Instruction du ministre à l'intention de l'Agence des services frontaliers du Canada : Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères

Le 25 septembre 2017

Objet

  1. Conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada, j'ai émis la présente instruction.
  2. Le gouvernement du Canada est résolu à éliminer les menaces à la sécurité nationale et à protéger les droits et libertés. La présente instruction a pour objet d'énoncer clairement les valeurs et les principes canadiens qui condamnent la torture et le mauvais traitement ainsi que l'engagement du Canada à l'égard de la primauté du droit.
  3. La présente instruction interdit :
    1. la divulgation de renseignements qui se traduirait par un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne par une entité étrangère;
    2. la formulation de demandes de renseignements qui se traduirait par un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne par une entité étrangère; et
    3. certaines utilisations de renseignements vraisemblablement obtenus à la suite du mauvais traitement d'une personne par une entité étrangère.
  4. Les processus décisionnels relatifs à ces situations sont énoncés aux annexes A, B et C du présent document.
  5. La présente instruction remplace l'Instruction du ministre à l'intention de l'Agence des services frontaliers du Canada sur l'échange d'information avec des organismes étrangers  donnée à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) sur la communication de renseignements à des entités étrangères qui a été approuvée en septembre 2011.

Définitions

  1. Le terme « mauvais traitement » s'entend de la torture ou de tout autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.
  2. Le terme « risque substantiel » signifie qu'une personne court un risque personnel, actuel et prévisible de subir des mauvais traitements. Pour pouvoir être qualifié de « substantiel », le risque doit être réel et ne pas être uniquement théorique ou spéculatif. Dans la plupart des cas, l'existence d'un risque substantiel est établie s'il est plus probable qu'improbable que des mauvais traitements soient infligés à la personne. Cependant, dans certains cas, en particulier lorsqu'une personne risque de subir un préjudice grave, l'existence du « risque substantiel » peut être établie à un niveau de probabilité inférieure.
  3. Le terme « entités étrangères » peut inclure les gouvernements étrangers, leurs ministères et organismes et leurs forces militaires. Il peut aussi s'appliquer à des coalitions militaires, à des alliances et à des organisations internationales.

Préambule

  1. L'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à chacun « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». L'article 12 interdit « tous traitements ou peines cruels et inusités », lesquels ont été définis par les tribunaux canadiens comme une peine infligée « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », ce qui comprend la torture et les autres formes de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.
  2. La torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont une insulte aux valeurs canadiennes. Le gouvernement du Canada s'y oppose avec la plus grande fermeté, y compris lorsque leur utilisation vise à éliminer une menace à la sécurité nationale.
  3. Le Canada est partie à plusieurs ententes internationales qui interdisent la torture et les autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Notamment, il est partie aux Conventions de Genève, au droit des conflits armés, au droit international humanitaire, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette dernière convention exige des États parties qu'ils criminalisent toutes les formes de torture et qu'ils prennent des mesures concrètes pour empêcher que des actes de torture ou que des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants soient infligés dans tout territoire relevant de leur compétence.
  4. Au Canada, la torture est une infraction pénale de portée extraterritoriale. Le Code criminel interdit également aux personnes d'aider ou d'encourager la commission d'un acte de torture, de conseiller la torture peu importe si un acte de torture est commis, de comploter pour commettre un acte de torture, de tenter de commettre un acte de torture ou d'être complice après le fait. Qui plus est, le Code criminel stipule que les « circonstances exceptionnelles » ne constituent pas un moyen de défense opposable à une accusation relative à ces infractions.
  5. La torture et les autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne servent aucune fin légitime en matière militaire, d'exécution de la loi ou de collecte de renseignements. Le plus souvent, les renseignements recueillis par de tels moyens ne sont pas fiables, ce qui les rend irrecevables en tant qu'éléments de preuve devant tout tribunal judiciaire.
  6. Ainsi, le gouvernement du Canada ne veut pas participer aux actions qui impliquent le recours à la torture ou à d'autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Associer sciemment le gouvernement du Canada à une telle action nuirait à la crédibilité et à l'efficacité de tout ministère ou organisme qui y serait associé.

Principes

  1. Reconnaissant que la communication de renseignements à des entités étrangères est essentielle à la capacité de l'ASFC d'entretenir des relations solides et d'éliminer les menaces à la sécurité nationale, et du fait que l'ASFC doit être en mesure de communiquer rapidement des renseignements à ses partenaires canadiens qui ont pour mandat et responsabilité d'intervenir en cas de menaces à la sécurité nationale, ce type de communication doit être fait de manière conforme aux lois et aux obligations légales du Canada.
  2. L'ASFC doit éviter de contribuer sciemment au mauvais traitement infligé par des entités étrangères.
  3. L'ASFC doit évaluer l'exactitude et la fiabilité des renseignements qu'elle reçoit et qualifier adéquatement les renseignements avant de les transmettre à d'autres. Elle doit se doter de mesures afin d'identifier les entités étrangères qui participent au mauvais traitement de personnes.
  4. L'ASFC a la responsabilité de tenir le ministre de la Sécurité publique informé de ses pratiques en matière de communication de renseignements.
  5. La transparence quant à l'utilisation de la présente instruction est un principe clé. Conformément au principe no 4 de l'engagement du gouvernement en matière de transparence dans le domaine de la sécurité nationale, on attend de l'ASFC qu'il publie des renseignements expliquant comment la présente instruction est mise en œuvre, y compris la réalisation d'évaluations des risques, dans le respect des valeurs canadiennes, notamment les valeurs exprimées dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Collaboration entre organismes

  1. L'ASFC tiendra à jour des politiques et des procédures internes afin d'évaluer les risques liés aux relations avec des entités étrangères. Elle évaluera notamment le bilan des gouvernements étrangers en matière de droits de la personne dans l'ensemble, et pas seulement celui d'entités précises qui y sont rattachées.
  2. L'ASFC collaborera à ce processus d'évaluation avec tous les autres ministères et organismes du gouvernement du Canada visés par la présente instruction pour veiller à ce que le processus décisionnel soit appuyé par les sources d'information les plus complètes possibles.
  3. L'ASFC surveillera ses ententes avec des entités étrangères en fonction de plusieurs facteurs, y compris les droits de la personne et le risque de mauvais traitement. La portée de ces ententes sera limitée s'il est établi par l'ASFC qu'un partenaire étranger se livre à des mauvais traitements ou y contribue. Si une telle mesure est prise, l'ASFC en informera rapidement les autres ministères et organismes visés par la présente instruction ou une instruction similaire.

Responsabilisation

  1. L'ASFC est assujettie à la primauté du droit, à la surveillance du ministre et à l'examen du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale. 
  2. L'ASFC a l'obligation de présenter au ministre un rapport annuel classifié sur l'application de la  présente instruction. Le rapport comprend :
    1. des renseignements sur les cas à risque très élevé pour lesquels la présente instruction a été appliquée, y compris le nombre de cas;
    2. la restriction des ententes conclues en raison de préoccupations liées au mauvais traitement;
    3. les changements aux politiques et aux procédures internes liés à la présente instruction.
  3. Le ministre fournira au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement autant de renseignements au sujet du rapport que le Comité est autorisé à recevoir en vertu de la loi. Les renseignements liés directement à une enquête en cours menée par un organisme d'application de la loi peuvent être fournis au Comité une fois l'enquête terminée.
  4. Une copie non classifiée du rapport sera rendue publique et contiendra, dans la mesure du possible, les  renseignements indiqués ci-dessus sans toutefois compromettre l'intérêt national, l'efficacité des opérations ou la sécurité d'une personne.

Annexe A à l'instruction du ministre

Processus décisionnel pour la communication de renseignements entraînant un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne par une entité étrangère

  1. L'évaluation continue des risques associés à la communication de renseignements entre le Canada et des entités étrangères est essentielle pour veiller à ce que le Canada ne contribue pas sciemment au mauvais traitement à l'étranger. 
  2. Lorsque la communication de renseignements à une entité étrangère représente un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne et que les responsables ne sont pas en mesure de déterminer si le risque peut être atténué, notamment par l'utilisation de réserves ou d'assurances, le cas sera renvoyé au président à des fins de décision.  
  3. Si le risque substantiel ne peut pas être atténué, les renseignements ne seront pas communiqués à l'entité étrangère.
  4. Lorsque la communication de renseignements est approuvée parce que le président a déterminé que le risque substantiel peut être atténué, la justification de la détermination doit être clairement documentée.
  5. Le ministre et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du président  et ils recevront de l'information contextuelle pertinente. Les renseignements liés directement à une enquête en cours menée par un organisme d'application de la loi peuvent être fournis au Comité une fois l'enquête terminée.

Annexe B à l'instruction du ministre

Processus décisionnel pour les demandes de renseignements entraînant un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne par une entité étrangère

  1. L'évaluation continue des risques associés à la communication de renseignements entre le Canada et des entités étrangères est essentielle pour veiller à ce que le Canada ne contribue pas sciemment au mauvais traitement à l'étranger. 
  2. Lorsqu'une demande de renseignements à une entité étrangère représente un risque substantiel de mauvais traitement d'une personne et que les responsables ne sont pas en mesure de déterminer si le risque peut être atténué, par exemple, l'utilisation de réserves ou d'assurances, le cas sera renvoyé au président à des fins de décision.  
  3. Si le risque substantiel ne peut pas être atténué, les renseignements ne seront pas demandés à l'entité étrangère.
  4. Lorsqu'une demande de renseignements est approuvée parce que le président a déterminé que le risque substantiel peut être atténué, la justification de la détermination doit être clairement documentée.
  5. Le ministre et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du président  et ils recevront de l'information contextuelle pertinente. Les renseignements liés directement à une enquête en cours menée par un organisme d'application de la loi peuvent être fournis au Comité une fois l'enquête terminée.

Annexe C à l'instruction du ministre

Processus décisionnel pour l'utilisation de renseignements vraisemblablement obtenus à la suite d'un mauvais traitement infligé à une personne par une entité étrangère

  1. Les renseignements vraisemblablement obtenus à la suite d'un mauvais traitement ne pourraient pas être utilisés :
    1. de façon à créer un risque substantiel de mauvais traitements additionnels;
    2. comme éléments de preuve dans des procédures judiciaires, administratives ou autres;
    3. pour priver une personne de ses droits ou libertés, exception faite des cas où l'administrateur général (ou dans des circonstances exceptionnelles, un haut fonctionnaire délégué par le président) autorise l'utilisation de ces renseignements, qu'il juge nécessaire pour éviter des pertes de vie ou des sévices graves à la personne.
  2. Dans des circonstances exceptionnelles, comme indiqué au point 1(c), il pourrait être nécessaire d'approuver l'utilisation de renseignements entraînant la privation des droits et libertés d'une  personne lorsque, par exemple, les renseignements portent à croire que la personne est sur le point de commettre un acte terroriste. Les renseignements doivent être précis, et leur fiabilité doit être caractérisée de façon appropriée au moyen de mises en garde de façon à indiquer clairement que l'utilisation de ces renseignements est approuvée à des fins limitées et clairement définies.
  3. Le ministre et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du président et ils recevront de l'information contextuelle pertinente. Les renseignements liés directement à une enquête en cours menée par un organisme d'application de la loi peuvent être fournis au Comité une fois l'enquête terminée.
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