de la vérité » est parfois utilisée par certains leaders pour décrire la bataille qui se joue alors que chaque partie tente de parvenir à un consensus concernant la véracité de l'événement. La douleur éprouvée par les victimes et les délinquants découle en partie du fait qu'ils ne connaîtront peut-être jamais l'entière vérité sur ce qui s'est produit. En dépit de ce fait, lorsque s'instaure un dialogue sain et efficace, nous apprenons comment évoquer les détails inconnus avec amour et sérénité.

Pour terminer, je dois admettre que la guérison des blessures laissera toujours des cicatrices et que le fait de tourner la page ne signifie pas que nous ne penserons plus jamais à ce qui s'est produit.

Je crois qu'en empruntant la voie de la justice réparatrice, nous serons habilités à admettre, sans honte et en toute générosité, que cette expérience fait partie intégrante de notre personnalité.

C'est à partir de cette position influente que nous pouvons désormais atteindre les victimes, les délinquants et les personnes de la communauté et les inciter à surmonter, grâce au processus de justice réparatrice, la douleur et la tristesse causées par un comportement destructeur.

Suggestions

  1. Que pensez-vous du programme Face à Face?
  2. Si vous étiez une victime, accepteriez-vous de rencontrer le délinquant responsable de l'acte criminel perpétré à votre endroit et, si oui, dans quelles conditions?
  3. Si vous étiez un délinquant, accepteriez-vous de rencontrer votre victime et, si oui, dans quelles conditions?

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Module 6 :

Aider les victimes à pardonner et à oublier

par Rod Carter, directeur
Programme de justice réparatrice Université Queen's

Un écrivain a dit du pardon qu'il était le « pèlerinage du coeur; il s'agit d'aimer son ennemi » . Quel défi!

L'évêque Desmond Tutu qui a présidé la Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud a dit : « Le pardon n'est pas un état d'esprit qui s'acquière facilement. Il exige de rouvrir des blessures qu'on croyait guéries. Lorsqu'on garde rancune, on continue d'être asservi. Lorsqu'on atteint un stade où l'on peut pardonner — même si l'autre ne veut pas ou ne demande pas le pardon — on cesse d'être une victime et on n'est plus l'otage de l'autre. »

Le concept sud-africain Ubuntu signifie « exprimer notre humanité par l'intermédiaire des autres » . Ainsi, notre humanité émerge lorsque nous sommes sur le point de la reconnaissance et du pardon.

Dans l'ouvrage intitulé Spirituality of Imperfection, on peut lire : « Nous ne pouvons être pardonnés que si nous sommes prêts à pardonner, mais nous ne sommes capables de pardonner que si l'on nous accorde le pardon; c'est uniquement en donnant qu'on peut recevoir et l'on ne peut recevoir que si l'on a donné » Pour explorer brièvement la distinction entre le pardon et l'oubli, nous disposons de nombreux moyens didactiques efficaces.

C'est C.S. Lewis lui-même qui a dit : « Pardonner ne signifie pas excuser, comme bon nombre de personnes semblent le croire. Elles pensent que si on leur demande d'accorder leur pardon à une personne qui a fait preuve de trahison ou de persécution envers elles, on tente de faire croire qu'il n'y a pas eu réellement d'acte de trahison ou de persécution. Mais si tel était le cas, il n'y aurait rien à pardonner. Le pardon ne signifie pas que vous deviez faire tout votre possible pour effacer toute trace de ressentiment qui est en vous, tout désir d'humilier l'autre. »

Les étapes du pardon décrites ci-dessous s'appuient sur le principe voulant que vous puissiez vous pardonner même si la personne qui vous a agressé ne vous pardonnera pas :

Pour terminer, j’aimerais vous faire part d’une phrase de l’évêque Desmond Tutu : « C’est une erreur de dire qu’il faut pardonner et oublier... il faut plutôt se souvenir et pardonner. »"

Suggestions

  1. Êtes-vous d'accord pour dire que le soutien constitue l'élément d'aide le plus important que nous puissions offrir à une victime de crime. Pourquoi devrions-nous offrir du réconfort à une victime, particulièrement si cette dernière ne fait pas partie de notre famille ou de notre voisinage immédiat?
  2. Lorsque nous sommes confrontés aux réalités du crime et de la victimisation, comment l'amour et le pardon envers ceux qui nous ont fait du mal se situent par rapport au désir de vengeance et à la quête de justice?
  3. La véritable réconciliation exige un effort de la part des deux parties, la victime et le délinquant. Lors de ce processus, tous deux doivent apporter leur contribution, grandir et tenter de s'ouvrir à l'avenir. Êtes-vous en accord ou en désaccord?

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Module 7 :

La justice réparatrice et la communauté

par Scott Harris, directeur
Direction de la justice réparatrice
Service correctionnel du Canada

Une des principales pierres angulaires sur lesquelles est fondée l'avènement de la justice réparatrice est la reconnaissance que tout crime concerne en dernier ressort la communauté. Les préjudices causés par le crime sont vécus, non pas dans les salles d'audience et lors des batailles juridiques, mais bien dans l'existence des vraies personnes. Le crime se produit dans les communautés et affecte celles-ci au plus au point. À l'instar des membres de la communauté, nous ajustons notre existence au lendemain du crime, soignant nos blessures immédiates et nous adaptant au fait que nous ne sommes pas autant en sûreté que nous aurions pu nous l'imaginer auparavant. Les personnes qui sont victimes de crime restent parmi nous ou, tout au moins, dans notre mémoire, laissant un héritage empreint des blessures infligées et de l'innocence enfuie. Les auteurs de crimes représentent également une présence persistante. Ils voient le jour dans nos communautés. Ce sont nos enfants, nos amis, nos voisins. Leurs familles demeurent parmi nous. En fin de compte, ils nous reviennent lorsqu'ils ont purgé la peine, quelle qu'elle soit, infligée par l'État. En outre, si nous sommes attentifs, nous prenons pleinement conscience des facettes de l'existence qui ont contribué à leurs actions.

À ce titre, la participation active de la communauté est un aspect essentiel de la mise en œuvre de la justice réparatrice. La communauté doit pouvoir exprimer les multiples facettes du préjudice subi. De même, elle doit pouvoir exprimer leur désaccord face au comportement criminel, ce qui permet de mettre en place le processus de reddition de comptes et de clarifier l'entente collective concernant les règles sociales. La communauté doit également avoir l'occasion de faire montre de solidarité envers ceux qui ont été les plus affectés par le crime, les victimes. De surcroît, elle a besoin d'entendre le délinquant assumer ses responsabilités et faire des efforts pour réparer, dans la mesure du possible, les torts causés. Pour finir, la communauté a l'obligation d'assurer l'harmonie, de reconnaître les causes sociales du crime et de s'y attaquer et de permettre aux victimes et aux délinquants de réintégrer le groupe, lorsque cela est approprié.

Faire participer la communauté à l'atteinte de ces objectifs pose toutefois des défis importants pour les intervenants et les décideurs. Apprendre à clarifier la signification de la communauté constitue un de ces problèmes, et non le moindre. Pour de nombreuses personnes, la communauté évoque plusieurs significations simultanées, notamment un espace géographique, un groupe constitué de membres familiaux et d'amis et, plus récemment, un groupe peu structuré composé de connaissances virtuelles. Dans les cercles officiels, le terme « communauté » est souvent utilisé comme un substitut pour celui de « societé » — misant sur l'identité nationale et sur le respect des priorités gouvernementales. À ce titre, plusieurs universitaires en justice réparatrice ont commencé à analyser les méthodes de définition de la communauté.

McCold, par exemple, a mis en évidence une méthode qui s'appuie sur le concept de la macrocommunauté et de la microcommunauté pour faire la distinction entre les différents aspects de la communauté. Selon McCold, les microcommunautés sont les liens qui ont été formés par le crime lui-même. Elles comprennent les personnes les plus affectées par le crime. La macrocommunauté fait référence aux communautés de plus grande envergure, telles que les communautés géographiques, les milieux de travail, les associations. La participation de chacun de ces types de communauté dépendra du type d'objectif poursuivi en matière de justice réparatrice. La résolution de toute infraction criminelle donnée nécessitera inévitablement la participation de la microcommunauté. L'élaboration d'un programme de justice réparatrice à plus grande échelle ou la conception d'une intervention pour un modèle de crime systémique nécessitera une plus grande attention de la part des macrocommunautés. À titre d'exemple, le projet de guérison de la communauté de Hollow Waters est un programme conçu pour s'attaquer au problème des infractions sexuelles extrêmement fréquentes au sein d'une communauté autochtone. Il exige que les leaders du programme s'occupent des microcommunautés touchées, pour toutes les infractions qui leur sont rapportées et de la macrocommunauté au sein de laquelle les infractions se sont produites. Ce faisant, on a mis en évidence et atteint différents objectifs pour renforcer le processus de guérison que vivent les personnes et l'ensemble de la communauté (Native Counselling Services of Alberta).

Les tensions inhérentes et les dynamiques de pouvoir qui sont déjà présentes dans toute communauté donnée représentent un autre défi qui se pose en matière de participation communautaire. Ces tensions existent pour une multitude de raisons et elles peuvent être relativement complexes. La plupart du temps, ces dynamiques sont un sous-produit de ce qui fonctionne efficacement dans la communauté, notamment le gouvernement, l'économie, la famille, l'éducation et les diverses structures sociales. Pour des raisons pragmatiques uniquement, les personnes se voient conférer des responsabilités qui les forcent à exercer un pouvoir discrétionnaire et un contrôle sur la vie des autres. Dans d'autres cas cependant, les structures de pouvoir finissent par devenir dysfonctionnelles, ce qui mène à un niveau actif de contrôle et d'oppression à l'avantage d'un groupe particulier ou bien constitue une façon de nuire aux autres.

Inévitablement, les expressions positives et négatives du contrôle social dans la communauté freinent la capacité des intervenants en justice réparatrice à progresser dans leur travail. En termes pragmatiques, les structures de pouvoir communautaires sont souvent confrontées pour décider qui devrait ou ne devrait pas prendre part à une intervention, et quels moyens devraient être utilisés pour « encourager » la personne à participer. La coercition est souvent présente. En outre, les dynamiques de pouvoir présentes entre les membres de la communauté change la nature de leur participation. Bien souvent, les personnes ajustent leur comportement lorsqu'elles sont en présence des personnes qu'elles désirent impressionner ou qu'elles craignent. Par conséquent, cet élément peut affecter la capacité des participants à faire preuve d'une totale honnêteté.

Par ailleurs, lorsque l'on s'efforce de reproduire l'harmonie au sein de la communauté, les dynamiques négatives de contrôle social sont bien souvent laissées de côté ou activement maintenues lors des rencontres de justice réparatrice. Si l'on prend par exemple le cas de la population nord-américaine, on constate qu'un certain nombre d'adultes âgés sont à la charge de membres de leur famille en raison d'une santé mentale et d'un état de santé précaires. Étant donné la nature confidentielle de ce type de relations et la dépendance des personnes concernées, des cas d'abus se produisent parfois. Il s'agit d'un problème difficile à résoudre. Invariablement, les membres de la famille cachent la situation d'abus et, lorsque celle-ci est découverte, ils agissent pour éviter l'intervention intrusive, ce qui fait en sorte que l'abus se poursuit. Un projet innovateur de justice réparatrice a été mis sur pied pour s'attaquer à ce problème particulier. Il fait appel à une plus grande variété de soutiens sociaux et d'organismes communautaires pour faire face aux comportements négatifs et assurer en même temps la disponibilité des soutiens (Groh).

On a fait ressortir des problèmes similaires affectant les femmes qui vivent des relations de violence. Les femmes autochtones en particulier ont évoqué la question de la justice réparatrice qui est utilisée pour maintenir un contrôle oppressif sur leurs existences, au sein de leurs communautés (Association des femmes autochtones du Canada).

La participation de la communauté demeure un objectif important et stimulant pour les intervenants en justice réparatrice. Bien souvent, la question de savoir quelle communauté faire participer et quelle forme de participation est requise est établie essentiellement en fonction des circonstances particulières du cas faisant l'objet de la discussion et du souhait des participants. Par conséquent, il est impératif que les intervenants exercent un rôle proactif durant ces discussions afin de veiller à définir et à aborder la question des dynamiques de pouvoir et de contrôle et de susciter et soutenir une participation efficace.

Suggestions

  1. Quel rôle la communauté devrait-elle jouer dans la mise sur pied d'initiatives de justice réparatrice?
  2. La participation communautaire devrait-elle être à l'appréciation de la victime et du délinquant immédiats lors de toute intervention axée sur la justice réparatrice?
  3. Comment les intervenants en justice réparatrice peuvent-ils se préparer à faire face aux structures de pouvoir qu'ils connaissent mal lors d'une intervention axée sur la justice réparatrice?

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Module 8 :

La justice réparatrice et les droits de la personne et le lien entre le système classique et la justice réparatrice

par Philippe Landenne, S.J.
Juriste et aumônier de prison

Remarques préliminaires

Pour plusieurs raisons, Juste. Équipage a demandé à Philippe Landenne, avocat, jésuite et aumônier de prisonbelge, de rédiger ce module. Au cours des années 1990 et 2000, la Belgique a probablement été le pays qui a fait le plus d'efforts pour implanter des programmes de justice réparatrice au sein de ses prisons. L'initiative a-t-elle été concluante? Est-elle concluante à l'heure actuelle? L'analyse critique de Landenne nous permettra, en tant que Canadiens, de faire le point et de savoir où nous en sommes rendus dans la mise en oeuvre de la justice réparatrice. Son appel, qui invite à ne pas opposerle système classique et la justice réparatrice mais à oeuvrer à mettre en place une synergie fructueuse, vaut la peine d'être entendu.

Dans les débats où dialoguent les tenants d'un système pénal classique et les promoteurs d'un modèle de justice réparatrice, il est courant et parfois un peu caricatural de voir s'opposer deux approches différentes de la réalité du crime.

Pour les uns, celui-ci est à cerner strictement comme une violation de la loi pénale garante de l'ordre public. La charge d'incriminer revient au ministère public, représentant de l'État, qui est investi d'une double mission : il lui revient d'établir que les éléments constitutifs de l'infraction selon la définition légale sont effectivement réunis et permettent de qualifier le fait de crime au point de justifier les poursuites; il lui revient aussi de renverser la présomption d'innocence du suspect afin de pouvoir l'inculper sur base d'indices établissant qu'il serait bien l'auteur du fait reproché. Dans ce schéma, la victime est par définition un « outsider » qui ne peut guère intervenir dans une procédure dont elle se sent exclue.

Pour les autres, le crime s'impose d'emblée comme une atteinte bouleversante à l'intégrité de la victime et à l'équilibre de la communauté. Les blessures parfois profondes engendrées par l'agression de l'auteur déclenchent l'urgence d'un soin intensif et d'une mobilisation solidaire pour soulager la victime et restaurer la possibilité de liens de confiance au sein d'une communauté elle aussi affectée par le comportement marginal de l'auteur. Celui-ci doit être soutenu et responsabilisé dans un processus qui lui permette de s'engager sur un chemin de réparation qui prend son origine dans un indispensable aveu et l'expression de la vérité. Le conflit révélé par le crime ne se résoudra que par une communication rétablie entre toutes les parties directement concernées au sein de la communauté.

Selon l'approche privilégiée, les attentes vis-à-vis du droit et les aspirations en matière de justice s'expriment donc avec des tonalités bien différentes. Mon long itinéraire de service en prison m'a conduit personnellement à éprouver les pertinences respectives de ces deux approches tout en percevant les ambiguïtés et les difficultés à mettre en œuvre celles-ci. Il ne peut s'agir de les situer en opposition l'une face à l'autre : il faut découvrir en quoi elles peuvent se compléter et se corriger.

Bien sûr, comme aumônier de prison, je suis prioritairement rejoint par la dimension holistique d'une justice réparatrice suscitant avec audace des initiatives solidaires et créatrices enracinées dans une option communautaire et enrichies par les ressources spirituelles des personnes concernées. Mais, comme juriste, je reste également profondément convaincu de l'importance de sauvegarder rigoureusement les garanties essentielles inscrites aujourd'hui dans les chartes et conventions établissant les droits fondamentaux de toute personne humaine dans un État démocratique.

Au fil de mon chemin, je n'échappe pas toujours à certaines confusions et certains malaises face au fonctionnement de la justice pénale. L'horizon de ma réflexion est celui de mon engagement de terrain comme aumônier de prison en BelgiqueNote de bas de page 1 : celui-ci me situe de facto en position de proximité première aux côtés du prévenu ou du condamné, ce qui ne signifie en rien une indifférence au sort de la victime. Je suis profondément convaincu que le prisonnier ne peut être soutenu en faisant abstraction du triangle auteur-victime-communauté et du défi de la communication à restaurer à l'intérieur de celui-ci.

Mes deux expériences de service en prison, tantôt dans le cadre de la détention préventive, tantôt dans le cadre de l'exécution de la peine, suscitent quelques réflexions que je risque de partager ici.

Lorsque j'interviens dans une maison d'arrêt, ma mission première est d'accompagner des hommes placés en détention préventive pour des faits souvent très graves. De manière répétitive, je peux observer en première ligne comment le prévenu vit un déchirement profond durant les longs mois d'instruction et d'attente de son procès.

Généralement, dès les premiers contacts, je rencontre une personne bouleversée, renversée par le drame humain qui l'a conduite en détention. Dans le cadre de la relation confidentielle qui peut se vivre dans l'espace « refuge » offert par un aumônier de prison, je me mets à l'écoute de récits d'une densité poignante dont le cœur est fréquemment l'incompréhension devant l'échec douloureux de relations humaines. Sont évoqués d'emblée : le visage de la victime, la rupture avec les proches, le poids de la culpabilité morale, la vulnérabilité personnelle révélée, l'angoisse devant l'impossible réparation, le désespoir devant la confiance brisée, puis tant d'émotions irrationnelles et de quêtes maladroites de sens au-delà des alliances rompues. Rapidement surviennent les questions sur la mesure des dommages causés, l'état des victimes, les conditions de survies des proches laissés dehors. L'expression ensuite des étapes de dégradations successives de l'intégration communautaire du prévenu qui ont si souvent précédé les passages à l'acte : désinsertion sociale, dépendances, misère socio-économique, communication perturbée, tant de facteurs révélant la fragilisation progressive du cercle de vie à restaurer. Les itinéraires confiés sont infiniment complexes et la « vérité » des drames vécus est toujours multiple. Très souvent, le désir confus d'un geste ou d'un contact par rapport à la victime est confié dans le secret de ces rencontres. Comment ne pas rêver à une approche réparatrice lorsqu'on est rejoint par ses récits durant d'interminables entretiens durant lesquels l'émotion bouillonne dans un climat d'humilité souvent étonnant de sincérité?

Mais au même moment interviennent d'autres paramètres et d'autres urgences. Parallèlement à ce besoin d'entrer dans une communication restaurée axée sur la vérité, le prévenu exposé à l'univers de la prison se découvre brutalement écrasé par la machine pénale, celle qui fait la « peine » , et il pressent bien vite que cette institution totale qui l'abrite peut le détruire au-delà de l'imaginable. Les codétenus autant que les siens venus le visiter ne lui permettent pas de s'appesantir sur les débats évoqués plus haut. Il y a une autre priorité : il faut préalablement résister à cet univers carcéral, il faut en hâte imaginer les mesures pour la survie des proches hors de la prison, il faut en un mot limiter les dégâts. Je ne décris pas ici l'inflation des dégâts collatéraux de l'emprisonnement qui est tout sauf une frappe pénale à la précision chirurgicale. Je constate simplement que l'urgence de mobiliser les ressources qui lui restent pour survivre à l'incarcération destructrice devient inévitablement la tension première pour le prévenu. Dans ce contexte, la visite de son avocat va souvent donner une orientation nouvelle au questionnement. La demande à ce défenseur ne sera plus d'abord : comment assumer mes responsabilités et m'engager dans un processus de réparation vis-à-vis de ma victime? Le cri sera plutôt : comment pouvez-vous me faire sortir d'ici le plus tôt possible et comment limiter la peine au minimum?

Réduit à l'impuissance dans le vertige de la détention, le prévenu en total désarroi sollicite son avocat pour que celui-ci actionne toutes les ficelles de la procédure pénale classique. Dans nombre de situations, même si dans la confidentialité il me livre une toute autre vérité, il ne manquera pas d'adhérer à la stratégie de son défenseur lui expliquant « professionnellement » les failles du dossier et lui indiquant comment contrer l'entreprise du ministère public chargé d'établir l'infraction et de renverser sa présomption d'innocence. Moins le prévenu s'exprimera, moins il sera vulnérable dans la procédure. Cette règle tacite du silence cultivée en prison pénalisera souvent la victime en attente d'entendre la vérité. L'avocat précisera en outre à son client que toute initiative vis-à-vis de sa victime doit être radicalement exclue tant elle ne pourrait qu'être comprise comme une manipulation ou un harcèlement à ce stade. Il est d'ailleurs probablement exact que la victime est le plus souvent bien trop bouleversée à ce moment pour envisager un contact quelconque avec son agresseur.

Je suis régulièrement surpris d'être appelé par les détenus après le passage de leur avocat. Que de fois ne me demandent-ils pas de téléphoner à leur conseil pour que je puisse les aider à comprendre ce que celui-ci leur a expliqué au parloir! La terminologie juridique est certes complexe. De plus, les débats centrés rigoureusement sur les faits dans leur matérialité objective conduisent à des expertises de plus en plus obscures et techniques dont l'enjeu est souvent la qualification ou la nonqualification de l'infraction selon les termes de la loi. Les prévenus ne s'y retrouvent pas mais se résignent finalement à une confiance aveugle dans leur défenseur : ils se sentent de moins en moins concernés par un débat tenu dans une rationalité pénale qui leur est relativement inaccessible. Beaucoup de détenus se forcent donc à invoquer Thémis, la déesse Justice aux yeux bandés, tenant en sa main les plateaux d'une balance qui devraient s'incliner en leur faveur vu le poids des arguments annoncés par leurs avocats. Dans les préaux, on parle surtout de la Justice comme d'une loterie où les chances de s'en sortir varient selon les billets de banque qu'on investit pour choisir son avocat!

On s'éloigne ainsi progressivement de la qualité franche de ces entretiens confidentiels où l'inculpé se laissait bouleverser par les conséquences humaines de son crime et considérait sans détours les trajectoires difficiles de sa vie et les dynamiques multiples qui brisent l'harmonie de ses relations. Les débats juridiques formels pour établir l'imputabilité des faits au prévenu et pour caractériser la « mens rea » Note de bas de page 2 établissant l'intention coupable de l'inculpé n'ont rien à voir avec le discernement participatif d'une prise de responsabilité par l'auteur en vue d'une réparation.

Ce constat pourrait aboutir effectivement à un rejet désabusé du système pénal classique. On préférerait évidemment que se généralise le recours à la médiationNote de bas de page 3 (tout en précisant qu'il semble indispensable que l'exercice de cette médiation soit sécurisé par un cadre légal) ou à toute initiative de justice participative dans les cultures où les traditions communautaires offrent des repères assurant le respect de toutes les parties. Le recours alternatif à un mode de détermination de la peine inspiré du mouvement de la Justice restauratrice fait évidemment rêver mais il faut admettre que les conditions même de ce recours font clairement défaut dans la majorité des situations rencontrées dans le contexte occidental contemporain.

Ainsi, d'autres considérations m'amènent à invoquer avec insistance les articles 5, 6, 7 ou 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Le contrôle strict et légal du recours la détention préventive, le droit à un procès équitable, la présomption d'innocence, l'assistance garantie d'un défenseur, la garantie d'interrogatoires à charge et à décharge, la légalité des infractions et des peines, le droit à un recours effectif, etc., toutes ces dispositions sont évidemment le fruit de délibérations démocratiques basées sur une expérience concrète des dérives possibles de la Justice en l'absence de telles garanties. Les exigences formelles d'une procédure pénale, le souci d'équité coulé dans le principe de légalité des peines et des infractions, la non-rétroactivité des lois pénales, le respect des droits de la défense, tous ces éléments restent les pierres d'angle d'une organisation judiciaire fiable dans un État de droit. Comment rétablir un relatif équilibre entre les parties enfoncées dans le conflit en l'absence de ces garanties juridiques?

D'abord, il faut tenir compte du fait qu'une proportion importante des prévenus ne se positionne pas dans un aveu des faits. Sans doute que, pour la majorité, l'épouvantail des effets dévastateurs de la peine de prison annoncée est un incitant suffisant à risquer une stratégie du déni telle qu'elle est envisagée plus haut. Mais je ne peux nier également les cas où des prévenus sont innocentés et libérés en cours de procédure ou même lors du jugement de fond. Je réalise aussi que des considérations d'ordre culturel peuvent être un obstacle sérieux à la démarche d'aveu : à titre d'exemple, pour de nombreux jeunes prévenus maghrébins que je rencontre, avouer est inimaginable, car il n'est pas question de causer un déshonneur supplémentaire perçu comme insupportable à leur famille et à leur communauté; ils s'imposent parfois de nier même l'évidence pour l'honneur de l'Oumma, au risque accepté d'amener les juges excédés à les sanctionner plus sévèrement !

Une autre raison qui hypothèque probablement les chances d'initier une forme de détermination de la peine inspirée de l'approche réparatrice est l'érosion effrayante du tissu communautaire dans notre société occidentale. Beaucoup de détenus que j'accompagne sont depuis longtemps marginalisés socialement et totalement isolés. Les actes qui leur sont reprochés sont rarement perçus par eux comme la rupture d'un lien humain. Nombre de vols et de comportements asociaux sont opérés dans un contexte de « débrouille » ou de révolte confuse face à une société distante dont les auteurs se sentent exclus. Restaurer les liens vis-à-vis d'une communauté où ils ne sont pas insérés depuis fort longtemps semble alors un programme irréel. De plus, se sachant diabolisés par des médias incontrôlés, les détenus présument que le rejet de la société ne peut à l'avenir que s'accentuer à leur égard. Ils sont convaincus que c'est « malgré » la communauté ressentie comme hostile qu'il faudra désormais continuer d'essayer de survivre. En rencontrant les nombreux prévenus issus des couches défavorisées de la société, je suis frappé par une sorte de fatalisme qui amène souvent ceux-ci à ne pas même vouloir se défendre. Selon eux, la Justice participe aux mécanismes sécuritaires qui verrouillent tout accès à leur intégration dans une communauté qui ne les veut pas. Pourquoi devraient-ils croire aujourd'hui que ce système va soudain leur laisser la moindre chance? Nombre de jeunes prévenus disent avoir déjà expérimenté la condamnation pour le « délit de sale gueule » ou n'avoir rencontré aucune compréhension dans leurs impasses sociales : qui peut leur faire croire qu'ils seront traités équitablement devant un tribunal?

Dans ce contexte là, je ne peux que m'accrocher aux initiatives parfois volontaristes d'un système classique qui « impose » presque l'assistance juridique d'avocats pro Deo et persiste à vouloir encadrer tout prévenu des garanties juridiques fondamentales évoquées plus haut. Françoise Tulkens, juge auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg, précise ceci à propos des droits humains fondamentaux : « C'est l'honneur et la force des droits de l'homme de protéger même ceux qui les ont le moins respectés, même ceux qui ne les ont pas revendiqués! La protection des droits de l'homme, en effet, est une garantie qui ne se mérite pas. » Assister un justiciable en lui faisant bénéficier de chaque disposition protectrice possible selon le droit peut aussi être un chemin pour le restaurer dans sa dignité de personne reconnue comme membre à part entière de la famille humaine. En ce sens, faire bénéficier rigoureusement chaque prévenu de toutes les garanties de la procédure pénale n'est-il pas un préalable à toute initiative de responsabilisation? N'est-ce pas une étape incontournable avant de vouloir restaurer le lien social?

Un des phénomènes les plus difficiles à gérer dans les établissements pénitentiaires où se purgent les longues peines d'emprisonnement est certainement celui de la victimisation des détenus qui finit souvent par générer haine ou désespoir.

La « tarification pénale légale » appliquée par le tribunal est d'abord extrêmement difficile à accepter tant par l'auteur que par la victime. Le « prix à payer » fixé par la décision souveraine du juge quantifiant dans les limites légales le temps de privation de liberté est par définition arbitraire et inadéquat. Qui peut mesurer la « peine » ? Qui croit vraiment qu'infliger une peine à l'un soulage la peine de l'autre? Qui croit vraiment que ces peines s'équilibrent dans les plateaux de la balance?

Il y a un enjeu à reconnaître lucidement dans quelle pièce nous évoluons. Par nature, la prison n'est autre chose qu'un instrument privilégié au service de cette grande concession à la faiblesse humaine qu'est l'institution pénale. Prenant acte de ce potentiel d'agressivité qui nous habite tous lorsque nous sommes victimes, celle-ci prend l'option d'aménager en notre nom la réaction aux atteintes inacceptables à notre intégrité et à l'harmonie sociale. Elle se résigne à légitimer une attitude punitive tout en tentant de la « mesurer » . La logique pénale est celle-ci : pour endiguer les flots par hypothèse dévastateurs et irrépressibles du besoin inavouable de vengeance de ceux et celles qui sont victimes de comportements inadaptés selon nos normes établies, nous concédons à une administration publique le soin de réagir et de punir à notre place. Implicitement, nous lui donnons mandat de « faire sentir » proportionnellement le mal qu'il a causé au condamné par la peine qu'il doit subir. Il s'agit prioritairement de cadrer la réaction sociale dont on veut modérer l'éventuelle démesure. Plutôt que de maintenir le différent sur le plan civil en tentant à travers tout de négocier un processus de résolution de conflit en quête de modes de réparation du tort causé, l'État choisit d'exercer une justice répressive, au nom des parties concernées qui se voient interdire de se faire justice à elles-mêmes. Le législateur et le juge reçoivent la mission de mener le débat sur la nature et la mesure des peines à appliquer au nom des honnêtes citoyens que nous pensons être. Un service public d'exécution des peines s'organise et c'est celui-ci qui est chargé de « faire payer sa dette » aux condamnés. Disons-le en vérité : si certains parmi ceux-ci acceptent de « faire leur peine » sans révolte, je n'en ai guère rencontré qui subissent leur peine comme une « juste réponse » à leur comportement criminel! Ai-je par ailleurs rencontré des victimes « satisfaites » par la punition infligée à l'auteur du crime?

Au fil de leurs interminables détentions, les détenus sentent immanquablement monter en eux des bouffées d'angoisse, de colère et de haine. S'ils peuvent théoriquement admettre que la privation de liberté est le moindre mal qu'ils doivent subir à titre de sanction pour les crimes et délits inacceptables qu'ils ont commis, ils sont bientôt révoltés de découvrir l'ampleur tragique des « dégâts collatéraux » de leur détention. À côté de la privation de liberté, la disproportion phénoménale des traumatismes annexes engendrés par l'enfermement dans le contexte carcéral les submerge! Insécurité, promiscuité, dépersonnalisation, déresponsabilisation, précarisation des proches… Les souffrances psychologiques, morales et physiques générées par le quotidien pénitentiaire sont démesurées! Le déchaînement destructeur de la peine va bien au-delà de ce qu'a pu vouloir le législateur qui a criminalisé le comportement fautif ou le tribunal qui a appliqué la loi. Que savent ces décideurs de la réalité minée du terrain carcéral? La prison est plus qu'une peine et les blessures lancinantes de l'au-delà des murs entraînent progressivement cette « victimisation » du détenu qui se perçoit comme livré avec les siens à la froide mécanique pénale. Cette perception hypothèque le plus souvent tout espoir de donner le moindre sens constructif à l'exécution de la peine pour celui qui la subit! L'expérience carcérale « prend l'allure d'un temps vide » .Note de bas de page 4Le détenu est bientôt convaincu que personne n'est capable de cerner les limites vertigineuses de sa peine en prison! C'est seulement dans le monde virtuel de certains écrits idéologiques que les objectifs de la peine sont précisément mesurés, ciblés et atteints. En menant cette réflexion, je suis hanté par ce commentaire entendu des milliers de fois : « La peine n'a plus de sens pour nous qui la vivons. Ne vois-tu pas que tous nous finissons par avoir la haine? »

Dans ce contexte trop rapidement esquissé, je suis évidemment tenté de me référer aux textes juridiques énonçant les droits humains fondamentaux. L'article 3 de La CEDH est ainsi régulièrement invoqué avec des succès divers selon les situations : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » . Le souci de faire respecter cet article dans les prisons européennes a incité le Conseil de l'Europe à créer le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Ce droit fondamental contribue à susciter des initiatives plus ou moins concrètes selon les pays pour l'élaboration d'un statut juridique des détenus lui permettant de se situer en sujet de droit plutôt qu'en victime d'un système. Cependant, la littérature scientifique et les récits d'expériences vécues par les acteurs du terrain pénitentiaire sont d'une abondance infinie et illustre le plus souvent comment le droit lui-même reste incarcéré dans l'espace opaque de l'institution pénitentiaire. Ce seul constat démontre l'urgence de promouvoir l'avènement d'un cadre juridique précis prévoyant des recours effectifs dans le cadre de l'exécution des peines.

Au-delà des effets destructeurs de l'incarcération à limiter autant que possible, au moyen de l'appareil judiciaire, l'exécution de la peine dans le cadre carcéral peut-elle malgré tout être orientée vers la réparation? Des initiatives de justice réparatrice peuventelles aboutir en prison? La réalité de la victime peut-elle faire surface et interroger celui qui purge sa peine en prison au point de réveiller en lui le sens de sa responsabilité?

En Belgique, le choix politique a été effectué en 2000Note de bas de page 5 d'engager au sein de chaque établissement pénitentiaire un consultant en justice réparatrice (CJR)Note de bas de page 6 La circulaire ministérielle qui définit la fonction du CJR précise l'objectif de « faire évoluer le droit pénal d'un droit répressif vers un droit axé sur la réparation, et plus particulièrement de réorienter la politique pénitentiaire dans cette optique » . Dans ce cadre, la mission du consultant en justice réparatrice est de jouer « un rôle concret au sein des établissements pénitentiaires pour faire évoluer la culture pénitentiaire d'une justice punitive vers une justice réparatrice » . Sa tâche « vise principalement au développement actif d'une culture de respect des différents acteurs concernés et à la promotion d'une politique pénitentiaire locale cohérente au regard du modèle de la justice réparatrice » . Le consultant intervient comme conseiller de la direction locale de l'établissement pénitentiaire. Il doit jouer un rôle moteur dans l'initiation, la coordination et la concrétisation des projets conçus en concertation avec tous les intervenants de la prison. Sa mission sur le terrain se situe d'abord sur un plan structurel : il doit mettre les différents acteurs en communication en les sensibilisant à la culture de justice réparatrice. Il doit développer des lieux de concertation entre les cadres pénitentiaires, les détenus, les victimes et la société.

Symboliquement, la présence de ces CJR au sein des prisons signifie une option positive en vue d'ouvrir le monde carcéral à une dynamique de justice réparatrice. Après sept années de fonctionnement, il semble cependant prématuré d'évaluer si l'objectif est réaliste. Quelques premières réflexions peuvent cependant être proposées.

Dans un langage prudent, les consultants mentionnent dès leurs premiers rapports qu'il est difficile — « pour des raisons d'ordre matériel, de mentalité ou d'organisation » ainsi que face aux « arguments de type sécuritaire » — d'implanter le concept de justice réparatrice dans un contexte pénitentiaire « pas toujours favorable à sa mise en œuvre » ! Plusieurs parmi ces nouveaux professionnels à l'intérieur des murs en viennent rapidement au constat suivant : la première urgence est de réparer la prison elle-même! La mission préalable à laquelle ils doivent s'atteler consiste à mettre les membres du personnel et les différents services de la prison en relation cohérente. Développer des canaux de communication constructifs et des espaces de paroles pour favoriser l'émergence d'une culture du respect est une étape incontournable à l'intérieur de l'institution. Dans ce contexte, certains consultants éprouvent un sérieux décalage entre leur vision de la justice réparatrice et ce qu'ils font concrètement sur le terrain. Ils se sentent amenés à investir une énergie énorme pour faire bien d'autres choses, comme combler les vides émotionnels et structurels de la prison… En 2002, un travail de « recentrage » a été mené et des priorités pour l'action des CJR ont été dégagées. Il s'agit :

Même après ce recentrage, on perçoit bien que la conception de la mission des CJR reste assez floue. Pourtant, de plus en plus, ils s'emploient principalement à faciliter tout processus de médiation ou tout programme spécifiquement orienté vers la responsabilisation des détenus à l'égard des victimes. Le défi est très délicat. Mener le détenu dans un processus de responsabilisation, notamment en le sortant de la position de victime dans laquelle il est imbriqué et en l'amenant à devenir acteur de son propre parcours dans un esprit de réparation semble souvent impossible. Le contexte destructeur de la détention tel qu'il est évoqué plus haut obsède le quotidien du détenu incapable de penser à autre chose qu'à sa situation et donc de démarcher auprès des autres. Comment restaurer l'empathie du prisonnier envers la victime et la société en ces circonstances?

La réparation n'est pas une chose que le CJR peut susciter tout seul. Il fait appel à des organismes officiellement reconnus pour les cas encore rares où un processus de médiation entre une victime et un condamné est sollicité par l'un ou l'autre. En partenariat avec quelques associations extérieures accréditées, il contribue occasionnellement à créer des groupes de réflexion à l'intérieur desquels les détenus ont la possibilité de prendre conscience des conséquences de leurs actes, pour eux-mêmes, pour leurs victimes, pour leur famille et leur environnement proche et pour la société au sens large. Dans ce cadre, il est suggéré aux condamnés d'imaginer quelques initiatives envers les autres.

Malheureusement, ces initiatives restent encore relativement marginales et peu de détenus semblent disposés à y participer. Ils semblent subir une double pression. À tort ou à raison, ils disent faire l'objet d'un procès d'intention de la part des autorités et des intervenants psycho-sociaux qui considéreraient comme une manœuvre de manipulation la participation des détenus à ce type de programme « pour augmenter les chances de libération » . À tort ou à raison, ils seraient perçus comme « frotte manches » ou « collaborateurs » du système par les autres détenus qui n'imagineraient pas qu'on puisse participer à ce type d'initiative pour une autre raison que celle de « se faire bien voir » ! La sous-culture de la prison génère des obstacles moins visibles mais parfois plus difficiles à franchir que les murs et les grilles.

La promotion de programmes de justice réparatrice au sein des établissements pénitentiaires en Belgique est strictement coordonnée par les CJR qui en garantissent l'aspect « professionnel » . Des initiatives proposées par des aumôneries ou des conseillers moraux suscitant des rencontres avec des victimes ou des représentants de la communauté ne trouvent pas leur place aisément dans les prisons belges. On imagine mal des cycles de rencontres « détenus-victimes de substitution » , des « cercles de guérison » ou toute autre activité organisée avec une visée restauratrice dans le cadre d'activités spirituelles ou philosophiques à l'initiative des représentants des divers cultes ou des conseillers moraux. Pour les CJR, la justice réparatrice est une entreprise qui ne peut être improvisée et la mise en place des conditions strictes pour le mode de médiation auteur-victime qui est privilégié ne peut être assurée que par des « spécialistes » . La dimension communautaire avec sa charge de spontanéité et de gratuité offerte pour retisser des liens de confiance en libérant les émotions et intuitions semble a priori suspecte. Les volontaires, même s'ils sont encadrés et formés dans le cadre des aumôneries, ne sont pas à ce jour les bienvenus pour rencontrer les détenus dans le cadre de programmes dans l'esprit de la justice réparatrice. Il reste pourtant qu'on peut se demander si des animations de ce type ne pourraient pas susciter l'adhésion d'un groupe différent de détenus dans la mesure où elles seraient conduites dans la discrétion d'un cadre d'aumônerie, indépendamment de l'institution.

La liberté de participer et de se retirer à tout moment d'un processus de justice réparatrice est essentielle pour l'intégrité de la démarche. Adhérer librement à celle-ci reste-t-il possible et sans ambiguïté dans la mesure où le programme proposé se fait nécessairement sous le contrôle d'un CJR attaché à l'équipe de direction de la prison? Si je me réjouis de l'institutionnalisation de l'orientation réparatrice de la détention signifiée par la désignation des CJR dans chaque prison, je pense pourtant qu'il faut rencontrer cette interrogation. Un modèle de justice participative peut-il se concevoir dans un espace de contraintes et de contrôles comme l'institution totale qu'est la prison?

En fidélité avec leur tradition, les aumôneries veulent rester des « refuges » de discrétion et de liberté où des processus de guérison et de restauration des liens communautaires peuvent être entrepris dans un profond climat de respect et de vérité dans les rapports humains. C'est ainsi seulement qu'elles peuvent modestement contribuer de façon originale à promouvoir une dynamique réparatrice au sein de la prison. C'est de cette manière qu'elles peuvent soutenir auteurs, victimes et communautés dans leurs efforts de restauration de la confiance au-delà des déchirures causées par la criminalité. Encore faut-il que le contexte de « professionnalisation » extrême des intervenants en justice réparatrice ne les place pas hors jeu pour relever ce défi. Encore faut-il que l'approche réparatrice soit réellement holistique, c'est-à-dire déterminée à mobiliser toutes les ressources humaines disponibles pour transcender les conflits, sans omettre les dimensions spirituelles et communautaires!

Suggestions

  1. Pouvez vous établir des parallèles entre l'expérience menée au Canada et celle menée en Belgique en ce qui a trait à la justice réparatrice au sein des établissements pénitentiaires?
  2. Êtes-vous d'accord pour dire que nous devrions chercher la complémentarité qui existe entre les deux systèmes? Cette démarche constitue-t-elle un affaiblissement de la justice réparatrice?

Ouvrages recommandés

Conclusion :

Lors de l'enseignement des modules présentés dans le présent manuel, nous avons trouvé important de faire preuve de créativité dans les présentations. À titre d'exemple au Rwanda, où Juste.Équipage a offert des séances de formation durant le mois de février 2007, nous savions que les questions qui seraient soulevées feraient revivre des blessures très profondes; par conséquent, nous avons décidé de faire venir avec notre équipe un musicien professionnel (et 75 flûtes à bec) qui, plusieurs fois par jour au cours de la semaine, enseignait aux participants à faire tout d'abord du bruit puis, petit à petit, de la belle musique. Cela a été une expérience agréable qui a permis de relâcher beaucoup de tension et d'envoyer le message voulant que, s'il faut acquérir de nouveaux réflexes pour jouer d'un instrument de musique, il en est de même si l'on désire adopter la justice réparatrice en tant que moyen de faire face au crime, à la victimisation, à la guérison et à la réconciliation. Pour chaque groupe, vous devrez trouver un moyen créatif de relâcher la tension du fait que l'apprentissage de la justice réparatrice nous force à faire face à de graves problèmes tels la déshumanisation, le transfert, le préjudice, la trahison, la guérison, l'horreur, la colère, la peur, la solitude, etc.

Il est également pertinent de mentionner que pour l'expérience du Rwanda, les participants ont décidé, le dernier jour, de brûler les « murs trop négatifs » et de créer un mur de l'espoir durant le dernier après-midi. Lorsque vous utilisez le module sur les historiques des participants, s'il advient qu'en fin de compte, il ressort beaucoup d'éléments négatifs, vous pourrez envisager avec les membres de votre groupe de trouver un moyen d'exprimer, à l'aide d'un symbole, la transition du désespoir vers l'espoir avant la fin de la séance de formation.

Au Rwanda, nous avions également une « personne mystérieuse » qui a commencé la semaine entièrement bandée de la tête aux pieds et qui apparaissait tous les matins en ayant de moins en moins de bandages sur le corps. Au fur et à mesure que la semaine avançait, les participants acceptaient de mieux en mieux cette « personne mystérieuse » qui a alors entamé son processus de guérison. Telle est la morale de l'histoire, aisément comprise par les participants. Voici en quoi consiste la guérison au sein d'une communauté accueillante et digne de confiance.

Pour chacun des modules, nous vous conseillons de trouver des illustrations originales. A titre d'exemple, pour renforcer l'idée que le processus de justice réparatrice ne doit jamais perdre de vue les victimes, les délinquants et l'ensemble de la communauté, qu'il est essentiel d'écouter toutes les parties concernées et de prendre part au processus de rétablissement et d'expression de la vérité, nous avons demandé à six partenaires d'élaborer une danse sur le thème de la justice réparatrice. Il est surprenant de constater que les victimes ont fait preuve de beaucoup de volonté pour danser avec la communauté ou pour exprimer la vérité mais il a fallu longtemps pour que les victimes et les délinquants acceptent de danser ensemble. Les participants avaient compris l'importance de ne pas forcer les choses et ils ont attendu le bon moment et le lieu opportun.

Nous voici rendu à la fin de notre exploration du Petit manuel de justice réparatrice. Nous espérons que notre travail vous aura inspiré, qu'il aura suscité votre intérêt et qu'il vous incitera à en apprendre davantage sur la justice réparatrice et le potentiel qu'elle sous-tend pour donner au système juridique un visage plus humain et faire en sorte que le processus soit plus acceptable pour les victimes d'actes criminels, la communauté et les délinquants.

Juste.Équipage tient à remercier Sécurité publique Canada pour la confiance dont il a fait montre envers notre organisation. Nous désirons remercier tout particulièrement les collaborateurs Rod Carter, David Shantz, Scott Harris et Philippe Landenne. Leurs divers points de vue et perspectives ont enrichi la présentation de notre petit manuel de justice réparatrice.

Pierre Allard, président
Juste.Équipage
B.P. 71053
Ottawa (Ontario)
K2P 1W0

P.-S. : Juste.Équipage sera heureux de recevoir vos suggestions concernant la façon d'améliorer l'enseignement de la justice réparatrice par l'entremise de ce petit manuel. Vous pouvez communiquer avec nous à l'adresse suivante : allard@justequipping.org. Vous pouvez également consulter notre site Web, www.justequipping.org, et prendre connaissance du rapport de notre séance de formation qui s'est déroulée au Rwanda, au mois de février 2007.

Notes

  1. 1

    Vingt années de service à temps plein : sept années dans le cadre d'une maison d'arrêt (détention préventive) et treize années dans une prison pour longues peines.

  2. 2

    La mens rea, ou l'intention coupable, est l'un des éléments que le procureur doit prouver hors de tout doute raisonnable pour qu'une personne soit déclarée coupable d'avoir commis une infraction.

  3. 3

    La loi belge du 22 juin 2005 permet aujourd'hui un recours élargi à la médiation aux différents stades de la procédure pénale.

  4. 4

    Gilles Chantraine. « La mécanique du temps vide » , Sociologie Pénale : système et expérience pour Claude Faugeron, p. 257-271.

  5. 5

    Circulaire ministérielle n°1719 du 4 octobre 2000.

  6. 6

    Depuis 2007, pour des raisons de terminologie administrative, les consultants en justice réparatrice (CJR) sont appelés attachés en justice réparatrice (AJR).

  7. 7

    Commission de Libération Conditionnelle remplacée en 2006 par le Tribunal de l'Application des Peines (TAP) qui peut également entendre les victimes.

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