Summary
Cette recherche aborde les expériences des jeunes de la rue qui se déroulent dans les espaces publics du
centre-ville de Montréal. La réalité vécue par ces jeunes a souvent été décrite par les médias et a fait
l'objet de nombreuses représentations, souvent stéréotypées, entraînant ainsi une certaine
dramatisation du phénomène. Afin d'avoir une lecture plus objective et de mettre en lumière différentes
facettes de l'expérience des jeunes de la rue dans les centres urbains, quelques auteurs se sont penchés
sur le sujet au cours des dernières années. Peu d'études se sont toutefois attardées, de façon spécifique,
aux interactions vécues par les jeunes au quotidien et aux répercussions que ces interactions peuvent
entraîner sur leur cheminement.
Inscrite dans une perspective phénoménologique, cette étude explore les interactions que les jeunes de
la rue entretiennent avec les personnes qu'ils rencontrent quotidiennement dans les espaces publics du
centre-ville de Montréal, afin d'obtenir une meilleure compréhension de leurs façons d'agir et de réagir
à leur environnement. Avant de saisir les perceptions des jeunes quant à ces interactions et aux
répercussions qui en découlent, il a paru nécessaire de dégager les circonstances entourant leur départ
vers la rue et de mieux connaître leur façon d'interagir avec les autres avant leur arrivée dans la rue.
L'approche qualitative a été privilégiée pour répondre aux différents objectifs de notre recherche, dans
une démarche soutenue par un cadre d'appréhension inspiré des théories interactionnistes. Plus
précisément, quinze entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de jeunes qui, à un moment ou un
autre de leur vie, se sont retrouvés dans la rue pour y vivre des expériences particulières. Le recrutement
des répondants a été possible, entres autres, grâce à la contribution de différents organismes
communautaires qui oeuvrent auprès des jeunes qui se retrouvent en situation de rue au centre-ville de
Montréal. Certains jeunes interviewés nous ont également présenté d'autres jeunes qui se sont portés
volontaires pour participer à cette recherche.
Les analyses effectuées ont permis de constater qu'à travers les interactions vécues à l'intérieur des
premiers foyers de socialisation, les jeunes se forgent une image d'eux-mêmes et des autres qui
permettent de comprendre leur façon de réagir tout au long de leur parcours dans la rue. Ces
expériences interactionnelles antérieures à la vie dans la rue et l'interprétation que font les jeunes des
différentes situations rencontrées permettent de mieux saisir leurs réactions avec ou envers les autres.
Néanmoins, ce sont les interactions qui se vivent durant les épisodes de vie à la rue qui sont plus souvent
qu'autrement au coeur de leur démarches pour se construire une identité personnelle et sociale, pour
développer quelques habiletés sociales et différentes stratégies afin d'éviter ou, du moins, de minimiser,
autant que faire se peut, les effets négatifs engendrés par la précarité qui caractérise inévitablement la
vie en situation de rue. Les interactions avec les autres peuvent, ultimement, servir d'outils pour
construire le processus de sortie de la rue. En contrepartie, force est d'admettre que les liens entretenus
avec les autres peuvent également être à l'origine de processus de stigmatisation et de criminalisation,
ayant parfois pour effet de cristalliser l'expérience des jeunes dans la rue et de les mener vers une
boucle de prises en charge institutionnelle.