Comprendre le rôle de la guérison dans les collectivités autochtones

Comprendre le rôle de la guérison dans les collectivités autochtones Version PDF (384 Ko)

par Marcia B. Krawll
CA 10 APC (1994)
Juillet 1994

Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l'auteur et des participants et n'engagent pas nécessairement le ministère du Solliciteur général Canada.

Table des matières

RÉSUMÉ

Dans le présent rapport, nous tentons d'établir une définition du terme «guérison» à laquelle puissent se rallier à la fois les membres des collectivités autochtones et les représentants non autochtones des gouvernements. Ce terme est utilisé fréquemment, mais peut‑être n'est‑il pas bien compris. On l'emploie pour désigner certains événements positifs qui se déroulent dans les collectivités autochtones du Canada et d'ailleurs.

Voici les trois objectifs de notre projet :

Le chapitre II décrit la façon dont l'étude a été effectuée. Le rapport est fondé sur des entrevues en profondeur qui ont été réalisées auprès des membres de cinq collectivités autochtones du Canada et auprès de représentants des gouvernements provinciaux et fédéral. En tout, 121 entrevues en personne ont été menées. En outre, des contacts ont été établis par téléphone et par courrier avec des membres de trois autres collectivités autochtones. Pour rendre l'analyse plus vivante, nous avons reproduit de nombreux passages des réponses recueillies auprès des personnes interrogées.

Le chapitre III décrit ce qu'est une collectivité saine ou en voie de guérison. Plusieurs aspects du processus de guérison se retrouvent dans un concept qui est probablement mieux connu des non‑Autochtones sous le nom de développement communautaire. L'auteur suggère que le langage et le processus du développement communautaire peuvent aider les gouvernements à comprendre ce que les Autochtones veulent dire lorsqu'ils parlent de «guérison».

Les participants autochtones et non autochtones ont souvent mentionné les mêmes aspects d'une collectivité saine ou d'une collectivité qui a amorcé un processus de guérison, à savoir : la participation aux activités communautaires; la confiance, la sollicitude et le partage parmi les membres de la collectivité; les  bons exemples donnés aux enfants et la transmission de la sagesse entre les générations; l'ouverture d'esprit et la communication entre les membres de la collectivité, sans reproches et sans honte; les attentes claires à propos des rôles de chacun et l'acceptation de responsabilités par tous; le sentiment d'appartenance et la sensibilité aux autres qui favorise des partenariats sains et une action collective.

Le chapitre IV examine le processus de guérison. Tous reconnaissent que la guérison est un phénomène très complexe qui est difficile à définir. Il n'en existe pas de définition unique. Toutefois, les participants laissent entendre que le processus de guérison comporte trois aspects clés : il commence à l'intérieur et se poursuit à l'extérieur, s'amorçant souvent à l'intérieur de l'individu et se poursuivant au niveau de la famille, puis de la collectivité; pour être réussi, il doit s'adresser à tous les aspects de la vie simultanément et les maintenir en équilibre; il peut commencer par une série de programmes comme des activités de counseling en matière de toxicomanie, mais il doit se transformer en un processus holistique auquel participe toute la collectivité et qui représente plus que la somme des parties.

Dans le chapitre V, on examine à quel moment la collectivité est prête à guérir. Il est important de pouvoir reconnaître le moment où une collectivité est prête, car c'est à ce moment-là qu'il est essentiel de lui apporter un soutien et d'éliminer les obstacles inutiles au développement. Voici les signes qui peuvent nous renseigner à ce propos : les gens reconnaissent les problèmes, sont motivés à changer et sont disposés à prendre des responsabilités. Dans ce chapitre, on se demande aussi qui devrait déterminer le moment où une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison. C'est la collectivité elle‑même qui devrait le faire, mais il n'est pas réaliste de croire que tous les membres d'une collectivité seront d'accord sur le moment où la collectivité sera prête. Souvent c'est un groupe central de la collectivité qui reconnaît que la collectivité est prête et qui entreprend des activités amorçant le processus de guérison.

Le chapitre VI présente certaines des activités qui permettent d'amorcer le processus de guérison. La vision de la collectivité se cristallise, les gens passent de la conviction qu'un changement peut survenir à un processus d'action; il y a auto‑examen, soutien de la collectivité et débuts d'un voyage spirituel; un groupe de personnes entreprennent des activités pour favoriser le changement et les gens reconnaissent la valeur de ce qui est déjà en place dans la collectivité et commencent à bâtir sur ces acquis d'une façon naturelle.

Le chapitre VII présente les façons dont une approche de guérison peut s'appliquer dans le cas des victimes de crimes et des délinquants. De nombreux membres des collectivités ont suggéré qu'une approche de ce genre peut répondre efficacement à certaines préoccupations au sujet du système de justice pénale et constituer une réponse idéale de la collectivité au crime :

Le chapitre VIII examine certains aspects sous lesquels la «guérison» peut être considérée comme un processus de développement communautaire. On suggère des façons dont les intervenants de l'extérieur peuvent apporter leur soutien au processus, tout en soulignant que la collectivité doit garder le contrôle de la situation. On suggère aussi de nouveaux moyens d'évaluer les répercussions de la guérison; ces répercussions ne se font pas sentir rapidement, elles sont complexes et profondes et ne peuvent donc être saisies par certaines des mesures du changement couramment utilisées. Le facteur de guérison qui est peut‑être le plus important est que les gens prennent la responsabilité de leur collectivité.

Le chapitre IX présente certaines des façons dont les programmes et méthodes des gouvernements non autochtones pourraient être mieux adaptés au processus de guérison des collectivités et l'appuyer davantage. L'un des plus gros obstacles est que les limites étroites de nombreux programmes gouvernementaux nuisent aux approches holistiques qui visent à traiter l'ensemble de la personne, l'ensemble de la famille et l'ensemble de la collectivité. Certains des actes les plus utiles, de la part des gouvernements, consistent à reconnaître les similitudes et les différences au moyen d'un dialogue ouvert, à donner du soutien plutôt qu'à être directifs, et à fournir de la formation. Avant tout, l'aide des gouvernements devrait viser à appuyer les efforts soutenus et intégrés de la collectivité et à augmenter les compétences et les ressources des membres de la collectivité de sorte qu'ils puissent poursuivre le processus de façon autonome une fois que le financement gouvernemental aura pris fin.

CHAPITRE I. INTRODUCTION : L'OBJECTIF DU RAPPORT : ÉTABLIR UNE DÉFINITION COMMUNE DU MOT «GUÉRISON »

Il y a plusieurs années, lorsque j'habitais dans le Nord, j'ai dû aller consulter un médecin à l'hôpital. J'en suis ressorti avec un grand sac rempli de médicaments. J'avais dit au médecin que j'avais mal à la tête. Il m'a prescrit des pilules. J'ai ajouté que j'avais des problèmes avec mes sinus; il m'a prescrit d'autres pilules. Lorsque je lui ai dit que j'avais mal à la gorge, il m'a prescrit des pastilles. Quand il m'a entendu tousser, il m'a prescrit encore d'autres médicaments. Enfin, lorsque je lui ai dit que j'avais mal au ventre, il m'a prescrit un liquide qui ressemblait à du lait, mais qui avait très mauvais goût. Heureusement que je n'ai pas eu à payer tous ces médicaments!

Ce n'est pas là ce que j'appelle guérir quelqu'un. S'il m'avait demandé pourquoi j'étais si mal en point, je lui aurais probablement répondu que j'avais bu chez un ami et que je m'étais promené dans le village sans mettre de manteau. Nous étions alors en février. Je crois que le médecin aurait été un meilleur guérisseur s'il m'avait convaincu de ne plus boire ou, du moins, de ne pas me promener à moitié habillé en plein hiver. Il avait peut‑être réglé mes problèmes de santé à ce moment‑là, mais ceux‑ci sont réapparus régulièrement jusqu'au jour où je me suis assagi et où j'ai changé de comportement.

Je constate que les gouvernements agissent souvent comme mon médecin. Quand ils voient un problème dans nos collectivités, ils essaient de le régler au moyen d'un programme ou d'un service qui vise uniquement ce problème. Quelques années plus tard, nos collectivités ressemblent au malade que j'étais. Elles ont un grand sac rempli de programmes et de services qui ont été conçus pour répondre à des problèmes précis, mais qui ne sont pas nécessairement coordonnés et qui ne s'attaquent pas aux causes profondes des problèmes.

Dans bien des cas, nos collectivités ont approuvé cette façon de faire dans le passé. Lorsqu'une collectivité a de nombreux besoins, toute solution semble meilleure que le statu quo. Très souvent, les gouvernements nous laissent entendre que «c'est à prendre ou à laisser», de sorte que nos collectivités n'ont pas la possibilité d'adapter les services à leurs besoins particuliers.

Je crois que les choses sont en train de changer dans de nombreuses collectivités, où l'on s'est aperçu que, même si l'on a un sac plein de programmes, le taux de suicide continue d'augmenter, de même que les agressions sexuelles, et personne n'y peut rien. Ces collectivités commencent à prendre leur avenir en main et à dire que nous devons trouver les causes de nos maladies, en tant qu'individus et en tant que collectivités, et guérir ces maladies avec les moyens que nous jugeons appropriés. Ainsi, elles secouent leur sac de médicaments et s'assurent que ceux-ci donnent les effets désirés et qu'ils vont bien ensemble. Les gouvernements ont été invités à participer à cette nouvelle démarche, mais les collectivités ont bien précisé que si les gouvernements ne veulent pas ou ne peuvent pas participer au processus de guérison, il serait préférable qu'ils s'écartent et laissent la voie libre.

Le terme «guérison» est souvent utilisé aujourd'hui lorsqu'on parle des Autochtones et de leurs collectivités. Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, ce terme n'est pas compris par tous de la même façon. Néanmoins, il est important d'essayer de clarifier cette notion afin d'en arriver à établir une définition commune. Les Autochtones et les gouvernements (autochtones et non autochtones) qui travaillent avec eux ont tous un rôle à jouer dans le processus de guérison.

Nous tenterons donc de donner au lecteur un aperçu de ce que les Autochtones entendent par «guérison», d'établir une définition de ce terme et de jeter les bases d'un langage commun qui permettrait aux gouvernements et aux collectivités autochtones de discuter utilement de la guérison. Nous encourageons le lecteur à réfléchir à sa propre définition de la «guérison». Les perceptions et attitudes varient selon les personnes, d'où la nécessité de respecter les interprétations et l'expérience des autres si l'on veut accroître les possibilités de créer des partenariats durables entre les gouvernements et les Autochtones.

Voici donc les trois objectifs de notre projet :

Nous avons soulevé des questions fondamentales dans l'espoir que soient entreprises des études plus détaillées sur le processus de guérison et sur le rôle possible des gouvernements dans ce processus, et afin de favoriser le dialogue sur ces sujets. Il s'agissait aussi de faire ressortir la complexité de la notion de guérison en montrant qu'il n'est pas facile de définir ce terme et de déterminer les facteurs qui sont liés au processus de guérison.

Durant toute la série d'entrevues, les collectivités qui avaient été choisies pour le projet ont fait preuve d'empressement à collaborer et ont manifesté leur intérêt à l'égard des objectifs poursuivis. Les commentaires et les énoncés des répondants mettent en lumière leur désir de guérir leurs collectivités et leur volonté de participer ouvertement à une nouvelle étude du gouvernement.

Notre tâche, qui consistait à rallier les membres des collectivités autochtones et les non-Autochtones à une définition commune de la guérison, n'était pas facile. La rédaction du rapport présentait aussi une difficulté : prendre une information qui avait été souvent communiquée sous forme de contes et de paraboles et la présenter sous une forme plus linéaire et analytique qui serait comprise par les non‑Autochtones. Nous avons donc tenté de combiner ces deux styles de communication tout au long du rapport.

La coordonnatrice du projet tient à remercier ceux qui y ont participé dans un esprit de collaboration, avec pour but commun des collectivités saines et responsables.

CHAPITRE II. MÉTHODE

Pour la présente étude, nous avons interrogé des membres de collectivités autochtones, ainsi qu'un petit groupe de fonctionnaires, sur la question de la guérison. Les collectivités autochtones qui ont été choisies pour l'étude avaient déjà entrepris une démarche concrète de guérison. Nous n'avons pas essayé de présenter le point de vue ou l'expérience de toutes les collectivités autochtones ou de tous leurs membres, mais plutôt de déterminer certains modèles ou notions philosophiques communs à ces collectivités en ce qui concerne la guérison et le processus de guérison.

Des visites ont été effectuées dans cinq collectivités autochtones au cours d'une période de quatre mois. Parmi ces collectivités, la Première nation de Nuxalk (Colombie‑Britannique), la Première nation deHollow Water (Manitoba) et la Nation des Nisga'a (Colombie‑Britannique) ont été désignées comme participantes principales à l'étude. Par conséquent, des entrevues y ont été menées lors de deux visites distinctes. Dans les collectivités de la Première nation de Grassy Narrows (Ontario) et de la Nation des Gitksan Wet'suwet'en (Colombie‑Britannique), les entrevues ont été effectuées au cours d'une seule visite. Enfin, nous avons communiqué par téléphone et par courrier avec la collectivité d'Iqaluit (Nunavut) et la Première nation de Conne River (Terre‑Neuve), ainsi qu'avec une collectivité qui a demandé à ne pas être nommée.

La collectivité qui a demandé à ne pas être identifiée a fait cette demande parce qu'elle estimait que les réponses données par ses membres pourraient être «jugées d'avance» par le lecteur, étant donné que cette collectivité a fait l'objet d'une couverture médiatique importante dernièrement. Si elle restait anonyme, le lecteur pourrait aborder l'information plus objectivement.

LE PROCESSUS D'ENTREVUE

Toutes les collectivités choisies pour l'étude étaient connues de la coordonnatrice du projet. Cependant, il fallait absolument que le projet soit officiellement présenté et accepté selon les voies de communication établies par la collectivité. La coordonnatrice a donc communiqué avec des membres de chaque collectivité pour demander de quelle façon elle devrait procéder. Une fois les voies de communication identifiées, une lettre décrivant le projet a été envoyée aux huit collectivités. Toutes ont accepté de participer à l'étude. Cependant, en raison de contraintes budgétaires, les membres de trois de ces collectivités ont dû être interrogés par la coordonnatrice du projet par téléphone ou par courrier. La participation limitée de ces trois collectivités montre qu'il serait nécessaire, dans tout projet de cette nature, de disposer de ressources suffisantes pour que les membres de chaque collectivité soient interrogés sur place lors d'au moins deux visites de quatre jours. Même si ces collectivités acceptaient de mener un processus d'entrevue interne, il s'est avéré difficile pour elles de trouver sur place des personnes qualifiées et disposées à effectuer des entrevues sans compensation financière puisque, dans chaque cas, les personnes en vue avaient d'autres obligations dans la collectivité.

Au cours du projet, deux visites, d'une durée totale de dix jours, ont été effectuées auprès de la Nation Nuxalk (Bella Coola), de la Première nation de Hollow Water et de la Nation des Nisga'a. Le fait de retourner une deuxième fois dans la collectivité offrait plusieurs avantages : on montrait aux gens que l'on prenait un intérêt sincère à écouter ce qu'ils avaient à dire; d'autres personnes ont offert de répondre aux questions de la coordonnatrice, une fois la confiance établie; la coordonnatrice du projet a apporté des modifications au questionnaire entre les deux visites dans le but d'obtenir des répondants des informations plus précises sur le processus de guérison; enfin, les répondants ont pu ajouter des détails à ce qu'ils avaient déjà dit, ce qui a favorisé une plus grande participation et un échange plus fructueux.

Le principe de cette approche était que les collectivités devaient participer pleinement au processus si on voulait que l'information nécessaire à l'étude émane de la «compétence» des membres de la collectivité. Pour que les collectivités soient effectivement des partenaires à part entière, il fallait qu'elles puissent participer à toutes les étapes du projet. On leur a donc demandé de décider si elles voulaient participer à l'étude et de quelle façon, et comment le processus d'entrevue devrait être mené. On a aussi invité les membres des collectivités à commenter les ébauches successives du rapport final.

Il fallait aussi être conscient que, du fait même de la nature gouvernementale du projet, il existerait des barrières invisibles qui auraient des répercussions sur l'information donnée à la coordonnatrice du projet. Sans l'accord total des chefs héréditaires, des chefs élus et des personnes importantes de chaque collectivité, il aurait été impossible d'obtenir la participation d'autant de membres des bandes. Il était donc essentiel de créer une atmosphère dans laquelle toutes les parties se sentiraient directement concernées par le processus et l'issue du projet.

Nous avons demandé à chacune des cinq collectivités choisies pour les entrevues sur place de jouer un rôle actif dans le choix des personnes qui allaient être interrogées et de désigner un membre de la collectivité pour aider la coordonnatrice du projet à mener les entrevues. Cette façon de procéder devait faciliter tout suivi qui serait nécessaire auprès des personnes ayant été interrogées et mettre l'information échangée au cours des entrevues immédiatement à la disposition de la collectivité pour la planification future.

Nous avons interrogé des Aînés, des jeunes, des parents, des leaders politiques, des victimes, des délinquants et des fonctionnaires, 121 personnes au total. La participation à toutes les entrevues était volontaire; cependant, on avait demandé aux collectivités de désigner certaines personnes à la coordonnatrice du projet afin que l'échantillon soit représentatif de la collectivité et que l'on puisse obtenir un large éventail de réponses. Les entrevues ont été menées auprès d'une seule personne ou d'un groupe, selon la disponibilité des répondants, la préférence exprimée quant à l'intimité et le temps dont on disposait. Comme les participants avaient leur mot à dire sur le moment, le lieu et le déroulement de l'entrevue, ils se sont sentis plus à l'aise durant l'entrevue.

DÉROULEMENT DES ENTREVUES

La responsabilité de la coordonnatrice du projet, en tant qu'intervieweuse principale, était d'établir une atmosphère rassurante durant les entrevues en s'assurant que les répondants comprenaient :

Au fur et à mesure du déroulement du projet, d'autres membres des collectivités se sont offerts pour participer à une entrevue, ce qui témoignait de leur enthousiasme et de leur volonté de parler de la guérison dans leur collectivité. Chaque répondant a accepté que l'entrevue soit enregistrée sur bande sonore. Toutefois, en raison de la taille ou, à une occasion particulière, de l'âge du groupe interrogé, un certain nombre d'entrevues ont été effectuées sous la forme d'ateliers dans lesquels les questions étaient discutées en petits groupes et les réponses consignées. Dans tous les cas, l'autorisation d'utiliser les réponses dans le présent rapport a été donnée par écrit.

Les entrevues menées avec des jeunes ont présenté des difficultés qui n'avaient pas été rencontrées avec les adultes. Les jeunes hésitent souvent à se confier à des adultes, surtout quand il s'agit de sujets qui peuvent faire naître un sentiment de vulnérabilité ou mettre au jour des questions qui autrement seraient restées confidentielles. Ainsi, des jeunes ont d'abord été interrogés dans le contexte d'un grand groupe et quelques‑uns seulement ont donné des réponses. Pour encourager un plus grand nombre de ces jeunes à exprimer leurs opinions et à se sentir directement concernés par l'étude, on leur a donné le choix entre continuer l'entrevue au sein du grand groupe, diviser le grand groupe en groupes plus petits ou annuler la séance. Les jeunes ont choisi la deuxième solution. On a donc formé des groupes plus petits et les jeunes ont exprimé leurs opinions sur des tableaux à feuilles, par des mots ou des dessins, ce qui a permis de recueillir une grande quantité d'information pour le projet.

La durée et le lieu des entrevues n'étaient pas toujours les mêmes. Conformément aux objectifs du projet, la coordonnatrice voulait trouver des moyens d'obtenir l'entière collaboration de la collectivité. La durée et le lieu des entrevues se sont avérés d'importance capitale pour un dialogue ouvert et honnête. Tout au long du projet, il a été reconnu que la coordonnatrice était l'hôte de la collectivité et que cette dernière était la mieux placée pour assurer le succès du projet. Par conséquent, la durée et le lieu des entrevues ont été déterminés par l'assistant du projet dans la collectivité ou par ceux qui ont été interrogés. Les entrevues ont eu lieu dans les bureaux des bandes, des écoles, des maisons et des salles communautaires, et elles ont duré d'environ cinquante minutes à trois heures.

CONCEPTION DES QUESTIONNAIRES

Deux questionnaires ont été conçus pour les membres des collectivités et les fonctionnaires respectivement. Le questionnaire destiné aux collectivités a été modifié au cours du projet afin de stimuler la discussion, de clarifier des réponses et d'obtenir la meilleure information possible. Au cours des entrevues, l'intervieweuse avait la liberté d'adapter les questions à la langue et au niveau d'instruction du répondant. Les questionnaires étaient remis aux participants avant l'entrevue; on voulait ainsi créer une atmosphère plus amicale et souligner que le projet ne constituait pas une évaluation ou une recherche scientifique.

Les questionnaires portaient sur les cinq objectifs de l'étude. Tous les répondants ont été invités à :

Les questions étaient conçues pour encourager les répondants à émettre leurs opinions sur la guérison et sur les activités de guérison qui avaient lieu dans leur collectivité. On leur a aussi demandé de parler des activités de guérison qui avaient été élaborées pour les délinquants et les victimes ou qui leur étaient offertes.

CONFIDENTIALITÉ DE L'INFORMATION

Nous avons respecté deux niveaux de confidentialité dans l'étude : confidentialité au niveau des personnes et au niveau des collectivités. Toutes les entrevues étaient confidentielles; on n'a demandé à aucun répondant de s'identifier, que ce soit dans le questionnaire ou sur la bande sonore. Nous estimions que le contenu des réponses était plus important que l'identité des répondants. Certains participants ont été identifiés dans le présent document en fonction du groupe auquel ils appartiennent (p. ex. Aînés, jeunes, délinquants, fonctionnaires). Cependant, la coordonnatrice du projet a essayé de maintenir l'anonymat des participants.

Pour ce qui est de l'anonymat des collectivités, celles‑ci ont elles‑mêmes souligné qu'il est essentiel au succès d'une étude de cette nature et que le degré d'anonymat doit être établi dès le début du projet par la collectivité et par ceux qui effectuent l'étude. Les collectivités ont expliqué que les personnes de l'extérieur ne sont peut‑être pas en mesure de rester objectives à propos de la guérison, vu l'information diffusée par la presse et les autres médias au sujet de leurs collectivités. Elles estiment aussi que leur participation à ce genre d'étude a eu par le passé des répercussions politiques et qu'elle pourrait avoir des conséquences négatives pour les négociations qui se préparent. Si les collectivités ont demandé à rester anonymes dans le cadre de l'étude, ce n'est pas parce qu'elles veulent «cacher» de l'information; c'est plutôt en réaction aux mauvaises expériences qu'elles ont eues avec les médias ou dans d'autres études et initiatives gouvernementales.

Pour rendre l'essentiel des opinions qui ont été émises par les répondants, nous avons cité tout au long du rapport des commentaires formulés par les membres des collectivités et les fonctionnaires. Certains commentaires sont cités textuellement (traduction de commentaires formulés en anglais); d'autres, non accompagnés de guillemets, sont paraphrasés. La confidentialité étant considérée comme un aspect très important, aucune information pouvant permettre d'identifier une personne ou une collectivité n'a été consignée dans le rapport. Les informations sur les pratiques culturelles ou les traditions ne concernant pas les personnes extérieures ont aussi été retranchées du texte, sauf dans les cas où les répondants ont demandé expressément qu'elles y figurent.

Par exemple, deux membres de collectivités, au cours des entrevues, ont mentionné que les informations qu'ils avaient déjà données à propos d'activités ou de pratiques traditionnelles à des personnes n'appartenant pas à la collectivité n'avaient pas été bien interprétées. Ils ont demandé que leur expérience et leurs préoccupations soient présentées ici afin d'illustrer pourquoi tant de collectivités autochtones hésitent à donner de l'information.

ENTREVUES AVEC LES FONCTIONNAIRES

Des fonctionnaires ont aussi fourni de l'information pour notre rapport. La plupart de leurs réponses ont été obtenues par courrier. Cependant, six entrevues ont été effectuées en personne, dont deux dans la collectivité dans laquelle les répondants travaillaient. Nous avons décidé d'intégrer les opinions des fonctionnaires fédéraux et provinciaux dans le corps du texte plutôt que de les présenter dans une section distincte du rapport, étant donné que leurs opinions sont très semblables à celles des membres des collectivités autochtones.

COMMUNICATION DE L'INFORMATION

Bien que l'unité des services correctionnels pour les Autochtones du ministère du Solliciteur général du Canada soit à l'origine du projet, le plan du projet prévoyait que les collectivités participeraient pleinement au processus et bénéficieraient pleinement des retombées du projet. C'est pourquoi chaque collectivité participante a pu examiner toutes les ébauches du rapport et recevra toute l'information recueillie auprès de la collectivité, soit par écrit soit sur bande sonore. La coordonnatrice du projet a aussi obtenu des répondants la permission de transmettre l'information reçue aux membres de la collectivité avant de quitter les lieux. Les collectivités ont donc reçu de l'information qui pourra leur être utile pour poursuivre leurs efforts en matière de guérison et pour établir des contacts avec d'autres collectivités engagées dans des activités similaires.

Il est à espérer que ce rapport ne dormira pas dans un tiroir et qu'il sera utiliser tant par les gouvernements que par les collectivités. Il arrive malheureusement trop souvent que peu soit fait pour s'assurer qu'un document parvient aux personnes qui peuvent le plus en tirer parti. On a demandé à chaque collectivité qui a participé à l'étude de recommander un mode de distribution du rapport et d'ajouter des noms à la liste de distribution. On estimait que cela favoriserait, chez ces collectivités, l'esprit de collaboration et le sentiment d'avoir contribué à la production d'un document qui leur appartient.

REMARQUE À PROPOS DES RÉPONSES DES PARTICIPANTS

Il est essentiel de se rappeler que les commentaires des personnes ou des groupes ne traduisent pas nécessairement les opinions ou les croyances de l'ensemble de la collectivité ou de tous les Autochtones de l'Amérique du Nord. On constate toutefois, qu'il y a une certaine communauté de vues quant à la guérison et à la notion plus générale de développement communautaire.

Afin d'en arriver à établir une définition commune de la guérison, nous avons présenté les commentaires des répondants dans le style ou la manière dont ils ont été reçus des personnes ou des groupes interrogés. La diversité des styles de communication correspond à des différences individuelles que l'on retrouve dans chaque collectivité. Certaines personnes sont concises, et leurs réponses ne comportent souvent qu'une seule phrase; d'autres préfèrent raconter de longues histoires. Nous avons présenté certaines des réponses sous des rubriques thématiques afin de faire ressortir des idées ou des perceptions qui autrement auraient pu passer inaperçues en raison de la longueur de certaines citations.

En présentant une grande variété de citations textuelles, nous permettons au rapport de toucher un plus grand éventail de lecteurs. Nous soulignons aussi le fait que la réussite du développement communautaire repose sur la capacité d'écouter ce que les gens ont à dire et de reconnaître que leurs perceptions et leurs idées constituent la trame d'une collectivité. Les commentaires cités nous fournissent les thèmes et les fils conducteurs qui peuvent unir les membres d'une collectivité.

Nous décrirons donc les efforts déployés par les collectivités pour mettre en oeuvre un processus de guérison afin de résoudre leurs problèmes. Dans toute la mesure du possible, nous laisserons parler les répondants, en reproduisant textuellement leurs commentaires.

ORGANISATION DU RAPPORT

Les répondants ont exprimé de nombreuses opinions à propos du processus de guérison et de son résultat. Dans une certaine mesure, les commentaires exprimés diffèrent les uns des autres, mais c'est leur similarité qui frappe le plus, ainsi que la façon dont les divers aspects sont interreliés.

Dans les pages qui suivent, nous examinerons séparément différents aspects ou significations que les participants rattachent au terme «guérison». Il est essentiel de souligner que ces aspects ne sont pas considérés comme séparés par les répondants. Lorsqu'on leur a demandé de définir la guérison et de dire en quoi consiste le processus de guérison, les fonctionnaires et les autres répondants ont spontanément énuméré un grand nombre de facteurs. Pour eux, comme pour la coordonnatrice du projet, il est clair que ces différents facteurs ou aspects sont interreliés et interdépendants. Néanmoins, pour les besoins de notre étude, nous avons tenté d'examiner tour à tour chacun des aspects les plus souvent mentionnés afin que le lecteur se familiarise davantage avec chacun de ces aspects.

Cette méthode ne donne toutefois pas une bonne idée de la façon complexe dont les gens comprennent et expriment les questions en cause. Chacun à sa façon, les participants ont décrit un processus complexe de développement communautaire. Nous verrons dans les chapitres qui suivent que ce processus ne peut se dérouler à un seul niveau ou sous un seul aspect de l'individu ou de la collectivité.

CHAPITRE III. QU'EST CE QU'UNE COLLECTIVITÉ SAINE?

Une collectivité saine est formée de personnes qui sont capables de travailler ensemble et de s'amuser ensemble. Actuellement, il y a toujours de petits conflits entre les gens; certains veulent se placer au-dessus des autres en achetant des objets que leurs voisins s'empressent d'aller acheter aussi. Beaucoup de gens dans la collectivité, y compris moi‑même, ne sont pas au courant de ce qui s'y passe parce qu'ils ont l'impression que ça ne les concerne pas, et c'est malheureux. Si la collectivité allait bien, on pourrait parler de ces choses et les gens se sentiraient à l'aise pour faire appel aux autres.

Lorsqu'on entreprend une démarche de guérison, il est essentiel non seulement de comprendre les raisons ou les problèmes qui ont motivé cette démarche, mais aussi de savoir où l'on veut aboutir. On pourrait soutenir que le résultat devrait être un changement substantiel, soutenu et positif par rapport à la situation actuelle ou encore constituer une solution à un problème ou une préoccupation.

Imaginer le résultat d'une telle démarche nous fournira une toile de fond pour définir ce qu'est la guérison dans une collectivité. Les personnes qui ont participé à l'étude nous ont confié leurs rêves, leurs visions de ce qu'elles croient être une collectivité saine ou en voie de guérison. En examinant ce qu'elles nous ont dit, nous franchirons une première étape dans l'établissement d'une définition commune de la guérison.

« PARTICIPATION DES GENS AUX ACTIVITÉS COMMUNAUTAIRES »

La participation des gens aux activités communautaires dépend en partie de l'exemple donné par les chefs. Si un gouvernement, élu ou héréditaire, soutient les membres de la collectivité et est résolu à assurer le fonctionnement efficace des services, il crée un climat qui favorise la participation des gens.

« CONFIANCE, SOLLICITUDE ET PARTAGE »

Un autre signe qu'une collectivité est saine ou en voie de guérison est que ses membres entretiennent des relations les uns avec les autres et avec l'ensemble de la collectivité et qu'ils ont réussi à établir un climat de confiance, de respect et de sollicitude qui rend la participation à la vie communautaire naturelle et spontanée.

Cette notion de «bien s'entendre et participer aux activités communautaires» pourrait s'appliquer à presque toutes les collectivités du Canada, autochtones ou non. La création d'un milieu sûr et sain est une préoccupation qui n'est pas étrangère à ceux qui achètent leur journal quotidien ou regardent les nouvelles à la télévision le soir. Tous les habitants du Canada voudraient que la vie soit différente de ce qu'elle est. Nous voudrions tous que chacun aide les autres ou travaille à améliorer les conditions de vie de nos enfants, indépendamment de notre nationalité, de l'endroit où nous vivons et du système politique en place. Le respect est au coeur même de cette notion.

« BONS EXEMPLES POUR LES ENFANTS »

De nombreux répondants ont souligné l'importance de la jeunesse et ont dit qu'une collectivité en voie de guérison est une collectivité qui a mis les jeunes sur le droit chemin en leur donnant de bons exemples dans la famille et en leur enseignant les choses importantes.

« OUVERTURE D'ESPRIT, COMMUNICATION »

Un autre élément de la vision d'une collectivité saine ou en voie de guérison a trait au mode de communication : les individus y sont capables de parler ouvertement tout en étant écoutés. Etre écouté signifie que l'écoute se fait à tous les niveaux de la collectivité et des gouvernements. Un participant a souligné cet élément en fournissant des exemples tirés de sa collectivité.

« NE PAS AVOIR HONTE »

Cet élément est aussi lié à l'aspect de la communication. De nombreux Autochtones ont appris à ne pas s'exprimer verbalement ou à ne pas soulever en public des questions qui pourraient causer des conflits. Une partie de la guérison consiste souvent à aider les individus à rompre la chaîne du silence et à parler ouvertement et librement de ce qu'ils ressentent et de ce qui les préoccupe. Cela peut s'avérer une expérience libératoire qui, lorsqu'elle est partagée avec d'autres, fait sentir à tous que les problèmes sont examinés ouvertement et non derrière des portes closes.

« PRENDRE SES RESPONSABILITÉS ET AVOIR DES ATTENTES CLAIRES »

Dans une collectivité saine ou en voie de guérison, les gens assument des responsabilités, non seulement pour eux‑mêmes, mais aussi pour l'ensemble de la collectivité. Dans une collectivité saine, la confiance est maintenue et les normes qu'elle valorise sont claires; par conséquent, ses habitants peuvent faire chacun leur part pour préserver ces valeurs.

Les perceptions des membres des collectivités autochtones et des représentants non autochtones des gouvernements sont remarquablement semblables. Comme l'a décrit un fonctionnaire,

Dans la même veine, un membre d'une collectivité fait remarquer :

Bien que les termes employés par ces deux personnes pour décrire leur vision soient différents, le message sous‑jacent est le même. Toutes deux parlent d'une structure ou d'une infrastructure qui favorise la sensibilisation, la responsabilité et les occasions de croissance. Toutes deux tracent un portrait d'une collectivité autonome et pleine d'assurance qui est prête à s'attaquer à ses problèmes en tirant le meilleur parti possible de ses ressources internes.

Il est fort probable que tous les commentaires cités dans le présent chapitre traduisent les vues de la plupart des habitants du Canada quant à ce qui constitue une collectivité saine ou en voie de guérison. Il s'agit d'une vision commune dans laquelle entrent divers éléments dont aucun ne semble indépendant des autres.

Que nous apporte le fait de reconnaître qu'il existe une vision commune de la guérison des collectivités? C'est la possibilité de sensibiliser chacun de nous aux autres, ce qui constitue une première étape vers une meilleure compréhension du rôle que chaque individu, groupe, organisme ou gouvernement peut jouer dans la guérison des collectivités autochtones. Lorsqu'on peut établir des éléments communs et que chacun est plus réceptif aux autres, on augmente les possibilités de créer des partenariats productifs. En résumé, les gens de différentes collectivités, cultures ou races peuvent se rapprocher les uns des autres en reconnaissant leurs similitudes et leurs buts communs.

Chaque individu, chaque famille et chaque collectivité rêve d'une collectivité saine ou en voie de guérison. Comme l'a résumé un des participants, «cette vision émane de l'esprit d'une collectivité qui cultive l'amitié et la sollicitude».

CHAPITRE IV. LE PROCESSUS DE GUÉRISON UN PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE

Lorsqu'on entend le mot guérison, on se sent bien et on voit qu'il y a de l'espoir pour nous et notre peuple. J'ai l'impression que la guérison n'est parfois qu'un mot. Nous en parlons et nous avons vécu pas mal de choses, mais il n'y a pas eu beaucoup de réaction et nous revenons au point de départ. La seule façon dont je peux définir la guérison, c'est de dire qu'il y a de l'espoir pour nous. Lorsqu'on parle de guérison, on oublie de parler de pardon. Nous devons vider notre esprit et laisser le passé derrière. Le mot clé pour moi est espoir.

(un Aîné)

Il y a deux façons de définir la guérison. Les Anglo‑Saxons la voient comme la guérison d'une blessure, la réparation d'un dommage fait au corps. Ils ont tendance à considérer la guérison comme un phénomène de surface. Du point de vue des Autochtones, c'est une notion beaucoup plus profonde. Pour eux, la guérison, n'est pas seulement la guérison du corps, mais aussi la guérison de l'esprit, la guérison psychologique qui englobe tout l'être et non pas seulement la surface. Lorsque j'entends le terme guérison maintenant, j'ai tendance à considérer cette notion d'une façon holistique qui, au lieu d'isoler les différentes parties du corps ou les différents domaines de l'esprit qui ont besoin de guérison, s'intéresse à la fois au physique et au psychologique. Lorsque j'emploie ou que j'entends le terme guérison, je le considère d'une façon holistique qui englobe l'esprit et le corps.

(un membre de la GRC non autochtone)

Dans le chapitre précédent, nous avons examiné quelques aspects ou facteurs tangibles que les répondants ont associés à une «collectivité en voie de guérison». Nous considérerons à présent la guérison comme un processus. Comment ce processus se déroule‑t‑il? Y a‑t‑il des modèles communs dans le déroulement de ce processus? Quels mécanismes entrent en jeu?

Les entrevues réalisées pour la présente étude révèlent qu'en tentant de mieux comprendre le processus de guérison dans les collectivités autochtones, nous pourrons aider les fonctionnaires à tourner leur attention vers le concept du développement communautaire, selon lequel les étapes fondamentales menant à la résolution des problèmes consistent à s'attaquer aux causes sous‑jacentes plutôt que de se limiter aux symptômes.

Le développement communautaire peut se définir comme un processus d'action communautaire dans lequel les gens :

Le principe qui sous‑tend le développement communautaire est que les gens eux‑mêmes peuvent améliorer leur collectivité en :

Le développement communautaire, c'est l'organisation en vue de l'action. Il s'agit d'un processus selon lequel les gens apprennent à s'entraider. En théorie, le développement communautaire est un processus qui est mis en branle par toute collectivité qui décide de prendre des mesures pour régler un problème. Le premier fruit du développement communautaire est l'évolution des gens qui travaillent ensemble à résoudre leurs propres problèmes.

Pour les membres d'une collectivité qui s'engage dans ce processus, la guérison se produit de façon naturelle. Lorsqu'un langage commun s'établit entre les cultures, les termes utilisés pour définir le développement communautaire peuvent devenir synonymes du concept de guérison, tel qu'il est défini ou décrit par les collectivités autochtones.

« LA GUÉRISON, C'EST ... »

Le mot «guérison» a été beaucoup utilisé pour décrire les changements qui doivent se produire dans notre société, et en particulier dans les collectivités autochtones. Pour chacun de nous, la guérison semble être fondée sur la culture et elle est définie de plusieurs façons dans différentes langues. C'est un mot employé fréquemment, mais nous ne disposons pas d'une définition commune qui nous permettrait d'augmenter notre capacité de travailler davantage en collaboration pour atteindre le but.

Bien que les membres des collectivités aient des visions très similaires de ce que devrait être une collectivité saine, ce qui ressort le plus nettement des entrevues est qu'il n'existe pas de définition unique de la «guérison». La réponse que nous avons obtenue le plus souvent est qu'il est très difficile de répondre à cette question.

Même s'il n'y a pas de définition unique du terme guérison, on constate que le consensus se fait de plus en plus sur la vision et le processus de guérison. Ainsi, la plupart des répondants estiment que la guérison commence «à l'intérieur de l'individu». Pour guérir une collectivité, il faut d'abord se guérir soi‑même et guérir sa famille. Les répondants étaient aussi d'accord sur le fait que guérir signifie parvenir à un sentiment d'«équilibre» ou de «globalité» en s'occupant de toutes les parties de sa vie simultanément plutôt que séparément.

Tout au long du rapport, l'accent est mis sur l'approche holistique.  La spiritualité fait partie de cette approche; elle n'est donc pas considérée comme quelque chose de distinct. Chez les collectivités autochtones, comme pour beaucoup d'autres cultures de par le monde, la spiritualité est le fondement même de la société et des liens que leurs membres entretiennent les uns avec les autres.  Les notions touchant la spiritualité ne sont toutefois pas faciles à transposer en mots. 

« ... UN PROCESSUS »

Conformément à la terminologie du développement communautaire, de nombreux participants ont mentionné que la guérison n'est pas un état statique, mais plutôt un processus. Dans le prochain chapitre, nous examinerons comment ce processus se déroule. Examinons d'abord certaines des notions qui entrent en jeu dans le processus.

TROIS ASPECTS DU PROCESSUS DE GUÉRISON

Les éléments suivants sont parmi les facteurs les plus souvent mentionnés par les participants. Au moins trois aspects du processus de guérison ressortent des entrevues.

LE PROCESSUS COMMENCE À L'INTÉRIEUR DE SOI

Un consensus s'est dégagé des réponses des membres des collectivités à propos de la façon dont se déroule la guérison : la guérison commence à l'intérieur de l'individu; le processus s'étend ensuite à la famille, et enfin à la collectivité.

Le développement communautaire est entre les mains de personnes qui se réunissent pour prendre des mesures afin d'améliorer la situation de leur collectivité. Toutefois, avant que les problèmes de la collectivité puissent être résolus, les individus et les familles doivent être capables de s'attaquer à leurs propres problèmes et de commencer à les résoudre.

Bien que la guérison prenne racine dans l'individu, l'exemple qui précède fait ressortir l'importance du soutien qui doit venir de l'extérieur. Plus nombreux sont les individus qui participent au processus de guérison, meilleures sont les possibilités de créer une atmosphère d'unité et de croissance. La guérison est un processus d'interdépendance; plus nombreux sont les participants, meilleures sont les chances de succès.

Pour que commence le processus de guérison, les individus doivent reconnaître les causes de leurs problèmes, qui, dans une large mesure, sont aussi les causes des problèmes de la collectivité. Il faut chercher à l'intérieur de soi avant de regarder vers l'extérieur. Il faut apprendre à assumer ses responsabilités avant de rejeter le blâme sur les autres, ce qui arrive facilement si l'on se tourne vers l'extérieur pour expliquer les choses avant de regarder en soi. Les commentaires qui suivent décrivent cette notion :

Un élément important de cet aspect du processus, selon le point de vue des Autochtones, est que, pour être efficace, le processus de guérison d'une collectivité ne peut commencer à l'extérieur de la collectivité. Un programme qui est importé dans une collectivité dans l'espoir qu'il y prendra racine est presque certainement voué à l'échec. Le programme doit au moins être adapté à la réalité de la collectivité et des gens qui la composent. Idéalement, toutefois, les programmes devraient être conçus par la collectivité elle‑même et en fonction des mécanismes qui y sont déjà en action.

ÉQUILIBRE ET GLOBALITÉ

Le deuxième aspect du processus de guérison est l'équilibre. On convient que pour guérir, il faut en arriver à un «équilibre» en s'occupant de toutes les parties de sa vie simultanément et non séparément. Le processus de guérison dans les collectivités autochtones est un processus qui englobe tous les aspects de la vie : physique, affectif, psychologique et spirituel.

Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, l'équilibre et la globalité sont aussi de rigueur au niveau de la collectivité. Les aspects essentiels de la guérison d'une collectivité, comme nous l'avons mentionné, comprennent la participation, la confiance, la responsabilité, les exemples donnés par les parents, l'ouverture d'esprit, la communication et les attentes bien définies. Chacun de ces éléments doit être rétabli et être en harmonie avec les autres si l'on veut que l'ensemble de la collectivité guérisse et trouve son équilibre.

Certains participants des collectivités ont décrit l'«équilibre» de la façon suivante :

Le processus qui consiste à atteindre l'«équilibre» a souvent été décrit par les membres des collectivités comme un processus spirituel ou un processus dans lequel le retour aux croyances et aux pratiques spirituelles traditionnelles fait partie intégrante de la guérison. La reprise des pratiques traditionnelles a incité de nombreux observateurs extérieurs, comme les médias et les gouvernements, à étudier la signification de ces rites dans le but de mieux comprendre les peuples autochtones. Comme nous l'avons déjà mentionné, de nombreux membres des collectivités estiment que, dans certaines circonstances, la révélation de croyances et de pratiques sacrées a mené à un malentendu encore plus profond et a créé un éloignement encore plus grand entre les deux cultures.

Dans le cadre de notre projet, nous avons demandé aux personnes interrogées de ne pas révéler de détails à propos des pratiques traditionnelles, mais de décrire ce que les expériences vécues dans le processus de guérison ont signifié pour elles. Dans cet esprit, un membre de la collectivité nous a parlé de l'expérience qu'il fait de la guérison en atteignant un équilibre grâce à des pratiques empruntées aux deux systèmes :

Ce commentaire et ceux d'autres membres des collectivités soulignent que le moteur de la guérison de l'individu gît au fond de lui-même, le processus étant stimulé et nourri de l'extérieur. Il s'agit d'une expérience globale qui ne peut être abordée de façon partielle et qui peut s'appliquer à la famille ou à la collectivité.

PASSAGE DES «PROGRAMMES» AU «PROCESSUS »

Les participants ont insisté sur le fait que l'expérience de la guérison doit être considérée d'une façon holistique, qu'on ne peut s'attaquer à une seule partie du problème. Dans le même ordre d'idées, les répondants ont affirmé que, pour que le processus de guérison soit efficace, il faut cesser de mettre l'accent sur des «programmes» comme les programmes de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie ou les programmes de counseling en matière de violence sexuelle.

Nous avons souligné précédemment, lorsque nous avons dit que la guérison devait venir de l'intérieur de nous, que les programmes importés de l'extérieur de la collectivité et qui ne sont pas du tout adaptés à la réalité de celle-ci risquent d'échouer. Le thème du «passage des programmes au processus» semble aller plus loin et suggère que l'approche la plus efficace est une démarche de développement communautaire qui commence à l'intérieur de la collectivité.

La nécessité de considérer la guérison d'une manière holistique est bien exprimée par un membre d'une collectivité qui, lorsqu'on lui a demandé si les programmes devraient être axés sur des groupes précis, a répondu ceci :

Souvent, les gens ne voient pas ce qui est évident et cherchent des façons nouvelles et innovatrices de s'attaquer aux problèmes de leur collectivité. Souvent, les collectivités ne s'attribuent pas le mérite, ou on ne leur attribue pas le mérite, de ce qu'elles ont ou de ce qu'elles ont fait, et elles croient qu'elles doivent trouver de nouvelles façons d'aborder les problèmes. Pourtant, ces problèmes peuvent souvent être réglés simplement ou en renforçant les ressources qui existent déjà dans la collectivité. Les décideurs doivent reconnaître que le processus de guérison comporte un grand éventail d'activités et qu'il faudra aussi bien renforcer les ressources qui existent déjà dans la collectivité que courir des risques en utilisant de nouvelles approches lorsque cela s'avérera nécessaire. Le processus même qui consiste à évaluer les choix qui s'offrent à la collectivité et à prendre des décisions est essentiel et très utile.

La formation peut être un autre moyen d'assurer le passage «des programmes au processus» et d'abolir les barrières qui existent actuellement entre les gouvernements et les collectivités au sujet de la conception et de la prestation des services.  La formation en commun peut être particulièrement utile, car elle réunit, à la même séance de formation, des gens provenant de différents milieux et organismes, mais qui ont tous - ou pourraient avoir - un rôle à jouer dans la guérison de la collectivité. Ce type de formation, lorsqu'on y recourt pour favoriser l'action communautaire, met l'accent sur les stratégies (et non sur les programmes), sur la coopération et sur une gamme de services.  Les gens ont besoin de services différents à des moments différents de leur vie. Pour répondre efficacement à ces besoins, il importe de concerter les efforts de nombreux intervenants, organismes et niveaux de gouvernement.  Il est temps de mettre au point des moyens de créer des services et des programmes axés sur le client plutôt que sur le financement.

Les commentaires qui suivent portent sur les enseignements d'Aînés, qui suggèrent que les solutions ou la croissance reposent sur l'expérience. Sans l'expérience, sans la souffrance, il est plus difficile de reconnaître le bonheur ou même peut‑être l'expérience elle‑même. Changer un événement négatif en une expérience positive est un don qui nous permet de bâtir une vie saine et productive, puisque ces expériences nous permettent de reconnaître ce que nous voulons faire et nous donnent des indices sur la façon d'y parvenir.

Ces commentaires ont été formulés par des jeunes et des personnes plus âgées, des parents, des prestataires de soins et des dirigeants. Le thème récurrent est que la guérison vient de l'intérieur pour se poursuivre vers l'extérieur; elle commence par l'individu, puis se continue dans la famille et enfin dans la collectivité.

Dans cet effort pour définir le processus complexe de la guérison, certains participants en ont donné une description frappante par des images visuelles. C'est peut‑être dans la réponse qui suit, qui a été donnée par un jeune, que la guérison a été exprimée de la façon la plus vivante.

« La guérison, c'est un aigle qui s'envole en laissant tout derrière lui».

CHAPITRE V. QUAND UNE COLLECTIVITÉ EST ELLE PRÊTE À AMORCER UN PROCESSUS DE GUÉRISON? QUI LE DÉTERMINE ET DE QUELLE FAÇON?

Le processus de guérison commence à l'intérieur de chaque individu avant de gagner l'ensemble de la collectivité. C'est ainsi que le processus s'amorce.

Pour les gouvernements autochtones comme pour les autres gouvernements, déterminer le moment où une collectivité est prête à guérir ou à s'engager dans un processus de guérison constitue une première étape qui est essentielle à tout changement. Dans le présent chapitre, nous étudierons certains des signes auxquels on reconnaît que ce moment est venu. En outre, nous chercherons à savoir qui détermine quand ou si une collectivité est prête à amorcer le processus de guérison et, peut‑être, à recevoir de l'aide. Au chapitre suivant, étroitement lié à celui‑ci, nous nous pencherons sur les différentes façons dont le processus de guérison a commencé dans certaines collectivités.

L'«état de préparation» est l'étalon auquel on mesure si un individu ou une collectivité est apte à faire face à ses problèmes. Il suppose qu'on assume la responsabilité de ses problèmes et qu'on prend les moyens de changer les choses. Ajoutons que pour déterminer qu'une personne, une famille ou une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison, il faut tenir compte des possibilités qu'elle a de changer.

DÉTERMINER SI UNE COLLECTIVITÉ EST PRÊTE

Les opinions varient d'un répondant à l'autre sur le moment où une collectivité est prête à s'engager dans un processus de guérison. Toutefois, on s'entend sur les critères essentiels permettant d'évaluer cet état de préparation, à savoir dans quelle mesure les membres de la collectivité sont conscients des problèmes, motivés à changer les choses et prêts à prendre des responsabilités pour les changer. Il appartient à la collectivité elle-même, et non à des intervenants de l'extérieur, de déterminer si elle est prête.

CONSCIENCE DES PROBLÈMES

Les répondants des collectivités ont insisté sur le fait qu'une collectivité est prête à prendre des mesures en vue de la guérison lorsque ses membres ont pris conscience qu'il existe des problèmes et reconnaissent que la situation ou le mode de vie de la collectivité ne sont plus acceptables ni tolérables.

MOTIVATION AU CHANGEMENT

Lorsqu'on a pris conscience des problèmes, des modifications des modes de comportement commencent à témoigner des mesures positives prises par la collectivité pour prendre ses affaires en mains.

Un jeune participant a touché le thème central de la motivation en déclarant ce qui suit :

De même, un autre membre de la collectivité a souligné qu'une collectivité est motivée et prête lorsque ses membres reconnaissent que l'avenir dépend de changements qui doivent se faire aujourd'hui.

VOLONTÉ DE PRENDRE DES RESPONSABILITÉS

Ainsi, les gens commencent à prendre des responsabilités pour la collectivité et à influencer le comportement des autres à mesure que leur sensibilisation augmente.

Bon nombre des jeunes qui ont été interrogés ont exprimé des opinions semblables. Malgré la brièveté de leurs commentaires, ils nous ont laissé des mots et des phrases clés qui peuvent être utilisés par tous pour évaluer le degré ou l'état de préparation d'une collectivité.

Bien que ces commentaires aient été faits séparément, le message commun sous-jacent se trouve formulé dans la première citation qui parle de l'importance d'obtenir et de préserver la confiance.

Un autre groupe de jeunes issus de la même collectivité ont eu une approche différente de la même question. Leurs commentaires laissent entendre que les collectivités sont en constante évolution et qu'un des indicateurs de changement peut être soit de savoir ce qu'on veut pour sa collectivité soit de savoir ce qu'on ne veut pas!

Chacune de ces approches permet de déterminer l'état de préparation de la collectivité en mettant en lumière des facteurs essentiels qui incitent au changement. Ces facteurs, qui sont souvent ressentis ou vécus sur le plan individuel, se généralisent et s'étendent à toute la collectivité.

QUI DÉTERMINE QU'UNE COLLECTIVITÉ EST PRÊTE?

Même si ces thèmes fournissent un cadre qui permet d'évaluer la préparation de la collectivité, il reste à établir qui détermine qu'une collectivité est prête. Là encore, il s'agit de savoir si la collectivité le détermine elle‑même ou si ce sont des intervenants de l'extérieur qui doivent le faire.

RÔLE DU «GROUPE CENTRAL» DE LA COLLECTIVITÉ

Les «groupes centraux» sont aussi variés que les collectivités. Dans certains cas, ces groupes sont formés de personnes appartenant à une même classe d'âge ou du même sexe, tandis que d'autres sont mixtes et que leurs membres sont unis par des compétences, des besoins ou un mandat communs. L'élément principal qui distingue ces groupes des autres groupes de la collectivité est le fait qu'ils ont d'une certaine manière cerné et défini un problème ou un ensemble de problèmes auxquels ils voudraient apporter des solutions. En outre, ces groupes sont prêts à prendre des risques et à adopter une nouvelle méthode ou approche pour régler les problèmes. Ainsi, c'est parfois le groupe central qui, en fait, détermine le moment où la collectivité est prête.

Par exemple, une des collectivités a entamé son processus de guérison à la suite d'une initiative prise par un adulte travaillant auprès de jeunes en vue de former un groupe de jeunes. Il s'agissait, entre autres, d'offrir aux jeunes la possibilité de recevoir une formation sur la manière de coordonner des activités et de les mettre en oeuvre. C'est dans ce contexte que les adultes et les Aînés ont été invités avec insistance à mettre un terme à l'alcoolisme et à la toxicomanie, au suicide, à la violence familiale, à la violence sexuelle et à toute autre forme de victimisation dans la collectivité. Les jeunes leur ont demandé d'offrir des exemples positifs aux enfants de la collectivité et aux enfants qui naîtraient plus tard. Depuis, les problèmes sociaux ont diminué de façon spectaculaire. Même si tous les problèmes n'ont pas été éliminés, la consommation d'alcool et de drogue a diminué, tout comme le nombre de suicides et d'actes de violence.

Une autre collectivité qui connaissait un taux élevé d'actes de violence avec armes à feu a mis en place un programme de contrôle des armes à feu qui a été appuyé par les dirigeants élus et par un petit groupe de membres de la collectivité. Bien que l'adoption de cette politique ait rencontré une forte résistance, la persévérance et la détermination de ces quelques personnes ont permis à la population de commencer à se sentir en sécurité dans la collectivité et de cerner les causes de la violence. Comme on pouvait s'y attendre, cette initiative en a engendré d'autres ayant pour but des améliorations qui contribueront à créer un milieu communautaire plus sain.

Les expériences d'Alkali Lake, largement relatées par les médias, ont permis tant aux collectivités autochtones qu'aux autres collectivités de constater l'influence que peut avoir un individu sur l'ensemble de la collectivité.

Une autre approche plus récente, qui a été expérimentée par un certain nombre de collectivités, consiste en un processus lancé par une personne ou un petit groupe de personnes qui désirent renforcer les compétences et les ressources existant déjà au sein de la collectivité. Le succès de toute initiative de développement communautaire réside dans une utilisation optimale des ressources de la collectivité. Les personnes qui participent à ces initiatives sont des membres du personnel de la bande et des membres de la collectivité qui ont suivi une formation les préparant à une approche d'équipe pour trouver des solutions aux préoccupations et aux problèmes de leur collectivité.

Un point essentiel se dégage de chacun de ces exemples : c'est le plus souvent une personne ou un groupe de personnes de la collectivité qui décident qu'un changement est nécessaire et que des mesures doivent être prises pour amorcer le processus de guérison. Cette notion remet en question l'idée voulant que la collectivité tout entière doit d'une manière ou d'une autre montrer qu'elle est prête et qu'il faut arriver à un consensus pour procéder à un changement.

Un autre membre de la collectivité a souligné que ce sont les enfants qui constituent le groupe central ou la force de motivation d'une collectivité et que, même si la prise de conscience initiale du problème se fait chez une seule personne, ce sont les enfants collectivement qui guident la collectivité vers la solution.

Tous ces exemples servent à illustrer et à confirmer les réponses qui ont été recueillies auprès des membres de la collectivité au cours de la présente étude et qui laissent penser qu'une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison lorsqu'une ou plusieurs personnes veulent changer les choses ou guérir. C'est cet élan collectif qui détermine si la collectivité est prête. De cette façon, l'existence d'un groupe central devient un autre moyen de déterminer si une collectivité est prête.

Un fonctionnaire interrogé dans le cadre de l'étude a fait la déclaration suivante :

C'est la présence d'un groupe central qui permet de déterminer qu'une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison. Autrement dit, les réponses aux questions «comment déterminer qu'une collectivité est prête?» et «qui détermine qu'une collectivité est prête?» résident dans l'évaluation de la motivation de quelques personnes et des responsabilités prises par ces personnes.

LE RÔLE DES GOUVERNEMENTS EXTÉRIEURS

Les gouvernements extérieurs doivent, bien entendu, évaluer si une collectivité est prête lorsqu'ils ont à prendre des décisions quant à l'affectation de ressources à cette collectivité. Les gouvernements ont‑ils d'autres rôles à jouer dans ce domaine?

Un fonctionnaire répond en ces termes :

MISE EN GARDE À PROPOS DE L'ÉVALUATION DE L'ÉTAT DE PRÉPARATION DE LA COLLECTIVITÉ

Lorsqu'on doit déterminer si une collectivité est prête, il est essentiel de savoir au jugement de qui on peut se fier. Un certain nombre de variables peuvent avoir une influence sur la manière dont on détermine ou évalue si la collectivité est prête. Non seulement les attitudes et les valeurs de ceux qui évaluent cette collectivité deviennent des variables dans ce processus, mais aussi la façon dont les questions sont posées ou présentées aux membres de la collectivité ou à d'autres échantillons importants.

Dans la présente section, nous donnons des exemples tirés de notre étude pour montrer à quel point il est important de tenir compte de la manière de poser les questions lorsqu'on veut déterminer si une collectivité est prête. Les exemples qui suivent illustrent comment le fait de poser une question de différentes façons peut permettre de mieux comprendre la réponse et la perception d'une personne. Cette technique peut également servir à déceler une uniformité parmi les réponses données par différents membres de la collectivité, qui autrement n'aurait pu être perçue.

Dans un certain nombre d'occasions, au cours de l'étude, on a pu constater que les répondants avaient des perceptions différentes de «l'état de préparation» de la collectivité.

Un de nos exemples est tiré d'une entrevue de groupe réalisée auprès de personnes qui avaient grandi dans la même collectivité au cours de la même période, étaient amis ou parents et avaient suivi une voie semblable dans leur participation aux activités communautaires. On aurait pu s'attendre à ce qu'elles donnent des réponses semblables; or, leurs réponses à la même question sont en fait curieusement différentes.

À la lumière de ces exemples, nous constatons que les réponses individuelles dépendent d'un certain nombre de facteurs ou de variables qu'une personne de l'extérieur se doit de prendre en considération pour déterminer si une collectivité se sent prête à entreprendre un processus de guérison. En dernière analyse, il faut tenir compte de variables telles que l'âge, le statut ou la position dans la collectivité, le sexe, la période, la situation ou les priorités du répondant au moment de l'enquête. En outre, il faut savoir que certaines personnes estiment qu'elles doivent répondre à la question en la reliant directement à leur propre vécu, tandis que d'autres la rattachent au vécu collectif.

La question elle‑même et la façon dont elle est posée peuvent influencer la réponse. Par exemple, à la question «Quand pensez‑vous que commence le processus de guérison?», un des répondants a répondu ceci :

Quelqu'un qui entend ou lit cette réponse peut en tirer toutes sortes de conclusions, entre autres que son auteur ne considère pas que la collectivité est prête à commencer un processus de guérison. Or, les collectivités choisies pour le projet l'ont été en raison de leur progrès ou de leur mouvement vers le changement. On a donc posé la question d'une façon différente à la même personne afin de clarifier sa perception. On lui a cette fois demandé : «Quand la collectivité a-t-elle commencé à guérir? »

Cette deuxième réponse commence à montrer un portrait différent de la collectivité. On aurait pu présenter la question d'une autre façon qui aurait influencé la réponse, en suggérant que la collectivité avait entrepris un processus de guérison. Toutefois, le répondant fondait sa réponse sur son vécu dans la même collectivité que celle à laquelle on a faisait allusion dans la première question. Afin d'expliquer cette différence dans les réponses, on a posé une troisième question qui est celle‑ci : «Comment déterminer qu'une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison? »

En étant attentif aux modifications subtiles que l'on peut apporter à la formulation d'une question, l'enquêteur peut s'assurer que les réponses données traduisent parfaitement le message que le répondant essaie de transmettre. Lorsque l'anglais est la langue seconde du répondant, il importe aussi d'être conscient que le sens rattaché à divers mots peut varier.

CONCLUSION

L'état de préparation d'une collectivité est une notion complexe, qui est pourtant capitale. Il est nécessaire de déterminer si la collectivité est prête ou si elle a des possibilités de changement, mais il importe d'être conscient des variables en cause. Ainsi, si l'évaluation de l'état de préparation est axée sur un programme ou un projet qui n'a pas de précédent ou qui est nouveau dans le domaine social, il peut être difficile de déterminer si la collectivité est prête, faute de point de comparaison.

Les questions posées à ce sujet devraient servir à obtenir de l'information sur la capacité d'une personne ou d'une collectivité d'entreprendre des activités ou des projets. De plus, elles peuvent aider à clarifier les buts du projet ou de l'activité et les mesures à prendre pour élaborer un plan d'action en vue d'effectuer le processus de guérison. Bref, en soulevant la question de la préparation, on peut inciter les collectivités à prendre l'initiative de trouver des solutions à leurs problèmes.

Dans le présent chapitre, nous avons tenté de déterminer le moment où une collectivité est prête et de créer un cadre d'évaluation qui peut aider les collectivités elles‑mêmes et les organismes extérieurs. Ce cadre est un outil qui doit permettre de susciter des occasions de dialogue entre les parties responsables de l'élaboration et de la mise en oeuvre des programmes et des projets.

CHAPITRE VI. PROCÉDER AU CHANGEMENT : COMMENT S'AMORCE LE PROCESSUS DE GUÉRISON?

Le but ultime de notre vie réside dans la vision que nous avons à offrir à notre peuple. Il nous faut présenter une vision globale que tous voudront adopter, qu'ils soient Autochtones ou non. Nous devons prendre conscience que tous les problèmes que nous rencontrons en tant que peuple ont une portée universelle. Nous devons commencer à nous dégager des critères d'aujourd'hui, car ils restreignent ou limitent qui nous sommes et ne nous donnent qu'une vision étroite. Nous devons redéfinir notre mode de vie actuel. Une fois que nous aurons retrouvé notre identité en tant que peuple, nous pourrons faire face à n'importe quelles épreuves. Aujourd'hui, nous sommes un peuple fort; lorsque nous aurons réglé nos problèmes, nous deviendrons un peuple très puissant.

Dans le chapitre précédent, nous avons examiné les signes auxquels on reconnaît qu'une collectivité est prête à procéder à des changements et nous nous sommes demandé qui détermine qu'une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison. Dans le présent chapitre, nous examinerons certaines évolutions qui semblent être associées à l'amorce positive d'un changement.

CLARIFIER LA VISION

La vision dont il est question dans la citation ci‑dessus correspond à l'opinion exprimée par de nombreux répondants, selon lesquels le processus de guérison s'amorce lorsqu'un individu ou la collectivité entière passe de la réflexion (niveau «cérébral») à la motivation profonde (niveau «viscéral»). Autrement dit, après avoir cerné et reconnu les problèmes, il faut déterminer comment changer les choses ou résoudre les problèmes.

La plupart des répondants croient que, si l'on veut effectuer un changement, l'impulsion doit venir de l'intérieur de l'individu ou de la collectivité. Cela ne veut pas dire que les collectivités n'ont pas besoin de ressources externes pour concevoir et mettre en oeuvre des activités de guérison, mais plutôt qu'il revient à l'individu ou à la collectivité de déterminer les activités ou le plan qui seront élaborés et mis en oeuvre et la priorité qui sera accordée à ces activités. Le plan doit être fondé sur la vision.

PASSER D'UNE CONVICTION À UN PROCESSUS

Une fois que la vision et la conviction qu'il faut agir se sont cristallisées dans l'esprit des membres de la collectivité, les collectivités qui semblent réussir à faire progresser leur processus de guérison connaissent le début d'un processus de développement communautaire, lequel consiste à apprendre à travailler en collaboration afin de faire le meilleur usage possible de toutes les ressources disponibles.

COMME L'A DÉCLARÉ UN MEMBRE D'UNE COLLECTIVITÉ :

L'objectif, selon le même répondant, est de créer un climat qui favorise la guérison de façon à :

Bref, selon ce répondant et de nombreux autres, les Autochtones doivent commencer à apprendre à travailler ensemble afin d'abattre les barrières qui les isolent les uns des autres. Les groupes de l'extérieur, comme les gouvernements, ne peuvent diriger ce processus, puisque les attitudes, les valeurs et les convictions doivent être examinées à partir de l'intérieur de la collectivité ou des individus. Comme l'a dit un fonctionnaire :

« C'est le passage d'une conviction à un processus. »

ACTIVITÉS FAVORISANT LE PROCESSUS

D'après les réponses obtenues, la guérison ou le processus de guérison commence lorsqu'il se déroule des activités ou des événements qui sont reconnus comme favorisant le rétablissement ou la guérison. Ces activités sont aussi diverses que le sont les problèmes et les collectivités. Toutefois, la plupart comprennent la découverte de soi, le soutien communautaire et un voyage spirituel.

Un membre d'une collectivité a donné un exemple frappant de la façon dont une activité peut se dérouler autrement ou avec plus d'intensité que prévu. Cet exemple montre comment une activité peut nous aider à déceler ou à mieux comprendre des problèmes et à parvenir finalement à des solutions. Il résume comment ce genre d'activités favorise le processus de guérison.  Par ailleurs, il montre que lorsqu'on reconnaît ou comprend mieux les problèmes, on s'efforce de satisfaire les besoins de la collectivité et on prend des décisions qui ne font pas toujours l'unanimité.

Les réponses données par les membres des collectivités laissent voir que, selon eux, la guérison commence lorsqu'une ou plusieurs personnes reconnaissent l'existence d'un problème et prennent des mesures pour changer l'aspect de leur vie qui les a fait souffrir ainsi que leur collectivité. Ces répondants ont décelé certains facteurs qui préparent une collectivité au changement et ils commencent à concevoir des activités qui favorisent ce changement.

Parmi ces facteurs, on retrouve l'expérience, la conscience d'avoir perdu l'estime de soi et le sentiment de sa valeur personnelle, «l'affaiblissement de l'esprit», la perte de son identité culturelle ou de ses racines, l'absence de vision ou d'objectifs, le fait de ne pas comprendre le fonctionnement des systèmes et la façon d'utiliser les ressources pour satisfaire plus efficacement ses besoins. Même si cette liste n'est pas exhaustive, elle constitue un point de référence pour les personnes qui veulent concevoir des activités liées directement au problème ou visant à susciter des changements.

Les réponses obtenues montrent la diversité des événements qui ont provoqué l'enclenchement du processus de guérison. Ici encore, on constate que les personnes résidant dans la même collectivité ne sont pas toutes d'accord sur le moment où la collectivité a commencé sa guérison, non plus que sur la façon dont cela s'est amorcé.

Dans une des collectivités, le changement est survenu lorsqu'on a obtenu du financement pour établir un programme communautaire de prévention de la toxicomanie dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les autochtones (PNLAADA), une initiative de Santé Canada. Comme l'a souligné un membre de cette collectivité :

On a invité les répondants à mentionner les types d'activités ou de programmes qui, à leur avis, avaient contribué à la guérison dans leur collectivité. Lorsqu'on leur a demandé si ces programmes visaient un groupe ou un segment particulier de la collectivité, la plupart d'entre eux ont répondu qu'ils s'adressaient à tous, bien que certains visaient plus particulièrement les hommes ou les femmes ou un certain groupe d'âge. Cependant, les participants ont précisé que la plupart des programmes ou activités visant un groupe particulier rejoignaient aussi d'autres groupes, directement ou indirectement.

ACTIVITÉS FAVORISANT LE CHANGEMENT

Voici quelques‑unes des activités de guérison décrites par les participants :

BÂTIR À PARTIR DE CE QUI EXISTE DÉJÀ

Un des répondants a révélé comment les membres de la collectivité et les personnes de l'extérieur peuvent se rendre compte qu'une collectivité a besoin de suivre un processus de guérison et où ce processus devrait commencer :

« Quelles que soient les conditions qui existent au sein d'une collectivité, ce sont les enfants qui les expriment le mieux; ainsi lorsqu'on va dans une collectivité, on n'a qu'à observer les enfants. »

Souvent, on ne tient pas compte des idées des jeunes parce qu'on considère qu'ils sont égocentriques, qu'ils s'apitoient sur eux-mêmes et qu'ils sont la cause de bien des problèmes dans la collectivité. Or, les jeunes font partie de la collectivité et ils perçoivent souvent les mêmes problèmes que les adultes. Ils arrivent souvent aux mêmes approches ou à des approches semblables pour s'attaquer à ces problèmes. Si on examine les listes d'activités de guérison proposées par les jeunes qui ont été interrogés dans le cadre de la présente étude, il semble clair qu'ils partagent souvent les opinions des adultes sur les moyens d'améliorer l'esprit communautaire. Voici certaines des activités qu'ils ont proposées :

Lorsqu'on a demandé aux jeunes de nommer des groupes qui pourraient favoriser le processus de guérison, un groupe de jeunes a mentionné que les groupes suivants étaient essentiels à l'amélioration ou au maintien de la guérison au sein de leur collectivité :

Comme on l'a mentionné dans le chapitre précédent, bien souvent les gens ne voient pas les solutions évidentes et recherchent des façons innovatrices de résoudre les problèmes de leur collectivité. Voici par exemple ce qu'a déclaré un des jeunes répondants :                     

Des initiatives de «guérison» de ce genre existent dans les collectivités depuis assez longtemps. Les programmes comme les cercles pour les jeunes sont des activités récréatives structurées qui visent à affiner les aptitudes de socialisation des jeunes, à développer leur coordination, à leur faire découvrir leurs valeurs et leurs croyances et à leur donner un sentiment d'appartenance en leur laissant le choix de participer. En pratique, ces programmes transmettent les valeurs et les normes fixées par les collectivités, par exemple en insistant sur le fait que consommer de l'alcool n'est ni acceptable ni «cool» et en leur montrant une autre forme de divertissement qui est acceptable.

Bien des collectivités ne s'attribuent pas le mérite de ce qu'elles ont ou de ce qu'elle ont accompli. Elles pensent ‑ ou on leur a dit ‑ qu'elles doivent trouver de nouvelles façons d'aborder les problèmes, alors qu'il suffit souvent d'utiliser des moyens simples et pratiques ou de renforcer les ressources qui existent déjà dans la collectivité.

Un autre élément intéressant du projet, c'est qu'on a demandé aux collectivités de mentionner ce qu'elles possèdent et ce qu'elles ont accompli. Les répondants ont donc pu réfléchir aux programmes qui marchent bien et aux réalisations déjà accomplies.

Toutes les activités qui sont mentionnées dans le présent chapitre favorisent le processus de guérison au sein des collectivités. Lorsqu'une collectivité amorce un processus de guérison et constate les résultats positifs des activités qu'elle a entreprises, elle peut ‑ et elle le désire ‑ organiser d'autres activités. Il s'agit là d'une étape très importante. Une fois qu'une collectivité s'engage dans un processus de guérison, au rythme qu'elle a déterminé elle‑même, il est capital qu'elle ne rencontre pas d'obstacles inutiles qui pourraient nuire à la poursuite du processus.

CHAPITRE VII. LA GUÉRISON COMMUNAUTAIRE : VICTIMES ET DÉLINQUANTS

S'ils sont intégrés au processus de guérison communautaire, les délinquants éprouvent une forte envie de changer de comportement, et les victimes triomphent de leur peur des autres et passent plus de temps au sein de la collectivité.

Jeune autochtone

Nous avons vu que la guérison touche pratiquement tous les aspects des collectivités autochtones. Toutefois, elle présente un intérêt particulier en ce qui concerne les activités criminelles et la façon dont la société fait face à la criminalité.

Les Autochtones, tout comme les autres Canadiens, ont exprimé des préoccupations quant au fonctionnement du système de justice pénale. Les critiques les plus fréquemment exprimées sont qu'il ne réussit pas à prévenir la criminalité ou la récidive, qu'il est trop lent, qu'il est trop clément (ou trop sévère!) et qu'il prend tout en charge, empêchant ainsi la victime de s'exprimer, le délinquant d'accepter la responsabilité de ses actes, et la collectivité de s'occuper de ses propres problèmes. On dit aussi qu'il est trop axé sur le délinquant (ou trop axé sur la victime!) et, enfin, qu'il punit l'acte criminel, mais qu'il ne traite pas le délinquant, ne s'attaque pas aux causes sous-jacentes du problème et ne prévoit pas de réparation.

Lorsqu'on a demandé aux participants à l'étude d'expliquer comment la «guérison» est liée aux victimes et aux délinquants, ils ont décrit une forme de justice communautaire qui, à leur avis, permettrait de corriger, en partie du moins, les défauts du système de justice pénale. Pour les participants, la «guérison» est un concept qui correspond à une réponse idéale de la collectivité face au crime. Dans le présent chapitre, nous examinerons comment un modèle de justice communautaire fondé sur la guérison pourrait fonctionner et comment ce modèle est déjà utilisé dans certaines collectivités.

Pour notre étude, nous avons demandé aux participants d'exprimer leur opinion sur les victimes et les auteurs d'infractions criminelles contre la personne ou contre les biens. Étant donné que, dans la plupart des collectivités, l'attention se concentre actuellement sur les victimes de violence sexuelle et les délinquants sexuels, de nombreux commentaires portent sur ce genre de problèmes. Toutefois, ils pourraient s'appliquer à la plupart des activités criminelles.

TRAVAILLER AUPRÈS DES VICTIMES ET DES DÉLINQUANTS

Ce qui est peut-être le plus important, c'est que la plupart des personnes interrogées estiment que, lorsque l'activité criminelle constitue l'une des principales causes de souffrance, le processus de guérison communautaire doit s'adresser à la fois à la victime et au délinquant. Dans tout modèle de justice communautaire fondé sur la guérison, il faut d'abord et avant tout reconnaître que le délinquant et la victime font tous deux partie de la même collectivité. Chacun fait également partie d'une famille. Tout ce qui touche le délinquant et la victime touche aussi leur famille ainsi que l'ensemble de la collectivité. Les collectivités engagées dans un processus de guérison considèrent que le délinquant fait partie intégrante de la collectivité, quels que soient les actes qu'on lui reproche. On estime qu'il incombe à la collectivité de se pencher sur les actes commis par le délinquant et de s'attaquer aux causes profondes de son comportement criminel.

Lorsqu'il est utilisé par les peuples autochtones, le terme «collectivité» est très large. Quand on dit que la collectivité offre au délinquant une solution de rechange à l'incarcération, la collectivité par définition peut souvent inclure la victime et le délinquant et leurs familles respectives, ainsi que tous ceux qui estiment avoir un rôle à jouer dans le processus.

Les collectivités autochtones reconnaissent que la victime et le délinquant ressentent de la souffrance et que, sans minimiser l'importance de la protection et des besoins spéciaux de la victime, il faut tenir compte de la souffrance vécue par les deux parties.

Le traitement de la personne ne constitue donc qu'une partie du processus, même si la guérison doit commencer à l'intérieur de l'individu. La guérison doit s'effectuer de façon holistique, qu'elle soit individuelle ou collective. Autrement dit, la guérison peut se faire chez l'individu, au sein de la famille ou de la collectivité ou aux trois niveaux simultanément. L'objectif ultime de la guérison consiste à apporter des changements au sein de la famille, étendue ou immédiate, et de toute la collectivité.

Les membres des collectivités ont souligné qu'il est essentiel de dispenser des soins et des traitements de qualité aux victimes, aux délinquants et à leurs familles, si l'on veut briser le cycle de la violence. L'entrevue la plus éprouvante a été réalisée auprès d'une adolescente de quinze ans qui a révélé qu'elle était à la fois victime et délinquante. C'est à cause d'expériences comme la sienne qu'on constate qu'il est nécessaire d'inclure à la fois les victimes et les délinquants dans le processus de guérison si on veut rompre le cycle et réduire le nombre d'agressions ou de viols.

QUESTIONS RELATIVES AUX PROGRAMMES

Les commentaires qui suivent reflètent les idées et les opinions qui ont été émises sur la façon dont fonctionne le processus de guérison communautaire et expliquent pourquoi cette option présente tant de chances de succès. Comme dans les autres parties du rapport, nous avons regroupé les commentaires sous des rubriques «thématiques» pour aider le lecteur à comprendre les points essentiels de cette approche.

TRAITEMENT DU DÉLINQUANT

Pour la plupart des gens, la prison n'est pas un milieu propice à la guérison, puisque rien n'y est fait pour recréer un équilibre entre la victime et le délinquant. Cette opinion est partagée par les membres de toutes les collectivités qui ont pris part à l'étude et pourrait bien refléter non seulement une valeur culturelle profonde, mais aussi le fait que la plupart des délinquants ont été ou sont encore des victimes.

Les activités de guérison, en tant que solutions de rechange à l'incarcération et à d'autres aspects du système de justice de la société dominante, sont jugées plus efficaces, puisqu'elles permettent de s'attaquer aux causes du comportement du délinquant et d'agir plus rapidement et plus directement.

Lorsqu'on a demandé aux répondants s'ils préféraient les programmes de traitement offerts aux délinquants dans la collectivité ou la solution de l'incarcération, ils ont opté pour les programmes élaborés par les collectivités et dispensés au sein des collectivités. L'incarcération est considérée comme une option, mais, dans la plupart des cas, comme une solution de dernier recours. Voici ce qu'a dit un des jeunes à ce propos :

D'autres participants ont exprimé la même opinion, à savoir que les programmes de guérison communautaires sont plus efficaces pour traiter les délinquants :

TROUVER LE JUSTE MILIEU ENTRE L'INDULGENCE ET LA SÉVÉRITÉ

Nous avons mentionné précédemment que de nombreux Canadiens estiment que le système de justice pénale est soit «trop clément» soit «trop sévère». Certains pensent qu'il est à la fois trop clément et trop sévère en ce sens qu'il punit sévèrement certains délinquants et ne fait rien du tout pour prévenir le crime ou pour obliger la majorité des délinquants à trouver des solutions à leurs problèmes ou à reconnaître les torts qu'ils ont causés à leurs victimes. Selon les participants à l'étude, une approche fondée sur la guérison a des chances de restaurer un bon équilibre chez tous ceux qui sont touchés - le délinquant, la victime et la collectivité.

PROTECTION DES VICTIMES

Dans l'esprit des Autochtones, les questions parfois conflictuelles de la protection et du soutien à assurer aux victimes demeurent de première importance dans le processus de guérison. La question qui se pose tant aux collectivités autochtones qu'aux autres collectivités est celle-ci : Comment une collectivité peut‑elle protéger physiquement les victimes, particulièrement si on opte pour un programme de traitement communautaire, tout en accordant une place importante à la réconciliation des victimes et des délinquants?

Durant les entrevues, la question de la protection des victimes a été soulevée. Même si les commentaires formulés par les membres des collectivités ne portaient pas particulièrement sur la façon dont une collectivité protège physiquement les victimes, ils appuyaient l'idée que le maintien des gens dans la collectivité favorise la participation des familles et permet aux victimes et aux délinquants de se sentir soutenus.

Comme on pouvait s'y attendre, les répondants ont également fait remarquer que le système de justice pénale ne réussit pas souvent à soutenir et à protéger les victimes et leur famille. Les comptes rendus donnés par deux victimes, bien que témoignant de perceptions différentes, rappelleront au lecteur que la responsabilité de la protection des victimes et de leur famille incombe à la société, y compris au système de justice pénale et aux systèmes ou programmes qui sont créés pour le compléter.

ASSUMER SES RESPONSABILITÉS ... PRENDRE LES CHOSES EN MAINS

De nombreux participants ont exprimé l'opinion que l'approche de la guérison communautaire est en fait «plus dure» pour les délinquants que ne l'est l'incarcération parce qu'il est difficile et pénible de reconnaître publiquement sa culpabilité. L'incarcération peut simplement inciter le délinquant à extérioriser ses sentiments et à fixer son attention sur l'injustice du système correctionnel :

L'approche de la guérison communautaire vise souvent à inciter le délinquant à reconnaître ouvertement sa responsabilité devant la collectivité :

Nous avons dit que la collectivité doit prendre la responsabilité de sa guérison, mais l'individu doit aussi assumer la responsabilité de ses actes et de ses sentiments, comme l'exprime un participant qui parle de l'expérience entre une victime et un délinquant, lui‑même victimisé durant l'enfance :

Cette personne, en parlant d'assumer la responsabilité de ses actes, ne veut pas dire que les victimes doivent se sentir responsables de l'agression qu'elles ont subie. Prendre la responsabilité, pour une victime ou un délinquant, signifie plutôt devenir maître de ses sentiments. Le fait de décider comment elle veut gérer ses sentiments peut faire qu'une personne reprendra sa vie en main, ce qui la protégera contre toute nouvelle victimisation. Voici deux commentaires à ce propos :

SOUTIEN COMMUNAUTAIRE POUR LES VICTIMES ET LES DÉLINQUANTS

Le personnel des services correctionnels sait qu'un des plus grands obstacles au succès de la réintégration des délinquants est l'isolement social et le manque de soutien pro‑social dans la collectivité. Ironiquement, il est fréquent que les victimes se sentent isolées, tout d'abord à cause de la victimisation et ensuite à cause des méthodes du système de justice pénale. Les personnes qui ont participé à notre étude considèrent qu'il est essentiel que la collectivité aide à la fois le délinquant et la victime, selon un modèle fondé sur la guérison.

RESTAURER L'ÉQUILIBRE ET DONNER À LA COLLECTIVITÉ LE POUVOIR DE DÉCIDER

Enfin, on considère qu'une approche fondée sur la guérison est bénéfique à l'ensemble de la collectivité. Restaurer l'équilibre entre la victime et le délinquant permet de restaurer l'équilibre dans toute la collectivité. Ce qui est plus important encore, peut‑être, c'est que le processus dans son intégralité démontre à la collectivité qu'elle peut élaborer et mettre en oeuvre ses propres solutions.

Au cours des entrevues, les participants ont dit que les Autochtones pensent généralement que tout le monde est foncièrement bon. Le système de justice occidental, fondé sur le châtiment, n'offre pas aux délinquants la possibilité d'apprendre comment se comporter et ne permet pas de rétablir l'équilibre des choses. Dans le cadre de l'enseignement traditionnel autochtone, les gens ont appris comment se comporter avec leur famille pour y faire régner l'harmonie et l'équilibre. Une personne fait toujours partie d'une collectivité. Comme on l'a déjà dit, bien souvent la guérison dans la collectivité suppose un retour aux enseignements et aux valeurs qui mettent en lumière les bons côtés de l'être humain et mettent l'accent sur la nécessité de préserver l'harmonie chez les personnes, au sein de la famille et de la collectivité. La réaffirmation de ces valeurs permet tant aux victimes qu'aux délinquants de trouver des solutions à leurs problèmes et d'être soutenus dans les changements qu'ils veulent faire. Une partie de ce soutien s'appuie sur les pratiques culturelles et sur la suppression des plaisanteries et des remarques désobligeantes.

Dans la collectivité, il est plus facile d'insister sur la résolution et le dédommagement. On accroît ainsi l'estime de soi et le sentiment de valeur personnelle de la victime et du délinquant, qui se sentent de nouveau membres de la collectivité. Comme l'ont dit deux délinquants de la même collectivité :

Lorsqu'on lui a posé la question au sujet de la manière dont une collectivité traite les victimes et les délinquants dans le contexte de la guérison, un Aîné a fait la déclaration suivante, en demandant qu'elle figure textuellement dans le rapport :

CHAPITRE VIII. DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE ET PROCESSUS DE GUÉRISON

Notre guérison dépend en grande partie de la reconnaissance de nos forces et de la reprise en main de notre destinée grâce au développement de nos collectivités.

Un peu plus tôt dans le présent rapport, nous nous sommes demandé si la guérison, dans un contexte autochtone, peut être considérée comme une conséquence normale du développement communautaire. D'après les tendances et les orientations qui ont été décrites dans le rapport, il semblerait que oui. Cela dit, on peut se demander si le processus de développement communautaire est le concept auquel les collectivités autochtones et le gouvernement font allusion lorsqu'ils parlent de guérison.

Dans le présent chapitre, on cherchera à examiner en détail les aspects communs à la guérison et au développement communautaire; en outre, on verra qu'il deviendra peut‑être nécessaire de trouver de nouvelles façons d'évaluer ou de mesurer l'incidence d'une approche plus holistique et évolutive.

DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE ET GUÉRISON : LANGAGE COMMUN, ÉLÉMENTS COMMUNS

Le développement communautaire est un processus d'action communautaire. Il repose sur la capacité de la collectivité de s'organiser, de se fixer des priorités, de planifier et de mettre en oeuvre des mesures pour régler une question ou faire face à un problème qui a été soulevé par ses membres. En vertu de cette approche, on accorde plus d'importance aux gens qu'aux projets. Autrement dit, pour qu'on ait des collectivités saines, il faut que les gens aient la capacité et la possibilité de travailler ensemble pour prendre des décisions et des mesures à propos de problèmes ou de questions qui sont importants pour eux.

Selon l'approche du développement communautaire, les membres de la collectivité ont à trouver les ressources nécessaires pour régler leurs problèmes. Ils sont motivés à agir, à apprendre à résoudre les problèmes et à travailler en collaboration. Le développement communautaire offre des choix à une collectivité en supprimant les obstacles qui nuisent à l'expression de la volonté et de la valeur personnelle. De même, les activités de guérison ouvrent la porte à un certain nombre de choix en raison des différents problèmes ou questions qui sont associés à la nécessité de guérir. Dans toutes les définitions de la «guérison», on retrouve un élément commun : «améliorer quelque chose» ou «résoudre un problème». Si quelqu'un est en déséquilibre ou que quelque chose ne fonctionne pas bien, la confiance et l'estime de soi sont compromises.

RÔLE DE LA COLLECTIVITÉ ET RÔLE DES INTERVENANTS DE L'EXTÉRIEUR

Des personnes venant de l'extérieur d'une collectivité peuvent jouer un rôle non négligeable dans le processus de développement communautaire; toutefois, pour obtenir des résultats satisfaisants, la collectivité doit conserver le contrôle de la situation. Les organismes ou groupes d'intérêt extérieurs qui veulent soutenir les initiatives de développement communautaire doivent essentiellement :

Comme l'a déclaré un participant :

Tout au long du présent rapport, nous avons laissé entendre que le processus de résolution des problèmes s'amorce à l'intérieur de la collectivité et que les dirigeants de la collectivité doivent jouer un rôle primordial en faisant la promotion des initiatives de guérison auprès des gouvernements et des autres ressources extérieures et en leur faisant comprendre la nécessité d'agir de façon holistique.

Comme l'a fait remarquer un employé du gouvernement :

Ainsi, les collectivités autochtones qui s'attaquent aux problèmes de l'alcoolisme et de la toxicomanie considèrent que la solution à ces problèmes se rattache à de nombreux aspects de la collectivité, dont l'éducation, la santé, l'économie, les services sociaux, la justice, la langue et la culture, la spiritualité. Ces aspects, sauf la spiritualité, sont la responsabilité de différents ministères des gouvernements fédéral ou provinciaux ou des deux paliers de gouvernement. Par conséquent, les collectivités qui veulent lutter contre ces problèmes doivent souvent s'y attaquer de façon fragmentée si elles veulent obtenir des subventions gouvernementales. Cette façon de procéder s'est malheureusement révélée inefficace. Les collectivités n'ont pas vraiment la possibilité de réunir tous ces éléments et de régler le problème selon une approche holistique en fonction des besoins de la collectivité.

Un membre d'une collectivité a résumé les répercussions de ces politiques et mandats des gouvernements en ces termes :

MESURE DU CHANGEMENT

Le développement communautaire et la guérison, lorsqu'ils sont réussis, sont des processus profonds et complexes dont les répercussions sont difficiles à «mesurer» en termes concrets, surtout au début. Néanmoins, il est nécessaire et souhaitable de les mesurer de temps en temps; il est donc important d'aborder la question de la mesure des changements. On peut bien entendu espérer que le processus qui consiste à mesurer les changements et à évaluer la façon dont ils s'opèrent aidera chacun à mieux comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Afin de déterminer les effets du développement communautaire, par rapport aux aspects associés au processus de guérison, nous avons demandé aux participants de préciser comment leur collectivité avait été touchée par les activités de guérison entreprises. L'élément commun à toutes les réponses était qu'un changement positif s'était opéré dans chaque collectivité grâce aux initiatives communautaires qui avaient été organisées et dirigées par la collectivité.

Un des participants a décrit comment le changement a eu lieu et comment on peut le mesurer :

Lorsqu'on mesure le changement par «le chemin parcouru», il faut reconnaître l'importance ou la signification des petites étapes du cheminement, et non uniquement des grandes étapes. Nous avons tous tendance à chercher les changements importants ou les événements marquants, et nous négligeons les événements ou les changements plus subtils qui peuvent avoir un effet plus permanent et durable. Comprendre et reconnaître ce qu'a été le passé d'un individu, d'une famille ou d'une collectivité sont des éléments déterminants qui permettent d'évaluer les changements qui se sont opérés par la suite. La clé pour mesurer l'ampleur du changement ou le succès de la guérison dans une collectivité, c'est de reconnaître et de prendre en considération tous les progrès, grands et petits, réalisés par les individus, les familles et la collectivité.

Certains participants ont mesuré les retombées des initiatives de développement communautaire en évaluant les changements qui se sont opérés dans les individus et dans leurs relations avec les autres au sein de la collectivité. On peut constater ces changements quand on regarde les progrès accomplis par les individus sur le plan de la croissance personnelle et l'influence que les membres de la collectivité ont commencé à exercer les uns sur les autres grâce à une plus grande participation aux ateliers et aux activités communautaires :

Il est bien naturel que les gens désirent voir s'opérer des changements rapidement. Pourtant, comme dans l'exemple de la perte de poids, il a été prouvé que les effets durent plus longtemps si le processus est graduel et se déroule au prix de gros efforts. Autrement dit, si on perd du poids rapidement, on le reprend en général rapidement.

Tel est souvent le cas pour les changements dans la collectivité. Comme on obtient les résultats les plus durables lorsque le processus est intentionnel et réfléchi, les changements apparents sont souvent très subtils au début. En fait, on ne les reconnaît parfois qu'à un stade avancé du processus, au moment où ils apparaissent comme des changements soudains. Les Autochtones et les gouvernements doivent donc résister à la tentation de se déclarer vaincus ou d'abandonner lorsque aucun résultat immédiat n'est apparent ou ne peut être mesuré par les moyens habituels.

Les participants à la présente étude ont reconnu que, parfois, ils ne «voient» pas les répercussions de ce genre d'initiatives, mais qu'ils ont plutôt l'impression que les choses progressent trop lentement. En général, on ne fait pas le bilan des choses qui ont changé à moins qu'on ne nous le demande. Certains participants ont été capables de décrire le changement facilement. D'autres ont dû y réfléchir un peu avant de donner une réponse. D'autres enfin ont été inspirés par les exemples que leur a donnés la coordonnatrice du projet, qui leur a cité des événements perçus comme des facteurs contribuant au changement au sein d'une collectivité.

Au cours des nombreuses visites qu'elle a rendues à ces collectivités dans les dix dernières années, la coordonnatrice du projet a été en mesure de constater l'importance des changements qui ont eu lieu. Dans les collectivités et les environs, on sent une fierté et une confiance qui n'étaient pas évidentes auparavant.

Comme on l'a déjà mentionné, le changement est souvent subtil. Cependant, on peut le mesurer, comme l'a suggéré un participant, en observant le comportement des chiens qui vivent dans la collectivité. Dans une des collectivités où on a vécu le processus de guérison, les chiens se promènent en agitant la queue, la tête haute, et ils sont en général très gentils les uns envers les autres. Bien que cet exemple ne semble pas significatif, certains le considèrent comme une mesure très exacte du changement positif qui s'est opéré au sein des collectivités, en particulier certaines personnes qui ont participé à l'étude.

Nous avions observé au cours de visites précédentes dans cette même collectivité, avant le début du processus de guérison, que les chiens passaient leur temps à se battre les uns contre les autres et à se voler de la nourriture. Même leur apparence laissait à désirer. En fait, les membres de la collectivité et les visiteurs hésitaient souvent à sortir de leur voiture de peur de se faire attaquer par les chiens.

La guérison n'a pas lieu en même temps ni au même rythme pour tous les membres d'une collectivité. Il ne faut pas attendre d'observer le même processus ou le même rythme de changement chez tous les individus pour dire qu'il y a effectivement des changements qui se déroulent dans la collectivité. Il est important de reconnaître le mouvement vers le changement, ainsi que le changement réel, qu'il soit minime ou important.

Mesurer les effets du processus de guérison dans les collectivités n'est pas chose facile, ce qui confirme que le changement et la guérison sont avant tout des expériences très personnalisées. Ils se produisent à divers moments et peuvent être décrits ou perçus de bien des façons.

Le processus holistique de guérison nous oblige à remettre en question l'efficacité de nombreux outils normalisés qui sont conçus pour mesurer ou évaluer les programmes ou les projets; on se demande comment interpréter de l'information subjective par l'utilisation de moyens objectifs. En outre, on s'interroge sur l'efficacité de ces outils pour mesurer le changement dans les collectivités où les pratiques traditionnelles font partie intégrante du processus.

Un fonctionnaire a formulé le commentaire suivant :

D'autres participants ont proposé leurs propres mesures d'évaluation du processus de guérison dans un style lapidaire :

LES JEUNES ET LEURS OUTILS DE MESURE

Comme on l'a mentionné plus tôt, les commentaires formulés par les jeunes sont souvent les plus rigoureux; pourtant, très souvent, on leur accorde moins de crédibilité qu'à ceux qui sont exprimés par les adultes. Cependant, lorsqu'on écoute les jeunes, on constate qu'ils peuvent être aussi structurés à leur manière que les adultes et les Aînés, et qu'ils peuvent faire montre de profondeur dans leur compréhension du processus de guérison. Cela est probablement dû au fait que les jeunes vivent les mêmes souffrances que les adultes lorsqu'ils amorcent finalement le processus de guérison. Non seulement ils souffrent, mais le rythme auquel le changement s'opère dans leur vie et la complexité de leur vie sont sans commune mesure avec ce que vivent les personnes des autres générations.

PRENDRE LE PROBLÈME EN MAIN ... TROUVER LA SOLUTION

La prise de conscience de sa valeur personnelle tient une place essentielle parmi les éléments qui contribuent au changement dans une collectivité. Un des effets qui en découle est que les individus, les familles et les collectivités commencent à prendre la responsabilité de leurs actes. Ils se sentent plus concernés et plus responsables de leurs actes envers eux‑mêmes et envers les autres. Une façon de renforcer le sentiment qu'ils sont les artisans de leur propre changement est d'amener des membres de la collectivité «élargie» à participer au processus de consultation.  Cela a pour effet d'étendre le réseau et de trouver de meilleures occasions de trouver des solutions.  En résumé, la collectivité demeure ainsi responsable de son développement. Les réponses de trois participants corroborent ce raisonnement :

Dans le présent chapitre, nous avons tenté d'examiner certains des aspects sous lesquels la guérison peut être considérée comme un processus de développement communautaire. Pour élaborer un langage commun et définir le rôle du gouvernement dans la guérison des collectivités autochtones, notre plus grande force réside peut‑être dans notre capacité de reconnaître nos ressemblances plutôt que nos différences.

Une récente déclaration faite par le chef Leonard George de la bande indienne de Burrard lors de l'assermentation de «néo‑Canadiens» permet de mieux saisir ce concept :

CHAPITRE IX. QUEL RÔLE LE GOUVERNEMENT DOIT-IL JOUER ET DE QUELLE MANIÈRE?

La guérison a toujours eu lieu, mais ce n'est que récemment qu'elle est devenue visible. Aujourd'hui, on voudrait pouvoir dire exactement comment la guérison a commencé. Or, elle a commencé il y a bien longtemps, lorsque nos Aînés nous ont prédit l'avenir en s'inspirant de nos prophéties. Le processus de guérison a donc toujours été présent, mais il n'était pas apparent chez nombre d'entre nous qui étions enlisés dans nos problèmes, en train de nous détruire, rongés par la souffrance et l'apitoiement sur nous‑mêmes. Ce n'est que maintenant que la guérison commence à être vraiment visible.

Dans le présent chapitre, nous examinerons de plus près le rôle que peuvent jouer les gouvernements non autochtones dans la guérison et le développement des collectivités autochtones. On peut se poser la question suivante : «Comment les ministères peuvent‑ils donner des mandats ou élaborer des politiques souples qui permettraient d'appuyer les initiatives de guérison de façon plus complète, holistique, tout en maintenant une certaine forme d'organisation pour s'attaquer à chacun des problèmes à l'échelle nationale ou provinciale? »

Il est probablement justifié de supposer que l'absence actuelle de cohérence entre les mandats du gouvernement et les besoins des collectivités n'entrait pas dans les objectifs originaux des politiques gouvernementales. Qu'est-ce qui empêche le gouvernement de traduire ses intentions dans des actions concrètes? Quels sont les obstacles qui empêchent d'atteindre des objectifs qui visent à rendre les collectivités plus saines et plus sûres?

Pour que les gouvernements puissent satisfaire leur désir d'aider les collectivités dans leur processus de guérison, il faut que les initiatives gouvernementales reprennent les principes et les éléments sur lesquels repose le succès du développement communautaire. C'est une condition essentielle qui permettra aux gouvernements d'être plus attentifs aux efforts déployés par les collectivités, et, ce faisant, de bien remplir ses propres mandats.

Dans les pages qui vont suivre, on verra que les Autochtones, tout comme les fonctionnaires, envisagent un certain nombre de rôles que peut jouer le gouvernement. Ces divers rôles concernent la défense des droits, le partenariat, le soutien, l'assistance technique et ainsi de suite. Indépendamment du rôle que les gouvernements joueront en fin de compte dans les processus de guérison communautaire il y a un protocole ou un ensemble de principes qu'ils devraient reconnaître et auxquels ils devraient adhérer dans toute relation avec les collectivités, et particulièrement en ce qui a trait au développement communautaire. Voici ces principes :

Selon ces principes, les gouvernements pourraient jouer un rôle qui s'apparente à celui d'un défenseur des droits; ils travailleraient avec la collectivité pour l'encourager, l'appuyer et mettre à sa disposition l'assistance technique et l'information dont elle a besoin. Cela suppose donc que les intervenants de l'extérieur donnent l'exemple en faisant montre d'un style de leadership qui appuie l'approche fondamentale du développement communautaire.

NÉCESSITÉ DE RECONNAÎTRE LES DIFFÉRENCES DANS LES PERCEPTIONS FONDAMENTALES

Dans son ouvrage God Is Red, Vine Deloria Jr. soutient que le facteur fondamental qui empêche souvent les Autochtones et les non‑Autochtones de communiquer entre eux est qu'ils ont deux perceptions entièrement différentes du monde. La différence fondamentale réside dans la perception de ce qui est objectif et de ce qui est subjectif.

Dans ses études comparatives sur les peuples autochtones et la société occidentale, Carl Jung soutient que les deux peuples vivent sur la même planète et connaissent, à bien des égards, des expériences semblables dans leur vie quotidienne, qu'ils parlent des mêmes événements ou réalités externes; ce qui les distingue fondamentalement, c'est que les Autochtones ne font pas de différence entre ce qui est subjectif et ce qui est objectif, ni entre l'aspect spirituel et l'aspect matériel. À titre d'exemple, les Autochtones considèrent la terre comme un «sujet», et non comme un «objet».

L'identité sociale des peuples autochtones - leur économie, leur structure sociale, leur culture politique et leur religion ‑ est liée à la terre. Ainsi, les Autochtones conçoivent l'existence ou la vie comme un processus holistique; pour eux, il s'agit de «ne faire qu'un» avec la terre. Pour eux encore, l'amélioration de la qualité de vie passe nécessairement par l'épanouissement de l'être humain, tandis que pour les non‑Autochtones, l'amélioration de la qualité de vie est généralement liée à la croissance économique, qui équivaut le plus souvent à l'exploitation des ressources naturelles.

Les différences entre les collectivités autochtones et les organismes gouvernementaux dans leur approche ou leur définition du processus de guérison trouvent leurs racines dans les explications qui ont été données dans les chapitres précédents. Une bonne illustration de ces différences a été présentée au chapitre III par un membre non autochtone de la GRC. Selon cette personne, la société occidentale décrit la guérison comme la réparation d'un dommage physique, ce qui constitue une vision «objective» du processus de guérison. En revanche, selon cette même personne, les Autochtones considèrent que le processus de guérison englobe les éléments spirituel, physique, psychologique et émotif de la vie humaine; c'est une notion qu'on ne peut qualifier de «subjective» ni d'«objective». En fait, tout au long de l'étude, les réponses données par les participants ont continuellement illustré ce phénomène.

Une autre caractéristique qui différencie souvent les Autochtones de la société occidentale est l'importance que les premiers attachent à l'apprentissage par la pratique. Cette forme d'apprentissage repose sur l'acquisition de la sagesse plutôt que sur l'acquisition de connaissances et sur l'imitation d'un modèle plutôt que sur le «façonnage». Bref, la nature est le grand maître en qui s'incarne le code de la bonne conduite, tandis que la vie de tous les jours donne à chaque individu un enseignement de base.

En outre, il y a le principe fondamental de l'organisation sur laquelle sont fondées les valeurs traditionnelles autochtones. En termes simples, disons que la survie est le but principal, qu'une personne peut atteindre en vivant en harmonie avec l'univers et qui, sur le plan collectif, est la responsabilité de tous les membres d'un groupe. Cette responsabilité collective se traduit par les interactions de tous les membres du groupe qui sont fondées sur le principe de la mise en commun des habiletés, des talents et des ressources au profit du groupe.

On estime que ce concept de vie des Autochtones n'est pas totalement étranger à la société occidentale si les principes fondamentaux du développement communautaire sont mis en application. Le processus de développement communautaire a été élaboré par des auteurs occidentaux à la lumière des principes utilisés par les sociétés autochtones. Ces principes, qui consistent à travailler en collaboration, à maximiser l'utilisation des ressources personnelles et à prendre la responsabilité en tant que collectivité de reconnaître les problèmes et de les résoudre, s'appliquent tous au principe de l'organisation des sociétés autochtones.

COMMENT DOIT S'EFFECTUER LE TRAVAIL DES GOUVERNEMENTS AUPRÈS DES COLLECTIVITÉS AUTOCHTONES?

Est-il possible de créer une langue de communication entre les collectivités autochtones et les gouvernements qui pourrait être utilisée pour définir les rôles et les responsabilités des deux parties dans le processus de guérison? Est-il possible d'en arriver à une entente sur les facteurs qui sont liés à la préparation des collectivités et sur les stratégies et les activités propres au processus de guérison?

À cet égard, nous avons demandé aux participants de décrire le rôle que jouent les gouvernements dans le processus de guérison des collectivités autochtones. Nous nous attendions à ce que les gens nous parlent le plus souvent de financement, mais ils ont plutôt fait des suggestions quant au rôle que le gouvernement pourrait jouer à l'avenir.

Fait intéressant, nous avons recueilli au moins autant de suggestions sur la façon dont le gouvernement devrait procéder et sur les choses qu'il ne devrait pas faire que sur les initiatives qu'il devrait entreprendre. Ces réponses laissent supposer que la plus importante contribution gouvernementale ne devrait peut‑être pas consister à injecter de grosses sommes d'argent, mais plutôt à accomplir quelque chose de plus complexe et de plus subtil. Comme l'a déclaré un membre d'une collectivité :

Ces réponses fournissent un cadre pour l'examen des diverses stratégies possibles, que nous allons passer en revue, et peuvent s'appliquer tant à la définition des rôles du gouvernement qu'à l'élaboration de politiques.

ÉCOUTER ET OBSERVER

Les participants ont tous mentionné que les gouvernements devraient apprendre à mieux comprendre les Autochtones, une bonne compréhension étant le gage de meilleures relations de travail. Pour ce faire, les représentants des gouvernements doivent écouter plus attentivement et venir se rendre compte sur place de ce qui se passe :

Écouter signifie clarifier ce qu'on lit ou entend, et non se reporter tout simplement à ce qu'on connaît ou à ce qu'on croit connaître. Les possibilités d'établir un partenariat se traduiront par la volonté d'examiner les différences qui existent dans la terminologie ou les concepts. Voici un exemple à propos du terme «pardon» :

Cet état ou ce sentiment de pardon devient un moyen de retrouver l'équilibre ou la plénitude. Il ne s'agit pas de minimiser l'expérience vécue, mais plutôt de s'en libérer pour aller de l'avant.

En ce qui concerne les activités du système de justice pénale, un autre membre d'une collectivité souligne que les termes utilisés par la société occidentale sont différents de ceux qu'utilisent les collectivités autochtones. Dans les langues autochtones, il n'existe pas de mots pour désigner le «châtiment»; en revanche, il y a des mots qui expriment le respect et la responsabilité. Une des différences fondamentales entre les deux groupes réside dans le fait qu'on ne parle pas de culpabilité chez les Autochtones. Dans la plupart des langues autochtones, la notion de culpabilité, comme on l'entend dans le système juridique canadien, n'existe tout simplement pas.

ÉTABLIR LE DIALOGUE

Écouter et observer directement vont de pair avec l'obligation de parler directement et ouvertement aux collectivités autochtones.

Un participant a proposé une stratégie précise que le gouvernement pourrait mettre en oeuvre pour établir un dialogue franc et cohérent avec les collectivités. Cette stratégie tient compte de la contrainte naturelle à laquelle sont soumis les gouvernements qui doivent s'occuper d'un pays tout entier ou de grands segments de la population.

REMETTRE EN QUESTION LES ATTITUDES

Pour améliorer la communication et la compréhension, il faut se pencher sur les attitudes et les valeurs. Nombreux sont les participants qui ont évoqué la discrimination vécue dans le passé, lorsque les collectivités autochtones sont devenues «saines» ou semblaient «trop organisées». Là encore, l'opinion et l'attitude des gouvernements à l'égard de ces initiatives auront une influence directe sur la définition et la conception des rôles et des responsabilités.

De nombreux participants ont suggéré que les fonctionnaires s'examinent personnellement afin de voir s'ils ont des craintes qui pourraient entraver le progrès.

Voici les conseils formulés par les jeunes d'une collectivité :

Un des participants a fait une introspection et a examiné ses propres attitudes. Grâce à cette expérience, il a pu constater comment les attitudes contribuent au succès ou à l'échec de nos entreprises.

Ces commentaires expriment la nécessité d'un dialogue plus fréquent qu'il ne l'est actuellement, qu'il s'agisse d'un dialogue direct ou mené par l'intermédiaire d'une tierce personne. Tous les paliers de gouvernement, y compris le chef et le conseil, doivent montrer qu'ils souhaitent et appuient la guérison, et ils doivent tous examiner leurs attitudes et leurs préoccupations face aux collectivités qui entreprennent un cheminement positif vers la guérison.

Fait intéressant, les réponses données par des membres adultes de la collectivité correspondaient aux réponses des jeunes. Un point important qui a été soulevé par un jeune est qu'il n'est pas possible de créer «un plan global».

Dans ses commentaires, un Aîné a évoqué une des nombreuses difficultés auxquelles font face les Autochtones de nos jours. Dans sa description de la situation, on constate que le respect demeure au coeur du processus de guérison. Cette description montre également jusqu'où s'étendent les partenariats entre les collectivités et les divers ministères gouvernementaux.

APPORTER DU SOUTIEN SANS S'IMPOSER

Les membres des collectivités et les fonctionnaires qui ont été interrogés s'accordent à dire que les collectivités autochtones doivent prendre en main leur propre destinée et que toutes les parties, y compris les ministres et les cadres supérieurs des gouvernements, devraient s'engager à les aider dans cette voie. Les réponses montrent à quel point le changement ne peut s'effectuer réellement que si toutes les ressources de la collectivité, particulièrement les ressources humaines, sont utilisées à leur maximum. En effet, le succès ne peut être obtenu que si la responsabilité du changement est partagée par toute la collectivité et que les efforts de tous sont respectés.

SOUPLESSE ACCRUE DANS L'EXERCICE DES MANDATS

Les participants ont insisté sur la nécessité pour les gouvernements d'être à l'écoute des collectivités autochtones et de leur accorder du soutien. On peut se demander : «comment peut‑il y arriver?» ou bien «comment peut‑il faire montre de ces qualités? »

Comme nous l'avons fait remarquer dans le chapitre précédent, les participants estiment que les gouvernements doivent se rendre compte que la façon dont leurs mandats et leurs structures de financement sont organisés peut poser un problème et entraver l'efficacité des approches de développement communautaire.

En plus de réclamer une approche plus holistique à l'égard des programmes et des subventions, les participants ont suggéré d'autres façons dont le gouvernement pourrait agir différemment.

Un fonctionnaire a expliqué comment les qualifications du personnel et les politiques ministérielles devraient refléter la volonté de travailler avec les collectivités et de les aider à se développer, si on veut que le rôle des gouvernements soit efficace. En ce qui concerne les qualifications du personnel, un participant a fait la remarque suivante :

Dans la même veine, les politiques des ministères doivent soutenir davantage le personnel si l'on veut que son travail soit réellement efficace et bénéfique.

NOUVELLES FAÇONS DE VOIR LES «RÉSULTATS» ... NOUVELLES FAÇONS DE COMMUNIQUER LES RÉSULTATS

Nous avons laissé entendre dans le chapitre précédent que les gouvernements devront réviser la façon dont ils mesurent et évaluent les programmes et les processus. Un thème qui est revenu souvent est qu'il faut être patient et attendre les résultats à long terme des initiatives complexes.

Les commentaires formulés par des fonctionnaires qui travaillent avec ou dans des collectivités autochtones laissent voir que :

Cependant, une fois qu'il est évident qu'une certaine stratégie fonctionne bien ou s'est avérée utile, il est important de le faire savoir. Un participant a suggéré que les méthodes de communication et de sensibilisation du public dont nous avons parlé plus tôt devraient être utilisées par les gouvernements.

NÉCESSITÉ D'AUGMENTER LES COMPÉTENCES

Les participants estimaient que de nombreux membres des collectivités avaient encore besoin de recevoir une formation pour acquérir les compétences nécessaires pour favoriser la guérison et le développement communautaire. On considère comme particulièrement important de former les membres des collectivités à mettre en oeuvre des initiatives plutôt que d'aller chercher des spécialistes de l'extérieur qui donneront le programme puis quitteront la collectivité en emportant avec eux toutes leurs compétences. Lorsque des spécialistes de l'extérieur viennent dans une collectivité, l'une de leurs responsabilités devrait être de transmettre certaines de leurs connaissances et compétences à la collectivité. Idéalement, ces spécialistes devraient rester dans la collectivité le moins longtemps possible.

La formation est l'occasion tout indiquée d'établir des partenariats entre le gouvernement et la collectivité et de travailler en équipe.  C'est aussi l'occasion, en ce qui concerne la prestation de services et de programmes, de s'écarter d'une façon de penser compartimentée et d'adopter une approche holistique.

RETENIR DANS LA COLLECTIVITÉ LES GENS POSSÉDANT DES COMPÉTENCES

Une fois que les gens ont acquis des compétences, il s'agit de les garder dans la collectivité. Le fait de ne pas envoyer les gens à l'extérieur de la collectivité pour la formation et la guérison peut favoriser grandement le développement communautaire global.

ÉTAPES DU PROCESSUS GOUVERNEMENTAL

Un représentant du gouvernement, qui a travaillé auprès de nombreuses collectivités autochtones, a déclaré qu'il y a plusieurs étapes importantes dans le processus que les gouvernements doivent suivre lorsque les collectivités leur demandent de les aider dans leurs initiatives de guérison.

FINANCEMENT GOUVERNEMENTAL

Comme nous l'avons déjà mentionné, les participants ont été peu nombreux à déclarer que le gouvernement devrait accorder plus de fonds. Cependant, beaucoup ont dit qu'on pourrait obtenir davantage avec les fonds investis. L'idée essentielle est que, si les gouvernements investissaient dans une approche préventive actuellement, on n'aurait pas besoin de dépenser de l'argent plus tard pour réparer les dommages. En outre, on exhorte les gouvernements à adopter des solutions à long terme, plutôt que de procéder rapidement et de façon fragmentée.

Certains participants ont une vue plus cynique de l'établissement de partenariats et de la définition des rôles. Un Autochtone travaillant dans un ministère ne pense pas, contrairement aux autres fonctionnaires qui ont été interrogés, que les initiatives de son employeur soutiennent et encouragent les Autochtones.

Un autre membre d'une collectivité nous a fait part d'une expérience similaire. Le programme dont il est question est administré par le gouvernement fédéral directement, bien que le porte‑parole soit employé par la bande :

RÔLE SUGGÉRÉ POUR LE MINISTÈRE DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL ET D'AUTRES ORGANISMES DU SECTEUR DE LA JUSTICE

Des commentaires ont été faits par les employés du gouvernement sur le rôle ou le mandat du ministère du Solliciteur général du Canada, du ministère fédéral de la Justice et des ministères provinciaux du Procureur général. Chaque commentaire présente diverses façons dont ces ministères peuvent participer au processus :

Un autre participant a mentionné que le ministère du Solliciteur général pourrait jouer un rôle d'éducation en rapprochant les diverses parties :

PRÉPARATION DES COLLECTIVITÉS : QUESTIONS QUE LES GOUVERNEMENTS POURRAIENT SE POSER

La question de «l'état de préparation», bien qu'elle soit d'une très grande importance pour l'élaboration des stratégies de changement, représente dans certains cercles l'essence même de ce qui empêche ou retarde le progrès. Comme certains participants l'ont souligné, les formalités administratives qui sont devenues les principes directeurs de l'établissement de partenariats entre le gouvernement et les collectivités, ou simplement les outils pouvant aider une collectivité à aller de l'avant, sont en fait aujourd'hui les principaux obstacles au progrès.

Les conclusions qu'on peut tirer des réponses des participants sont que les organismes de l'extérieur et les ministères peuvent jouer un rôle, en ce sens qu'ils peuvent être des agents de changement. Les gouvernements peuvent aider les collectivités en examinant comment elles veulent régler les problèmes et en appuyant les approches communautaires qui se sont avérées efficaces dans le passé. Pour leur part, les collectivités peuvent aider les gouvernements en évaluant si elles sont prêtes puisque les membres de la collectivité sont en mesure de reconnaître l'existence et l'orientation des changements dans la collectivité, soit par l'observation des faits, soit d'expérience. Le processus qui consiste à évaluer si une collectivité est prête n'a pas à être long et exhaustif.

Comme l'a dit un membre d'une collectivité à propos des systèmes interne et externe :

Ce commentaire laisse entendre, cependant, qu'il incombe aux ressources extérieures et aux ministères d'examiner la situation à l'aide d'une série de questions qui concernent directement l'élaboration de mandats et le financement de protocoles. Il pourrait notamment s'agir des questions suivantes :

DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE : AUTRES QUESTIONS QUE LES GOUVERNEMENTS POURRAIENT SE POSER

Le présent rapport a été rédigé à partir des commentaires et des observations dont les participants nous ont fait part au cours des entrevues. Ces commentaires semblent souvent contradictoires au premier abord. Il faut se rappeler que les perceptions individuelles sont aussi variées que les collectivités.

Le processus de collecte d'information permet de recueillir les opinions qu'ont les gens de la guérison selon la manière dont les questions sont posées ou selon le niveau de précision des questions. L'avantage d'une entrevue en groupe est qu'elle offre aux membres d'une collectivité l'occasion de discuter de questions dont ils n'auraient peut‑être pas autrement discuté parce que l'occasion ne se présentait pas ou parce que, lorsqu'ils se rencontrent, ils parlent d'autres choses.

Nous en avons donné des exemples dans le rapport. Au cours de l'étude, il y a eu une entrevue de groupe au cours de laquelle les personnes interrogées ont parlé de leur perception de la guérison. Dans cette entrevue, une personne a dit que la guérison avait commencé dans la collectivité parce que les gens étaient maintenant capables de parler de «violence sexuelle» et de «violence familiale», des mots qui n'étaient même pas prononcés auparavant. Après ce commentaire, d'autres personnes du groupe qui avaient dit au départ qu'il n'y avait pas eu de guérison dans leur collectivité ont modifié leurs réponses. Elles étaient maintenant d'accord que la guérison avait commencé, disant qu'elles n'avaient pas envisagé la question sous cet angle lorsqu'elles avaient donné leur première réponse. Elles avaient répondu en fonction de leur situation personnelle et non en fonction de l'ensemble de la collectivité.

Le gouvernement et les organismes extérieurs peuvent offrir de telles occasions aux collectivités. L'essentiel est que les partenariats entre les ressources extérieures et les collectivités aient un certain degré de stabilité. Les gouvernements devraient essayer d'affecter le même personnel ou les mêmes entrepreneurs dans les collectivités pour une longue période. Cela permet d'établir la confiance et de développer un style de communication et de dialogue qui est compris par toutes les parties intéressées.

Pour commencer ce processus, il faut se demander : «Comment est‑ce que je vois moi-même le développement des collectivités?» Un examen de nos propres attitudes et valeurs à propos du développement des collectivités nous aidera à définir ou clarifier comment nous pouvons participer à ce processus. La contribution ou le rôle que nous déterminons pour nous‑mêmes devient une image de nos convictions et de nos valeurs.

Dans cet esprit, nous proposons les questions suivantes :

Chapitre X. Conclusion

Notre étude a été une expérience enrichissante et stimulante, car elle nous a donné l'occasion de reprendre contact avec les collectivités, de constater les changements et les progrès réalisés et de tirer profit de la compétence de personnes qui ne sont pas souvent entendues à l'extérieur de leur collectivité. La difficulté, évidemment, a été de mettre leurs pensées, leurs sentiments et leurs idées par écrit.

Il y a beaucoup à gagner à écouter les personnes qui ont participé au projet; cependant, il y a certains points qui ressortent de leurs déclarations et que nous reprenons ici en guise de conclusion.

Un point essentiel qui ressort du rapport est la confirmation que les Autochtones ne sont pas si différents des non‑Autochtones quant aux priorités qu'ils établissent dans le but de guérir leurs collectivités afin de les rendre saines et sûres. Tous ont insisté sur le fait que la guérison prend sa source à l'intérieur.  Elle a la spiritualité pour fondement.  Ce n'est pas tant la définition de la spiritualité qui importe que le fait de reconnaître qu'elle joue un rôle vital dans la façon dont les gens et les collectivités se développent et s'épanouissent.

Les secteurs que les participants de l'étude ont décrits comme prioritaires dans leurs collectivités, à savoir l'éducation, la santé, le développement économique, le logement et la prévention de la criminalité ou de la victimisation, sont en fait les priorités de toutes les villes et collectivités du Canada. Un élément central du rapport est qu'il faut donner à toutes les collectivités l'occasion d'élaborer des stratégies et de mettre en place des activités qui les aideront à fixer leurs priorités et à atteindre leurs buts.

L'objectif du présent rapport était de faire comprendre le processus de guérison dans les collectivités autochtones et de faire des recommandations au gouvernement quant aux rôles qu'il pourrait jouer et aux stratégies qu'il pourrait adopter pour soutenir ce processus. Une de ces stratégies découle du fait que l'approche autochtone de la guérison, qui est holistique par nature, peut être transférée à d'autres régions du Canada. C'est peut‑être cette approche holistique qui manque aux collectivités non autochtones pour bâtir des collectivités plus saines et plus sûres.

Autrement dit, les collectivités autochtones ne veulent pas de programmes fragmentés, mais plutôt un processus de développement holistique. L'importance de cette idée de relier les programmes de façon holistique a été portée à notre attention par les collectivités non autochtones et par la reconnaissance récente par les gouvernements de la nécessité de créer pour les consommateurs des points de service uniques pour l'accès aux programmes gouvernementaux.

Le projet a aussi permis de confirmer une fois de plus que les collectivités autochtones sont heureuses de l'occasion qui leur est donnée de partager leurs connaissances à propos de la guérison des collectivités au Canada. Les différences culturelles ne doivent pas devenir des obstacles à la communication entre les collectivités autochtones et les autres et à la mise en commun des compétences des différents groupes culturels.

Cela ne signifie pas que les gens doivent oublier leurs différences et tous devenir semblables pour apprendre les uns des autres. Au contraire, le développement de collectivités saines et sûres repose en partie sur la capacité de reconnaître que chaque individu a quelque chose à apporter à ce processus; ainsi, les différences culturelles, raciales et religieuses ne doivent pas empêcher les gens de profiter des expériences et de la sagesse des autres.

Le processus de guérison, tel qu'il est présenté ici, est un processus qui «commence à l'intérieur et se poursuit à l'extérieur». Un autre point qui a été soulevé par les participants est l'importance de la guérison pour l'amélioration de la qualité de vie. Pour améliorer notre qualité de vie, nous devons faire un inventaire personnel de nos attitudes à l'égard de certaines questions et de nos sentiments à propos des individus et des groupes qui sont différents de nous. Le défi que nous devons tous relever est de mettre ces attitudes et ces valeurs en équilibre afin de former des partenariats efficaces dans le but de construire un avenir plus solide pour tous nos enfants.

Nous espérons avoir su capter l'«esprit» de ceux qui nous ont fait généreusement part de leurs expériences et qui nous ont montré comment nous pouvons parvenir à mieux nous comprendre mutuellement en poursuivant notre but commun, à savoir sauvegarder et améliorer notre qualité de vie.

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