Élaboration conjointe d’une loi sur les services de police des Premières Nations : Objectifs et principes directeurs
Ébauche – Pour discussion
3 mai 2023
Objet
L’objet du présent document est de déterminer le but commun de la loi ainsi que les « objectifs et principes directeurs » de cette dernière afin d’atteindre ce but. Ces « objectifs et principes directeurs » ont été rédigés de façon à donner amplement de flexibilité à la haute direction durant la phase d’élaboration conjointe.
Justification
Partout au Canada, les communautés des Premières Nations continuent de subir des crises majeures de sécurité publique : niveau disproportionné de criminalité, crimes violents, crise actuelle concernant les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, etc. Les Premières Nations réclament depuis longtemps une réforme sur le financement des services de police des Premières Nations au Canada, présentement octroyé dans le cadre du Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits (annexe A), et plaident en faveur de l’adoption d’un cadre législatif qui reconnaîtrait les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels, serait largement accessible et fournirait un financement prévisible, durable et adapté aux besoins et aux réalités propres aux services de police des Premières Nations et de la population qu’ils servent. Ces appels à une réforme ont été réitérés dans le cadre du processus de mobilisation du Canada au printemps 2022 et du processus parallèle de mobilisation des Premières NationsFootnote1.
La réforme du financement des services de police a été soulevée dans plusieurs déclarations et rapports sur les moyens de faire progresser l’autodétermination des Premières Nations et d’améliorer la prestation des services au sein de leurs communautés, notamment les suivants :
- La Commission royale sur les peuples autochtones de 1996 (Par-delà les divisions culturelles : Un rapport sur les Autochtones et la justice pénale au Canada) qui traitait de l’histoire problématique des services de police au sein des communautés des Premières Nations et faisait ressortir les problèmes d’insécurité associés au financement;
- La résolution de 2017 de l’Association des chefs de police des Premières Nations (ACPPN), qui appelait le gouvernement du Canada et les provinces à « ancrer le caractère essentiel des services de police des Premières Nations; à fournir adéquatement des ressources humaines, des infrastructures et des ressources opérationnelles et d’entretien; et à offrir un financement suffisant, prévisible et durable, répondant aux besoins uniques de chaque service »;
- Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées 2019, qui dans son appel à la justice 5.4 demandait à tous les gouvernements de « transformer immédiatement et radicalement les services de police autochtones afin qu’ils ne représentent plus simplement une délégation de services, mais l’exercice de l’autonomie gouvernementale et de l’autodétermination. Pour ce faire, le Programme des services de police des Premières Nations du gouvernement fédéral doit être remplacé par un nouveau cadre législatif et financier, conforme aux pratiques exemplaires et aux normes nationales et internationales en matière de services de police, qui devra être élaboré par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, en partenariat avec les peuples autochtones »;
- Le rapport de 2019 du Comité d’experts sur les services de police dans les communautés autochtones intitulé Vers la paix, l’harmonie et le bien-être : les services de police dans les collectivités autochtones mentionnait que « l’absence d’une loi fait en sorte que des contentieux et une ambiguïté dans la responsabilité des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux persistent au sujet des services de police des collectivités autochtones. Ces contentieux font en sorte que les gouvernements ne sont pas en mesure d’assumer leurs responsabilités et que de nombreuses communautés ne reçoivent pas de services de police efficaces »;
- L’énoncé de principe conjoint de l’ACPPN, de l’Indigenous Police Chiefs of Ontario (IPCO) et de l’Association des directeurs de police des Premières Nations et Inuits du Québec (ADPPNIQ) au sujet de la législation sur les services de police fédéraux dans les communautés autochtones affirmait que « les services de police des Premières Nations doivent s’appuyer sur un cadre législatif permettant aux Premières Nations d’établir, d’administrer et de réguler leurs services de police et de nommer des agents de police conformément aux normes et pratiques en vigueur dans leur province. »
Guidés par un engagement commun à la réconciliation
En 2017, le premier ministre du Canada et le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN) ont signé un protocole d’entente sur les priorités communes qui identifiait en tant que grande priorité commune les « questions liées au maintien de l’ordre et à la sécurité communautaire qui touchent les Premières Nations ». Plus tard, lors de leur assemblée générale annuelle de 2020, les Premières Nations ont adopté la résolution de « travailler avec les ministères concernés pour élaborer conjointement un cadre législatif désignant les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels (…). Footnote2
Solidifiant l’engagement du gouvernement, le ministre de la Sécurité publique a eu, en 2019 et 2021, le mandat « (…) d’élaborer conjointement un cadre législatif pour les services de police des Premières Nations reconnaissant ces derniers en tant que services essentiels ». Pour mener à bien cette initiative commune, Sécurité publique Canada et l’APN, avec le soutien de l’Association des chefs de police des Premières Nations (ACPPN) et du Conseil de gouvernance de la police des Premières Nations (CGPPN), ont mis sur pied un groupe de travail afin de travailler dans le respect, la collaboration et la transparence sur l’élaboration conjointe d’une loi fédérale qui reconnaîtrait le caractère essentiel des services de police des Premières Nations, conformément à la reconnaissance du droit à l’autodétermination des Premières Nations.Footnote3
Le ministère de la Sécurité publique est déterminé à faire avancer la réconciliation du gouvernement du Canada et des Premières Nations et reconnaît qu’il s’agit là d’un cheminement continu. Un tel cheminement passe par l’élaboration conjointe d’une loi qui fera progresser l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale des Premières Nations tout en respectant la relation de nation à nation qui tient compte du caractère unique de chacune des Premières Nations. Par conséquent, l’élaboration conjointe de la loi devrait être en phase avec :
- les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation de 2015 demandant au Canada de remédier aux séquelles laissées par les pensionnats et de faire avancer le processus de réconciliation »;
- les Principes de 2018 régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones;
- la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui exige que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer la cohérence des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies, avec la consultation et la coopération des peuples autochtones;
- L’énoncé de principe de 2022 avec l’APN, qui détermine quatorze principes fondamentaux à adopter au sein d’un cadre pangouvernemental cohérent qui permettra l’élaboration conjointe avec l’APN.
Des objectifs et des principes directeurs éclairés par la mobilisation
Au printemps 2022, le Canada et l’APN ont amorcé en parallèle des processus de mobilisation pour écouter directement les communautés, les organisations, les services de police, les commissions des services policiers, les femmes, les jeunes et les communautés 2SLGBTQQIA+ au sein des Premières Nations. Tout au long du processus d’élaboration conjointe, le Canada a collaboré avec les provinces et territoires, les signataires de traités modernes et d’ententes sur l’autonomie gouvernementale, l’ACPPN et le CGPPN pour déterminer les considérations pratiques qui appuieront la législation.
Le rapport Ce que nous avons entendu, les rapports de mobilisation produits par l’APN, ainsi que l’énoncé de principe conjoint de l’ACPPN, de l’IPCO et de l’ADPPNIQ sur la législation encadrant les services de police fédéraux dans les communautés autochtones éclaireront la mobilisation à venir auprès d’experts avec les commentaires reçus et ouvriront la voie à des discussions sur les aspects pratiques et techniques associés à l’élaboration conjointe de la loi.
Conclusions préliminaires
Durant différentes mobilisations dans le cadre du mandat de Sécurité publique Canada, une écrasante majorité de participants a été catégorique : reconnaître les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels signifie que le financement doit être prévisible, équitable, accessible, flexible, stable, adapté aux besoins opérationnels des services de police des Premières Nations et adapté aux priorités et aux besoins des communautés. Les décisions concernant les besoins de financement doivent s’appuyer sur des processus décisionnels justes et transparents, impliquant des représentants fédéraux, provinciaux et des Premières Nations.
Les participants ont ajouté que les services de police des Premières Nations doivent d’une part être traités essentiellement comme le seraient d’autres services de police, et d’autre part être adaptés à la culture et respectueux des communautés qu’ils servent.
Les commentaires reçus dans le cadre de la mobilisation, des discussions avec les Premières Nations, des rapports, des enquêtes et des recherches ont servi à éclairer les objectifs et les principes directeurs ci-dessous concernant l’élaboration conjointe de la loi.
Objectifs et principes directeurs
Sécurité publique Canada est d’avis que l’objectif visé est d’arriver à une loi qui appuiera les Premières Nations dans leur voie vers l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale en reconnaissant les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels.
Sécurité publique Canada soutient que pour atteindre cet objectif et pour éclairer la loi, l’élaboration conjointe d’« éléments » suivra les objectifs et principes directeurs qui suivent.
Objectif 1 : La loi est fondée sur l’engagement du Canada à l’égard de la réconciliation et contribue à soutenir les Premières Nations pour qu’elles avancent sur la voie vers l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale.
Principes directeurs
- La loi a pour but de reconnaître les préjudices historiques causés aux Premières Nations au moyen de lois, de politiques et de mesures gouvernementales en matière de maintien de l’ordre, une étape essentielle de la réconciliation.
- La loi a pour but de respecter les traités historiques et modernes, les ententes d’autonomie gouvernementale et toute autre entente constructive liés aux services de police des Premières Nations.
- La loi a pour but de soutenir les Premières Nations pour qu’elles avancent chacune sur leur propre voie vers l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale. La loi permettra d’appuyer les Premières Nations dans le rôle qu’elles joueront dans l’établissement des services de police des Premières Nations, de la gouvernance de la police des Premières Nations et des priorités en matière de sécurité communautaire et de maintien de l’ordre.
Objectif 2 : La loi reconnaît les services de police des Premières Nations comme des services essentiels
Principes directeurs
- La loi a pour but de reconnaître les services de police des Premières Nations comme des services essentiels et de souligner que de tels services sont indispensables à la sécurité des collectivités.
- La loi a pour but de reconnaître que les services de police des Premières Nations et la gouvernance de la police de Premières Nations contribuent à fournir des services de police adaptés à la culture, qu’ils sont responsables devant les collectivités qu’ils servent et qu’ils tiennent compte des besoins locaux et uniques des Premières Nations sur le plan de la sécurité collective et des priorités en matière de maintien de l’ordre.
- La loi a pour but de confirmer les lois provinciales et territoriales existantes qui permettent la mise en place de services de police des Premières Nations et de la gouvernance de la police des Premières Nations, et qui établissent des normes de maintien de l’ordre, de surveillance et de traitement des plaintes adéquates et efficaces.
Objectif 3 : La loi est soutenue par un financement adéquat qui comprend un processus décisionnel fondé sur le partenariat et le respect en ce qui concerne les fonds versés aux services de police des Premières Nations et à la gouvernance de la police des Premières Nations.
Principes directeurs
- Le financement fédéral associé à la mise en œuvre de la loi doit soutenir les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels pour répondre aux normes applicables en matière de maintien de l’ordre énoncées dans les lois provinciales sur les services de police. Les montants du financement doivent tenir compte de tous les aspects des activités d’un service de police des Premières Nations, y compris la gouvernance de la police, les dépenses relatives aux ressources humaines, les coûts liés au matériel et à l’infrastructure et les coûts particuliers liés au maintien de l’ordre dans les Premières Nations. Le financement doit être partagé à raison de 52 % pour le fédéral et de 48 % pour la province, ou tel que déterminé dans le cadre de traités, d’ententes d’autonomie gouvernementale, d’ententes sur l’administration de la justice ou d’autres ententes constructives.
- Le financement doit être accessible, souple, stable et adapté aux exigences opérationnelles des services de police des Premières Nations et aux priorités et aux besoins propres aux collectivités qu’ils servent. Il doit aussi tenir compte de la croissance et de l’évolution des services de police des Premières Nations.
- La loi a pour but d’établir un processus décisionnel lié au financement des services de police des Premières Nations qui favorise les partenariats avec les Premières Nations, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux, fondés sur la confiance et le respect mutuel.
Objectif 4 : Le cadre de mise en œuvre appuie l’objectif de reconnaissance des services de police des Premières Nations en tant que services essentiels.
Principe directeur
- L’objectif est de mettre en vigueur une loi assez souple pour soutenir les Premières Nations sur leur voie vers l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale. Par conséquent, il faudra probablement mettre au point des approches particulières pour faire en sorte que la mise en œuvre soit efficace et soutenir chacune des Premières Nations, les services de police et la gouvernance de la police des Premières Nations. Les politiques et le financement devront soutenir diverses approches et une infrastructure institutionnelle pourrait être nécessaire. L’approche à l’égard de la mise en œuvre pourrait comprendre le renforcement des entités régionales ou nationales existantes qui appuient les services de police des Premières Nations.
Objective 5 : La loi établit clairement les rôles des Premières Nations et des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.
Principe directeur
- La loi a pour but de définir les rôles des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et des Premières Nations dans le soutien des services de police des Premières Nations en tant que services essentiels.
Annexe A : À propos du programme des services de police des Premières Nations et des Inuits
Le Canada compte à l’heure actuelle 35 services de police des Premières Nations et une inuite, servant un totale 155 communautés. Ils sont surtout situés en Ontario et au Québec, mais sont également un peu présents dans toutes les provinces de l’Ouest. Tous les services de police des Premières Nations et des Inuits fonctionnent selon les lois et règlements provinciaux actuellement en vigueur.
Les services de police des Premières Nations reçoivent tous un soutien financier dans le cadre du Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits (PSPPNI), un programme de contribution discrétionnaire créé en 1991 qui fournit un financement fédéral pour favoriser des services de police professionnels, dédiés et culturellement adaptés dans les communautés des Premières Nations et inuites admissibles. Dans le cadre du PSPPNI, les coûts admissibles sont partagés entre les provinces et les territoires selon la répartition suivante : 52 % au fédéral et 48 % aux provinces et territoires. Les ententes sur les services de police autogérés sur lesquels s’appuie le financement fédéral et provincial des services de police des Premières Nations et des Inuits sont signées par trois parties : les communautés des Premières Nations ou inuites, la province concernée et le gouvernement fédéral.
Depuis plusieurs années maintenant, les services de police des Premières Nations doivent surmonter d’importants problèmes et obstacles financiers pour être en mesure d’offrir un éventail complet de services, en partie en raison des limites imposées par le PSPPNI. Parmi les différents problèmes soulevés par les services de police et les dirigeants des communautés, notons les suivants :
- Les budgets limités font en sorte que les communautés des Premières Nations jouent du coude pour accéder aux fonds limités du gouvernement;
- Les ententes de contribution sont de durée limitée, ce qui nuit à la capacité des services de police à planifier à long terme;
- Les inégalités « autour de la table » : les Premières Nations ne sentent pas que leur voix compte vraiment à la table de négociation, en raison des limites dans les dispositions sur la négociation d’ententes et sur les niveaux de financement du gouvernement;
- Les modalités restrictives du programme limitent la capacité des services de police à offrir certains services spécialisés pour répondre aux besoins particuliers des communautés qu’ils servent.
Reconnaissant ces problèmes, plusieurs organismes de maintien de l’ordre, rapports, enquêtes et recherches ont appelé à une réforme du programme ou à la création d’une loi fédérale qui reconnaîtrait les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels.
En réponse à ces appels à la réforme, le budget de 2021 a annoncé un financement pour appuyer des services de police et de sécurité adaptés à la culture des communautés autochtones, dont 43,7 millions sur cinq ans qui serviront à l’élaboration conjointe d’un cadre législatif reconnaissant les services de police des Premières Nations en tant que services essentiels.
Notes
- 1
[ESPACE RÉSERVÉ – RAPPORT DE LA MOBILISATION DE L’APN]
- 2
Au moment de finaliser ce document, l'APN avait mis de l’avant une autre résolution (Résolution 51/2022 : Souveraineté des Premières nations en matière de services de police) dans ce domaine, qui fut adoptée le 25 janvier 2023.
- 3
Au moment de la de finaliser ce document, ce groupe de travail n'avait pas encore été créé.
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