Contrainte et violence sexuelles dans les établissements pénitentiaires fédéraux
Rapport provisoire (Décembre 2021)

Le Rapport provisoire est daté de décembre 2021 et reflète les informations qui étaient disponibles à ce moment-là. Certaines des informations contenues dans le rapport pourraient ne plus être à jour et les échéanciers de l'étude de prévalence mentionnés à la section 6.2 ont changé depuis la rédaction initiale du rapport.

Résumé

Dans son rapport annuel 2019-2020, le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) a publié un rapport sur une enquête nationale sur la contrainte et la violence sexuelles (CVS) dans les services correctionnels canadiens. Dans ce rapport, le BEC a adressé deux recommandations au ministre de la Sécurité publique, demandant l'introduction d'une loi qui appuie une approche de tolérance zéro à l'égard de la CVS et la désignation de fonds pour une étude de prévalence nationale. Le BEC a également adressé des recommandations au Service correctionnel du Canada (SCC) sur cette question.

La CVS demeure l'un des crimes les moins signalés au grand public, une situation qui est probablement exacerbée dans le contexte correctionnel où des questions telles que l'important déséquilibre de pouvoir, la culture organisationnelle et d'autres facteurs ont probablement une incidence sur le signalement. Bien que la CVS, particulièrement en milieu correctionnel, ne soit pas un phénomène nouveau, l'attention récente du public semble refléter une nouvelle prise de conscience de son importance. Comme il devient de plus en plus évident que les établissements publics ne sont pas à l'abri du problème, il est important de bien comprendre l'ampleur réelle du problème afin d'y répondre de façon appropriée et significative. C'est pourquoi Sécurité publique Canada (SP) s'est engagé à entreprendre la première étude nationale de prévalence de la CVS  dans les établissements correctionnels fédéraux canadiens, qui aidera à comprendre l'ampleur du problème et les facteurs de risque de victimisation sexuelle. Les résultats de cette étude appuieront l'amélioration continue des politiques et des programmes pour faire en sorte que les délinquants puissent purger leur peine dans les établissements fédéraux sans harcèlement, violence et inconduite sexuels.

L'élaboration et la réalisation d'une étude nationale éthique et méthodologiquement solide, qui nous fournira les données que nous recherchons pour mieux définir notre approche face à la CVS dans les établissements correctionnels fédéraux, posent certains défis. Toutefois, le travail de base effectué jusqu'à présent nous aidera à relever ces défis et à déterminer la voie à suivre alors que nous continuons à affiner notre approche pour l'étude nationale.

Étant donné que les recommandations du BEC sur la CVS adressées au SCC et à SP sont étroitement liées, SP et SCC ont travaillé en collaboration pour mettre en œuvre des réponses. Alors que nous continuons à élaborer l'approche de l'étude nationale, Sécurité publique et SCC ont entrepris plusieurs mesures parallèles pour s'attaquer immédiatement au problème de la CVS et informer la voie à suivre pour l'étude elle-même. Le SCC rédige actuellement une nouvelle Directive du commissaire (DC) qui établit un cadre pour la prévention, la détection, la réponse, le signalement et le suivi des incidents d'agression sexuelle envers les détenus sous responsabilité fédérale. La DC devrait être promulguée au printemps 2022, après les consultations avec plusieurs partenaires et parties prenantes.

Le SCC étudiera également la possibilité de renforcer la formation et la sensibilisation à l'égard de la CVS et de veiller à ce que le personnel reçoive une formation appropriée pour répondre aux incidents de CVS. Il s'agira notamment de renforcer le Programme de formation correctionnelle (PFC) afin de s'assurer que tous les employés et les gestionnaires sont au courant des questions entourant la CVS ; d'ajouter du contenu sur la CVS à la formation de le Programme de perfectionnement continu des agents de libération conditionnelle, et au Programme de formation des gestionnaires correctionnels ; de réexaminer le Programme d'orientation des nouveaux employés du SCC et d'envisager une formation annuelle obligatoire sur la question des CVS et du harcèlement pour tout le personnel correctionnel de première ligne qui interagit avec les délinquants.

Le SCC examinera également les documents de référence existants à l'intention des délinquants pour s'assurer qu'ils disposent d'informations facilement accessibles sur la CVS et sur la façon de signaler les incidents de victimisation. Le SCC étudiera également la possibilité de mettre au point des outils de signalement anonyme, comme la ligne téléphonique anonyme utilisée dans certaines prisons américaines, et consultera les délinquants pour élaborer des stratégies de prévention et des méthodes de signalement des incidents de CVS par l'entremise de comités de détenus. 

Afin de compléter les travaux en cours et d'éclairer davantage l'approche à l'égard de la CVS et l'élaboration de l'étude nationale, la SP et le SCC ont également entrepris les activités suivantes : écrire au Comité permanent de la sécurité publique et nationale (SECU) pour demander une étude indépendante sur la question, entreprendre un examen international de la violence sexuelle en milieu carcéral et consulter les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux sur leur approche à l'égard de la CVS dans leurs administrations respectives. Les résultats de ces travaux ont mis en évidence la nécessité de disposer de données nationales fiables pour mieux comprendre l'ampleur du problème et élaborer une stratégie globale pour continuer à lutter contre la VSS dans les établissements correctionnels canadiens. La collecte de ces renseignements dans le cadre de l'étude complétera le travail en cours et permettra d'apporter des améliorations aux politiques, aux procédures et aux lignes directrices qui seront élaborées au fur et à mesure de la mise en œuvre de l'étude.

Introduction

La CVS, quel qu'il soit, est une expérience profondément personnelle et traumatisante qui a longtemps été sous-déclarée dans les statistiques officielles. Il est donc difficile de comprendre la véritable prévalence du problème. Selon trois études réalisées par Justice Canada auprès de survivants d'agressions sexuelles, environ deux tiers des agressions sexuelles ne sont pas signalées. Cela indique une lacune importante dans la compréhension de la véritable prévalence des agressions sexuelles au Canada et souligne la difficulté de brosser un tableau complet de la victimisation sexuelle.

Cependant, ce que l'on sait des données actuelles sur la population générale, c'est que certains groupes sont plus susceptibles de subir des violences sexuelles que d'autres. Les femmes sont victimes d'agressions sexuelles à un taux nettement plus élevé que les hommes. Les taux d'agressions sexuelles autodéclarées chez les Autochtones sont presque trois fois plus élevés que chez les non-Autochtones. En outre, les recherches indiquent que les personnes LGBTQ2S+ sont plus susceptibles d'avoir subi une agression physique ou sexuelle que les Canadiens hétérosexuels et sont moins susceptibles de signaler leurs agressions physiques à la police.

Ces dernières années, le public a été de plus en plus sensibilisé au changement social en ce qui concerne la violence sexuelle et la victimisation, notamment dans le sillage du mouvement #metoo, et la question est devenue un pilier du discours public. Au cours des trois dernières années, on a observé une tendance positive dans le signalement des incidents d'agression sexuelle à la police, ce qui pourrait être attribué à l'attention publique considérable accordée aux questions de violence sexuelle. Toutefois, le débat public en cours sur la victimisation sexuelle a également servi à rappeler que les institutions publiques ne sont pas à l'abri de ce problème et que certains facteurs peuvent exacerber la question de la non-déclaration, en particulier dans les organisations caractérisées par des hiérarchies strictes et des déséquilibres de pouvoir importants, comme les établissements correctionnels.

En plus de l'enquête sur la CVS dans le rapport annuel du BEC, la CVS dans le contexte correctionnel continue d'apparaître comme un sujet d'importance au Canada. Dans un article publié en 2018 dans l'Edmonton Journal, il a été noté que les résidents des prisons de l'Alberta ont fait 67 allégations d'agression sexuelle sur une période de cinq ans et qu'une seule a donné lieu à une accusation criminelle (Wolf, N. (2021). En outre, au cours des cinq dernières années, un certain nombre d'actions civiles et de recours collectifs concernant la violence sexuelle en milieu carcéral ont été intentés contre le procureur général du Canada, qui comprennent des allégations de CVS par le personnel contre des détenus et d'autres membres du personnel (Wolf, N. (2021).

Étant donné la nature complexe de la question, SP s'engage à entreprendre un examen approfondi afin de mieux comprendre les nombreuses facettes du problème et de s'assurer que les outils/ressources et les politiques sont harmonisés pour aider à prévenir les situations de CVS et à réagir en conséquence lorsque le besoin s'en fait sentir. Il est bien connu que les incidents de violence sexuelle sont sous-déclarés en général et qu'ils sont encore moins susceptibles d'être signalés dans le contexte correctionnel. Pour commencer à combler cette lacune, SP, en collaboration avec le SCC, a pris plusieurs mesures afin de déterminer la voie à suivre pour la première étude nationale de prévalence de la CVS dans les établissements correctionnels fédéraux canadiens depuis plus de 25 ans. Les considérations découlant du travail effectué à ce jour éclaireront l'élaboration d'une méthodologie pour la réalisation de l'étude de prévalence et la réponse du Canada pour s'assurer que les délinquants peuvent purger leur peine dans notre système correctionnel sans harcèlement, violence et inconduite sexuels.

Rapport annuel 2019-2020 du Bureau de l'enquêteur correctionnel

Rôle du Bureau de l'enquêteur correctionnel

En vertu des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) (Partie III), l'enquêteur correctionnel (EC) fait office d'ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale. La principale responsabilité de l'EC est d'enquêter de façon indépendante et de faciliter la résolution des problèmes des délinquants.

L'enquêteur correctionnel joue un rôle important dans notre société, contribuant à la sécurité publique en identifiant les questions préoccupantes au sein du système correctionnel fédéral. Chaque année, le BEC publie un rapport annuel qui comprend des recommandations à l'intention du Service correctionnel du Canada et du ministre de la Sécurité publique. Les recommandations font l'objet d'une réponse et les réponses sont déposées au Parlement en même temps que le rapport.

Recommandations adressées au ministre de la Sécurité publique

Dans son rapport annuel 2019-2020, le BEC a rendu compte d'une enquête de niveau national sur la contrainte et la violence sexuelles (CVS) dans les services correctionnels fédéraux. Dans le cadre de cette enquête, le BEC a adressé deux recommandations au ministre de la Sécurité publique :

Réponse du ministre

L'ancien ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, a répondu conjointement aux deux recommandations comme suit :

Le ministre de la Sécurité publique souhaite répondre conjointement aux recommandations 2 et 9 du Rapport annuel de l'enquêteur correctionnel, car ces deux recommandations peuvent contribuer à l'élaboration d'une stratégie de lutte contre la contrainte et la violence sexuelles (CVS) dans les établissements correctionnels fédéraux. Une approche de tolérance zéro à l'égard de la VSS est conforme à la politique du SCC et est essentielle à ses activités visant à protéger la santé physique et mentale et la sécurité générale des personnes qui vivent et travaillent dans les établissements correctionnels fédéraux.

Étant donné l'importance de mieux comprendre le phénomène de la CVS dans le contexte canadien, Sécurité publique a élaboré un plan de recherche, qui devrait débuter à l'automne 2020, pour commencer à évaluer la CVS dans les services correctionnels fédéraux. En collaboration avec le SCC, Sécurité publique recueillera des informations et des données sur la taille, la portée et l'impact de ce problème, en tenant compte des populations vulnérables telles que les détenus ayant subi un traumatisme antérieur, les LGBTQ2S+, les femmes et les personnes ayant des problèmes de santé mentale, afin de déterminer les lacunes dans les connaissances. Un rapport provisoire sur les travaux entrepris devrait être élaboré d'ici le printemps 2021 et contribuera à éclairer les actions futures requises pour détecter, prévenir et répondre à la violence sexuelle dans les établissements correctionnels. En dirigeant cette recherche, la Sécurité publique collaborera avec le SCC et d'autres organismes, au besoin, afin d'assurer la coordination avec les autres mesures prises par le SCC sur la question, comme l'indiquent les réponses aux autres recommandations du présent rapport.

De plus, compte tenu de la gravité de la question, le ministre a accepté d'écrire au Comité permanent de la sécurité publique et nationale pour lui demander d'envisager la réalisation d'une étude indépendante, accompagnée d'un rapport sur ses conclusions, sur les VCP dans les établissements correctionnels fédéraux. Les résultats de la recherche, tant interne qu'externe, aideront Sécurité publique et le SCC à déterminer les prochaines étapes à suivre pour lutter efficacement et adéquatement contre la CVS.

Pratiques et procédures actuelles

Le SCC prend la question de la CVS très au sérieux et reconnaît la nécessité que les interventions soient axées sur la personne. Étant entendu qu'il reste encore du travail à faire pour améliorer et peaufiner l'approche à l'égard de la CVS, les mesures actuellement en place pour intervenir en cas d'incidents de CVS comprennent :

Le point sur l'avancement des travaux

Comme l'indique le BEC dans son rapport annuel 2019-2020, le Canada manque de données officielles actuelles liées à la prévalence de la CVS dans les établissements correctionnels fédéraux. Il n'y a eu qu'une seule enquête représentative à l'échelle nationale auprès des détenus qui a examiné la CVS à l'encontre des détenus, entre autres questions. Cette enquête a été menée par le Service correctionnel du Canada (SCC) en 1995 et ne concernait que les détenus de sexe masculin. Sur les 4 285 détenus masculins sous responsabilité fédérale qui ont répondu à l'enquête, environ 3 % ont déclaré avoir été agressés sexuellement par un autre détenu et 6 % ont été victimes de VS. Cette étude est maintenant périmée et ne couvrait pas la prévalence des différents types de victimisation sexuelle par d'autres détenus et/ou par le personnel, et n'examinait pas les différents groupes dont on a constaté qu'ils subissaient des taux plus élevés de contrainte et de violence sexuelles pendant leur incarcération (p. ex. les femmes, les LGBTQ2S+, les peuples autochtones).

Compte tenu de l'importance, de la sensibilité et de la nature profondément personnelle du sujet, le ministre a demandé aux fonctionnaires d'entreprendre plusieurs étapes fondamentales afin de bien comprendre les enjeux. Les sections suivantes du présent rapport décrivent le travail accompli à ce jour, qui servira de base aux prochaines étapes de la collecte nationale de données sur la prévalence au Canada et permettra de mieux définir l'approche à adopter pour lutter contre la CVS dans les établissements correctionnels canadiens.

Lettre au Comité permanent de la sécurité publique et nationale

En octobre 2020, le ministre de la Sécurité publique a écrit au Comité permanent de la sécurité publique et nationale (SECU) pour lui demander d'entreprendre une étude indépendante sur la CVS, car les délibérations du comité pourraient contribuer à l'élaboration d'une stratégie pour lutter contre la CVS dans les services correctionnels fédéraux. Ce comité a le mandat général d'étudier et d'enquêter sur les questions qu'il juge nécessaires et SP est l'un des ministères qui relève de son domaine de responsabilité. Bien que le comité n'ait pas entrepris d'étude entièrement consacrée à la question de la CVS, une étude consolidée à été entreprise pour examiner la situation actuelle dans les prisons fédérales. Un élément de cette étude consolidée à portée sur la CVS commis par des agents contre des détenues. Le ministère tiendra compte des éléments de preuve soulevés par les témoins et les conclusions du comité dans l'élaboration de l'étude sur la prévalence et dans toute politique ou directive supplémentaire créée pour répondre à la question des VCG dans l'environnement correctionnel.

Revue de la littérature

Étant donné l'absence de données officielles au Canada,  SP a commandé une analyse documentaire indépendante qui a examiné les recherches internationales sur la CVS afin de déterminer ce que l'on sait généralement de la prévalence de ce problème en milieu correctionnel. L'étude a souligné la nécessité de disposer de données fiables et généralisables afin de s'attaquer au problème, indiquant qu'une étape clé consistera à dresser un portrait national du problème au moyen d'enquêtes scientifiquement rigoureuses (Wolf, N. (2021). Le rapport comprend également un examen des politiques de tolérance zéro en matière de CVS appliquées aux services correctionnels dans d'autres juridictions et de leur efficacité, en mettant l'accent sur ce qui fonctionne pour éclairer les actions futures potentielles dans le contexte canadien. Un résumé de cette analyse documentaire se trouve à l'annexe A. 

Dans l'ensemble, l'analyse documentaire a révélé que la VSS est une réalité pour de nombreuses personnes incarcérées. Le rapport souligne que six caractéristiques spécifiques, dont l'âge, le sexe, l'orientation et l'identité sexuelles, la victimisation sexuelle antérieure, les antécédents d'abus dans l'enfance et les problèmes de santé comportementale (y compris les maladies mentales) peuvent prédire la violence sexuelle en prison (Wolf, N. (2021). Ces résultats sont conformes aux facteurs de risque identifiés dans le rapport annuel du BEC et seront pris en compte lors de l'élaboration de la méthodologie et du questionnaire de l'étude nationale de prévalence.

Le rapport a également donné un aperçu des forces et des limites de la loi sur l'élimination du viol en prison (PREA) aux États-Unis. Plus précisément, le rapport a souligné les points forts suivants : l'importance d'une définition complète et cohérente de la violence sexuelle qui inclut à la fois les actes non consensuels et les contacts sexuels abusifs de la part d'autres résidents et du personnel, la priorisation de la violence sexuelle en tant que priorité absolue pour le système correctionnel, le financement et l'orientation pour la collecte continue de données fiables, les investissements dans des prisons plus sûres et un changement culturel durable par rapport à la question (Wolf, N. (2021).  Les cinq limites les plus notables soulignées dans le rapport sont : une faible application de la conformité, un manque de responsabilité concernant les conséquences de l'inconduite sexuelle du personnel, l'absence de cause d'action privée pour poursuivre les établissements en cas de non-respect des normes PREA, l'obligation d'épuiser la procédure de grief des établissements avant de demander une quelconque réparation devant les tribunaux, et l'application par inadvertance de la PREA aux rapports sexuels consensuels (Wolf, N. (2021).  Les forces et les limites identifiées dans le rapport seront des éléments clés à prendre en compte lorsque SP, en partenariat avec le Service correctionnel du Canada, développera la méthodologie pour l'étude de prévalence nationale et envisagera des réponses politiques et législatives potentielles. 

Enfin, le rapport comprend plusieurs considérations finales et meilleures pratiques pour la conception et l'administration de l'enquête qui seront utiles pour guider le développement d'une méthodologie et d'une enquête pour l'étude nationale. Un résumé de ces considérations se trouve dans le résumé exécutif du rapport (Annexe A).

Consultations

Afin d'assurer une compréhension complète des considérations clés liées à la CVS dans les services correctionnels canadiens, SP a travaillé avec ses homologues provinciaux et territoriaux (PT) par l'entremise du forum des responsables des services correctionnels (RSC) afin de comprendre s'il existe des approches existantes pour les incidents de CVS dans les établissements correctionnels PT.

Des réponses ont été reçues de huit provinces et territoires. Dans l'ensemble, les PT ont indiqué que les incidents liés à la CVS font l'objet d'un suivi dans le cadre de statistiques plus générales ou de rapports d'incidents liés à la violence, à la violence sexuelle ou aux menaces contre la personne, mais ne sont pas spécifiques à la CVS. De même, les PT ont indiqué que la formation relative à la CVS est prise en compte dans les politiques existantes relatives à la violence au travail, à la victimisation, aux agressions et aux comportements menaçants. Ces résultats réitèrent le manque de données spécifiques sur la CVS au Canada et la complexité de la question, soulignant la nécessité d'une approche à facettes multiples pour s'assurer que les bonnes données sont recueillies de la bonne façon. Les résultats de l'étude nationale sur la prévalence et les prochaines étapes connexes seront communiqués aux membres du Comité d'accès à l'égalité à titre d'information, au cas où ils souhaiteraient utiliser les résultats dans le cadre d'examens au sein de leurs administrations respectives.

SP a également approché d'autres partenaires fédéraux, dont Santé Canada, l'Agence de la santé publique du Canada, le ministère de la Justice, Statistique Canada et le ministère de la Condition féminine et de l'Égalité des sexes, afin de comprendre les principales questions à prendre en compte en ce qui concerne la CVS pour s'assurer que la portée de l'étude de prévalence est définie avec précision. Les résultats de ces consultations ont permis de s'assurer que les bons secteurs du gouvernement restent informés et participent à l'élaboration de l'étude et à tout changement de politique.

SP et le SCC s'engagent à tenir des consultations permanentes afin de s'assurer que les principaux intervenants, y compris les autres ministères fédéraux, les provinces et les territoires, ainsi que les organisations non gouvernementales, restent informés et aient l'occasion de fournir des commentaires qui serviront à l'élaboration de l'étude et aux changements de politiques et de pratiques qui en découlent. Le SCC cherchera également à participer à des discussions avec les principales organisations non gouvernementales externes qui offrent un soutien dans le domaine de la contrainte et violence sexuelles et la façon dont elles pourraient fournir de l'aide aux victimes pendant qu'elles sont encore incarcérées. De plus, le SCC considère que les détenus et les employés sont des intervenants importants dans ce dossier et prévoit d'autres activités de consultation avec eux à l'avenir.

Directive du commissaire sur la CVS

En réponse à l'une des recommandations du BEC au Service correctionnel du Canada, le SCC travaille actuellement à l'élaboration d'une nouvelle Directive du commissaire (DC)  et  d'une Ligne directrice (LD) qui décrira en détail la façon dont le personnel doit réagir lorsque des allégations d'agression sexuelle sont faites ou qu'un incident est soupçonné d'avoir eu lieu. La DC et la LD précisera également les procédures à suivre pour prévenir, détecter, répondre, signaler et suivre ces incidents. Les projet de DC et de LD ont été achevés à l'automne 2021 et  un processus de consultation nationale approfondie aura lieu avec les parties prenantes internes et externes en janvier 2022, et la promulgation officielle est prévue pour le printemps2022. Bien que ces délais soient des estimations, le travail pourrait être terminé plus tôt et tous les efforts seront faits pour mettre en œuvre le CD dès que possible. L'élaboration de cette nouvelle politique est une étape clé dans la lutte contre la CVS au sein des institutions fédérales. L'établissement d'un cadre clair pour répondre à de tels incidents contribuera à assurer un environnement correctionnel sûr et sécuritaire et à remplir un mandat clé du Service correctionnel du Canada.

Prochaines étapes

En entreprenant les travaux susmentionnés, le SCC et SP ont recueilli des renseignements clés qui continuent d'éclairer l'approche adoptée pour lutter contre la CVS dans les services correctionnels fédéraux. Les résultats du travail effectué jusqu'à présent mettent en évidence la grande complexité de la question et la nécessité d'une réponse à facettes multiples. En s'appuyant sur ces étapes initiales, SP et le SCC poursuivront le travail en cours pour élaborer et mettre en œuvre un nouveau CD pour aborder la question de la CVS, examiner les politiques et les lignes directrices existantes et travailler au lancement d'une demande de propositions (DP) pour l'étude de prévalence nationale. Ces prochaines étapes mettront en évidence toute lacune supplémentaire à combler ou toute amélioration potentielle des politiques et des programmes qui n'a pas encore été prise en compte.

Examen des politiques et directives existantes

Alors que les plans pour l'étude nationale prennent forme, le SCC et SP travaillent ensemble pour mener un examen des politiques et des lignes directrices existantes afin de voir où des mesures immédiates pourraient être prises pour s'attaquer immédiatement au problème de la CVS dans le système correctionnel fédéral.

Le PFC du SCC comporte actuellement une section qui donne un aperçu des comportements potentiels à risque élevé des détenus, notamment la contrainte d'autres détenus pour qu'ils se livrent à des actes sexuels en échange de protection, de drogues ou d'acceptation. De plus, le SCC dispose d'un système d'alerte qui peut être activé dans son Système de gestion des délinquant(e)s (SGD) pour identifier les délinquants qui sont vulnérables à la violence sexuelle ou qui sont des auteurs de contrainte et violence sexuelles. Au fur et à mesure que SP et le SCC continueront de recueillir des informations à l'appui de ce travail de prévention, de détection et de réponse à la CVS, le SCC examinera le PFC afin de déterminer si cette section peut être renforcée pour fournir des informations et des conseils supplémentaires aux agents correctionnels. De plus, le SCC étudiera la possibilité d'ajouter du contenu sur la CVS à la formation de le Programme de perfectionnement continu des agents de libération conditionnelle, et au Programme de formation des gestionnaires correctionnels ; de réexaminer le Programme d'orientation des nouveaux employés du SCC et d'envisager une formation annuelle obligatoire sur la question des CVS et du harcèlement pour tout le personnel correctionnel de première ligne qui interagit avec les délinquants.

De plus, bien qu'il existe actuellement des politiques et des procédures pour répondre aux incidents de violence et d'agression (p. ex. la DC 568-1 - Signalement et enregistrement des incidents de sécurité), le SCC s'engage à s'assurer que les détenus sont sensibilisés et informés adéquatement sur la question spécifique de la CVS. À cette fin, le SCC élabore des documents faciles à lire pour sensibiliser les détenus à la question de la CVS, y compris les personnes qu'ils peuvent contacter s'ils se sentent victimes de violence. De plus, le SCC s'est engagé à mettre à jour la section du manuel du détenu sur le harcèlement sexuel afin de couvrir plus largement la question de la CVS et d'inclure des informations sur le processus de signalement de ces informations et des conseils sur la façon de signaler la violence sexuelle entre le personnel et le détenu.

Les employés du SCC sont tenus de respecter la loi et les politiques du SCC, y compris le signalement et l'enquête de toutes les allégations de CVS. Les employés, et plus particulièrement les gestionnaires, ont l'obligation de contacter immédiatement la police pour tout incident ou allégation d'inconduite qui pourrait constituer une infraction criminelle. En plus de la gamme de catégories disciplinaires dont le SCC assure le suivi, y compris, mais sans s'y limiter, les voies de fait, le harcèlement et la condamnation pour un acte criminel, le SCC s'efforce d'affiner les données pour qu'elles soient plus spécifiques en ce qui concerne la CVS. Le SCC  a commencé à étudier également la possibilité d'élaborer des outils de signalement anonyme et consultera les délinquants dans le cadre de l'élaboration de stratégies de prévention et de méthodes de signalement des incidents de CVS entre employés et détenus par l'entremise de comités de détenus.

Le SCC élaborera une stratégie de mesure du rendement pour suivre le progrès dans ce domaine et a fait  de la CVS un sujet de discussion obligatoire lors des réunions du Comité de direction au moins deux fois par an afin d'assurer un suivi continu et de discuter de tout changement ou ajustement nécessaire à la stratégie.

Étude de prévalence nationale

Il est largement reconnu que la victimisation sexuelle pendant l'incarcération peut avoir des conséquences négatives graves (p. ex. dépression, syndrome de stress post-traumatique [SSPT], idées suicidaires), qui peuvent être exacerbées par l'environnement correctionnel (p. ex. manque d'autonomie, victimisation à long terme et répétitive) (Beck, A. J., Berzofsky, M., Caspar, R., & Kreb, C. (2013); Dumond, R.W. (2000).  En outre, il existe un risque accru de transmission du virus de l'immunodéficience humaine et d'autres infections sexuellement transmissibles (IST), ce qui constitue un problème de santé publique important en raison du risque de propagation à l'intérieur et à l'extérieur de la prison (Beck, A. J. & Johnson, C. (2012); Hensley, C. (2002).

Tel que mentionné précédemment, il n'y a eu qu'une seule enquête représentative à l'échelle nationale portant sur la CVS contre les détenus dans les prisons, qui est maintenant désuète . Cette enquête a été menée par le SCC en 1995 et se limitait aux détenus de sexe masculin etne couvrait pas la prévalence des différents types de victimisation sexuelle par d'autres détenus et/ou par le personnel, ni examinait les groupes dont on a constaté qu'ils connaissent des taux plus élevés de CVS pendant leur incarcération (p. ex. les femmes, les LGBTQ2S+, les peuples autochtones).

Les objectifs de l'étude de prévalence nationale proposée sont d'explorer la prévalence de la victimisation sexuelle (par exemple, l'agression sexuelle, le harcèlement sexuel et d'autres comportements sexuels problématiques) dans les institutions fédérales canadiennes, de comprendre la nature et l'étendue du problème pour les groupes racialisés et à risque (comme les femmes, les LGBTQ2S+), et d'identifier les lacunes possibles dans les plans de prévention et d'intervention existants.

Projet pilote

Avec l'objectif de valider la méthodologie, notamment le questionnaire, une étude pilote  devrait débuter au printemps 2022.

L'objectif de l'étude pilote est de tester les méthodologies d'échantillonnage, de recrutement et d'enquête afin de découvrir les modifications qui pourraient être nécessaires à la mise en œuvre de l'étude nationale.

Le processus et les résultats de l'étude pilote :

Les informations recueillies au cours de l'étude pilote serviront à l'élaboration et à la mise en œuvre de l'étude de prévalence nationale, qui devrait commencer immédiatement après la fin de l'étude pilote.  

Étude nationale

L'étude nationale fournira des informations sur la prévalence de la CVS dans les établissements correctionnels fédéraux canadiens et servira de base pour envisager d'autres changements de politiques et de programmes afin de résoudre ce problème.

Les résultats des travaux entrepris à ce jour soulignent qu'il s'agit d'une question à propos de laquelle il existe un manque important de données, tant au Canada qu'à l'étranger. Il s'agit d'un sujet sensible et important qui nécessite une approche réfléchie et réfléchie. C'est pourquoi la SP et le SCC prennent des mesures pour s'assurer que l'étude est bien faite dès la première fois. La réalisation d'une étude pilote permettra d'assurer une méthodologie solide avant de la mettre en œuvre à l'échelle nationale.

Une fois l'étude nationale terminée, , un rapport sur les conclusions sera rédigé et devrait être publié au printemps 2023. Les résultats de l'étude de prévalence seront examinés afin de déterminer s'il y a d'autres lacunes à combler et, dans la mesure du possible, d'apporter des améliorations et des adaptations aux politiques et aux lignes directrices existantes qui ont été mises en œuvre pour lutter contre la CVS. En attendant les résultats de l'étude, SP et le SCC continueront d'examiner les domaines d'action potentiels, y compris, mais sans s'y limiter, ceux identifiés par l'analyse documentaire, tels que les normes minimales, la surveillance et l'audit indépendants, les domaines supplémentaires pour une formation et une éducation améliorées en matière de CVS, et les plans de recherche futurs pour développer la base de preuves existante.

Conclusion

Les préoccupations soulevées par le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) dans son rapport annuel 2019-2020 concernant la contrainte et la violence sexuelles sont extrêmement importantes, et le ministère de la Sécurité publique et le SCC ont pris des mesures importantes pour faire avancer les travaux visant à régler ce problème. Le présent rapport a servi à donner un aperçu du travail entrepris à ce jour en réponse aux recommandations formulées à l'égard de la CVS et à présenter les plans des prochaines étapes, alors que SP et SCC se tournent vers la mise en œuvre d'améliorations aux politiques et aux lignes directrices et vers la collecte de données nationales fiables. Les travaux entrepris à ce jour et les mesures qui seront prises au cours des prochains mois constituent des piliers importants de notre stratégie visant à détecter et à prévenir les CVS dans les établissements correctionnels et à y réagir, en particulier lorsqu'il s'agit de combler les lacunes dans les services offerts à diverses populations de délinquants, notamment les Autochtones et les Canadiens de race noire, les femmes, les personnes atteintes de maladie mentale et les personnes LGBTQ2S+.

En collaborant avec les intervenants et les partenaires, l'Enquêteur correctionnel, le SCC, la SP et le gouvernement du Canada visent tous le même objectif : faire en sorte que le système correctionnel fédéral du Canada soit sûr, humain et efficace lorsqu'il s'agit de réhabiliter les délinquants, de réduire le risque de récidive et d'assurer la sécurité de nos collectivités.

SP continuera de travailler en étroite collaboration avec la direction du SCC pour s'assurer que des progrès sont réalisés et que nous continuons à respecter les normes les plus élevées lorsqu'il s'agit de trouver un équilibre entre les priorités communes que sont la protection de la santé physique et mentale et la sécurité générale des personnes sous garde fédérale et le maintien de la sécurité publique pour tous les Canadiens.

Bibliographie

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Précis des faits : Agression sexuelle. Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et de la statistique en ligne. Avril 2019. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/pf-jf/2019/apr01.html.

Précis des faits : Victimisation des femmes et filles autochtones. Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et des statistiques en ligne. Juillet, 2017. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jr/pf-jf/2017/july05.html.

Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité communautaire. Les expériences de victimisation avec violence et de comportements sexuels non désirés vécues par les personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et d'une autre minorité sexuelle, et les personnes transgenres au Canada, 2018. Édité par Brianna Jaffray. Septembre 2020. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2020001/article/00009-fra.htm.

Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité communautaire. La violence fondée sur le sexe et les comportements sexuels non désirés au Canada, 2018 : Premiers résultats découlant de l'Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés. Décembre 2019. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00017-fra.htm

Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité communautaire. Statistiques sur les crimes déclarés par la police au Canada, 2019. Publié sous la direction de Greg Moreau, Brianna Jaffray et Amelia Armstrong. October, 2020. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2020001/article/00010-fra.htm.

Département de la Justice des États-Unis, Bureau des statistiques judiciaires. Sexual Victimization in Prisons and Jails Reported by Inmates, 2011-12. Édité par Allen J. Beck, Marcus Berzofsky, Rachel Caspar et Christopher Krebs. Mai, 2013. https://www.bjs.gov/content/pub/pdf/svpjri1112.pdf.

Département de la Justice des États-Unis, Bureau des statistiques judiciaires. Sexual Victimization Reported by Former State Prisoners, 2008. Édité par Allen J. Beck et Candace Johnson. Mai 2012. https://www.bjs.gov/content/pub/pdf/svrfsp08.pdf.

Wolff, Nancy. « Une revue internationale de la littérature sur la prévalence de la violence sexuelle en milieu carcéral, les facteurs de risque et les politiques, avec des recommandations pour un plan d'action fédéral canadien ». Mai 2021.

Annexe ANote de bas de page 1

Définition de la violence sexuelle. La violence sexuelle désigne tout acte, contact ou comportement intentionnellement préjudiciable de nature sexuelle. Il existe trois types de violence sexuelle : les actes sexuels non consentis (actes sexuels forcés communément appelés agression sexuelle ou viol), les contacts sexuels abusifs (attouchements intentionnels des parties intimes du corps) et le harcèlement sexuel (brimades, moqueries, voyeurisme, fouilles corporelles dégradantes). Toute violence sexuelle contre un résident de la prisonNote de bas de page 2 par un autre résident de la prison est appelée violence sexuelle entre résidents. La violence sexuelle à l'encontre des résidents de la prison par le personnel correctionnel est une inconduite sexuelle du personnelNote de bas de page 3.

Nature du problème. La violence sexuelle, indépendamment de son lieu, est un problème de droits de l'homme avec un ensemble de conséquences coûteuses en matière de santé publique. En vertu du droit international, les personnes incarcérées ont droit à une protection contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants. Les représentants de l'État et leurs substituts ont l'obligation juridique et morale de veiller à ce que les droits fondamentaux des personnes incarcérées soient protégés.

Prévalence de la violence sexuelle en milieu carcéral. Au cours des cinquante dernières années, environ cinquante études ont estimé les taux de violence sexuelle dans les prisons du monde entier. Selon ces études, les taux de violence sexuelle dans les prisons américaines variaient de 0 à 40 %, avec une prévalence moyenne sur la vie entière de 1,9 %. Les données internationales sur la violence sexuelle en milieu carcéral pour les systèmes pénitentiaires d'Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis ont permis d'estimer des taux de prévalence allant de 1 % à 11 %, avec une moyenne (non pondérée) de 5,8 %. En généralisant ce taux moyen, environ 600 000 personnes incarcérées dans le monde subissent des violences sexuelles pendant leur incarcération.

Différences entre les sexesNote de bas de page 4 en matière de violence sexuelle en milieu carcéral. Les données internationales montrent systématiquement que les taux de violence sexuelle entre résidents sont plus élevés chez les femmes que chez les hommes, tandis que les taux d'inconduite sexuelle du personnel sont plus élevés chez les hommes que chez les femmes (c'est-à-dire que les hommes sont plus susceptibles d'être victimes d'inconduite sexuelle du personnel que les femmes).

Principales conclusions des enquêtes sur la violence sexuelle en milieu carcéral. Les enquêtes montrent systématiquement que : la violence sexuelle en milieu carcéral est répandue et inégalement répartie entre les prisons; seule une petite partie des agressions sexuelles est officiellement signalée; l'inconduite sexuelle du personnel est la plus répandue, suivie par les actes sexuels non consensuels; les femmes sont plus exposées à certains types de violence sexuelle, tandis que les hommes sont plus exposés à d'autres types de violence; et les résidents transsexuels et ceux souffrant de maladies mentales et ayant des antécédents d'abus sont les plus exposés à la violence sexuelle pendant leur incarcération.

Études à grande échelle des systèmes pénitentiaires. Des enquêtes à grande échelle sur la violence sexuelle en milieu carcéral ont été menées en Australie et aux États-Unis. Elles permettent d'obtenir des estimations valides et fiables de la violence sexuelle en milieu carcéral qui peuvent être utilisées pour informer les politiques publiques et les normes et pratiques institutionnelles en matière de prévention des dommages. Les méthodes qui sous-tendent ces enquêtes en termes de sélection de l'échantillon, de taux de réponse, de conception et de contenu de l'enquête sont des exemples de meilleures pratiques pour la collecte de données nationales sur la violence sexuelle en prison.

État de la base de preuves internationale. Depuis 2000, vingt-huit rapports (3 en Australie, 8 en Europe et 17 aux États-Unis) ont estimé les taux de violence sexuelle en prison. La plupart de ces rapports sont basés sur de petits échantillons (moins de 1 000 résidents, n=20) et moins de cinq prisons (n=12). Ensemble, ces études ont produit des estimations de prévalence allant de moins de 1 % à 26,0 %. Six défis méthodologiques minent la validité et la fiabilité de ces preuves : la nature sensible du sujet, le biais de recrutement des études, les périodes de rappel variables, les modalités d'entretien variables, la validité des rapports, et la taille de l'échantillon et la conception des questions (ces défis sont abordés dans la section 1, pages 14-15).

Pratiques exemplaires pour la collecte des données d'enquête. Les études sur la violence sexuelle qui donnent les estimations de prévalence les plus représentatives et généralisables sont celles qui incluent un échantillon aléatoire représentatif des prisons d'un système pénitentiaire, des échantillons suffisamment grands pour détecter les événements à faible probabilité, des taux de réponse supérieurs à 60 %, des délais de réflexion de six à douze mois, des enquêtes administrées à l'aide du logiciel CASI (Computer-assisted self-interviewing) sous la supervision directe du personnel de recherche, et des questionnaires d'enquête comprenant un large éventail de questions sur la santé et le bien-être des résidents et des questions très spécifiques sur les actes sexuels non consensuels entre résidents, les contacts sexuels abusifs, le harcèlement sexuel et l'inconduite sexuelle du personnel.

Facteurs de risque de violence sexuelle en milieu carcéral. Les caractéristiques qui s'avèrent le plus souvent être des facteurs prédictifs significatifs et constants de la violence sexuelle en milieu carcéral sont les suivantes : victimisation sexuelle antérieure, en particulier les abus durant l'enfance; problèmes de santé comportementale, en particulier les maladies mentales; type d'infraction, en particulier une accusation d'infraction sexuelle; orientation et identité sexuelles; et jeune âge. Les résidents déclarant un stress psychologique grave et s'identifiant comme non-hétérosexuels ont enregistré les taux les plus élevés de violence sexuelle entre résidents (21 %) et d'inconduite sexuelle du personnel (10,5 %).

État des preuves de la violence sexuelle en milieu carcéral au Canada. Les données canadiennes sur la violence sexuelle en milieu carcéral sont particulièrement minces et idiosyncratiques. Elles n'ont pas la rigueur scientifique et la légitimité des preuves recueillies aux États-Unis et en Australie. À ce jour, le gouvernement canadien n'a déployé qu'un seul petit effort en 1995 pour recueillir des données fiables et valides sur la violence sexuelle auprès des résidents des prisons par le biais d'une enquête nationale auprès des détenus. Sur les 4 285 hommes ayant répondu à l'enquête en 1995, 3 % ont déclaré avoir été agressés sexuellement et 6 % ont déclaré avoir subi des pressions sexuelles. Les résidentes n'ont pas été incluses dans l'enquête nationale menée auprès des détenus en 1995. Les « preuves » rassemblées depuis lors à partir de rapports officiels d'allégations sexuelles faites par des résidents et de comptes rendus dans les journaux de poursuites judiciaires intentées par des résidents et des membres du personnel pour violence sexuelle, harcèlement et inconduite remettent en question la présomption selon laquelle les prisons canadiennes sont relativement sûres et que toute violence sexuelle est rare. En ne recueillant pas de données rigoureuses pour valider cette présomption de sécurité et de rareté, le Service correctionnel du Canada (SCC) signale que les preuves de violence sexuelle dans les prisons canadiennes, qui constituent la « pointe de l'iceberg », ne sont pas suffisamment convaincantes pour que l'on ait recours à une enquête scientifique objective afin de s'assurer que les personnes qui vivent et travaillent dans les établissements correctionnels fédéraux sont à l'abri du harcèlement sexuel, de la violence et de l'inconduite.

Politiques de tolérance zéro contre la violence sexuelle. Seuls les États-Unis disposent d'une politique spécifique de tolérance zéro contre les violences sexuelles. Cette politique, appelée Prison Rape Elimination Act (PREA), a été adoptée en 2003, mais, en raison de retards bureaucratiques, elle n'a été pleinement mise en œuvre qu'en 2017. Le Canada a approuvé les règles minimales (SMRs) (aussi appelées règles Nelson Mandala) et, par cette approbation, s'est engagé à respecter et à mettre en œuvre ces règles en tant que pratique standard. Un grand nombre des ERM générales et spécifiques recoupent les normes énoncées dans la PREA. La seule différence est que les normes PREA sont spécifiques à la violence sexuelle, tandis que les ERM sont générales aux protections des droits de l'homme et traitent spécifiquement de la torture et des peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, ce qui inclut la violence sexuelle. Même sans une loi semblable à la PREA, les responsables correctionnels canadiens pourraient interpréter et mettre en œuvre les ERM de concert avec l'intention et la rigueur du mandat législatif de la PREA dans le but de mettre fin à la violence sexuelle en prison. Cependant, ce n'est que si les ERM sont inscrites dans le droit national qu'elles deviendront exécutoires, car le gouvernement canadien n'est pas lié par les normes internationales.

Efficacité de PREA. Il n'y a pas eu d'évaluation nationale ou spécifique à un état de l'efficacité du PREA sur la réduction de la violence sexuelle en prison. Le PREA a été conçu pour éliminer le viol en prison en établissant des normes basées sur la pratique pour les établissements qui cherchent à prévenir, détecter, répondre et surveiller la violence sexuelle en détention et à auditer les établissements pour vérifier leur conformité. Aucune norme de performance nationale basée sur les résultats n'a été établie pour le PREA. Depuis la mise en œuvre de la PREA, il y a eu une augmentation des allégations de violence sexuelle en prison, mais la prévalence de la violence sexuelle autodéclarée par les résidents de la prison est restée stable à environ quatre pour cent entre 2007 et 2012. L'augmentation des rapports officiels de violence sexuelle peut être un indicateur de l'efficacité de la PREA. Le fait que la prévalence des violences sexuelles n'ait pas diminué de manière significative à l'échelle nationale peut refléter la mise en œuvre incomplète de la PREA. En 2017, seuls dix-neuf États avaient pleinement adopté les normes PREA, tandis que 34 autres États et territoires progressaient vers la conformité. Certaines prisons continuent d'avoir des taux de violence sexuelle et d'inconduite du personnel nettement supérieurs à la moyenne nationale, tandis que d'autres sont empêtrées dans des litiges autour d'allégations d'inconduite sexuelle par le personnel correctionnel.

Forces et limites du PREA. Le PREA présente à la fois des points forts et des limites. Les cinq points forts les plus remarquables sont les suivants : elle définit la violence sexuelle de manière exhaustive pour inclure les actes sexuels non consensuels et les contacts sexuels abusifs commis par des résidents à l'encontre d'autres résidents, ainsi que les inconduites sexuelles commises par le personnel; elle fait de la violence sexuelle une priorité absolue pour le système correctionnel; elle finance et oriente la collecte permanente de données fiables sur l'ampleur et la nature du problème; elle réalise des investissements importants pour rendre les prisons plus sûres; et elle encourage un changement culturel durable au sein des prisons. Les cinq limites les plus notables sont les suivantes : l'application de la conformité est faible; il y a un manque de responsabilité concernant les conséquences de l'inconduite sexuelle du personnel; il n'y a pas de cause d'action privée (le Congrès, dans le cadre du PREA, n'a pas donné aux résidents un droit d'action privée pour poursuivre les établissements pour leur manquement aux normes du PREA, c'est-à-dire que les résidents ne peuvent pas intenter une action en justice pour des violations en vertu du PREA), les résidents ne peuvent pas intenter de procès pour violation du PREA); la clause d'épuisement (exigeant que les résidents épuisent la procédure de grief de l'établissement avant de demander réparation devant les tribunaux) décourage la dénonciation de la violence sexuelle; et l'application par inadvertance du PREA aux rapports sexuels consensuels.

Plan d'action fédéral potentiel pour le Canada. Si le Canada devait lancer une initiative visant à éliminer la violence sexuelle en milieu carcéral, la première étape consisterait à définir clairement et de manière exhaustive la violence sexuelle, puis à dresser un portrait national du problème en commandant plusieurs enquêtes scientifiquement rigoureuses portant à la fois sur les dossiers officiels (allégations de violence sexuelle signalées) et sur les résidents et le personnel des prisons (déclarations volontaires). Le portrait, qui reflète la définition de départ, gagnerait en précision et en exhaustivité si les bonnes données étaient recueillies de la bonne façon. Pour que le SCC puisse déployer un effort politique crédible en vue d'éliminer la violence sexuelle, les éléments suivants seraient nécessaires : (1) une définition de la violence (sexuelle); (2) une enquête nationale sur la violence utilisant la méthodologie des meilleures pratiques; (3) un ensemble de normes minimales démontrant une compréhension claire que : (3) un ensemble de normes minimales démontrant une compréhension claire du fait que la violence sexuelle est perpétrée par les résidents et le personnel, que la culture carcéraleNote de bas de page 5 soutient et perpétue la violence sexuelle, et que les asymétries de pouvoir dissuadent de signaler les cas de violence et entravent la prévention; (4) un calendrier pour la conformité totale avec un ensemble de pénalités et de récompenses graduées pour la conformitéNote de bas de page 6; (5) un organisme indépendant (peut-être le BEC) chargé de la surveillance externe et de la vérification de la conformité; (6) une combinaison de formation et d'éducation fondées sur le contenu sur la violence (sexuelle) et les normes de tolérance zéro et des modules de formation basés sur les principes de la thérapie cognitivo-comportementale pour changer les attitudes qui soutiennent et perpétuent la violence (sexuelle); (7) un plan de recherche rationnel qui fixe des priorités de recherche afin d'élargir la base de données probantes pour répondre aux besoins de la politique de tolérance zéro et une initiative de recherche financée qui incite les organismes universitaires et correctionnels à collaborer pour mener des recherches sur la prévention, la dissuasion, la réponse et l'investigation de la violence sexuelle en milieu carcéral et le traitement des victimes en fonction des traumatismes. Sécurité publique Canada pourrait être chargé d'élaborer et de maintenir des partenariats entre les services correctionnels et les établissements d'enseignement afin d'étudier rigoureusement la violence sexuelle en milieu carcéral.

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