Les trajectoires de délinquance des jeunes probationnaires du début de l'adolescence au milieu de l'âge adulte en fonction de deux catégories

Les trajectoires de délinquance des jeunes probationnaires du début de l'adolescence au milieu de l'âge adulte en fonction de deux catégories Version PDF ( 1,2 Mo)

Rapport de recherche: 2012-4

Annie K. Yessine
Centre national de prévention du crime
Sécurité publique Canada

James Bonta
Recherche correctionnelle
Sécurité publique Canada

Table des matières

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier le Dr Kenneth A. Bollen et la Dre Linda K. Muthén, qui ont fourni des recommandations analytiques et des conseils statistiques aux fins de la réalisation de la présente recherche. Nous remercions également Jennifer Cooney, Louise Grace, Terri-Lynne Scott et Simon Young de leur aide dans le codage des données sur la récidive.


Sommaire

La présente étude vise à définir les cheminements criminels distinctifs et à préciser les caractéristiques qui permettent de prédire les futures trajectoires de délinquance d'un échantillon de la population canadienne constitué de 514 jeunes probationnaires des deux sexes jusqu'au milieu de l'âge adulte. Les résultats, qui étaient fondés sur un modèle mixte de courbe de croissance latente, ont révélé l'existence de deux types principaux de délinquants qui se distinguaient par leur composition, leurs activités criminelles et leur tendance à renoncer ou non à la criminalité pendant leur vie. L'un des deux groupes était constitué d'environ 13 % des délinquants, lesquels affichaient un taux élevé de criminalité chronique pendant toute leur vie. La fréquence et la gravité des infractions de ce groupe se sont intensifiées constamment à partir de l'adolescence. Le reste de l'échantillon (87%) se caractérisait par une participation sporadique et/ou moins grave à des activités criminelles au fil des ans. Les habitudes criminelles des membres de ce groupe demeuraient stables, même si leur fréquence et leur gravité avaient tendance à diminuer légèrement à partir de l'âge de 26 ans. Les sujets classés dans le groupe des délinquants à la trajectoire de délinquance chronique et à criminalité élevée commettaient une plus grande diversité d'infractions et un plus grand nombre de crimes avec violence que les délinquants stables à criminalité faible. Parmi les domaines de risque et de besoins résultant de facteurs criminogènes, les habitudes en matière de fréquentation des jeunes constituaient la variable explicative qui permettait de prédire avec le plus de fiabilité l'appartenance à un groupe. Comme on pouvait s'y attendre, le groupe des délinquants à la trajectoire de délinquance chronique et à criminalité élevée comptait plus de délinquants qui avaient des liens négatifs et non constructifs avec leurs pairs que le groupe de délinquants à la trajectoire stable et à faible criminalité. Dans l'ensemble, les résultats sont conformes aux deux catégories proposées par Loeber et Stouthamer-Loeber (1996), Moffitt (1993), de même que Patterson, Reid et Dishion (1992). À la fin de la présente étude, on présentera les répercussions politiques et pratiques des résultats, ainsi que les orientations possibles pour les futures recherches.


Introduction

L'identification et la caractérisation des sous-groupes de jeunes qui commettent des activités délinquantes et criminelles de divers niveaux de gravité ont été au centre des programmes de recherche des criminologues du développement. Cet intérêt des chercheurs découlait de la constatation incontestée selon laquelle les comportements criminels qui commencent au début de l'adolescence s'aggravent pour atteindre un sommet à la fin de l'adolescence, puis diminuent au début de l'âge adulte (p. ex. Blockland, Nagin et Nieuwbeerta 2005; Blumstein et Cohen 1987; Elliott 1994; Farrington, Lambert et West 1998; Loeber, Farrington, Stouthamer-Loeber, Moffitt et Caspi 1999). Dans le cadre des efforts déployés pour expliquer cette courbe âge-criminalité, il y a une question qui a beaucoup attiré l'attention. Elle consiste à déterminer s'il existe, au sein de la population de délinquants, des groupes distincts dont les membres partageraient une étiologie commune et suivraient des trajectoires de délinquance différentes des membres des autres groupes.

Dans ce contexte, la nécessité de traiter de l'hétérogénéité au chapitre de l'incidence et de la continuité des comportements criminels au cours du développement des jeunes est devenue largement acceptée dans les domaines de la criminologie et de la psychologie (Loeber et Stouthamer-Loeber 1998). Même si certains chercheurs (p. ex. Gottfredson et Hirschi 1990) font valoir que l'augmentation observée du taux de criminalité durant l'adolescence reflète un accroissement passager du nombre réel d'actes criminels commis par un sous-groupe de petite taille et constant d'adolescents, un nombre croissant de théoriciens du développement et des parcours de vie (p. ex. Loeber et Stouthamer-Loeber 1996; Moffitt 1993; Patterson, Capaldi et Bank 1992) postulent que le nombre de personnes qui sont prêtes à commettre une infraction durant l'adolescence est plus élevé, ce qui donne à penser que la courbe âge-criminalité recèle des parcours de développement distinctifs au sein de la population de délinquants.

Au cours de la dernière décennie, un grand nombre de systèmes taxonomiques du développement ont été avancés pour expliquer la continuité individuelle et le changement dans les comportements criminels au fil du temps. Parmi les plus importants, on retrouve ceux proposés par Loeber et Stouthamer-Loeber (1996), Moffitt (1993) et Patterson et coll. (1992). Selon leurs théories, la population de délinquants est composée de deux catégories hypothétiques principales de délinquants qui suivent un parcours criminel prototypique distinctif lié à divers facteurs de risque. Les comportements antisociaux de l'un de ces deux groupes (appelé celui des « délinquants précoces chroniques ») auraient comme point de départ des formes moins graves d'activités criminelles et/ou déviantes durant l'enfance par suite d'un développement neurologique anormal, et s'aggraveraient graduellement au cours de la vie de ces personnes, lorsqu'elles sont en interaction constante avec divers facteurs à risque élevé dans leur milieu (p. ex., parents inadéquats). Quant au deuxième groupe, qui est beaucoup plus nombreux (« délinquants tardifs renonciateurs »), on a postulé que ceux qui en font partie commencent à adopter des comportements criminels plus tard dans la vie (durant l'adolescence) et y renoncent au début de l'âge adulte. Selon les hypothèses, les comportements antisociaux de ce deuxième groupe résulteraient non pas de déficiences neuropsychologiques, mais plutôt de l'influence de divers processus sociaux, comme un manque de maturité et de modèles sociaux, ainsi que le renforcement de comportements qui constituent des infractions aux règles.

Les conclusions découlant de cette série de recherches ont fourni des données probantes à l'appui de l'existence de ces deux sous-groupes distinctifs de délinquants et ont généré des considérations théoriques importantes concernant l'évolution des comportements criminels au cours d'une vie. La plus importante de ces considérations est peut-être l'hypothèse selon laquelle un certain nombre de délinquants ne font partie ni du groupe de délinquants précoces chroniques ni de celui des délinquants tardifs renonciateurs, ce qui suppose que la population de délinquants est peut-être composée de plus de deux sous-groupes. Plusieurs études ont récemment révélé qu'il existait un certain nombre de groupes aux trajectoires distinctes. Le nombre de groupes cernés varie habituellement de trois à six (voir Piquero 2008 pour un examen de ces groupes). En particulier, Moffitt (2006, 2007; Moffitt, Caspi, Dickson, Silva et Stanton 1996) a modifié sa théorie relative aux deux catégories de trajectoires pour y inclure une troisième, qui serait empruntée par un petit groupe de délinquants se caractérisant par un taux de criminalité persistant, mais faible, pendant une certaine période de leur vie (p. ex. de l'enfance à l'adolescence). Ce troisième type de trajectoire semble faire l'objet d'un certain nombre d'études longitudinales (p. ex. Fergusson, Horwood et Nagin 2000; Laub, Nagin et Sampson 1998; Moffitt, Caspi, Harrington et Milne 2002; Sampson et Laub 2003). La question de savoir si le système à deux catégories néglige la présence d'autres types de trajectoires de délinquance possibles logiquement demeure donc pertinente.

Les types de trajectoires constituent-ils un artéfact analytique?

Le débat sur le nombre réel de types de trajectoires de délinquance distinctes s'explique en partie par les différences au chapitre des méthodes et des analyses, lesquelles sont, en grande partie, fondées sur le type d'analyses statistiques utilisées pour examiner les données (Kreuter et Muthén 2008; Piquero 2008). Une esquisse historique des études visant à classifier les personnes en les regroupant selon leurs comportements criminels révèle la popularité de diverses approches. Certains chercheurs ont utilisé une méthode d'analyse de groupement (p. ex. Aalsma et Lapsley 2001; Eklund et af Klinteberg 2006; Raine, Moffitt, Caspi, Loeber, Stouthamer-Loeber et Lynam 2005; Stattin et Magnusson 1991; Vincent, Vitacco, Grisso et Corrado 2003), d'autres, une méthode d'analyse factorielle (p. ex. LeBlanc 1996), et d'autres encore ont appliqué des méthodes taxométriques (p. ex. Skilling, Quinsey et Craig 2001). Même si ces traditions semblent convenir à l'analyse de données mesurées de manière ponctuelle, leur application à l'analyse des données mesurées à intervalles est limitée, puisque les observations ne sont pas indépendantes au sein des unités.

Pour l'analyse de données longitudinales, les modèles de croissance individuelle offrent de nombreuses possibilités et ont démontré leur supériorité par rapport à d'autres méthodes sur de nombreux plans. Entre autres, le cadre analytique et statistique utilise des variables latentes, ce qui réduit les erreurs de mesure. Les structures latentes sont également déterminées à l'aide de données dynamiques (c.-à-d. longitudinales) plutôt qu'à l'aide d'estimations ponctuelles. Cela permet aux chercheurs de cerner les tendances temporelles des données et de faire une distinction entre les groupes qui diffèrent sur le plan des habitudes criminelles au fil du temps (p. ex. commencent à commettre des infractions du même degré de gravité, mais tendent à perpétrer des infractions différentes au fil du temps). Les modèles de croissance individuels sont également souples en ce qui concerne le plan de recherche (p. ex. calendriers de collecte des données différents et/ou nombre de séries d'un sujet à l'autre), et les techniques statistiques permettent l'inclusion de variables contextuelles et utilisent toutes les données sur les participants, même si elles sont incomplètes.

En un mot, les modèles de trajectoires latentes permettent de séparer les trajectoires au fil du temps pour des mesures répétées. Chaque cas de l'échantillon peut afficher, avec le temps, une tendance temporelle distincte marquée par une pente et/ou une ordonnée à l'origine différentes. De plus, les modèles de trajectoires latentes constituent une approche de modèles d'équations structurelles (MES), approche profondément enracinée dans la méthodologie des sciences sociales. Cette approche a été utilisée dans divers domaines de recherche, comme la toxicomanie (p. ex. Chassin, Flora et King 2004; Greenbaum, Del Boca, Darkes, Wang et Goldman 2005; SimonsMorton et Chen 2006), les tests d'intelligence (p. ex. Raykov 1997) et les comportements criminels (p. ex. Blockland et coll. 2005; Chung, Hill, Hawkins, Gilchrist et Nagin 2002; Laub et Sampson 2003; Wiesner et Windle 2004).

Les modèles de trajectoires latentes sont appelés des modèles de trajectoires semi-paramétriques fondés sur des groupes ou des modèles mixtes de croissance latente (finie) lorsque l'on ne connaît pas l'identité des membres du groupe (Li, Duncan et Duncan 2001; Muthén et Shedden 1999; Nagin 1999; Nagin et Tremblay 2001)Note 1. Ces modèles constituent une élaboration des modèles conventionnels de vraisemblance maximale qui forment la base d'un grand nombre de méthodes statistiques couramment utilisées (p. ex. Poisson, régression logistique). En fait, l'approche du modèle mixte utilise une estimation de vraisemblance maximale pour obtenir les probabilités estimées relatives aux membres d'un groupe et refléter la nature probabiliste du classement des sujets dans les groupes. Les modèles mixtes de croissance latente ont donc deux missions centrales : le regroupement de personnes aux trajectoires semblables sur le plan du développement et les tests visant à déceler la présence de prédicteurs distinctifs des groupes. Ainsi, l'approche suppose que la population est composée de divers sous-groupes distincts, dont chacun se définit par une courbe de croissance prototypique. L'appartenance à un groupe n'est pas connue, mais est déduite des données. L'hétérogénéité non observée dans la production d'un résultat au fil du temps est isolée à l'aide de variables latentes.

La détermination et l'évaluation du risque

Quelle que soit leur orientation théorique, la plupart des chercheurs s'entendent sur l'importance d'identifier les jeunes délinquants les plus à risque de continuer à commettre des infractions, de comprendre les facteurs qui contribuent aux comportements délinquants persistants et de concentrer les ressources pour les interventions sur les délinquants chroniques et les auteurs d'infractions graves. L'identification des délinquants chroniques à risque élevé (et la détermination de caractéristiques qui les différencient des délinquants à faible risque et aux comportements criminels relativement passagers) est importante pour que l'on puisse concentrer les ressources sur eux, puisqu'il n'est ni possible ni souhaitable d'intervenir auprès de tous les délinquants. Comme l'affirme Anderson (2010), [traduction] « les nouvelles recherches soulignent la pertinence des politiques qui touchent les délinquants chroniques et récidivistes comme solution permettant de réduire les coûts liés à la criminalité » (page 276). L'efficacité d'un système de justice pénale dans la réduction des taux de criminalité et des coûts sociaux et humains qui sont habituellement associés au crime et à d'autres actes antisociaux peut donc être évaluée par sa capacité d'identifier de manière efficace les quelques délinquants qui commettent une grande proportion d'infractions graves. C'est seulement à ce moment-là qu'il est possible de déployer avec sagesse les efforts d'intervention et les autres ressources et de les répartir de manière utile.

À cet égard, les systèmes de justice pénale font face à deux grands dangers. D'abord, il y a la possibilité que l'on choisisse de cibler certains délinquants qui ne sont peut-être pas plus dangereux ou susceptibles de récidiver que d'autres délinquants du bassin plus large d'où ils sont issus. Ensuite, il y a des coûts humains liés au fait de classer incorrectement des délinquants chroniques dont les infractions sont graves comme présentant un faible risque de récidive. Le règlement approprié des cas par les responsables de la justice pénale est donc crucial pour le bon fonctionnement de tout système correctionnel ou de justice pénale, en particulier lorsqu'il s'agit d'un groupe relativement petit de délinquants à risque élevé qui commettent une part disproportionnée des crimes.

Cette responsabilité comporte celle d'évaluer le risque, ce qui soulève une question fondamentale : pouvons-nous établir des prédictions assez précises et traiter les délinquants de manière suffisamment efficace pour permettre de réduire les taux de récidive? La plupart des chercheurs répondraient par l'affirmative. La possibilité de prévoir la récidive à la fois générale et violente parmi les populations de délinquants typiques, ainsi que parmi les groupes de délinquants violents et de délinquants sexuels fait maintenant consensus (p. ex. Andrews et Bonta 2006; Campbell, French et Gendreau, sous presse; Gendreau, Little et Goggin 1996; Rice et Harris 1997). Le degré de succès d'une prédiction continue toutefois de dépendre des méthodes qu'utilisent les spécialistes de la justice pénale pour évaluer le niveau de risque que présente un délinquant (c.-à-d. clinique par rapport à actuariel). La plupart des chercheurs soutiendraient que les évaluations actuarielles du risque que pose un délinquant sont supérieures aux méthodes de prédiction cliniques non structurées (p. ex. Ægisdóttier, White, Spengler, Maugherman, Anderson et Cook 2006; Bonta 2002; Grove, Zald, Lebow, Snitz et Nelson 2000).

Heureusement, au cours des dernières années, on a vu le système de justice pénale se fier de plus en plus souvent à « l'actuarialisme », qui est devenue leur approche préférée d'évaluation du risque (Andrews, Bonta et Wormith 2006; Bonta et Wormith 2006; Kemshall et MacGuire 2001). Compte tenu de la situation actuelle, l'adoption d'une perspective théorique et de méthodes empiriques qui visent à faire comprendre et à prévoir les variations individuelles dans les comportements qui constituent les carrières et les cheminements criminels promet d'aider les chercheurs à élaborer des instruments actuariels améliorés et à perfectionner ceux qui existent déjà.

La présente étude

Deux techniques principales de modélisation statistique se seront révélées dominantes dans les recherches de criminologie développementale. Certains spécialistes ont recommandé l'utilisation d'une méthode d'analyse de la croissance des structures latentes (ACSL; Nagin 1999; Roeder, Lynch et Nagin 1999), tandis que d'autres ont préconisé les modèles mixtes de courbe de croissance (MMCC; Muthén et Shedden 1999; Muthén, Brown, Masyn, Jo, Khoo, Yang, Wang, Kellam, Carlin et Liao 2002). Selon la première méthode, le modèle mixte correspond à différents groupes à la trajectoire latente, et aucune variation entre les sujets n'est permise au sein des groupes. Dans le MMCC, les variations entre les groupes à la trajectoire latente et au sein de ces groupes sont permises, ce qui est l'un des avantages de ce modèle. Dans une étude récente, Kreuter et Muthén (2008) ont démontré les avantages du MMCC par rapport à d'autres techniques de modélisation (y compris l'ACSL) en ce qui concerne la capacité de reproduire l'hétérogénéité dans les trajectoires.

Compte tenu des données probantes de plus en plus nombreuses à l'appui de la notion selon laquelle au lieu de varier de manière régulière au sein de toute la population, le comportement criminel a plutôt tendance à se révéler à des degrés d'intensité très différents au sein de groupes précis, cette stratégie analytique a semblé particulièrement bien adaptée au domaine bien précis de la criminologie et à la recherche dans le domaine de la justice pénale en ce qui concerne la détermination de l'hétérogénéité dans le nombre et les types de trajectoires de délinquance. Dans la présente étude, on a également exploré les facteurs de risque possible qui permettent de prévoir l'appartenance à ces trajectoires. De plus, les techniques de modélisation statistique permettent de surmonter les contraintes et de contourner les limitations que présentent les autres stratégies relativement à l'analyse du changement au fil du temps. Pour tenter de fournir des éclaircissements supplémentaires sur le débat entourant le nombre et les types de trajectoires de délinquance distinctes, nous avons donc choisi, dans la présente étude, d'étudier l'hétérogénéité dans l'évolution des infractions en utilisant l'approche de modèles mixtes de courbe de croissance latente de Muthén et Shedden (MMCC; 1999).


Méthode

Participants

L'échantillon comprenait 514 jeunes du Manitoba, au Canada, qui étaient en probation pendant les années 1986 à 1991. Au moment de l'infraction à l'origine de la peine, les participants avaient de 12 à 19 ans, et leur âge moyen était de 16 ans (écart type = 1,6)Note 2. Environ 44 % des jeunes vivaient avec leurs deux parents. Moins de 10 % d'entre eux vivaient avec un seul parent, le tiers, avec un adulte qui n'était pas un parent, et 14 % avaient été placés dans un foyer d'accueil ou de groupe. Comme prévu, l'échantillon n'était pas équilibré entre garçons et filles, puisque 85 % des jeunes probationnaires étaient de sexe masculin et seulement 15 %, de sexe féminin. Selon une échelle d'évaluation du risque du Wisconsin modifiée, l'Évaluation primaire du risque - version 1 (PRA - V1; Bonta, Parkinson, Pang, Barkwell et Wallace-Capretta 1994)Note 3, au moment de leur admission sous surveillance, 19,8 % des jeunes délinquants ont été classés dans la catégorie du risque faible, 54,3 % dans la catégorie du risque moyen, et 25,9 % dans la catégorie du risque élevé.

La majorité des jeunes probationnaires était des délinquants non violents qui en étaient à la première infraction. Seulement environ 14 % d'entre eux avaient déjà été condamnés une ou plusieurs fois (84,3 % de ces condamnations étaient pour des infractions non violentes). De plus, moins de 5 % des jeunes probationnaires avaient déjà été incarcérés dans un établissement (c.-à-d. garde en milieu ouvert ou fermé) avant la condamnation pour l'infraction à l'origine de la peine. Dans l'ensemble, 76,5 % des jeunes probationnaires ont été déclarés coupables d'une infraction qui n'était pas accompagnée de violence, 21,3 %, d'une infraction avec violence, et seulement 2,2 %, d'une infraction sexuelle avec violence. En ce qui concerne les condamnations pour l'infraction répertoriée, 11,3 % des membres de l'échantillon se sont vu imposer une forme de peine en milieu carcéral en plus de leur période de probation (cinq autres délinquants ont été condamnés à la période déjà purgée). La durée des peines de ces délinquants variait de 2 à 729 jours, la durée moyenne étant de 181 jours (écart type = 148,5).

Procédures

Initialement, 100 jeunes délinquants probationnaires par année ont été choisis parmi tous les cas clos entre 1986 et 1991Note 4. À leur admission à la surveillance, les agents de probation ont interviewé les délinquants pour obtenir des détails sur leurs caractéristiques démographiques sur le plan personnel et social ainsi que divers indicateurs de leurs antécédents criminels, de leur fonctionnement émotif et de leur situation personnelle. Un grand nombre de ces facteurs étaient considérés comme pertinents en ce qui concerne la participation à des activités criminelles. Cette information a été utilisée pour créer une banque de données comprenant un certain nombre de variables sur les antécédents qu'un examen des recherches a permis de considérer comme pertinentes pour la prévision des carrières criminelles des jeunes délinquants. Une recherche dans le Système de gestion des délinquant(e)s du Service correctionnel du Canada a permis de compléter l'information dans la banque de données initiale (p. ex. date de naissance). Les dossiers des antécédents criminels de la Direction des casiers judiciaires de la GRC (dossiers du Centre d'information de la police canadienne [CIPC]) ont également complété et corroboré l'information que les agents de probation n'ont pas pu fournir. Le CIPC fournit une banque de données nationale des dossiers des antécédents criminels.

La période de suivi a pris fin en 2005. Dans le système de suivi des activités criminelles de la GRC, il n'y avait pas de dossier pour environ le quart de l'échantillon (25,2 %). L'incapacité de la GRC de trouver de l'information sur les activités criminelles passées de certains délinquants était prévue, compte tenu des pratiques normalisées qui autorisent l'élimination des dossiers des antécédents criminels. Par conséquent, on a demandé à la province du Manitoba de fournir les dossiers des antécédents criminels provenant de son système provincial. Cela a permis d'enregistrer l'information sur les antécédents criminels de 38 délinquants de plusNote 5. Les délinquants pour lesquels il n'était pas possible d'obtenir de l'information sur leurs activités criminelles ont été exclus de l'étude (c.-à-d. ceux pour lesquels il n'y avait pas de dossier au CIPC ni de dossier provincial). Une étude antérieure réalisée sur cet échantillon relativement à un sujet différent avait utilisé les dossiers de 1993. Ainsi, s'il y avait de l'information manquante sur certains délinquants dans les dossiers du CIPC en date de 2005 en raison d'élimination de données pour les jeunes, les dossiers de 1993 ont été utilisés. Nous avons présumé que ces personnes étaient toujours vivantes et qu'elles vivaient au Canada jusqu'à la fin de la période de suivi, et nous les avons considéré comme des non-récidivistes, au-delà de toute condamnation indiquée dans leur dossier du CIPC en date de 1993. Compte tenu de ces critères d'exclusion, 73 des 149 jeunes délinquants pour lesquels la GRC ne pouvait pas extraire de renseignements sur les antécédents judiciaires ont été exclus de l'étude, ce qui a permis d'obtenir un échantillon final de 514 délinquantsNote 6.

Mesures

Facteurs de risque

Les prédicteurs de la trajectoire criminelle ont été mesurés par les agents de probation lorsque les jeunes délinquants ont été placés sous surveillance durant les années 1986 et 1991. Toutefois, il a fallu faire une exception en ce qui concerne les variables des antécédents criminels pour lesquelles les dossiers de saisi des antécédents criminels ont servi de source de renseignements. Les prédicteurs visaient à concrétiser les concepts théoriquement et empiriquement pertinents à la compréhension des trajectoires développementales de la délinquance. Ces concepts reflètent les aspects de la vie des délinquants qui se rapportent aux pairs, à la famille, aux études, au logement, à l'attitude, à l'usage d'alcool, de drogues, aux finances et aux antécédents criminels. Les huit domaines de facteurs criminogènes importants ont été codés sur une échelle de 0 à 2, les scores plus élevés indiquant un risque plus élevé de criminalité.

Critères de résultats

Les trajectoires de délinquance développementale ont été définies au moyen d'un examen rétrospectif des antécédents criminels des délinquants. Une mesure de résultat qui permettait d'évaluer une combinaison de la fréquence et de la gravité des infractions a été élaborée précisément aux fins de la présente étude. La mesure a été nommée « indice de gravité du crime » (IGC; voir le Tableau 1) et comportait sept niveaux, de un (aucune infraction) à sept (au moins deux incidents violents et deux incidents non violents). Il était important de combiner la fréquence et la gravité des infractions, puisque ces deux dimensions du comportement criminel permettent de distinguer les non-délinquants des délinquants chroniques (Tolan et Gorman-Smith 1998). Même si les récidivistes fréquents sont souvent des délinquants qui commettent des crimes graves (et vice versa), les deux dimensions ne sont pas en corrélation parfaite. Par exemple, un délinquant qui a un score de trois peut avoir commis de nombreuses infractions sans nécessairement en avoir commis de graves ou de violentes. Il est important de reconnaître cette distinction, puisque Moffitt (1993) postule que les délinquants qui ne commettent leurs infractions qu'à l'adolescence (délinquants tardifs renonciateurs) et ceux qui en commettent tout au long de leur vie (délinquants précoces chroniques) ne se distinguent pas les uns des autres à l'égard de la fréquence des actes antisociaux durant l'adolescence. Ce qui permet de différencier les deux groupes durant cette période, c'est une combinaison de la diversité et de la gravité des comportements criminels. En combinant les deux méthodes d'évaluation, nous avons donc pu intégrer une considération théorique importante.

Tableau 1. Indice de gravité du crime
SCORE DÉFINITION OPÉRATIONNELLE
1 Aucune infraction
2 1 infraction sans violence
3 > 1 infraction sans violence
4 1 infraction avec violence
5 1 infraction avec violence + ≥ 1 infraction sans violence
6 > 1 infraction avec violence
7 > 1 infraction avec violence + ≥ 1 infraction sans violence

On a attribué au délinquant un score de l'IGC pour chacune de cinq périodes commençant à l'âge où le délinquant a été reconnu coupable de l'infraction à l'origine de la peine. Le modèle des trajectoires de délinquance a été établi en fonction de l'âge plutôt que des années parce qu'il s'agissait d'une mesure moins biaisée du temps compte tenu de l'hétérogénéité d'âge considérable dans chaque cohorte d'années. Les périodes d'âge ont été définies comme suit : 1) le début de l'adolescence (de 12 à 15 ans); 2) la fin de l'adolescence (de 16 à 20 ans); 3) le début de l'âge adulte (de 21 à 25 ans); 4) l'âge adulte (de 26 à 30 ans) et 5) le milieu de l'âge adulte (31 ans et plus). Comme certains délinquants ont passé du temps en isolement cellulaire durant l'étude, nous avons modifié les scores de l'IGC pour rendre compte de « l'intervalle d'exposition au risque » dans la collectivité. Plus précisément, nous avons divisé les scores par le logarithme naturel du nombre de mois où le délinquant avait été « libre » de commettre une infraction (c.-à-d. le nombre de mois où il n'était pas incarcéré) pendant la période particulière de l'évaluation (les résultats de ce calcul ont été multipliés par 10 pour faciliter l'interprétation)Note 7. Les valeurs de l'IGC pour les délinquants qui n'ont pas récidivé pendant une période particulière de la vie parce qu'ils avaient été incarcérés pendant la totalité de la période et qu'ils n'avaient pas eu, par conséquent, la possibilité de récidiver ont été considérées comme des valeurs manquantes. De même, les catégories d'âge pour lesquelles il n'y avait pas de score de la criminalité se sont également vu attribuer des valeurs manquantes pour que l'on puisse éviter de formuler des hypothèses sur la fréquence/gravité de l'infraction, faute de renseignements.

Analyse des données

Les analyses ont été effectuées au moyen du progiciel Mplus 4.2 (Muthén et Muthén 1998, 2006). Mplus facilite l'analyse des relations des modèles d'équations structurelles en construisant des modèles causals qui reflètent de manière plus réaliste les relations complexes et estiment la solidité des relations entre les variables. En outre, Mplus comprend une caractéristique utile qui permet de cerner les groupes de personnes qui ont des trajectoires semblables. Le progiciel a été conçu de manière à pouvoir utiliser simultanément des variables latentes continues (p. ex. effets aléatoires correspondant aux différences individuelles dans le développement) et catégoriques (p. ex. groupes de trajectoires latentes correspondant à des types de développement). En d'autres termes, le cadre de modélisation permet une estimation des formes de trajectoires en tant que formes aléatoires plutôt qu'en tant qu'effet fixes, ce qui modélise les variations individuelles dans les formes de trajectoire au sein de chaque groupe latent.

Les données ont été analysées en trois étapes. Tout d'abord, nous avons examiné la forme fonctionnelle du cheminement criminel général des jeunes délinquants au moyen de modèles de trajectoire latente pour déterminer les modèles d'équations structurelles optimaux convenant aux données et pour déterminer s'il y avait des différences individuelles significatives dans le comportement criminel au départ et dans les taux de progression au fil du temps. À la deuxième étape, nous avons utilisé des modèles de croissance mixtes pour définir des sous-groupes de délinquants ayant des trajectoires de délinquance distinctes du début de l'adolescence au milieu de l'âge adulte. Enfin, nous avons effectué une analyse de régression logistique pour prévoir l'appartenance à un groupe à partir des facteurs criminogènes évalués au moment où les jeunes probationnaires ont été placés sous surveillance. Étant donné que l'échantillon à l'étude comprenait un groupe de délinquants traduits en justice, tous les sujets, y compris les non-récidivistes qui n'avaient jamais été condamnés au criminel après l'infraction à l'origine de la peine (n = 48 ou 9,3 % de l'échantillon) ont été inclus dans les analyses. Ces personnes ont commis une activité criminelle à un moment donné durant la période examinée et ont donc contribué à une analyse du changement.

Données manquantes

Mplus prévoit la possibilité de données manquantes dans toutes les parties du modèle, à l'exception des variables de base observées (c.-à-d. les prédicteurs/covariables). Lorsque le programme lit le fichier de données et rencontre des valeurs manquantes, il calcule automatiquement les estimations de vraisemblance maximales (Anderson 1957). Les données manquantes dans la présente étude ont été imputées au moyen d'une méthode de régression qui suppose que les données sont manquantes aléatoirement. Plus précisément, après que les paramètres du modèle ont été établis en conformité avec leurs estimations de vraisemblance maximale, la régression linéaire a été utilisée pour prédire les valeurs inobservées pour chaque cas en tant que combinaison linéaire des valeurs observées pour ce même cas. Les données relatives à la majorité des prédicteurs individuels étaient disponibles pour tous les participants. Il y avait deux variables (études et logement) pour lesquelles il y avait des valeurs manquantes, mais comme il s'agissait de moins de 10 % de l'échantillon, ces valeurs manquantes ont été attribuées au moyen de la médiane de l'échantillon pour le reste des données.


Résultats

Le cheminement criminel global

Dans la première série d'analyses, nous avons exploré la forme de la trajectoire criminelle pour tous les jeunes compris dans l'échantillon pendant les diverses périodes de leur vie. Pour examiner la forme fonctionnelle de croissance qui convenait le mieux aux données, un certain nombre de modèles de trajectoires latentes inconditionnelles (sans covariables) ont été estimés. Nous avons entrepris l'analyse en supposant l'existence d'un seul groupe et avons appliqué un modèle de courbe de croissance latente ne comportant qu'une fonction de croissance linéaire. Compte tenu de notre connaissance de la courbe âge-criminalité, nous avons adapté aux données une fonction de croissance quadratique pour permettre des tendances curvilignes d'une période de la vie à l'autre. En plus d'un statut initial (que nous avons défini comme la fréquence/gravité du comportement criminel durant la deuxième période de la vie, à savoir la fin de l'adolescence) et d'un facteur linéaire, le modèle de croissance quadratique contient également un facteur quadratique.

L'estimateur utilisé pour les analyses de la courbe de croissance latente était l'estimateur de vraisemblance maximale avec des erreurs-type et une statistique des tests χ2 qui sont peu sensibles à la non-normalité. Les caractéristiques des modèles comprenaient les influences déterminantes des cheminements, du statut initial sur la variable latente à la mesure de la variable étudiée, qui avaient été fixées à 1,0, tandis que les influences déterminantes fixes des facteurs de croissance latente à chacune des cinq séries de résultats, étaient fixées à -1, 0, 1, 2 et 3 pour le facteur linéaire, et à 1, 0, 1, 4 et 9 pour le facteur quadratique. Les moyennes des facteurs de croissance ainsi que leurs variances et leurs covariances ont été estimées parce que les facteurs de croissance sont des variables exogènes (c.-à-d. indépendantes) qui n'influent donc pas sur les variables du modèle, à l'exception de leurs propres indicateurs. Nous avons également estimé des variances résiduelles pour toutes les séries d'évaluation, lesquelles variances pouvaient fluctuer au fil du temps. Toutefois, les valeurs initiales de la variable dépendante n'ont pas estimées, mais fixées à zéro.

L'ajustement individuel et comparatif des modèles de courbe de croissance a été évalué au moyen de plusieurs indices, dont la statistique sur le rapport de vraisemblance TML (ou test χ2), l'indice Tucker-Lewis (TLI; Tucker et Lewis 1973), l'indice d'ajustement comparatif (CFI; Bentler 1990), l'erreur quadratique moyenne (RMSEA; Steiger et Lind 1980), et le critère d'information de Bayes (BIC; Raftery 1993; Schwartz 1978). Nous avons également détecté les « solutions inappropriées » (p. ex. variances résiduelles négatives), et examiné la proportion de la variabilité dans les variables observées représentées dans le facteur de la trajectoire latente sous-jacente (R2yt).

Les résultats ont montré que le modèle de courbe de croissance latente spécifiée avec fonction quadratique convenait mieux aux données. En fait, le mode d'activités criminelles général produit par l'échantillon reflète la courbe âge-criminalité classique, puisque le taux de criminalité atteignait un sommet à la fin de l'adolescence et diminuait graduellement à l'âge adulte. De plus, il y avait une variabilité importante relative à la moyenne dans les composantes de l'ordonnée à l'origine et de la pente du modèle de la courbe de croissance latente quadratique, ce qui laisse supposer que les taux de comportement criminel moyen des jeunes délinquants durant la fin de l'adolescence, et les taux de variation de leur comportement criminel au fil du temps étaient très différents. Les analyses ultérieures du modèle mixte de courbes de croissance visaient donc à expliquer cette variabilité.

Déterminer le nombre et les types de trajectoires de délinquance

Il y avait une variance intra-individuelle importante dans les facteurs relatifs au statut et à la croissance dans le modèle le mieux adapté fondé sur une solution de groupe unique, ce qui a justifié l'extraction de groupes additionnels pour rendre compte de cette hétérogénéité. Ainsi, après que l'on eut défini un groupe unique, des solutions de modèles mixtes de courbes de croissance pondérés sur deux à quatre groupes ont été mises à l'essai afin qu'il soit possible de déterminer le nombre optimal de groupes de trajectoire criminelle à extraire. Dans le paramétrage des analyses de croissance mixte, les variances et les covariances des facteurs de croissance, ainsi que les variances résiduelles de la variable du résultat observé (scores à l'IGC modifiés) ont été limitées afin d'être équivalentes dans tous les groupes. Toutefois, les paramètres moyens des facteurs de croissance pouvaient varier d'un groupe à l'autre.

Pour choisir les modèles mixtes de courbe de croissance, il faut déterminer le nombre de groupes qui décrivent le mieux les données. Toutefois, il n'est pas approprié d'utiliser le logarithme du rapport de vraisemblance (différence du test χ2) pour la comparaison des modèles, car un modèle de groupe k n'est pas emboîté dans un modèle de groupe k + 1. Plusieurs statistiques sont disponibles pour aider à déterminer le nombre optimal de groupes à extraire. Dans la présente étude, nous avons évalué l'ajustement du modèle au moyen de l'un des facteurs de sélection les plus populaires, à savoir le critère d'information de Bayes (CIB) parce qu'il peut être utilisé pour la comparaison de modèles à la fois emboîtés et non emboîtés (Kass et Raftery 1995; Raftery 1995). Le modèle avec la valeur absolue du CIB la plus petite est généralement retenu. Il est important de souligner que la formule du CIB récompense la parcimonie et a donc tendance à favoriser les modèles composés d'un plus petit nombre de groupes. Dans la présente étude, les modèles de croissance mixte ne produisaient pas une solution digne de confiance lorsque plus de deux groupes étaient précisés, ce qui donne à penser que la spécification de groupes additionnels (plus de deux) ne faisait pas en sorte que le modèle était mieux adapté aux données. Cependant, la solution à deux groupes produisait des statistiques bien meilleures que la solution à un groupe (le CIB était réduit pour la solution à deux groupes : 12 766 au lieu de 13 026).

Après la sélection du modèle, les délinquants ont été assignés au groupe qui correspondait le mieux à leur comportement criminel selon la probabilité postérieure maximale de l'appartenance au groupe. Pour chaque délinquant de l'échantillon, les probabilités postérieures d'appartenance au groupe ont servi à estimer la probabilité que l'individu fasse partie de chaque groupe de trajectoires. Cette procédure est fondée sur l'hypothèse selon laquelle l'erreur de classification commise au moment de classer un délinquant dans un seul groupe de trajectoires est faible, et, par conséquent, elle ne fausse pas trop les estimations paramétriques des erreurs type. Dans le cadre de la présente étude, cette hypothèse semblait raisonnable, puisque les probabilités moyennes de l'appartenance à un groupe pour les délinquants de chaque groupe étaient de 0,929 et de 0,975. Par ailleurs, moins de 5 % des personnes composant l'échantillon pouvaient être considérées comme « difficiles à classer », puisqu'elles avaient une probabilité supérieure à 0,25 et inférieure à 0,75 d'être classées dans l'autre groupe. Une représentation graphique des solutions résultantes est présentée à la Figure 1. Les lignes continues dans les graphiques représentent les trajectoires que suppose le modèle (c.à-d. estimées ou prévues), tandis que les lignes pointillées représentent les trajectoires moyennes observées.

Figure 1. Courbes de croissance estimées et observées pour l'indice de gravité du crime avec deux groupes de trajectoires de délinquance

Figure 1. Courbes de croissance estimées et observées pour l'indice de gravité du crime avec deux groupes de trajectoires de délinquance

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Description

Le graphique linéaire simple ci-dessus présente les courbes de croissance estimées et observées pour l'indice de gravité du crime (IGC) avec deux groupes de trajectoires de délinquance.

L'axe des Y correspond à la fréquence/gravité des infractions mesurées au moyen de l'IGC,  sur une échelle de 0 à 15, par tranches de 1.

L'axe des X correspond à l'âge des délinquants, de gauche à droite, sur une échelle de 12 à 31, par tranches de quatre ans.

Résultats  

Quatre courbes sont illustrées sur le graphique. Deux d'entre elles présentent les trajectoires de délinquance des délinquants chroniques à criminalité élevée (13,4 % de l'échantillon). La ligne pointillée correspond aux moyennes de l'échantillon du groupe de délinquants à criminalité élevée et la ligne pleine, aux moyennes estimées de ce même groupe. Ces deux lignes sont très semblables et montrent une augmentation constante du premier groupe d'âge (12 à 15 ans – IGC d'un peu plus de 8) au dernier groupe d'âge (plus de 31 ans), où un sommet est atteint avec un IGC d'environ 14.

Les deux autres lignes illustrent les trajectoires de délinquance des délinquants stables à criminalité faible (86,6 % de l'échantillon). La ligne pointillée correspond aux moyennes de l'échantillon des délinquants stables à criminalité faible, et la ligne pleine, aux moyennes estimées de ce même groupe. Encore une fois, ces deux lignes sont très semblables. Elles commencent à un IGC de moins de 7 pour le premier groupe d'âge (12 à 15 ans), augmentent légèrement jusqu'au deuxième groupe d'âge (16 à 20 ans), où l'IGC atteint un sommet se situant entre 7 et 8, et commencent à diminuer graduellement jusqu'au dernier groupe d'âge (plus de 31 ans – IGC d'environ 4).   

Un examen des courbes de croissance ajustées confirme la constatation selon laquelle les modèles conditionnels à deux groupes de courbe de croissance latente quadratique réussissent bien à reproduire les moyennes observées (c.-à-d. qu'ils sont bien adaptés aux données). De plus, nous pouvons voir que la grande majorité des délinquants ont commis des infractions sporadiques et relativement mineures au cours de leur vie, tandis qu'une minorité de délinquants ont commis des activités criminelles plus fréquentes, graves et persistantes. Ce dernier groupe comptait 13,4 % des délinquants et affichait un niveau de criminalité chronique élevé au fil des ans. La fréquence et la gravité des infractions commises par ce groupe se sont accrues constamment à partir de l'adolescence. Le groupe le plus nombreux était composé de 86,6 % des délinquants de l'échantillon. Ce groupe se caractérisait par des infractions criminelles peu fréquentes et/ou moins graves au fil des ans. Le comportement criminel demeurait relativement stable, même s'il avait tendance à accuser une légère baisse de fréquence et de gravité, qui était surtout évidente pendant les deux dernières périodes d'évaluation (c.-à-d. à partir de l'âge de 26 ans). Ces deux groupes ont été appelés les délinquants chroniques à criminalité élevée et les délinquants stables à faible criminalité, respectivement.

Les taux de récidive réels des deux groupes à chacune des cinq séries d'évaluations sont présentés au Tableau 2. Quelques commentaires valent la peine d'être mentionnés. Premièrement, pour chaque période de vie, les délinquants chroniques à criminalité élevée ont enregistré un taux de récidive beaucoup plus élevé que les délinquants stables à criminalité faible. Deuxièmement, les écarts des taux de récidive entre les deux groupes de délinquants sont devenus progressivement plus prononcés au fil du temps, les différences les plus marquées étant observées au milieu de l'âge adulte (26 ans et plus). Après l'âge de 15 ans, de 80 à 90 % des délinquants chroniques à criminalité élevée ont été condamnés au moins une fois au cours de chacune des quatre périodes d'évaluation. Par contre, le taux de récidive des délinquants stables à criminalité faible a diminué de 70 % pendant la fin de l'adolescence (de 16 à 20 ans) pour s'établir à environ 20 % au cours de la dernière série d'évaluations, lorsque le délinquant était âgé de 31 ans ou plus. Ces constatations sont conformes aux courbes de croissance adaptées illustrées à la Figure 1, qui montre que les cheminements criminels des deux groupes sont assez semblables jusqu'au début de l'âge adulte et qu'ils commencent ensuite à se différencier de telle manière que le groupe des délinquants chroniques à criminalité élevée a continué de commettre des crimes de plus en plus fréquents et/ou de plus en plus graves pendant l'âge adulte.

Tableau 2. Taux de récidive des groupes de délinquants chroniques à criminalité élevée et de délinquants stables à criminalité faible pour chaque période (%/n)
Période 1
(de 12 à
15 ans)
Période 2
(de 16 à
20 ans)
Période 3
(de 21 à
25 ans)
Période 4
(de 26 à
30 ans)
Période 5
(31 ans
et plus)
Délinquants
chroniques à
criminalité élevée
40,0 (25) 85,5 (69) 82,6 (69) 81,2 (69) 91,9 (62)
Délinquants stables
à criminalité faible
31,1 (196) 69,4 (445) 60,5 (441) 46,1 (436) 17,9 (363)

Tel que prévu, tous les délinquants non récidivistes ont été placés dans le groupe de trajectoires de délinquance des délinquants stables à faible criminalité. Il est également intéressant de souligner que presque tous les délinquants chroniques à criminalité élevée (95,7 %) et seulement 56 % des délinquants stables à criminalité faible ont été déclarés coupables d'au moins une infraction violente (χ2 (1, N = 510) = 39,55, p < 0,001) durant l'âge adulte (21 ans et plus). De même, une proportion beaucoup plus grande de délinquants chroniques à criminalité élevée ont été condamnés par suite d'un crime avec violence entre l'âge de 16 et 20 ans, même si l'écart entre les deux groupes durant cette période de vie moins avancée était un peu moins marqué. Plus précisément, 73,9 % des délinquants du groupe des délinquants chroniques à criminalité élevée et 51,2 % des délinquants stables à criminalité faible ont été reconnus coupables d'un crime avec violence durant la fin de l'adolescence (χ2 (1, N = 514) = 12,38, p < 0,001).

De plus, il y avait des différences statistiquement significatives entre les deux groupes en ce qui concerne le nombre de condamnations (globales et pour crimes avec violence) prononcées après l'infraction à l'origine de la peine. En fait, les délinquants chroniques à criminalité élevée ont été condamnés à nouveau plus de deux fois plus souvent que les délinquants stables à criminalité faible, en général et par suite d'actes de violence en particulier. Le nombre réel de nouvelles condamnations était légèrement supérieur à 10 dans le cas des délinquants chroniques à criminalité élevée (approximativement égale à quatre nouvelles condamnations par suite d'actes de violence), contre environ cinq dans le cas des délinquants stables à criminalité faible (approximativement égale à 1,5 nouvelle condamnation par suite d'actes de violence). Les statistiques t indépendantes de l'échantillon étaient t (df = 512) = 8,19 pour l'ensemble et t (df = 512) = 7,12 pour les crimes avec violence seulement (deux ps < 0,001). Les deux groupes se distinguaient aussi sur le plan de la multicriminalité, les délinquants chroniques à criminalité élevée comptant en moyenne près de cinq genres d'infractions différentes pendant leur vie et les délinquants stables à criminalité faible, environ 3 (t [df = 512] = 8,72, p < 0,001).

Facteurs de risque associés à l'appartenance à un groupe de trajectoires

Ces résultats semblaient démontrer clairement que le groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée était composé de délinquants au niveau de risque et de besoins plus élevés que ceux assignés au groupe de délinquants stables à criminalité faible. Pour examiner les relations entre les domaines de facteurs criminogènes et l'appartenance à un groupe, nous avons effectué une série d'analyses de régressions logistiques binaires. Les analyses de régression ont permis de mettre à l'essai des modèles multiples de prédiction à une variable pour évaluer séparément l'effet unique de chaque facteur de risque. Les fréquentations du groupe des délinquants chroniques aux trajectoires à criminalité élevée se distinguaient de celles du groupe de délinquants stables à criminalité faible. Les risques d'appartenance aux groupes de délinquants chroniques à criminalité élevée étaient de beaucoup accrues (environ trois à quatre fois plus élevés) pour les délinquants qui avaient certains problèmes ou des problèmes graves sur le plan des fréquentations (les RC étaient de 2,89 et de 4,29 respectivement). De plus, les problèmes de toxicomanie laissaient entrevoir des risques accrus d'appartenir au groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée par rapport au groupe de délinquants stables à criminalité faible (les RC étaient de 2,08 dans le cas de certains problèmes et de 2,90 dans le cas de problèmes graves). C'est-à-dire qu'il y avait une plus grande proportion de jeunes probationnaires qui avaient des problèmes de toxicomanie dans le groupe des délinquants chroniques à criminalité élevée (47,8 % dans le cas de certains problèmes et 11,6 % dans le cas de problèmes graves) que dans le groupe de délinquants stables à criminalité faible (33,9 % dans le cas de certains problèmes et 6,1 % dans le cas des problèmes graves).


Analyse

L'un des objectifs principaux de la présente étude était de contribuer aux données empiriques qui exigent des modèles théoriques faisant davantage la distinction entre les diverses trajectoires de délinquance et de régler le différend concernant le nombre de groupes de trajectoires cernés, leur taille, et les formes que prennent les divers parcours développementaux distinctifs. Nous avons réalisé cet objectif en tirant profit des forces et des capacités de la toute dernière génération de techniques de modélisation de courbe de croissance. L'un des objectifs secondaires était d'examiner les relations entre les facteurs criminogènes des adolescents et l'appartenance à un groupe de trajectoire criminelle.

Nous avons cerné deux sous-groupes de délinquants qui se distinguaient statistiquement l'un de l'autre de par la fréquence et/ou la gravité de leurs crimes. La minorité des jeunes (approximativement égale à 13 %) commettaient des crimes fréquents et/ou graves au cours de leur vie. La fréquence/gravité des comportements criminels des délinquants de ce groupe augmentait graduellement à partir du début de l'adolescence (de 12 à 15 ans), et ne diminuait que très rarement. Une autre trajectoire, beaucoup plus courante (approximativement égale à 87 %), se caractérisait par des crimes moins fréquents et/ou graves au fil du temps. Comme on pouvait s'y attendre, les délinquants chroniques à criminalité élevée étaient beaucoup plus nombreux à commettre un large éventail d'infractions ainsi qu'un plus grand nombre de crimes avec violence, par rapport aux délinquants stables à criminalité faible. Ils étaient également plus susceptibles que leurs homologues à la criminalité plus éphémère d'avoir des liens négatifs et non constructifs avec leurs pairs et d'abuser de l'alcool ou de drogues.

Selon une des conclusions importantes de l'étude, les délinquants classés dans le groupe chronique à criminalité élevée ne renonçaient pas à la criminalité. Ils continuaient plutôt à commettre des activités criminelles relativement fréquentes et/ou graves au fil des ans. La constatation selon laquelle il existe un groupe de délinquants à risque élevé qui continuent de commettre des infractions jusqu'au milieu de l'âge adulte est conforme aux résultats de plusieurs autres études (p. ex. Blockland et coll. 2005; Schaffer, Petras, Ialongo, Poduska et Kellam 2003). Il reste à déterminer si un suivi plus long démontrerait que certains délinquants chroniques renoncent à la criminalité, comme l'ont laissé entendre Laub et Sampson (2003).

Une autre constatation centrale de la présente investigation concerne le lien avec les recherches plus larges en criminologie développementale. Même s'il manque de l'information détaillée sur la fréquence et/ou la gravité des activités antisociales durant la préadolescence et la petite enfance, les deux trajectoires de délinquance cernées dans la présente étude correspondaient étroitement aux catégories proposées par Loeber et Stouthamer-Loeber (1996), Moffitt (1993) et Patterson et coll. (1992), à savoir les délinquants précoces chroniques et les délinquants tardifs renonciateurs. Par ailleurs, il y a un contraste entre les constatations actuelles et les résultats d'études empiriques récentes qui laissent supposer la présence de plus de deux groupes de trajectoires de délinquance distinctes (p. ex. Day, Beve, Duschene, Rosenthal, Sun et Theodor 2007; Blockland et coll. 2005; Moffitt 2003; Wiesner et Silbereisen 2003).

Pour évaluer les résultats actuels et les comparer à d'autres études, il est essentiel de souligner certaines différences méthodologiques et analytiques. Nous avons déjà discuté de l'importance du type d'analyses statistiques utilisées, mais il y a d'autres facteurs qui expliquent ce manque de conformité évident. En général, les recherches fondées sur des échantillons de jeunes provenant d'une population normative montrent qu'il existe trois ou quatre trajectoires, tandis que celles dont les sujets ont été traduits en justice montrent habituellement qu'il existe quatre à six trajectoires distinctes (Piquero 2008). Toutefois, nous n'avons constaté l'existence que de deux trajectoires, et, récemment, Livingston et ses collègues (Livingston, Stewart, Allard et Ogilvie 2008), dont la cohorte de jeunes délinquants avaient le même âge que ceux dans la présente étude, ont déterminé qu'il y avait seulement trois groupes de trajectoires. Nos résultats et ceux de Livingston et coll. (2008) donnent à penser que l'examen qu'a réalisé Piquero (2008) des échantillons de délinquants doit peut-être être revu. Il semblerait que les différences possibles dans la composition des échantillons constitue peut-être un modérateur important de l'appartenance aux diverses trajectoires.

Nous sommes raisonnablement convaincus que les jeunes qui faisaient partie de l'échantillon de la présente étude formaient un groupe d'adolescents à risque aux besoins multiples. Beaucoup de ces adolescents étaient des clients d'un certain nombre d'organismes sociaux avant d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale. Ils étaient 14 % à avoir été placés dans une famille ou un groupe d'accueil, et environ la moitié avaient changé d'adresse une fois ou plus au cours de l'année précédant leur période de probation et près du tiers dépendaient de l'aide sociale au moment où ils ont été placés sous surveillance. En outre, jusqu'à 30 % de ces jeunes avaient un casier judiciaire avant d'atteindre l'âge de 15 ans, et plus des trois quarts avaient été classés dans les catégories du risque et des besoins moyens ou élevés au moment de l'Évaluation primaire du risque - version 1 (EPR-V1), à leur admission sous surveillance. Il n'était donc pas surprenant que la taille de notre groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée était légèrement plus grande que celle de la population qui avait, selon les hypothèses, embrassé une carrière criminelle continue (3 à 8 %) (p. ex. Cohen et Vila 1996; Farrington, Coid, Harnett, Jolliffe, Soteriou, Turner et West 2006; Moffitt 1993) et/ou qui composaient les groupes de délinquants chroniques à criminalité élevée dans d'autres études empiriques (p. ex. Chung et coll. 2002; D'Unger, Land et McCall 2002; Farrington et coll. 2006). Il n'était pas surprenant, non plus, que les pourcentages réels de crimes avec violence pour les deux groupes de trajectoires criminelles étaient beaucoup plus élevés que ceux déclarés dans d'autres études longitudinales qui étaient fondées sur une méthode et/ou une période de suivi comparables (p. ex. Eklund et af Klinteberg 2006).

Les autres explications possibles qui peuvent avoir des répercussions sur le nombre optimal de trajectoires de délinquance déterminées et sur leurs caractéristiques (p. ex. taille, forme) comprennent les différences liées à la mesure du comportement criminel (p. ex. délinquance déclarée par les intéressés par rapport aux condamnations officielles, fréquence par rapport à la gravité, échelle/éventail de scores, nombre de séries d'évaluation) ainsi que dans les fourchettes d'âge utilisées dans chaque étude. De plus, la décision de tenir compte ou non du temps passé sous garde peut donner lieu à des résultats divergents. Piquero et coll. (2001) ont démontré que le fait de ne pas mesurer l'intervalle d'exposition au risque dans la collectivité peut donner lieu à une sous-estimation du nombre de délinquants persistants (p. ex. identification inappropriée des délinquants chroniques à criminalité élevée en tant que délinquants de niveau modéré).

Facteurs de risque associés aux trajectoires de délinquance

Un examen de l'Évaluation primaire du risque - version 1 a prouvé que l'échantillon de la présente étude comprenait des délinquants à risque élevé dont les besoins étaient multiples. Dans le cadre de cette étude, nous avons conclu non seulement que l'EPR - V1 était un prédicteur important de l'appartenance à un groupe de trajectoires criminelles, mais également que plus des trois quarts des délinquants avaient un niveau de risque et de besoins moyen ou élevé. Comme cet outil d'évaluation actuariel permet d'obtenir un score total à partir de divers concepts liés au comportement criminel, ces résultats donnent à penser que la majorité des délinquants de l'échantillon avaient de multiples facteurs de risque, d'où leur risque de récidive.

Si nous examinons l'ensemble de ces constatations, nous avons raison de croire que les groupes de trajectoires criminelles produits dans notre étude étaient assez distincts pour nous permettre d'examiner les comportements criminels afin de déterminer les caractéristiques qui pourraient refléter différents cheminements étiologiques. Par conséquent, il est intéressant de déterminer ce qui distingue les jeunes probationnaires classés dans le groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée de leurs homologues aux comportements plus passagers.

Parmi les domaines de risque et de besoins étudiés, seules les fréquentations ont permis de prédire de manière fiable l'appartenance à un groupe pour nos deux mesures de résultat et après la prise en compte d'autres facteurs de risque et de besoins. Comme il fallait s'y attendre, le groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée comprenait plus de délinquants qui avaient des liens négatifs et non constructifs avec leurs pairs que le groupe des délinquants stables à criminalité faible. Comparativement aux jeunes qui avaient généralement un mode de fréquentation prosocial, les chances d'appartenance au groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée étaient de beaucoup accrues (environ trois à quatre fois plus) pour les jeunes probationnaires qui avaient des problèmes sur le plan des fréquentations.

Même si cela n'a pas été mesuré directement, il est logique de déduire que les délinquants chroniques à criminalité élevée ont reçu un soutien social de leurs pairs pour adopter un comportement criminel et commettre d'autres actes déviants. Comme on pouvait s'y attendre du point de vue de l'apprentissage social et d'après les principes de la théorie de l'association différentielle, l'interaction avec les pairs qui tolèrent ou même adoptent un comportement antisocial et qui agissent comme renforçateurs ou modèles accroît le risque de comportement criminel (Coie, Terry, Zakriski et Lochman 1995; Dishion et Patterson 1997; Tremblay, Masse, Vitaro et Dobkin 1995). L'importance du soutien des pairs antisociaux n'est pas seulement pertinente du point de vue théorique, mais elle a aussi été confirmée à maintes reprises. En fait, de nombreuses études ont montré que le rôle des fréquentations était l'un des plus importants facteurs de risque dans l'étude de la délinquance et de la criminalité persistante, surtout lorsqu'il s'agit du comportement de jeunes (p. ex. Brendgen, Vitaro et Bukowski 1998; Chung et coll. 2002; Farrington et coll. 2006; Lacourse, Nagin, Tremblay, Vitaro et Claes 2003; Wiesner & Silbereisen 2003).

Même si nous avons montré une association moins convaincante avec l'appartenance au groupe, nous devons aussi signaler que la toxicomanie permet aussi de distinguer les groupes de délinquants chroniques à criminalité élevée et de délinquants stables à criminalité faible. En particulier, une plus grande proportion de jeunes probationnaires qui avaient des problèmes de toxicomanie ont été considérés comme des délinquants chroniques à criminalité élevée que les délinquants qui n'avaient pas de difficulté dans ce domaine. L'effet statistiquement significatif de ce facteur de risque criminogène et domaine de besoins a toutefois disparu lorsqu'il a été examiné en même temps que les fréquentations. Fait surprenant, aucun des autres facteurs de risque et domaines de besoins relativement bien établis chez les jeunes n'a permis de prédire de manière significative et fiable l'appartenance aux groupes des délinquants chroniques à criminalité élevée et des délinquants stables à criminalité faible.

Comme il a été mentionné plus haut, notre groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée comprenait un groupe présentant un risque allant de moyen à élevé selon l'EPR - V1. Les résultats de la présente étude ont montré que, même s'ils éprouvaient des problèmes relativement à de nombreux aspects différents de leur vie personnelle et sociale, les relations avec les pairs avaient une influence prédominante qui a rendu les jeunes probationnaires vulnérables aux contacts récurrents et durables avec le système de justice pénale. Nous interprétons cette constatation comme si elle voulait dire que les modes de fréquentation sont si étroitement liés à d'autres domaines de la vie quotidienne des jeunes (p. ex. famille, école) et à d'autres facteurs de risque éventuel (p. ex. toxicomanie, attitude) qu'ils expliquent une bonne partie de l'influence attribuable à ces autres facteurs de risque criminogènes et domaines de besoins.

Conséquences, limitations et orientations pour les recherches à venir

Dans l'ensemble, la présente étude contribue au volume croissant de recherches sur l'hétérogénéité des comportements criminels, mais des recherches plus poussées sont nécessaires pour trancher le débat sur le nombre optimal et les types de trajectoires distinctes du développement qui décrivent le mieux la population des délinquants. Du reste, les résultats actuels doivent être interprétés à la lumière de certaines limitations.

La constatation selon laquelle les délinquants chroniques à criminalité élevée ne renoncent pas à la criminalité même après avoir purgé de nombreuses et parfois de longues peines en milieu carcéral est conforme aux recherches sur la réadaptation des délinquants, qui donnent à penser que les sanctions et les peines n'ont pas pour effet de prévenir la récidive (Andrews et Bonta 2006; Pratt et Cullen 2005; Smith, Goggin et Gendreau 2002; von Hirsch, Bottoms, Burney et Wikström 1999). À la lumière de l'avertissement de Piquero (2008), selon lequel les décideurs doivent faire quelque chose avec les délinquants chroniques et que ce quelque chose consiste en des peines plus sévères, nous sommes d'avis que les connaissances acquises sont pertinentes au moment de fournir les services de réadaptation à ceux qui en ont le plus besoin. Les recherches sur les services correctionnels et de réadaptation montrent clairement que ces traitements fonctionnent mieux pour les délinquants à risque élevé que pour ceux à faible risque (Andrews, Bonta and Hoge 1990; Andrews et Bonta 2006).

Nous avons mentionné, plus haut, l'idée selon laquelle l'inclusion de la préadolescence dans la période de collecte de données fournirait de l'information utile sur l'âge auquel commencent les comportements criminels. L'information recueillie durant les premières années de vie fournirait également des indications précieuses pour l'élaboration de stratégies d'intervention. Les résultats de la présente étude montrent clairement que l'on devrait offrir des services dès les premiers stades de développement de la carrière criminelle d'un délinquant (c.-à-d. au début et au milieu de l'adolescence), mais on aurait pu invoquer la nécessité d'intervenir encore plus tôt si l'on avait recueilli des données sur un échantillon normatif durant les périodes de développement qui couvrent l'enfance. Chung et coll. (2002) ont démontré qu'un certain nombre de concepts du développement social, comme les pairs antisociaux, la création de relations à l'école et la possibilité d'obtenir des drogues, mesurés à la fin de l'enfance (de 10 à 12 ans) influençaient le cheminement criminel depuis l'adolescence jusqu'au début de l'âge adulte. De façon similaire, Côté, Vaillancourt, LeBlanc, Nagin et Tremblay (2006) ont constaté que les facteurs de risque familiaux associés au comportement antisocial pendant l'adolescence (p. ex. stratégie hostile ou inefficace des parents) permettaient de prédire le recours fréquent et régulier à l'agression physique au début et au milieu de l'enfance (de 2 à 11 ans). Ces derniers résultats sont dignes de mention, car l'agression physique de 6 à 12 ans laisse présager la violence physique à 17 ans (Kokko, Tremblay, Lacourse, Nagin et Vitaro 2006).

En plus de la nécessité de surveiller les délinquants dès un plus jeune âge, il faut également réaliser les études longitudinales qui suivent les délinquants sur des périodes qui se prolongent jusqu'à la fin de l'âge adulte. Cela permettrait aux chercheurs non seulement de garantir qu'ils ont correctement identifié les renonciateurs, mais également d'examiner les diverses phases du processus de renonciation. Comme l'ont mentionné Loeber et Stouthamer-Loeber (1998), on ne peut pas supposer que les causes de la renonciation à la criminalité sont les mêmes pour différentes périodes du développement. Une analyse détaillée des causes possibles de la réduction de la criminalité liée à l'âge qui a été observée chez la majorité des membres de l'échantillon dépasse la portée de la présente étude. Les futures recherches pourraient toutefois clarifier le rôle que jouent, dans le processus, un changement psychologique profondément ancré (c.-à-d. croissance et maturité) qui se rapporte à la notion de mimétisme social de Moffitt (1993), les changements dans l'attachement d'une personne aux institutions sociales (p. ex. mariage, emploi, éducation des enfants; Laub et Sampson 2003) et les possibilités.

Il serait aussi avantageux pour les études actuelles d'élargir d'autres façons la portée de ces recherches, entre autres par l'inclusion de prédicteurs qui varient avec le temps (c.-à-d. les variables dynamiques dont les scores réels pour certaines personnes fluctuent d'une période d'évaluation à l'autre). Les techniques actuelles de modélisation de la courbe de croissance offrent la possibilité d'examiner les relations entre des trajectoires de délinquance distinctes et des prédicteurs qui varient avec le temps, mais ces modèles de courbe de croissance sont complexes et, à notre connaissance, aucune étude fondée sur une telle stratégie méthodologique et analytique n'a, jusqu'à maintenant, été publiée. L'ouvrage qui se rapproche le plus de cette stratégie a été rédigé par Wiesner et Silbereisen (2003), qui ont exploré les corrélations entre des trajectoires de jeunes délinquants et les facteurs de risque à moyenne temporelle. L'inclusion de prédicteurs qui varient avec le temps pourrait aider les chercheurs à vérifier si des changements dans certaines variables sont associés à la délinquance (ou à la renonciation) pendant diverses étapes de la vie. De plus, elle pourrait permettre un examen plus précis et plus approfondi des relations de cause à effet et des interactions entre la personne et la situation.

Le type de variables prédictives est étroitement lié à cette nécessité. Dans la présente étude, nous avons seulement évalué les facteurs qui reflètent la personne et son milieu social. Si de l'information sur les indicateurs socio-cognitifs (p. ex. buts, motifs) avaient été recueillis, nous aurions pu examiner les relations entre les processus psychologiques sous-jacents et le comportement délinquant, ce qui aurait donné une image plus représentative et globale du phénomène à l'étude. Par exemple, il pourrait être utile d'expliquer pourquoi les délinquants précoces chroniques (délinquants chroniques à criminalité élevée) sont plus violents et pourquoi les délinquants tardifs renonciateurs (stables à faible criminalité) cessent de commettre des crimes. Pallier aux lacunes susmentionnées supposerait que nous pourrions examiner un certain nombre de thèmes centraux du programme de recherche de Moffitt (2003). Par exemple, nous pourrions enquêter sur l'effet des comportements criminels graves et chroniques sur d'autres modèles de comportements ou facteurs de vie généralement négatifs (p. ex. succès professionnel, dans les études, santé physique/mentale générale).

Enfin, nous tenons à souligner que les dossiers officiels de condamnation constituaient notre seule mesure du comportement criminel, même si les auteurs de recherches antérieures ont fait valoir que le succès des prédictions à l'égard de la criminalité grave et/ou persistante dépend, au moins en partie, de la stratégie de mesure utilisée (voir Brennan, Grekin et Mednick 1999; Piquero 2008; Piquero, Blumstein, Brame, Haapanen, Mulvey et Nagin 2001). L'utilisation de questionnaires d'autodéclaration de la criminalité en conjonction avec les dossiers officiels de la police aurait pu assurer une représentation plus exacte (moins biaisée) des taux de récidive ainsi que de l'information utile sur les buts, les motifs et les contextes. Néanmoins, en appliquant une stratégie d'analyse de pointe qui permettait la saisie de tendances complexes de la stabilité et du changement dans le comportement criminel d'une période de développement à une autre, nous avons utilisé pleinement les données longitudinales et fait avancer les connaissances sur les trajectoires de délinquance et du développement.


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Notes

  1. 1

    L'une des solutions de rechange principales à la modélisation semi-paramétrique fondée sur des groupes est le groupement fondé sur des règles de classification subjectives. Dans le cadre de cette dernière stratégie d'analyse, les sujets sont classés dans des groupes selon des critères de classification (p. ex. regroupement des personnes dont le score équivaut à un écart type au-dessus de la moyenne durant quatre ou cinq périodes d'évaluation dans un groupe de délinquants chroniques à criminalité élevée). Toutefois, comme on ne permet pas aux chercheurs de déterminer officiellement si les groupes existent au sein d'une population donnée, les catégories à priori sont plus susceptibles de comporter des erreurs de classification (Nagin, 1999) et peuvent négliger d'autres sous-groupes de délinquants (Wiesner et Capaldi, 2003). En outre, de tels systèmes de classification ne fournissent pas une mesure qui est équivalente à la probabilité à posteriori de l'appartenance à un groupe dans les modèles mixtes et ne fournissent donc aucun moyen d'évaluer dans quelle mesure le classement d'une personne dans un groupe est approprié. Nagin et Tremblay (2005) ont récemment souligné que les définitions de groupes de trajectoires donnent lieu à un groupe beaucoup plus intéressant et distinctif que les définitions statiques et subjectives. Par ailleurs, les recherches donnent à penser qu'il est préférable de modéliser simultanément les structures latentes et les relations des modèles d'équations structurelles que d'utiliser des méthodes de rechange d'analyses successives des données (p. ex. Jedidi et coll., 1997).

  2. 2

    Lorsque l'échantillon a été sélectionné, les jeunes délinquants se définissaient selon la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC; 1984) comme étant les jeunes âgés de 12 à 17 ans. Toutefois, pour rendre compte du temps qui s'est écoulé entre la date de l'infraction et la date de condamnation pour l'infraction à l'origine de la peine, nous avons établi l'âge limite pour l'inclusion dans l'étude à 19 ans plutôt qu'à 17 ans.

  3. 3

    L'outil original du Wisconsin (Baird, Heinz et Bemus [1979]) comprenait 11 éléments de risque et 12 éléments de besoin additionnés pour produire deux scores totaux distincts permettant de placer les délinquants dans la catégorie du risque et des besoins de niveau faible, moyen ou élevé, respectivement. Une étude sur la validité prédictive des mesures du risque et des besoins a produit des résultats contradictoires et fait ressortir leurs points faibles en cas d'application aux jeunes délinquants (Sabourin [1986]). Après l'évaluation de Sabourin [1986], certaines révisions ont été apportées aux versions des échelles applicables aux adultes et aux jeunes. Malgré ces modifications, une deuxième étude (Barkwell [1991]) sur les outils révisés d'évaluation du risque et des besoins a encore révélé les limites de la version applicable aux jeunes. À la lumière de ces études, Bonta et ses collègues (Bonta, Parkinson, Pang et coll. [1994]) ont entrepris une série d'études pour examiner les propriétés psychométriques et la validité prédictive des échelles. Selon les conclusions de leur évaluation, il faut procéder à un certain nombre de modifications, notamment l'exclusion des éléments qui n'ont aucune validité prédictive, la simplification de bon nombre des règles de notation et la combinaison des éléments relatifs au risque et aux besoins en une échelle plutôt que deux évaluations individuelles. Ces dernières recommandations ont débouché sur une version applicable aux jeunes de l'outil de classement (EPR - V1), et cet outil a été utilisé dans la présente étude, car elle avait une validité prédictive améliorée chez les jeunes probationnaires (Bonta, Parkinson, Barkwell et Wallace-Capretta [1994]). Nous appelons cet outil l'évaluation primaire du risque - version 1 (EPR - V1, 1997; l'instrument a été révisé pour les jeunes à la fin des années 90, et beaucoup plus d'éléments ont été ajoutés).

  4. 4

    Dans l'échantillon initial, il y avait 100 délinquants de chaque cohorte annuelle. Toutefois, neuf cas des années ultérieures ont été exclus de l'étude parce qu'il s'agissait de délinquants récidivistes qui étaient déjà dans la base de données pour une probation antérieure (c.-à-d. dossiers en double). En outre, quatre délinquants ont été exclus de l'échantillon initial en raison de leur âge (20 ans ou plus), ce qui a réduit la taille de l'échantillon à 587 délinquants.

  5. 5

    Six dossiers d'antécédents judiciaires du Manitoba ont cependant été rejetés parce qu'ils ne comportaient pas d'entrée (seulement des noms), ce qui a permis de coder la carrière criminelle de 32 autres jeunes probationnaires pour lesquels la GRC n'avait pas de dossier.

  6. 6

    Le taux d'attrition global résultant de données manquantes ou d'information incomplète/non disponible sur la récidive était de 12,4 % (73/587), ce qui semble raisonnable pour une étude longitudinale effectuée sur une population de délinquants. Des analyses préliminaires visant à comparer le présent échantillon (N = 514) au groupe de jeunes délinquants qui ont été exclus de l'étude en raison de données incomplètes/non disponibles sur la récidive (n = 73) a révélé un effet d'attrition légèrement systématique, c'est-à-dire que les délinquants exclus de l'étude étaient moins susceptibles d'adopter un cheminement criminel violent et persistant que ceux inclus dans l'étude. Même si les variables personnelles, sociales et démographiques des deux groupes se ressemblaient (p. ex. âge, niveau de scolarité, problèmes de toxicomanie), les délinquants qui ont été inclus dans l'étude étaient beaucoup plus nombreux à être des Autochtones de sexe masculin et à avoir eu un score élevé relativement au risque et aux besoins à l'EPR - V1.

  7. 7

    Le logarithme naturel des scores plutôt que les scores bruts ont été utilisés pour augmenter l'influence de l'estimation des résultats (ou pour réduire l'influence de l'indicateur de l'intervalle d'exposition au risque). Nous avons pris le logarithme naturel du nombre de mois et traité comme valeurs manquantes les scores des délinquants dont l'intervalle d'exposition au risque équivalait à un mois durant une période d'évaluation particulière. Il doit également être souligné que la période de suivi durant la dernière série d'évaluations était supérieure à 60 mois pour environ 80 délinquants, dont environ les deux tiers n'ont pas commis d'infraction durant cette période. Même si l'effet est probablement minime, on prévoit que l'utilisation d'une fonction logarithmique naturelle sur ces délinquants « non récidivistes » mène à une sous-estimation limitée des scores de fréquence/gravité des crimes commis durant cette dernière période d'évaluation.

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