Accroître la transparence en matière d’influence étrangère : Examiner les mesures pour renforcer l’approche du Canada
Document de consultation du public et des intervenants
10 mars 2023
Introduction
L’objectif de la consultation est de solliciter les commentaires du public et des intervenants sur la façon dont le Canada peut mettre en œuvre un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère pour renforcer la protection contre l'influence étrangère malveillante, et sur ce que ces mesures pourraient supposer. Les commentaires permettront d’étayer la prise de décision et la conception de mesures qui pourraient être déposées au Parlement.
Historique et contexte
Il n’y a pas plus grande responsabilité pour le gouvernement du Canada que la protection des personnes et des collectivités au Canada, y compris nos institutions démocratiques et notre prospérité économique.
Définitions des termes courants
- Commettant étranger :
- Entité qui est détenue ou dirigée, en droit ou en pratique, par un gouvernement étranger. Il peut s’agir, entre autres, d’une puissance étrangère, d’une entité économique étrangère, d’une organisation politique étrangère ou encore d’une personne ou d’un groupe ayant des liens avec un gouvernement étranger.
- Influence d’un commettant étranger :
- Initiative transparente visant à changer, à façonner ou à modifier de quelque façon les politiques, les résultats, les processus du gouvernement du Canada ou l’opinion publique, au nom d’un commettant étranger.
- Ingérence étrangère :
- Activités perpétrées par un État étranger, ou par un mandataire, qui nuisent aux intérêts du Canada et sont clandestines, trompeuses ou comportent une menace pour quiconque. A titre d’exemple, cela peut comprendre le harcèlement et l’intimidation de collectivités canadiennes pour susciter la peur, faire taire les critiques et faire pression sur les opposants politiques.
- Influence étrangère malveillante :
- Une initiative secrète ou non transparente menée par un commettant étranger, à sa demande, pour son compte ou avec son soutien substantiel, dans le but d’exercer une influence et d’influencer les résultats. Il s’agit d’un sous-ensemble de l’ingérence étrangère.
Le portrait de la menace à l’échelle mondiale avec laquelle le Canada doit composer a beaucoup évolué. Les menaces émanant de divers acteurs étatiques et non étatiques sont devenues sophistiquées et omniprésentes. Aujourd’hui, le secteur de la sécurité et du renseignement du Canada se concentre, parmi diverses menaces, sur l’ingérence étrangère . Parmi ces activités, l’ingérence étrangère représente l’une des plus grandes menaces stratégiques pour la sécurité nationale du Canada. L’ingérence étrangère correspond aux activités entreprises par des États étrangers, ou par des personnes et des entités agissant au nom d’un État étranger, pour faire avancer leurs propres objectifs stratégiques au détriment des intérêts nationaux du Canada. Ces activités sont trompeuses, coercitives, menaçantes et/ou illégales. L’ingérence étrangère se distingue des activités normales entreprises par les États étrangers pour exercer une influence, comme le lobbying légitime, les activités de défense des intérêts et les activités diplomatiques ordinaires.
Le Canada, société ouverte et multiculturelle, et chef de file mondial dans les secteurs de l’économie, de la technologie et de la recherche, devient de plus en plus la cible de l’ingérence étrangère. Les menaces peuvent viser tous les ordres de gouvernement, le secteur privé, les médias, le milieu universitaire, ainsi que les Canadiens et les personnes résidant au Canada. Personne n’est à l’abri de l’ingérence étrangère ou de ses répercussions. Cependant, certains groupes sont plus exposés aux menaces en raison d’un certain nombre de facteurs, notamment leur profession, leur patrimoine ethnique ou culturel ou leur domaine d’expertise ou d’étude.
Le gouvernement du Canada ne tolérera pas de telles activités. Les ministères et organismes du gouvernement fédéral – y compris, sans s’y limiter, le Service canadien du renseignement de sécurité et la Gendarmerie royale du Canada - travaillent dans les limites de leurs mandats respectifs, tout en veillant à collaborer étroitement pour favoriser des interventions gouvernementales intégrées.
Étant donné que le contexte de la menace n’est pas statique, la consultation a pour but de solliciter les commentaires du public canadien et des intervenants sur façon dont le Canada peut mettre en œuvre des mesures supplémentaires, notamment en créant un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère. D’autres mesures pourraient être nécessaires pour contrer la menace permanente que représentent les acteurs hostiles.
Influence étrangère malveillante
Aux fins du présent document, l’influence étrangère malveillante est définie comme un sous-ensemble de l’ingérence étrangère, dans lequel une personne physique ou une entité exerce une influence, par des moyens secrets ou non transparents, à la demande d’un commettant étranger, pour son compte ou avec son soutien substantiel.
Les gouvernements étrangers cherchent régulièrement à influencer le gouvernement du Canada et l’opinion publique au Canada, et le font souvent en utilisant des moyens légitimes et transparents établis. Il s’agit d’une influence régulière exercée par un commettant étranger qui, lorsqu’elle est suffisamment transparente, peut ne pas causer de préjudice important au Canada ou aux Canadiens. Toutefois, lorsque des personnes physiques ou des entités cherchent à exercer une influence au nom de commettants étrangers de manière non transparente, cela peut avoir de graves conséquences.
Certains gouvernements étrangers, ou leurs mandataires, peuvent inciter des personnes physiques ou des entités à entreprendre des activités d’influence étrangère non transparentes et de nature malveillante visant à façonner la politique du gouvernement canadien, les résultats ou l’opinion publique, sans divulguer leurs liens avec le gouvernement étranger. Ces activités peuvent comprendre ce qui suit :
- chercher à influencer les députés, les sénateurs ou leur personnel;
- chercher à influencer les fonctionnaires à tous les échelons du gouvernement;
- chercher à influencer les partis politiques et les candidats aux élections;
- faire des déclarations de vive voix ou par écrit, en public ou par l’intermédiaire des médias, en faveur d’un gouvernement étranger, tout en masquant de manière trompeuse leurs origines ou leurs motivations;
- la production de matériel de communication destiné à influencer la société, la politique et le gouvernement;
- verser des sommes d’argent ou donner des objets de valeur au nom d’un gouvernement étranger à des fins d’influence.
Ce type d’activités pourrait donner lieu à des politiques et à des lois favorables à des intérêts étrangers au détriment des intérêts canadiens. Elles pourraient également avoir des répercussions sur les renseignements contenus dans les documents disponibles qui servent à orienter les opinions publiques et l’exercice des droits démocratiques. Dans certains cas, ces renseignements pourraient être diffusés par des Canadiens qui ne sont pas toujours conscients qu’ils proviennent d’une entité ou d’un commettant étranger. Le manque de clarté dans l’étiquetage des communications appuyées par des États peut donner lieu à des messages publics ou médiatiques qui renforcent les intérêts d’États adverses et font circuler de la propagande ou de la désinformation susceptibles d’induire les citoyens en erreur ou de polluer l’environnement médiatique et informationnel général.
L’influence étrangère malveillante est un défi particulièrement complexe à relever, en partie parce que la détection peut être difficile et que la responsabilité ne peut être attribuée qu’une fois l’influence exercée. Le Canada, ainsi que bon nombre de ses alliés et partenaires aux vues similaires, a mis en place des mécanismes visant à établir des paramètres appropriés pour encadrer le lobbying politique général par des moyens traditionnels et légitimes. Toutefois, ces mécanismes sont difficiles à appliquer aux campagnes d’influence étrangères malveillantes qui sont conçues de manière à contourner les exigences relatives à l’inscription au registre prévues dans la loi. C’est pourquoi certains des alliés les plus proches du Canada et de ses partenaires aux vues similaires ont proposé des mesures supplémentaires tels que des régimes législatifs, qui visent expressément à améliorer la transparence en matière d’influence étrangère dans leurs pays respectifs. Toute nouvelle mesure proposée pour appuyer l’approche du Canada devrait être compatible, dans la mesure du possible, avec les mesures prises pour renforcer la résilience collective globale. L’annexe A contient de plus amples renseignements sur les approches adoptées par les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni.
Scénarios :
- Scénario no 1 :
- Une personne physique, employée par un gouvernement étranger, lance un appel au gouvernement du Canada, en s’opposant à une approche adoptée à l’égard d’un enjeu international particulier. Les liens de la personne physique avec le gouvernement étranger sont clairs; l’activité d’influence étrangère est donc suffisamment transparente et légitime. C’est un exemple d’influence exercée par un commettant étranger qui n’est pas de nature malveillante.
- Scénario no 2 :
- Une personne physique, employée par un gouvernement étranger, demande à un éminent universitaire canadien d’écrire un éditorial dans lequel il s’oppose à l’approche du gouvernement du Canada à l’égard d’un enjeu international particulier et exhorte les Canadiens à exprimer leur désaccord. L’universitaire rédige un éditorial qui est publié dans un journal national largement diffusé. On demande également à l’universitaire de mobiliser des groupes d’étudiants sur le campus pour défendre un point de vue favorable au gouvernement étranger.
L’universitaire ne divulgue pas sa relation avec la personne physique employée par le gouvernement étranger. Il s’agit d’un exemple d’influence étrangère malveillante, car les activités d’influence sont entreprises en secret. Les intérêts étrangers représentés dans l’article, et dans la mobilisation des groupes d’étudiants, ne sont pas transparents.
Outils actuels pour assurer la transparence et gérer les conflits d’intérêts
Le Canada a mis en place des mesures visant à accroître la transparence de certaines communications avec les titulaires de charge publique canadiens et de leurs relations. Bien que ces mesures n’aient pas été conçues pour combattre l’influence étrangère malveillante, certaines dispositions législatives pourraient concerner les relations avec les États étrangers, comme indiqué ci-dessous :
Loi sur le lobbying :
La Loi sur le lobbying assurer la transparence et l’imputabilité des activités de lobbying auprès des titulaires d’une charge publique, de façon à inspirer confiance en les décisions prises par le gouvernement. Selon la Loi, les lobbyistes-conseils doivent notamment divulguer des renseignements concernant l’identité de leur client (qui peut être un gouvernement étranger ou national) lorsque, contre rémunération, le consultant communique avec un titulaire d’une charge publique sur une mesure de lobbying réglementée (comme définie dans la Loi). Les communications avec les titulaires d’une charge publique comprennent les communications indirectes, telles que les appels visant à persuader le public de communiquer avec un titulaire d’une charge publique sur un sujet de lobbying réglementé.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur les exigences relatives à l’enregistrement des lobbyistes, veuillez consulter le site Web du Commissariat au lobbying.
Loi sur les conflits d’intérêts :
La Loi sur les conflits d’intérêts, qui est appliquée par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, vise à prévenir les conflits entre les intérêts privés et les devoirs publics des représentants gouvernementaux nommés, appelés titulaires d’une charge publique. Cette Loi énonce une série de règles qui s’appliquent à tous les titulaires d’une charge publique, notamment les ministres, les secrétaires parlementaires et la plupart du personnel ministériel, de même que les personnes nommées par le gouverneur en conseil, comme les sous‑ministres, les dirigeants de sociétés d’état et les membres de conseils, de commissions et de tribunaux fédéraux. Cette Loi énonce également des obligations d’après‑mandat qui s’appliquent à tous les anciens titulaires d’une charge publique. Par exemple, il est interdit à vie à tout titulaire d’une charge publique d’agir de manière à tirer un avantage indu de sa charge antérieure, de changer de camp et d’utiliser de manière inappropriée l’information obtenue en tant que titulaire d’une charge publique.
Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez consulter le site Web du Commissariat aux conflits d’intérêts et à l’éthique.
Loi électorale du Canada :
La Loi électorale du Canada contient plusieurs interdictions liées à la participation étrangère dans les activités électorales. Seuls les citoyens et les résidents permanents du Canada sont autorisés à faire un don à des candidats aux élections fédérales, à des associations de circonscription, à des partis politiques, à des campagnes d’investiture et à des campagnes à la direction. Il est interdit aux tiers d’utiliser des contributions de l’étranger pour appuyer leurs activités partisanesNote de bas de page1.
Pour en savoir plus sur la Loi électorale du Canada, visitez la page Législation électorale fédérale – Élections Canada.
Pourquoi des outils supplémentaires sont à l’étude
Même si ces lois peuvent être utilisées dans certaines circonstances pour accroître la transparence au sein des communications et négociations entre les titulaires canadiens d’une charge publique et les États étrangers, elles n’ont pas été conçues pour prévenir l’influence étrangère malveillante. Les États étrangers, ainsi que leurs mandataires, qui cherchent à masquer leurs intentions lorsqu’ils influent sur le Canada pourraient le faire de manière à contourner les obligations liées à l’inscription au registre prévues dans les lois en vigueur, et les outils en place pourraient ne pas s’appliquer à certains processus clés, comme les candidatures à l’investiture d’un parti et les élections à l’échelle infranationale, qui sont particulièrement vulnérables à l’influence étrangère malveillante.
En outre, l’appareil de la sécurité et du renseignement sait que certains États étrangers, ou leurs mandataires, pourraient cibler des membres de certains groupes au Canada en raison de leurs liens familiaux et culturels étroits avec un pays étranger. Ils pourraient notamment chercher à utiliser tous les moyens de pression possibles pour influencer les membres de ces groupes, afin qu’ils appuient des vues géopolitiques étrangères au lieu de celles du Canada. Certains États étrangers pourraient aussi chercher à utiliser ces moyens de pression pour forcer les membres de ces groupes à mettre de l’avant les vues de ces États étrangers au Canada, sans obligation, implicite ou explicite, de communiquer avec des titulaires de quelque charge que ce soit. Le cadre actuel du Canada n’adresse pas directement de ce type d’activité, ce qui constitue une lacune dans l’approche canadienne.
Principes directeurs
Accroître la transparence en matière d’influence étrangère au Canada pourrait être avantageux pour l’intérêt national de manière générale et protéger la population et les institutions canadiennes de nombreuses façons. À l’heure où le gouvernement évalue les solutions et analyse les commentaires sollicités auprès du public et d’intervenants clés dans le cadre du présent processus de consultation, toute solution future proposée tiendra compte, entre autres facteurs, des principes directeurs suivants :
- Transparence et connaissance :
- Accroître la transparence et la connaissance du public général quant aux s activités d’influence étrangère de nature malveillante au Canada, par le biais, entre autres, d’exigences plus strictes en matière de divulgation publique pour les individus ou les entités qui agissent pour le compte de commettants étrangers afin d’influencer le Canada et la population canadienne.
- Dissuasion :
- Accroître le risque pour les individus qui chercheraient à contourner les obligations liées à l’inscription au registre en instaurant des mesures de conformité et des sanctions, lesquelles pourraient comprendre des sanctions pécuniaires ainsi que des sanctions criminelles pour les cas d’inobservation ou d’infraction.
- Détection :
- Les nouvelles mesures devraient tenir compte de la manière dont elles permettront au gouvernement du Canada de mieux détecter l’influence étrangère malveillante au Canada et des autres mesures qui pourraient être requises. Accroître la capacité du Canada à détecter l’influence étrangère malveillante élargit la capacité du gouvernement à perturber les activités hostiles à un stade plus embryonnaire.
- Harmonisation avec les partenaires démocratiques pour présenter une réponse unifiée :
- Certains partenaires du Canada aux vues similaires ont apporté des améliorations à leurs outils législatifs et politiques pour accroître la transparence en matière d’influence étrangère et pour tenir compte de la complexité des menaces contemporaines. Toute mesure proposée par le Canada devrait tenir compte, dans la mesure du possible, de la façon dont elle pourrait s’harmoniser à celles de nos partenaires, afin de présenter une approche unifiée.
- Réduire le fardeau administratif au minimum :
- Toute nouvelle mesure devrait vise à éliminer ou à réduire le fardeau administratif lié à l’inscription au registre et à la conformité, dans la mesure du possible.
- Faire respecter la Charte des droits :
- Toute nouvelle mesure pour accroître la transparence en matière d’influence étrangère sera conçue en accord avec la Charte canadienne des droits et libertés et de façon à la faire respecter
Consultations : mesures pour lutter contre l’influence étrangère malveillante
Afin d’accroître la transparence en matière d’influence étrangère et de lutter contre l’influence étrangère malveillante, le gouvernement du Canada va créer un registre pour complémenter les outils et les pouvoirs législatifs en place. Un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère pourrait contenir des exigences strictes en matière de divulgation pour les individus et les entités agissant pour le compte de commettants étrangers à des fins d'influence. . Si les individus ou les entités agissant pour le compte de commettants étrangers ne s’inscrivent pas au registre, ils pourraient faire l’objet de sanctions administrative et/ou criminelles importantes. Les règles pourraient ne pas s’appliquer aux citoyens canadiens, mais elles viseraient tout individu ou toute entité qui se livre à des activités devant être inscrites au registre au sein du Canada ou visant des Canadiens, à la demande d’un commettant étranger. Cela pourrait comprendre, par exemple, les résidents permanents ou les résidents étrangers résidant au Canada.
Pour garantir le respect de ces mesures, ainsi que pour améliorer la transparence et la sensibilisation à l'influence étrangère malveillante au Canada, le gouvernement pourrait exiger que des personnes ou des entités s'enregistrent publiquement.. Afin de mettre en œuvre un registre et de superviser l’administration générale de la loi, une approche à la gouvernance devra être conçue. Les résultats de ce processus de consultation aideront le gouvernement à trouver la meilleure façon de le faire.
Les éléments clés d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère actuellement à l'étude, sont les suivants :
- Ententes
- Activités devant être inscrites au registre
- Exemptions
- Divulgation de renseignements
- Conformité
Les sections suivantes traitent de chaque élément et posent des questions afin de guider la conception d’un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère.
Ententes visant à influencer le Canada
Toute « entente » entre un commettant étranger et toute personne ou entité qui agit, en vertu de cette entente, pour le compte du commettant étranger, pourrait être inscrite au registre lorsque l’intention de cette entente est d’influencer le Canada ou des Canadiens.
L’entente pourrait être explicite ou implicite et n’aurait pas nécessairement besoin d’être conclue au Canada pour être inscrite au registre. Il ne serait pas nécessaire qu’un paiement ou tout autre avantage soit versé à une personne ou une entité qui agit pour le compte du commettant étranger pour se livrer à ce type d’ activité ou pour que l’entente soit inscrite au registre. Les activités d'influence peuvent ne pas encore avoir eu lieu pour que l'accord lui-même soit enregistrable.
Quelle que soit la nature de la relation entre la personne ou l’entité et le commettant étranger, les deux parties doivent avoir eu l'intention que la personne ou l'entité puisse ou veuille entreprendre des "activités enregistrables" pour le compte du commettant étranger.
Le défaut d’inscrire une entente au registre pourrait entraîner des sanctions pécuniaires, réglementaires, civiles et/ou criminelles pour l’individu ou l’entité qui contrevient aux dispositions. En plus de l’entente, toute activité d’influence subséquente menée au Canada ou visant des Canadiens devrait aussi être inscrite au registre (d’autres activités devant être inscrites au registre sont énumérées dans la section 2). En outre, il pourrait être envisagé d’empêcher les titulaires d’une charge publique à conclure des ententes avec un commettant étranger dans le but de se livrer à des activités d’influence au Canada.
Activités devant être inscrites au registre
En plus d’exiger que les ententes soient inscrites, un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère nécessiterait, à tout le moins, une liste claire d’activités précises qui, lorsqu’elles sont menées au nom d’un commettant étranger, pourraient entraîner l’obligation de les inscrire au registre. Il est raisonnable de croire que toute personne ou entité cherchant à mener des activités d’influence étrangère de nature malveillante à l’encontre du Canada ou des Canadiens au nom d’un commettant étranger voudrait contourner toute nouvelle mesure à l’aide de ruses sophistiquées et d’autres moyens afin d’éviter que ses actions soient dévoilées. Par conséquent l’étendue des activités pouvant être inscrite au registre doit être suffisamment large pour éliminer toutes failles, dans la mesure du possible. Il doit également être calibré pour garantir qu'il n'y a pas de charge réglementaire ou administrative excessive et , que la protection des renseignements personnels et des garantis par la Charte continuent d’être respectés tout en s’assurant que les activités et intérêts légitimes ne soient pas entravés.
Les activités devant être inscrites au registre pourraient inclure :
- Lobbying parlementaire :
- Le fait d’exercer des pressions sur un représentant élu ou son personnel vise généralement à influencer les décisions, politiques et processus gouvernementaux. Il est important de reconnaître lorsque des pressions sont exercées sur des représentants élus ou leur personnel au nom d’un commettant étranger, surtout lorsque cela s’effectue hors des voies diplomatiques normales.
- Lobbying et défense des intérêts politiques généraux :
- Le lobbying politique général couvre les activités de lobbying visant les fonctionnaires, les ministères, les agences ou les autorités du gouvernement du Canada, les partis politiques fédéraux enregistrés et/ou les candidats aux élections.
- Activité de décaissement :
- Une activité de décaissement comprend la distribution d’argent ou d’objets de valeur par une personne agissant pour le compte d’un commettant étranger à une autre personne ou organisation lorsque le décaissement est effectué afin d’influencer le Canada ou les Canadiens.
Quand un acteur étranger, ou des personnes et des entités agissant en son nom, cherche à influencer clandestinement le discours public canadien pour servir ses intérêts, cela pourrait occasionner d’importants préjudices à l’intérêt national du Canada. Par exemple, un acteur étranger voulant servir ses intérêts géopolitiques, au détriment du Canada, pourrait chercher à nuire à certains secteurs du gouvernement (p. ex. défense et sécurité) ou à l’économie/la société dans son ensemble. Il pourrait aussi cibler les membres de certains groupes pour atteindre ses objectifs.
Ces personnes pourraient croire qu’elles sont la cible d’une sollicitation indue afin qu’elles fassent valoir des points de vue particuliers ou qu’elles doivent poser des gestes au Canada au profit d’un état ou d’un gouvernement étranger.
De telles activités d’influence étrangère de nature malveillante peuvent mener les Canadiens à se méfier des institutions démocratiques, éroder la cohésion sociale et nuire à la souveraineté et à la bonne gouvernance du Canada. Les lois actuelles ont une capacité limitée pour ce qui est de légiférer sur la transparence en matière d’influence étrangère, car elles visent surtout à protéger le Canada contre l’influence lorsqu’il y a communication entre une entité et les titulaires de charge publique ou les politiciens. Elles ne permettent pas de cibler adéquatement les activités de communication destinées uniquement aux membres du public canadien.
Compte tenu de ce qui précède, il faudrait déterminer si une « activité de communication » devrait être inscrite au registre :
- Une activité de communication pourrait couvrir toutes les circonstances dans lesquelles l’information ou du matériel est diffusé, publié, transmis, communiqué ou mis à la disposition du public canadien. L’information et le matériel pourraient être sous différentes formes, soit visuelle, numérique, graphique ou écrite, par exemple. Une activité de communication peut donc être inscrite au registre si l’activité est menée au nom d’un commettant étranger dans le but d’influencer le gouvernement ou l’opinion publique. De telles activités peuvent influencer les points de vue et les opinions de personnes participant aux processus politiques et gouvernementaux, de personnes se trouvant au Canada ou de la société canadienne. Ces activités peuvent également viser à manipuler l'environnement de l'information, à diminuer la confiance dans les institutions et processus démocratiques et à semer la discorde pour servir les intérêts géostratégiques d’un gouvernement étranger.
Exemptions
Reconnaissant que de nombreux Canadiens et entreprises/organismes canadiens interagissent régulièrement avec des gouvernements étrangers, ou des entités qui agissent au nom de gouvernements étrangers, toute nouvelle loi pourrait inclure des exemptions limitées.
En cas d’exemption, la personne ou l’entité qui mène des activités au nom d’un commettant étranger ne sera pas tenue de les inscrire au registre. Les exemptions devraient être suffisamment vastes pour couvrir certaines activités autorisées et légitimes, mais devraient tenir compte du fait que les états hostiles pourraient tenter d’influencer secrètement le Canada ou les Canadiens au moyen de ruses sophistiquées pour tirer profit des exemptions et ainsi éviter les obligations en matière d’inscription au registre.
Par exemple, les exemptions pourraient inclure les conseils juridiques et la représentation en justice (ce qui pourrait s’appliquer lorsqu’une personne ou une entité mène une activité devant être inscrite au registre au nom d’un commettant étranger, mais que l’activité en question est principalement liée à la prestation de conseils juridiques dans le cadre de processus judiciaires ou en découle), les activités diplomatiques et consulaires menées par d’anciens représentants accrédités et les situations dans lesquelles une personne mène des activités devant être inscrites au registre, mais le fait de façon transparente en tant qu’employé ou de représentant d’un gouvernement étranger.
Communication de renseignements
Toute personne ou entité qui entreprend une activité devant être inscrite au registre au nom d’un commettant étranger, lorsqu’aucune exemption ne s’applique, devra inscrire l’activité au registre. Le registre devra vraisemblablement être public pour favoriser la transparence et renforcer la résilience sociale à l’influence étrangère de nature malveillante.
Les renseignements à divulguer publiquement au cours de la procédure d’inscription pourraient inclure les renseignements personnels de la personne ou de l’entité qui mène les activités, les dates, l’objectif de l’activité et la nature de la relation entre la personne/entité et le commettant étranger. Des précédents existent déjà dans le cadre législatif du gouvernement du Canada pour ce type de divulgation de renseignements. Par exemple, des exigences en matière de divulgation de renseignements sont énoncées au paragraphe 5(2) de la Loi sur le lobbying et comprennent la divulgation de renseignements personnels (p. ex. nom, adresse, date de naissance, renseignements sur l’employeur) et les détails clés de l’activité inscrite (p. ex. objet de l’activité de lobbyisme, entités visées par le lobbying, etc.).
Conformité
Toute loi éventuelle devra prévoir des mécanismes visant à encourager la conformité ou elle pourrait s’avérer inefficace. Les mécanismes de conformité pourraient se présenter sous différentes formes. Le Canada a d’ailleurs appris de ses alliés et de ses partenaires aux vues similaires que, sans mécanismes adéquats, il peut s’avérer difficile d’appliquer et de vérifier la conformité. Pour répondre à cette préoccupation, une série de mécanismes progressifs d'application de la conformité serait probablement nécessaire.
D’abord, les mécanismes d’application administratifs pourraient être conçus de façon à émettre des avis. Ces mécanismes pourraient comporter plusieurs paliers. Au premier palier, un avis serait émis pour déclarer publiquement qu’une personne ou une entité est un commettant étranger.
Cet avis indiquerait clairement à toute personne ou entité agissant au nom d’un commettant étranger identifié qu’elle doit inscrire ses activités au registre. Au deuxième palier, les avis pourraient permettre d’obliger une personne ou une entité à produire toute information ou documentation lorsque, par exemple, il y a des motifs raisonnables de soupçonner que la personne ou l’entité a une obligation d’inscription relative à un commettant étranger. Les avis seraient entièrement conformes aux principes et aux lois en matière d’équité procédurale, et un processus serait mis en place pour faire appel de l'émission d'avis.
Pour faire observer la loi, des sanctions administratives pécuniaires (SAP) pourraient être imposées. Les SAP pourraient décourager l’inobservation par l’imposition d’amendes qui, bien qu’il n’en résulte pas de casier judiciaire ou de poursuite pénale, augmenteraient le coût pour les personnes physiques ou les entités qui évitent de rendre publiques leurs activités d’influence étrangère de nature malveillante. Les personnes physiques et les entités visées par des SAP pourraient être inscrites dans le registre public comme moyen additionnel pour renforcer la transparence et la dissuasion. Les SAP devront être suffisamment élevées de sorte que les personnes physiques ou les entités qui pourraient chercher à se soustraire aux obligations de déclaration ne considèrent pas les amendes comme simplement un prix à payer pour faire des affaires.
En plus des avis et des SAP, des sanctions pénales pourraient être envisagées. L’établissement de sanctions pénales augmenterait le risque pour les personnes physiques qui cherchent à exercer une influence étrangère malveillante au Canada et à éviter toute d’obligation de déclarer ou de communiquer leurs activités et leurs intentions au public. Il a toujours été difficile de mener des enquêtes sur des infractions concernant les menaces à la sécurité nationale et, par conséquent, d’entamer des poursuites sous le régime de la législation existante. La mise en place dede sanctions au sein d’une loi sur un registre visant la transparence en matière d’influence étrangère pourrait fournir au Canada des moyens alternatifs pour contrer les menaces potentielles à la sécurité nationale et ainsi compléter les poursuites en matière de sécurité nationale.
Les infractions criminelles et réglementaires au registre visant la transparence en matière d’influence étrangère pourraient être les suivantes :
- mener des activités à déclarer sans les avoir déclarées;
- manquer aux obligations prévues par la loi (c.-à-d. les obligations de déclaration et de communication);
- donner des renseignements faux ou trompeurs ou présenter des documents faux ou trompeurs au moment de produire une déclaration;
- inciter des personnes physiques ou des entités à se livrer à des activités qui seraient, si elles étaient menées, des activités à déclarer,;
- détruire des documents.
Comme pour toute autre approche qui exige une forme de communication à une entité gouvernementale, il y a un risque qu’une inobservation découle d'un manque de compréhension de l'obligation et/ou du processus d'enregistrement. Toute mesure doit être conçue de manière à tenir compte de ces facteurs et chercher à alléger le plus possible le fardeau lié à la déclaration.
Questions pour les personnes à consulter
- Quels types d’organisations ou d’entités devraient faire partie de la définition de « commettant étranger »?
- Quels types d’activités ou d’ententes devraient être déclarées?
- Quelles activités (s’il y a lieu) devraient être exemptées de l’obligation de déclaration?
- Quels types de renseignements les déclarants devraient-ils être tenus de communiquer en ce qui concerne leurs activités? Dans quelle mesure les renseignements doivent-ils être rendus publics?
- Quelles sanctions, s’il y a lieu, sont nécessaires pour faire observer la loi?
- Avez-vous d’autres points de vue que vous souhaitez faire connaître dans le cadre de la présente consultation?
Annexe A : Analyse comparative internationale
Les États-Unis :
Le Federal Bureau of Investigation (FBI) est l’organisme fédéral chargé d’enquêter sur les opérations d’influence étrangère. Cependant, les États-Unis ont récemment mis sur pied le Foreign Malign Influence Response Center (FMIC), qui relève de l’Office of the Director of National Intelligence (ODNI), qui sera la principale organisation gouvernementale qui analysera le renseignement portant sur les opérations d’influence étrangère malveillante, qui coordonnera les efforts du gouvernement pour détecter de telles opérations et intervenir, et qui évaluera l’expertise et l’état de préparation des départements pour réagir à de telles opérations. Pour le moment, le Centre a l’intention de concentrer ses efforts sur les « pays étrangers couverts », notamment la Fédération de Russie, la République islamique d’Iran, la République populaire démocratique de Corée et la République populaire de Chine. De plus, le Congrès a récemment déposé de nouvelles lois pour renforcer la défense contre l’influence étrangère, comme la Fighting Foreign Influence Act (loi sur la lutte contre l’influence étrangère), et la Foreign Influence Transparency Act (loi sur la transparence en matière d’influence étrangère) récemment déposée au Sénat.
Les États-Unis disposent également de la Foreign Agents Registration Act (FARA) [loi sur la déclaration des agents étrangers] pour contrer l’influence étrangère malveillante. En 1938, la FARA a été édictée pour obliger les personnes qui exercent un travail politique ou de représentation au nom d’entités étrangères au sein des États-Unis de le déclarer au département de la Justice et de communiquer leurs liens, leurs activités, les reçus et les débours servant à financer leurs activités. La FARA n’interdit pas une activité en particulier; elle cherche plutôt à exiger la déclaration et la communication comme mesure de transparence. Il n’y a pas de dispositions précises dans la FARA qui ciblent d’anciens titulaires de charge publique. Une base de données publique des agents étrangers inscrits se trouve sur le site Web du département de la Justice. L’Unité de la FARA de la Counterintelligence and Export Control Section au sein de la National Security Division est chargée de l’application et du contrôle de l’application de la FARA. La FARA est en vigueur depuis plus de 80 ans, mais récemment, des violations décelées ont fourni des indices au FBI qui a lancé des enquêtes de contre-ingérence, dont certaines ont abouti à des poursuites pénales et/ou à des procédures d'immigration.
L’Australie :
En 2018, l’Australie a adopté la Foreign Influence Transparency Scheme (FITS) Act (loi sur la transparence en matière d’influence étrangère). En règle générale, toute personne doit s’inscrire au titre de la FITS si elle participe, ou prévoit participer, à une activité entreprise dans le but d’exercer une influence politique ou gouvernementale pour le compte d’un gouvernement étranger, d’une organisation politique étrangère ou d’une société étrangère, lorsque le contrôle total ou substantiel peut être exercé par un gouvernement étranger ou une personne liée à un gouvernement étranger.. D’une importance capitale, les activités à déclarer comprennent non seulement le lobbying traditionnel, mais aussi les communications et les dépenses engagées pour exercer une influence politique ou gouvernementale au nom d’un commettant étranger. En outre, le fait qu’une activité en particulier soit à déclarer ou non dépend de qui est le commettant étranger et du but de l’activité, et dans certains cas, de l’ancien statut de la personne. Un ancien ministre du Cabinet doit déclarer de telles activités à vie, tandis qu’un ancien titulaire d’un poste désigné (haut fonctionnaire d’un gouvernement ou d’un parlement) doit le faire pendant les 15 années qui suivent la cessation de leurs fonctions.
Le registre est tenu par la Foreign Influence Transparency Scheme Section du ministère du Procureur général (AGD); le public peut le consulter sur le site Web de l’AGD. Le registre contient le déclarant, une courte description de l’activité déclarée, le commettant étranger et les dates de début et de fin (s’il y a lieu) de l’activité. Les déclarants doivent mettre à jour leur déclaration tous les six mois pour que les autorités disposent de renseignements à jour. Omettre de déclarer ou de mettre à jour ses renseignements lorsqu’on est tenu de le faire, donner des renseignements trompeurs ou mentir aux autorités, et détruire des documents pertinents constituent des infractions. Les sanctions pour avoir contrevenu à la FITS vont d’amendes à des peines d’emprisonnement de six mois à cinq ans.
Le Royaume-Uni :
Le Royaume-Uni s’appuie sur les divers pouvoirs conférés aux ministères et organismes de sécurité et du renseignement pour contrer l’ingérence étrangère. La Loi sur les secrets officiels(1911, 1920 et 1939) est le principal texte de loi qui prévoit des infractions criminelles pour protéger le Royaume-Uni contre l’espionnage et les activités hostiles parrainés par des États. La Loi de 1911 a établi des infractions criminelles pour deux types d’espionnage : l’espionnage par atteinte directe ou de proximité, et l’espionnage par la collecte et la communication de renseignements. Des modifications ont été apportées par la suite pour moderniser la loi, notamment en 1989 lorsque des infractions criminelles ont été établies pour quiconque rend publics des renseignements officiels de nature délicate.
En 2022, le Royaume-Uni a déposé un projet de loi pour actualiser et réformer une nouvelle fois la Loi sur les secrets officiels en plus de proposer un nouveau régime de déclaration des activités d’influence étrangères (le FIRS) qui obligerait les personnes physiques, selon la portée de certaines exigences, à déclarer une activité menée pour le compte d’un État étranger.
Notes
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D’après la Loi électorale du Canada, un tiers enregistré est « une personne ou un groupe qui souhaite prendre part à des élections ou en influencer les résultats et qui n’est pas membre d’un parti politique ou d’une association de circonscription enregistrée, un candidat à l’investiture ou un candidat ».
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