De gestionnaire de cas à agent du changement : l'évolution des mesures efficaces à l'égard de la surveillance dans la collectivité

De gestionnaire de cas à agent du changement : l'évolution des mesures efficaces à l'égard de la surveillance dans la collectivité Version PDF (473 Ko)

Guy Bourgon
Leticia Gutierrez
Jennifer Ashton

Cet article a été publié dans le Irish Probation Journal, octobre 2011, volume 8, pages 28 à 48, et a été repris avec la permission du journal.

Résumé

Auparavant, le rôle d'agent de surveillance dans la collectivité était principalement celui d'un gestionnaire de cas. Toutefois, la connaissance des mesures efficaces dans le domaine de la réadaptation des délinquants a stimulé les efforts déployés pour révolutionner la surveillance des clients dans la collectivité; c'est-à-dire le passage d'une approche de gestion de cas vers une approche qu'on qualifie « d'agent du changement ». Dans le présent article, nous définissons ce en quoi consiste l'approche cognitivo‑comportementale dans le contexte de la justice pénale et de quelle façon on peut l'utiliser pour maximiser les effets de la surveillance dans la collectivité. Nous proposons l'utilisation d'un cadre théorique et empirique (le Plan d'action de l'IFSSC) créé par la fusion de techniques cognitivo-comportementales et de renseignements sur le risque et les besoins, qui aidera les agents de surveillance dans la collectivité à planifier, à établir l'ordre des priorités et à entraîner des changements chez leurs clients.

Note des auteurs

Nous tenons à remercier Jim Bonta et Tanya Rugge qui font partie intégrante de l'équipe responsable de l'Initiative de formation stratégique en surveillance communautaire. Nous offrons également nos remerciements spéciaux aux agents de probation et à leurs gestionnaires qui nous ont permis d'observer ce qui se passe pendant les rencontres individuelles et ont commencé à devenir eux-mêmes des agents du changement.

Les opinions exprimées dans le présent article sont celles des auteurs et ne correspondent pas nécessairement à celles de Sécurité publique Canada. Veuillez faire parvenir toute correspondance au sujet de cet article à Guy Bourgon, Recherche correctionnelle, Sécurité publique Canada, 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario), Canada, K1A 0P8
(courriel : Guy.Bourgon@ps-sp.gc.ca).

Les tâches de surveillance dans la collectivité continuent d'évoluer, exigeant de meilleures connaissances, compétences et aptitudes de la part des agents de surveillance. En raison de l'ajout de l'évaluation du risque et des besoins à leurs pratiques régulières, les agents de surveillance dans la collectivité doivent maintenant administrer et évaluer ces instruments. Non seulement doivent-ils communiquer les renseignements relatifs au risque et aux besoins à d'autres professionnels du domaine de la justice pénale, mais on leur demande aussi de se servir de ces renseignements à des fins de classification et de les interpréter afin d'élaborer des plans de gestion de cas. On leur demande également de s'efforcer de maximiser le respect des lois par les délinquants, de planifier et de gérer leurs services de réadaptation, et on s'attend souvent à ce qu'ils facilitent des changements prosociaux dans le comportement de leurs clients.

En raison des demandes croissantes, les organismes de services correctionnels communautaires et leurs employés portent davantage attention aux recherches portant sur les mesures efficaces permettant la réduction de la récidive, mais ils ont de la difficulté à appliquer les pratiques empiriques dans leurs tâches quotidiennes de surveillance dans la collectivité (Taxman, 2008; Taxman, Hendersen et Lerch, 2010). Dans le présent article, nous étudions brièvement les mesures efficaces en matière de réadaptation des délinquants et les connaissances relatives à la surveillance dans la collectivité. Nous présentons ensuite des réflexions sur notre vision de l'évolution des tâches des agents de surveillance dans la collectivité; c'est-à-dire leur passage de gestionnaire de cas à ce que nous appelons un agent du changement. Ce rôle d'agent du changement exige de jouer un rôle plus direct et substantiel dans le processus visant à faciliter le changement chez le client d'une façon que nous croyons « thérapeutique ». Enfin, nous décrivons ce que nous voyons comme les deux principaux défis étroitement liés et essentiels à la transformation en un agent objectif du changement. Il s'agit de la compréhension des interventions cognitivo-comportementales fondamentales et de la traduction clinique de l'évaluation du risque et des besoins en un plan d'intervention.

Mesures efficaces et surveillance dans la collectivité

Au cours des trente dernières années, les recherches menées au Canada par Andrews et ses collègues sur le traitement des délinquants ont montré que les programmes de réadaptation peuvent réduire la récidive (Andrews et Bonta, 2010; Hanson, Bourgon, Helmus et Hodgson, 2009; Lipsey, 2009; Lösel et Schmucker, 2005). Cet ensemble de preuves relatives aux mesures efficaces a démontré que les programmes de réadaptation ne sont pas tous équivalents : il est possible de maximiser l'efficacité des interventions en suivant les principes du modèle fondé sur les principes du risque, du besoin et de la réceptivité (RBR) pour le traitement correctionnel (Andrews et Bonta, 2010). Le modèle comporte actuellement 17 principes, mais trois en constituent le noyau depuis 1990 (Andrews et coll., 1990). Ce sont les principes du risque (adapter le niveau de service au niveau de risque de récidive du délinquant; offrir des services intensifs aux clients à risque élevé et des services minimums aux clients à faible risque), des besoins (cibler les facteurs criminogènes ou les facteurs de risque dynamiques ayant un lien fonctionnel avec le comportement criminel tels que les attitudes procriminelles et la toxicomanie) et de la réceptivité (adapter le style et le mode d'intervention aux aptitudes, à la motivation et au style d'apprentissage du délinquant; les interventions cognitivo‑comportementales sont souvent celles qui fonctionnent le mieux chez les délinquants).

Dans leur plus récente étude, Andrews et Bonta (2010) ont démontré que le respect de ces trois principes augmente l'efficacité des programmes de réadaptation, car plus les principes sont respectés, plus le taux de récidive diminue. En fait, plus précisément, le non‑respect des trois principes a entraîné une légère augmentation de 2 % de la récidive (r = -0,02; k = 124). Quand le traitement respecte au moins un principe, on note une légère diminution de 3 % de la récidive (r = 0,03, k = 106). Une diminution plus importante est observée si on respecte davantage les principes du risque, des besoins et de la réceptivité. On remarque une différence de 17 % quand on respecte deux principes (r = 0,17, k = 84) et une différence de 25 % quand on respecte les trois principes.

Même si la majorité des données ont été tirées d'études s'intéressant aux programmes de traitement officiels qui se font généralement en groupe, il est raisonnable de s'attendre à ce que ces principes puissent également s'appliquer à la surveillance individuelle des délinquants dans la collectivité. On estime que la surveillance dans la collectivité a un effet bénéfique en atténuant les effets criminogènes de la détention et en favorisant l'intégration des délinquants dans la collectivité (Abadinsky, 2009; Gibbons et Rosecrance, 2005). Toutefois, les données concernant l'efficacité de la surveillance dans la collectivité entraînent un questionnement sur son association avec la diminution de la récidive chez les délinquants. En examinant 15 études où l'on comparait certaines formes de surveillance dans la collectivité et d'autres sanctions pénales (comme une peine d'emprisonnement ou une amende), Bonta, Rugge, Scott, Bourgon et Yessine (2008) ont conclu que la récidive des délinquants sous surveillance dans la collectivité était seulement deux points de pourcentage sous la moyenne. Aucune diminution de la récidive violente n'a été associée à la surveillance dans la collectivité. Ces conclusions, qui diffèrent grandement des résultats positifs obtenus dans l'examen de la documentation sur la réadaptation des délinquants, nous poussent à nous demander pourquoi il en est ainsi.

La réponse à cette question commence à se profiler seulement depuis peu, car les chercheurs commencent à s'intéresser davantage à ce qui se passe pendant les séances de surveillance individuelles. Bonta et ses collaborateurs (2008) ont étudié les dossiers et l'enregistrement de séances de surveillance de 62 agents de probation avec 154 clients au Canada. Ils ont déterminé que les principes du risque, des besoins et de la réceptivité n'étaient pas respectés. Par exemple, la fréquence des communications entre l'agent et son client n'était que modérément liée au niveau de risque du délinquant (principe du risque), et les agents intervenaient rarement directement pour favoriser le changement des besoins liés aux facteurs criminogènes tels que les attitudes procriminelles et les amis (principe des besoins). De plus, les techniques cognitivo-comportementales ayant une influence interpersonnelle étaient utilisées dans moins du quart des séances (principe de la réceptivité). Les conclusions suggèrent fortement que les agents devraient respecter davantage les trois principes pendant leurs séances de surveillance avec leurs clients.

Il n'existe pratiquement pas d'étude sur le respect des principes du risque, des besoins et de la réceptivité dans les séances individuelles, ce qui est plutôt surprenant étant donné qu'il existe beaucoup de documentation sur les « pratiques correctionnelles de base » dérivées de ces principes (Andrews et Bonta, 2010; Dowden et Andrews, 2004). Ce n'est que tout récemment que des chercheurs ont commencé à s'intéresser davantage à la formation des agents de surveillance dans la collectivité relativement à leur façon d'agir avec leurs clients pendant la surveillance. En 1996, Trotter a créé un programme de formation qui suivait certains éléments du principe de la réceptivité. Dans l'étude, 30 agents de probation ont reçu une formation de cinq jours sur l'adoption de modèles prosociaux, l'empathie et la résolution de problèmes. Après avoir suivi cette formation, 12 agents ont continué d'assister à des séances de formation et ont appliqué leurs nouvelles connaissances à leurs séances de surveillance. Le taux de récidive de 93 clients de ces 12 agents a été comparé à celui de 273 clients d'agents qui ont repris leurs pratiques régulières de surveillance. Au terme de quatre ans, le taux de nouvelles condamnations s'élevait à 53,8 % chez les clients d'agents ayant continué à appliquer les connaissances apprises en formation, selon l'examen des dossiers. Le taux de récidive des clients d'agents qui ont repris leurs pratiques de surveillance était de 64 %.

Plus récemment, des psychologues canadiens (Bonta et coll., 2010; Bourgon, Bonta, Rugge et Gutierrez, 2010a; Bourgon, Bonta, Rugge, Scott, et Yessine, 2010b) ont élaboré l'Initiative de formation stratégique en surveillance communautaire (IFSSC). Ce programme de formation comprend trois jours de formation et des activités continues de soutien clinique (p. ex., cours de perfectionnement, rétroaction individuelle et rencontres mensuelles) apportant des connaissances et des techniques d'intervention précises, pratiques et concrètes fondées sur le modèle RBR. Des agents choisis au hasard ont reçu la formation, et l'analyse des enregistrements de séances de surveillance individuelles a montré que les agents formés dans le cadre de l'IFSSC ont grandement amélioré leurs interactions avec leurs clients (en utilisant les connaissances et les techniques d'intervention fondées sur le modèle RBR). Quand on s'est intéressé à la récidive des clients, on a découvert que ceux qui étaient surveillés par les agents formés dans le cadre de l'IFSSC avaient un taux de récidive sur deux ans de 25,3 % par rapport à un taux de 40,5 % pour les clients surveillés par les agents du groupe témoin (Bonta et coll., 2010). Cette initiative a encouragé d'autres chercheurs à créer des programmes de formation semblables, par exemple, les programmes STARR (Formation du personnel visant la réduction des nouvelles arrestations) de Lowenkamp et ses collègues de l'Office of Probation and Pretrial Services des États-Unis et EPICS (Pratiques efficaces en surveillance dans la collectivité) du Corrections Institute de l'Université de Cincinnati. Les résultats prometteurs de ces projets commencent à se manifester (Robinson, Vanbenschoten, Alexander et Lowenkamp, 2011).

Évolution des tâches des agents de surveillance dans la collectivité

Comme nous comprenons mieux l'importance de ce qui se passe pendant les rencontres individuelles, nous voyons la nécessité de réexaminer et de réorienter les tâches liées à la surveillance dans la collectivité. Auparavant, on adoptait principalement une approche de gestion de cas avec les clients. Dans cette approche, l'agent « gère » ses clients et les services qu'ils reçoivent. Au minimum, le gestionnaire de cas s'assure que son client respecte la peine prononcée par le tribunal et prend note de son comportement à cet égard. Avec l'ajout de l'évaluation du risque et des besoins dans les services correctionnels communautaires, de nouvelles tâches sont nécessaires. L'agent de surveillance dans la collectivité doit réaliser des évaluations du risque et des besoins et communiquer les résultats à divers professionnels du domaine de la justice pénale (p. ex., les tribunaux). Il pourrait aussi être chargé de la planification de cas de réadaptation complexes qui vont au-delà du simple respect des conditions de la peine.  

La planification des cas et les tâches du gestionnaire de cas varient grandement d'un endroit à l'autre. Dans les endroits où l'on met l'accent sur la protection de la population, le gestionnaire de cas se préoccupe surtout de la façon dont le délinquant respectera les obligations liées à sa peine (p. ex., travail communautaire, analyse d'urine) et surveille son client. Dans les endroits où l'accent est mis sur la réadaptation des délinquants, le gestionnaire de cas doit cerner les besoins criminogènes de son client et s'efforcer de l'orienter vers les services qui pourront y répondre. Le gestionnaire de cas joue habituellement le rôle de courtier ou recommande au délinquant d'utiliser des services sociaux communautaires tels que des programmes d'assistance sociale, d'emploi, de logement et des services de santé (dépendances, santé mentale, services médicaux, etc.). Au cours des séances individuelles de surveillance, le gestionnaire de cas peut tenter d'aider le client à surmonter les barrières ou les obstacles qui l'empêchent d'obtenir de tels services. Les techniques d'entrevue motivationnelle sont couramment utilisées. En ce qui concerne ses tâches pendant les séances individuelles, le gestionnaire de cas doit principalement aider, motiver, orienter, guider et appuyer le client pour qu'il reçoive les services dont il a besoin. Selon l'approche de gestion de cas, on considère que la tâche réelle de « changement » – c'est-à-dire la tâche de favoriser le changement prosocial – relève des professionnels qui offrent les services sociaux, de réadaptation ou de traitement, et non du gestionnaire de cas.   

D'un côté, le modèle de gestion des cas peut sembler plutôt bien s'harmoniser avec les principes du risque et des besoins. En ce qui concerne le principe du risque, les clients présentant un risque élevé (déterminé par un instrument valide d'évaluation du risque et des besoins) peuvent bénéficier d'un plus grand nombre de services avec des contacts plus fréquents et davantage d'aiguillage et de renvois à des traitements et des services sociaux. On peut élaborer des politiques administratives de base, telles que celles qui exigent davantage de contact avec les clients à risque élevé, dans le but de mieux respecter le principe du risque. Le modèle de gestion des cas peut sembler respecter le principe des besoins si les agents cernent les besoins criminogènes et qu'ils s'efforcent d'aiguiller et de renvoyer le client, en plus de l'aider à obtenir les services qui répondent à ces besoins. Enfin, une approche de gestion des cas bien conçue peut respecter d'autres principes ajoutés plus récemment (voir Andrews et Bonta, 2010, pour consulter la liste complète des principes), tels que l'utilisation d'évaluations structurées, et d'autres facteurs administratifs ou organisationnels quand l'organisme porte attention à des détails comme la formation du personnel, les politiques de surveillance et les pratiques organisationnelles.  

D'un autre côté, l'approche de gestion des cas ne tient pas suffisamment compte du principe de la réceptivité. Ce principe se concentre presque exclusivement sur l'intervention elle-même qui se tient en privé. Le respect du principe de la réceptivité nécessite l'utilisation d'interventions cognitivo-comportementales et de capacités de structuration pendant les interactions avec les clients (Andrews et Bonta, 2010). Dans l'approche de gestion des cas, en quoi consiste l'intervention exactement? À notre avis, l'utilisation d'interventions cognitivo-comportementales n'est pas essentielle aux fonctions de gestion des cas où l'on met l'accent sur le renvoi, la recommandation, l'appui, l'aide et la résolution de problèmes sociaux. L'intervention thérapeutique ou le « travail de changement » est la responsabilité des professionnels qui offrent le traitement ou les services sociaux; le gestionnaire de cas n'est pas directement chargé de favoriser le changement. En fait, l'analyse des enregistrements de séances de surveillance faits par Bonta et ses collègues (Bonta et coll., 2008; Bonta et coll., 2010; Bourgon et coll., 2010a) suggère qu'en général, les agents de surveillance dans la collectivité n'assument pas un rôle actif ou direct dans le « travail de changement » de leurs clients à moins qu'ils soient spécialement formés pour le faire.

Les programmes récents tels que l'IFSSC (Bonta et coll., 2010; Bourgon et Gutierrez, sous presse; Bourgon et coll., 2010a) et d'autres initiatives semblables de formation (Robinson, Vanbenschoten, Alexander et Lowenkamp, 2011) laissent croire que l'efficacité du processus de changement augmente quand les agents de surveillance dans la collectivité y jouent un rôle actif et direct. Un examen détaillé de ces programmes de formation montre bien qu'on encourage les agents de surveillance dans la collectivité à endosser le rôle d'agent du changement. On trouve au cœur de ces formations les concepts thérapeutiques, les techniques d'intervention cognitivo-comportementales et les capacités de structuration de base. On enseigne aux agents à assumer le rôle d'agent du changement dont la principale tâche est de participer activement au processus de changement thérapeutique du client et où l'on considère le travail traditionnel de gestion de cas comme accessoire. Cette nouvelle demande faite aux agents de surveillance dans la collectivité les pousse à travailler de façon thérapeutique avec leurs clients et à employer des compétences et des techniques fermement enracinées dans les principes du risque, des besoins et de la réceptivité, afin de favoriser directement des changements personnels, d'attitude et de comportement.

Qu'est-ce qui est essentiel pour qu'un agent de surveillance dans la collectivité devienne un agent du changement?

En travaillant avec les professionnels du domaine de la justice pénale, nous avons remarqué que la transition de gestionnaire de cas à agent du changement est importante et difficile. L'un des défis les plus importants que nous ayons observés concerne la compréhension de l'approche cognitivo-comportementale et de ses effets sur le « travail de changement » qui se fait pendant les rencontres individuelles. Un autre défi pratique important pour l'agent est de traduire l'évaluation traditionnelle du risque et des besoins en un plan stratégique d'intervention thérapeutique. Ce plan d'intervention ne sert pas seulement à la gestion de cas, mais aussi à guider au quotidien le travail direct de changement que l'agent entreprend avec son client. Quand l'agent est en possession de cette feuille de route du changement, il peut alors se concentrer sur l'application des processus de traitement cognitivo‑comportemental qui amorceront et favoriseront les changements d'attitude et de comportement. Quand les gestionnaires de cas ont surmonté ces deux défis, appris les techniques concrètes d'intervention et d'établissement de relations interpersonnelles et acquis les aptitudes connexes, ils peuvent devenir des agents du changement.

La suite du présent article est consacrée à l'explication de ces deux défis. D'abord, nous discuterons de l'approche cognitivo-comportementale de façon très pratique relativement à ce qui se passe pendant les séances individuelles. Nous présenterons au lecteur ce que nous estimons être les quatre étapes fondamentales ou tâches de changement pour favoriser le changement à l'aide du modèle cognitivo-comportemental, en l'adaptant aux agents de surveillance dans la collectivité qui travaillent avec des clients du système de justice pénale. Ensuite, nous discuterons des difficultés souvent rencontrées par les agents de surveillance concernant la traduction des résultats de l'évaluation du risque et des besoins en un plan du changement pratique et utile qui tient compte des difficultés et des réalités du travail avec des clients sous surveillance dans la collectivité. Enfin, nous présenterons le Plan d'action de l'IFSSC pour donner aux agents un cadre concret et pratique les aidant à comprendre et à interpréter les résultats des évaluations du risque et des besoins afin de concevoir un plan de changement stratégique et thérapeutique leur permettant de travailler directement avec leurs clients.  

Interventions cognitivo-comportementales

Il existe un nombre appréciable de preuves empiriques de l'importance d'utiliser les interventions cognitivo-comportementales avec les clients du système de justice pénale (p. ex., Bourgon et Gutierrez, sous presse; Cullen et Gendreau, 1989; Gendreau et Andrews, 1990; Lipsey, Chapman et Landenberger, 2001; Landenberger et Lipsey, 2005; Lösel et Schmucker, 2005; Wilson, Bouffard et Mackenzie, 2005). Ces programmes utilisent souvent des termes comme déclencheurs, erreurs de réflexion et pensées négatives et emploient des techniques de restructuration cognitive telles que le recadrage et le discours intérieur positif. De nos jours, il semble que tous les programmes et les services se prétendent cognitivo-comportementaux. Mais que signifie ce concept réellement?

La réponse simple est qu'en plus de tenir compte des principes fondamentaux de l'apprentissage (p. ex., le renforcement et la punition), les approches cognitivo‑comportementales reconnaissent que les pensées et les cognitions ont une influence sur le comportement. Toutefois, la définition de ce que sont les interventions cognitivo-comportementales dans la pratique et en séance individuelle est plus complexe. Il y a quelques années, l'auteur principal et sa collègue de longue date Barb Armstrong ont eu une discussion. À cette époque, il était entendu que quatre étapes ou tâches sont nécessaires pour réussir une intervention cognitivo-comportementale. Il s'agit 1) de comprendre avec le client le lien qui existe entre les pensées et le comportement; 2) d'aider le client à découvrir ses schémas de pensée qui entraînent ses problèmes de comportement; 3) d'enseigner au client des compétences comportementales et cognitives concrètes; et 4) d'aider le client à généraliser et à mettre en pratique ses nouvelles compétences. Sur la base de ces quatre étapes, nous avons rapidement reconnu que l'efficacité avec laquelle ces étapes sont accomplies varie considérablement, pour autant qu'elle existe, entre la multitude de programmes et de services qui se prétendent cognitivo-comportementaux. En ce qui concerne les agents désirant devenir des agents du changement, nous croyons qu'il est essentiel qu'ils comprennent chacune de ces quatre étapes et de quelle façon elles peuvent favoriser ou freiner les changements efficaces chez le client.   

Nous sommes d'avis que l'étape, ou tâche clinique, la plus importante – et la plus difficile – est d'illustrer au client le lien direct qui existe entre les pensées et le comportement. Pour ce faire, le lien de causalité doit être illustré de façon claire, explicite et directe. Dans le cadre de l'IFSSC, on enseigne aux agents à montrer à leurs clients, de façon concrète et pratique, que leur comportement résulte directement de leurs pensées, et de rien d'autre. La précision « de rien d'autre » est cruciale. Selon notre expérience, quand on présente au client un modèle de comportement qui suggère, explicitement ou implicitement, que leur comportement résulte de stimuli extérieurs (c'est-à-dire qui ne font pas partie de lui), on renforce ses schémas de pensée problématique ou procriminelle. Nous ne croyons pas que le modèle présenté au client devrait légitimer ses excuses, justifications ou neutralisations à l'égard de son comportement.

Dans cette ligne de pensée, le modèle évite de limiter la responsabilité personnelle que les clients devraient assumer pour leurs pensées, leurs sentiments et leurs comportements; autrement dit, pour les choix qu'ils font. Par exemple, bien des interventions et des modèles cognitivo-comportementaux suggèrent que les stimuli extérieurs sont les « déclencheurs » de certaines pensées ou émotions. On enseigne aux clients qu'il leur revient de gérer les événements qui découlent de ces « déclencheurs ». « L'événement extérieur qui cause l'événement intérieur qui entraîne le comportement » est exactement le genre de conception que nous tentons de modifier. Si le client croit que les circonstances expliquent, et donc justifient, son comportement et qu'il blâme des forces extérieures pour son comportement, ses pensées et ses sentiments, il croira également qu'il ne peut pas contrôler ce qu'il pense, ressent ou fait (donc qu'il est une victime) quand, en réalité, c'est l'inverse qui est vrai.

À notre avis, le lien de causalité direct entre la pensée et le comportement est le noyau de la question. Soit je suis responsable de tout ce que je pense, ressens et fais, soit je n'en suis pas responsable. Si je n'en suis pas responsable, alors j'ai des excuses. Si j'en suis responsable, alors je reconnais que je fais des choix et que ce n'est pas aux autres, aux circonstances ou à autre chose que moi-même que je peux attribuer mes problèmes et mes réussites. Dans la pratique, le client doit comprendre cela avant que l'agent du changement puisse entamer tout « travail de changement ». Quand le client a compris le lien de causalité direct entre ses pensées et son comportement (que seules ses pensées expliquent son comportement), alors il est prêt à évaluer les conséquences et les avantages de son comportement et de son raisonnement. En termes de changement, le client est alors prêt à accepter que pour changer son comportement, il doit d'abord changer sa façon de penser. Dès qu'il a accepté cette idée, il est en mesure d'examiner ses pensées ainsi que le comportement qu'elles encouragent.

La deuxième étape ou tâche consiste à aider le client à découvrir ses schémas de pensée qui entraînent ses problèmes de comportement. Dans le cas des clients du système de justice pénale, les comportements déviants sont ceux qui sont empiriquement liés à la criminalité, et principalement aux facteurs criminogènes. Après la première étape, où le client (et aussi l'agent) comprend que tous ses comportements résultent de ses pensées (qu'il choisit et qu'il a le pouvoir de changer), il est prêt pour la deuxième étape. Toutefois, la capacité de cerner les pensées, croyances et attitudes qui contribuent aux comportements procriminels (dans l'IFSSC, on appelle ces pensées bandes) ne s'acquiert pas facilement, particulièrement pour les clients du système de justice pénale, qu'on dépeint comme impulsifs et ayant peu d'auto-réflexion et de conscience de soi. Mais c'est tout de même une compétence et, comme toutes les compétences, elle peut être acquise.

Pour accomplir ces deux tâches (établir le lien entre les pensées et le comportement et découvrir les schémas de pensée personnels), l'agent du changement propose des activités structurées permettant au client de développer une conscience de soi et de la mettre en pratique. Cette conscience permet de cerner des pensées précises et d'évaluer leur contribution à des comportements en particulier. L'agent du changement aide aussi le client à reconnaître et à déterminer les conséquences de ces comportements. C'est par des exemples concrets et pratiques que le client acquiert ces capacités et commence à saisir la complexité des pensées, des comportements et de leurs conséquences. Par exemple, il est facile pour le client de comprendre que la pensée « en prenant de la cocaïne, je me sentirai mieux » mène au choix d'acheter et de consommer de la cocaïne, et que ce comportement aura de nombreuses conséquences à court terme (p. ex., euphorie, amusement avec les pairs) et à long terme (p. ex., prison, saignements de nez, paranoïa). Toutefois, il est plus difficile d'établir le lien entre la pensée « c'est comme je l'ai décidé et pas autrement » et le choix de consommer des drogues et d'en assumer les conséquences. L'agent du changement accomplit cette tâche par des exercices et des interventions qui visent à augmenter la conscience que le client a de ses propres schémas de pensée ainsi que ses capacités d'observer les événements tant intérieurs qu'extérieurs. Le client est alors en mesure d'évaluer si le raisonnement et le comportement en valent la peine, tout en reconnaissant qu'il est entièrement responsable des choix qu'il fait, y compris le choix de changer.

C'est à ce moment que le client est prêt pour la troisième étape : acquérir des compétences cognitives et comportementales sur la façon de penser différemment pour agir différemment. Les compétences ciblent le raisonnement autant que le comportement. Étant donné l'importance du raisonnement, la première compétence est d'apprendre à changer sa façon de penser. On nomme souvent cette compétence restructuration cognitive; dans l'IFSSC, on l'appelle contrer les pensées. Cette compétence doit être clairement et directement associée au changement des pensées et des comportements procriminels en pensées et comportements prosociaux. En plus d'enseigner à son client à contrer les pensées, particulièrement en ce qui concerne les délinquants à risque modéré ou élevé, l'agent du changement doit également lui enseigner différentes compétences comportementales prosociales (comme la rédaction d'un CV, la communication de base, la négociation et la résolution de conflits ou de problèmes). Conformément au principe de la réceptivité, et afin d'être pratiques et efficaces, les compétences mentionnées doivent être concrètes, simples et présentées aux clients de façon à ce qu'ils les acquièrent facilement.

La dernière étape de l'intervention cognitivo-comportementale consiste à offrir au client suffisamment d'occasions de généraliser et de mettre en pratique ses nouvelles compétences. La pratique est la base de l'apprentissage, car elle nécessite d'avoir un comportement, d'obtenir de la rétroaction au sujet de ce comportement et de se servir de la rétroaction pour favoriser le changement et renforcer les nouveaux comportements et schémas de pensée. Les clients du système de justice pénale ont besoin de mettre en pratique les compétences qu'on leur enseigne pendant les séances de surveillance (p. ex., en faisant des jeux de rôle) et en dehors de celles-ci (p. ex., en essayant de communiquer avec leur partenaire) pour que le processus d'apprentissage et de généralisation fonctionne bien. La tâche de l'agent du changement est de fournir des occasions de se servir des compétences, de donner de la rétroaction ainsi que d'encourager et de renforcer l'utilisation de ces nouvelles compétences.   

Pour résumer, l'agent de surveillance dans la collectivité doit accomplir quatre tâches cliniques s'il veut jouer un rôle direct et actif dans l'incitation au changement. Ces quatre tâches constituent la base de ce que nous croyons être une véritable intervention cognitivo-comportementale, une fondation du principe de la réceptivité associé aux interventions correctionnelles efficaces. Bien sûr, accomplir ces tâches pendant les séances individuelles représente un défi. C'est donc en grande partie ce qu'on enseigne dans la formation de l'IFSSC : l'acquisition des compétences et des outils nécessaires à une intervention concrète, directe, pratique et personnalisée auprès du client.  

De l'évaluation au plan du changement

Avant d'entamer ce processus avec le client, l'agent du changement a tout avantage à préparer un plan stratégique général du changement pour chacun de ses clients. C'est à ce moment que l'évaluation des facteurs de risque et de besoins du client peut l'aider. En général, on utilise surtout les renseignements relatifs à l'évaluation du risque et des besoins pour orienter une série de décisions dans le domaine de la justice pénale plutôt que pour élaborer les stratégies d'intervention clinique elles-mêmes. Par exemple, on utilise les évaluations du risque et des besoins pour déterminer les peines et choisir le classement de l'établissement. Dans le cadre des interventions, on peut utiliser les renseignements relatifs à l'évaluation du risque et des besoins pour déterminer les besoins du client afin de lui proposer les services appropriés. Dans les services correctionnels communautaires, les évaluations du risque et des besoins sont souvent essentielles au choix du niveau d'encadrement (p. ex., le type et la fréquence des rapports entre le client et l'agent) et guident les tribunaux à ordonner, ou l'agent à recommander, que le client participe à certains services de traitement (p. ex., traitement de la toxicomanie).

Le gestionnaire de cas a habituellement pour rôle de cerner précisément l'ensemble des besoins criminogènes et de commencer le processus de renvoi et d'admission. Les efforts déployés pour que le client participe aux programmes et pour supporter et encourager cette participation (p. ex., en augmentant sa motivation) sont fondamentaux. L'ordre dans lequel le client suit les programmes importe peu, car la plupart des programmes et des services sont conçus pour cibler des problèmes ou des besoins distincts (comme la violence conjugale chez les hommes, l'emploi et les programmes de toxicomanie qui ciblent parfois très précisément des drogues de prédilection comme la cocaïne, l'héroïne ou la méthamphétamine). Ainsi, le gestionnaire de cas surveille et consigne à quels besoins on a répondu. 

Toutefois, dans le cadre de l'approche d'agent du changement, on demande à l'agent d'utiliser les évaluations du risque et des besoins d'une façon légèrement différente, et peut‑être plus complexe. Cette fois, on ne se demande pas seulement quels sont les besoins du client et quels sont les services qui pourront le mieux y répondre. On se demande également par où commencer et comment intervenir dans chaque cas. Une difficulté réside dans le fait que les clients à risque modéré et élevé présentent de multiples besoins qui sont reliés entre eux. Alors, comment l'agent du changement distingue‑t‑il les besoins primaires? Pour favoriser le changement de façon stratégique, il doit tenter de cibler les besoins criminogènes de base et de s'y attaquer, ce qui influencera ensuite les besoins plus secondaires qui y sont liés.

Le modèle cognitivo-comportemental guide donc clairement et concrètement l'agent du changement sur la façon d'interpréter les résultats de l'évaluation du risque et des besoins pour concevoir un plan thérapeutique favorisant le changement qui soit cohérent, complet, stratégique et pratique. Plutôt que de considérer le risque et les besoins comme un ensemble de facteurs criminogènes distincts, il faut les examiner globalement en tenant compte de tous les renseignements fournis par l'évaluation du risque et des besoins. Toutefois, il existe encore des difficultés et des variations considérables liées à la traduction des évaluations du risque et des besoins en un plan thérapeutique du changement qui soit complet et pratique. La formation de l'IFSSC donne aux agents une base solide en matière d'intervention cognitivo-comportementale, ce qui les aide à repérer les relations entre les différents besoins criminogènes et leur ordre de priorité. Pour ce faire, nous avons créé un outil pratique que nous appelons le Plan d'action de l'IFSSC. Cet outil aide les agents de surveillance dans la collectivité à comprendre les évaluations et à rédiger des plans d'intervention stratégiques avec chacun de leurs clients.

Plan d'action de l'IFSSC

Traduire les renseignements sur le risque et les besoins en un plan stratégique du changement peut représenter un défi complexe pour les agents de surveillance dans la collectivité. Outre la complexité du profil de risque et de besoins du délinquant, l'agent doit tenir compte d'autres facteurs. Un ensemble de facteurs concerne l'administration de la peine. Cela signifie que des exigences sont habituellement liées à la peine, comme les diverses conditions et restrictions que le client doit respecter. L'agent doit aussi être conscient d'autres détails « professionnels » tels que les directives stratégiques et les pratiques en vigueur à l'égard de certains types de délinquants (p. ex., relativement à la surveillance des délinquants sexuels) ou certains niveaux de risque (p. ex., les délinquants à risque élevé doivent rencontrer leur agent de probation en personne au moins trois fois par mois).

Un autre ensemble de facteurs concerne le mode de vie du client. La vie des délinquants criminels est souvent chaotique et imprévisible (emplois instables et sporadiques, relations difficiles, logement instable, difficultés financières, etc.) et souvent, leur situation change radicalement sur de courtes périodes. L'agent de probation doit être sensible aux situations de crise et aux besoins du client, sans se laisser accabler au point de ne pas être en mesure d'entreprendre le « travail de changement ».

C'est généralement après avoir réglé ces deux ensembles de facteurs que l'agent du changement peut se concentrer sur les besoins criminogènes et favoriser le changement. Il doit pouvoir déterminer non seulement les besoins criminogènes du client, mais aussi lesquels sont les plus importants et doivent avoir la priorité sur les autres. Il doit également tenir compte des ressources dont il dispose (p. ex., les programmes de traitement et les services connexes) et des listes d'attente inévitables pour l'admission. L'agent du changement doit aussi entreprendre le traitement thérapeutique et entamer le processus qui favorisera le changement d'attitude et de comportement.

Pour venir en aide aux agents dans cette tâche complexe, le Plan d'action de l'IFSSC (voir la figure 1) fournit un cadre prévu pour donner une vue d'ensemble des facteurs de risque et de besoins du client. Il tient compte des politiques des services correctionnels communautaires et de la complexité de la vie des clients pour aider l'agent à décider sur quels efforts de changement il doit se concentrer. La conception du Plan d'action de l'IFSSC est cohérente avec le modèle cognitivo-comportemental et donc, respecte les principes du risque, des besoins et de la réceptivité. Jusqu'à maintenant, la grande majorité des agents qui ont participé au projet estiment que le Plan d'action de l'IFSSC est un outil très pratique. Nous décrivons ci-dessous les étapes à suivre pour le remplir.

La première étape, après l'évaluation officielle du risque et des besoins (habituellement faite tout de suite avant ou après le prononcé de la sentence), consiste à s'assurer du respect des politiques relatives au niveau de surveillance et à la fréquence des rapports. C'est à cette étape que l'agent indique le niveau de risque de récidive du client et le niveau global de besoins (habituellement faible, modéré ou élevé) afin de déterminer les particularités de la surveillance (p. ex., la fréquence des rencontres en personne). Nous sommes conscients que certaines raisons peuvent entraîner la modification de ce niveau de surveillance (p. ex., les délinquants sexuels ont souvent un niveau de surveillance plus élevé que ce qui est indiqué dans l'évaluation actuarielle du risque et des besoins), et le Plan d'action encourage l'inscription de ces motifs.   

La deuxième étape est de cibler les besoins pressants et les situations de crise qui nécessitent une attention immédiate. Il peut s'agir par exemple d'idées ou de comportements suicidaires ou encore de renseignements indiquant une menace immédiate de préjudice tels qu'un client sans-abri pendant l'hiver, un client psychotique ou un client ayant des antécédents de violence conjugale et indiquant l'augmentation récente de conflits et de difficultés conjugales. Essentiellement, cette étape est l'occasion pour l'agent de cerner les enjeux nécessitant une attention immédiate avant de s'attaquer aux changements prosociaux à long terme.  

La troisième étape consiste à concevoir le profil de risque et de besoins du client pour planifier l'intervention et s'assurer qu'elle respecte le modèle cognitivo-comportemental du comportement humain et du changement. Pour ce faire, l'agent doit répondre à quatre questions fondamentales placées en ordre décroissant de priorité pour l'incitation au changement. Ces questions sont : 1) L'intervention devrait-elle cibler les attitudes et les comportements procriminels? 2) L'intervention devrait-elle cibler les relations interpersonnelles du client? 3) Quels comportements déviants devraient être ciblés? et 4) Y a-t-il d'autres besoins criminogènes mineurs à traiter? Nous croyons que les réponses à ces questions aideront l'agent à établir les priorités et à concevoir, pour chaque client, un plan général de changement stratégique personnalisé et qu'elles orienteront concrètement l'agent quant au point de départ et à la façon de procéder pour favoriser un changement cognitivo‑comportemental.   

Comme il est indiqué dans le modèle cognitivo-comportemental, les attitudes procriminelles (les pensées, attitudes, valeurs et croyances qui encouragent les comportements procriminels) sont considérées comme le facteur de causalité le plus important du comportement criminel. Des études ont montré que les attitudes font partie des quatre grands facteurs de risque (avec les antécédents de comportement antisocial, la personnalité antisociale et les fréquentations antisociales) et sont l'un des prédicteurs les plus fiables de la récidive (Andrews et Bonta, 2010). Malheureusement, nous sommes d'avis que l'évaluation actuelle des attitudes procriminelles dans la plupart des évaluations du risque et des besoins est plus faible que l'évaluation des autres facteurs criminogènes.

Par exemple, la sous-échelle mesurant l'orientation et les attitudes procriminelles Niveau de service-Inventaire de gestion des cas (NS-IGC) (Andrews, Bonta et Wormith, 2004) comporte quatre éléments alors que la sous-échelle mesurant la toxicomanie, un prédicteurs moins fiable du comportement criminel, comporte huit éléments. La section emploi et éducation contient neuf éléments. De plus, les quatre éléments évaluent des attitudes procriminelles plutôt limitées et très générales : celles à l'égard de la criminalité; des conventions; de la peine et de l'infraction réunies; et de la surveillance et du traitement réunis. Nous croyons que cette faible évaluation des attitudes explique pourquoi l'étude effectuée dans le cadre de l'IFSSC (Bonta et coll., 2010) a permis de tirer les conclusions suivantes : des 143 clients du projet, on a évalué que 55 % présentaient un risque élevé et 40 % un risque modéré, mais que près de 60 % n'avaient pas de problème d'attitude procriminelle. Dans un modèle cognitivo-comportemental qui indique que le raisonnement est le principal déterminant du comportement, il est insensé qu'on évalue que si peu de clients ont des problèmes de pensée procriminelle alors que 95 % d'entre eux présentent un risque modéré ou élevé de récidive.   

Cette information en apparence contradictoire n'est qu'une réflexion de la méthode utilisée pour cibler les attitudes procriminelles quand on considère d'autres indicateurs ou des variables subrogatives des attitudes procriminelles qui sont présentes dans la plupart des instruments d'évaluation du risque et des besoins; à savoir les antécédents criminels et une personnalité antisociale. Étant donné que le comportement découle directement des pensées, il est raisonnable d'évaluer les attitudes du client en examinant ses antécédents criminels et ses traits de personnalité antisociale. Il semble également raisonnable de croire que si un client a une personnalité antisociale ou de lourds antécédents de comportement criminel, il doit aussi avoir beaucoup d'attitudes et de schémas de pensée procriminelles.

Dans le Plan d'action de l'IFSSC, on détermine si l'agent doit commencer à encourager le changement des attitudes procriminelles en examinant les résultats de trois sections d'évaluation normalement séparées : les antécédents criminels, la personnalité antisociale et les attitudes procriminelles. L'agent n'a qu'à indiquer si le niveau est faible, modéré ou élevé dans chaque section. À moins que les trois soient faibles, les efforts de changement doivent commencer par cibler les pensées du client. Dans pratiquement tous les cas où des services de traitement correctionnel sont nécessaires (selon le principe du risque, les clients présentant un risque modéré ou élevé), l'agent du changement commence le processus à la source : les pensées du client. 

La deuxième question au sujet des besoins criminogènes vise à déterminer si l'intervention doit cibler les relations du client. Comme dans la première section, le Plan d'action de l'IFSSC requiert que l'agent utilise les renseignements provenant de l'évaluation du risque et des besoins et indique le niveau de besoin pour tous les types de relations interpersonnelles. Ces types sont la famille d'origine, la situation ou la vie familiale et le cercle d'amis et de connaissances du client. En prenant le NS-IGC comme exemple, l'agent peut consulter les résultats de la section sur les relations familiales et conjugales pour se faire une idée du potentiel criminogène de la famille d'origine du client et de sa situation familiale (p. ex., le conjoint ou l'équivalent). La section du NS‑IGC traitant des fréquentations donne des renseignements sur les groupes de pairs du client. Ces renseignements sont transcrits dans le Plan d'action pour orienter les efforts visant à changer les relations criminogènes. La priorité demeure toutefois de favoriser le changement des pensées, car notre modèle cognitivo-comportemental soutient que le changement des pensées entraîne le changement de comportement, y compris des choix concernant la nature et la durée des interactions du client.

La troisième question concernant les besoins criminogènes s'intéresse à des choix de vie précis. Il s'agit de la toxicomanie, des comportements impulsifs ou agressifs et d'un faible niveau de scolarité ou d'emploi. Encore une fois, la plupart des instruments d'évaluation du risque et des besoins consacrent une section à ces besoins criminogènes. Comme pour les relations, ces choix de vie passent après les pensées et les attitudes, mais ils peuvent fournir un contexte concret pour favoriser le changement de pensées.

La dernière question sur les besoins criminogènes concerne des besoins très précis et détaillés, soit les problèmes financiers ou de logement et les loisirs et activités récréatives. Ces facteurs criminogènes représentent des objectifs relativement simples et sont faciles à associer à de nombreux services sociaux, communautaires et de bien-être. Selon notre expérience, ces problèmes sont souvent plus faciles à régler quand un changement s'est opéré dans les pensées procriminelles.  

La quatrième et dernière section du Plan d'action vise à cibler les problèmes de réceptivité. Ces problèmes orientent l'agent sur la façon d'interagir avec le client, de lui présenter l'information et de favoriser l'apprentissage. Ils comprennent tous les besoins non criminogènes, dont les troubles mentaux (schizophrénie, retard du développement, dépression, anxiété, traumatisme durant l'enfance, etc.), les déficiences physiques et bien d'autres.

Dans l'ensemble, le Plan d'action de l'IFSSC a été conçu pour être un outil concret et pratique à l'usage des agents de surveillance dans la collectivité tout en visant à permettre la souplesse et la polyvalence nécessaires au travail auprès de délinquants sous surveillance dans la collectivité. Son objectif est de donner une vue d'ensemble complète du client. Il encourage le respect des principes du modèle RBR et devrait pouvoir s'adapter à diverses politiques et pratiques inhérentes au travail de surveillance dans la collectivité. Mais surtout, nous croyons qu'il peut aider les agents de surveillance dans la collectivité à devenir des agents du changement en guidant leur compréhension, leur planification et leur réalisation des interventions cognitivo-comportementales individuelles visant à favoriser la réduction des comportements criminels.   

Résumé

Dans les services correctionnels communautaires d'aujourd'hui, les professionnels qui ont pour tâche de surveiller les délinquants doivent assumer de plus en plus de responsabilités. Des pratiques traditionnelles de surveillance à la gestion de cas, la profession d'agent de surveillance dans la collectivité continue d'évoluer. Les agents commencent à endosser un rôle direct et actif dans le processus de changement thérapeutique. Ce nouveau rôle met à l'épreuve les compétences, les capacités, les connaissances et les ressources existantes.

Pour aider les agents à relever le défi de devenir un agent du changement, nous avons présenté ce que nous espérons être des renseignements pratiques et fondamentaux. Guidés par les principes empiriques du risque, des besoins et de la réceptivité ainsi que par notre expérience clinique, nous avons tenté de faire passer de la théorie à la pratique la véritable signification du modèle cognitivo-comportemental. De la même façon, en se servant du Plan d'action de l'IFSSC, les agents pourront analyser les renseignements provenant de l'analyse du risque et des besoins avec les yeux d'un agent du changement. Nous espérons que ces renseignements guideront les agents de surveillance dans la collectivité et les aideront à devenir de bons agents du changement auprès des délinquants qu'ils surveillent.  

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Figure 1

Pland d'action de L'IFSSC
Instructions : Veuillez remplir ce formulaire en encerclant les réponses et en ajoutant des notes ou de brefs commentaires dans les sections appropriées. Utilisez tous les renseignements disponibles relatifs au dossier (p. ex., évaluation du risque et des besoins, dossier) pour évaluer les différents éléments.
Renseignements sur le cas Décisions relatives à la planification du cas et de l'intervention
1. Quel est le niveau de surveillance ou de service approprié pour le client selon l'évaluation du risque?
Niveau global de risque F M É Faible Modéré Élevé Détermination du niveau de surveillance
Niveau global de besoins F M É       Fréquence des rapports (mensuels, hebdomadaires, etc.)
2. Y a-t-il des besoins pressants ou une crise nécessitant une attention immédiate?
Crise, besoins pressants ou préoccupations NON OUI Veuillez préciser :
3. Quels sont les besoins liés aux facteurs criminogènes du client?
a. L'intervention devrait-elle cibler les attitudes et les comportements procriminels?
Antécédents criminels F M É NON OUI Cibler les attitudes et les comportements procriminels :
réduire les attitudes et comportements procriminels et agrandir ceux qui sont prosociaux
Enseigner des compétences cognitivo-comportementales
Personnalité antisociale* F M É
Attitude/orientation F M É
b. L'intervention devrait-elle cibler les relations et les associés du client?
Famille d'origine F M É NON OUI Cibler les relations et les associés du client :
réduire les liens et les associations procriminels et agrandir ceux qui sont prosociaux
Enseigner des compétences et agrandir l'accès à des récompenses prosociales
Conjoint(e) F M É
Fréquentations/pairs F M É
c. Quels comportements déviants devraient être ciblés?
Toxicomanie F M É NON OUI Cibler la toxicomanie : agrandir les compétences de prévention des rechutes
Agressivité et impulsivité F M É NON OUI Cibler l'agressivité : réduire l'impulsivité et agrandir la maîtrise de soi
Emploi et éducation F M É NON OUI Cibler l'emploi : agrandir l'éducation et la formation professionnelle
d. Y a-t-il d'autres besoins criminogènes à traiter (prob. de logement, financiers, dans les loisirs, etc.)?
Problèmes financiers ou de logement F M É NON OUI Cibler le logement : agrandir la stabilité et l'aide ou les compétences financières
Loisirs et activités récréatives ** F M É NON OUI Cibler les loisirs : agrandir les activités et les passe-temps prosociaux
4. Y a-t-il des problèmes de réceptivité ou des besoins non criminogènes à noter?
Besoins non criminogènes NON OUI Veuillez préciser :
Problèmes de réceptivité NON OUI Veuillez préciser :
* Fait référence à un schéma de comportement criminel de longue date. Peut comprendre, sans s'y limiter, des problèmes d'impulsivité, de maîtrise de soi, de gestion de soi, d'agressivité et de violence (générale, familiale et sexuelle). ** Fait référence au type et à la fréquence des activités organisées auxquelles le client prend part quand il ne travaille pas, on évalue dans quelle mesure ces activités sont prosociales et conventionnelles.
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