Rapport annuel 2023 du ministre de la Sécurité publique sur l’application des articles 83.031 à 83.0391 du Code criminel : un régime pour autoriser certaines activités dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste

Table des matiéres

Introduction

Les dispositions strictes concernant la lutte contre le financement du terrorisme prévues au Code criminel du Canada fournissent un appui important aux efforts nationaux déployés pour éliminer le terrorisme, notamment la lutte contre une menace terroriste en constante évolution, les considérations liées à la sécurité nationale et le respect des obligations internationales en matière de prévention et de répression du financement des activités terroristes. Cependant, la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021 a mis en lumière les limites que les dispositions du Code criminel concernant la lutte contre le financement du terrorisme imposent au gouvernement du Canada, aux œuvres de bienfaisance et organismes sans but lucratif canadiens, aux banques canadiennes et à la société civile pour apporter une aide internationale dans les régions contrôlées par un groupe terroriste ou pour faciliter le passage sécuritaire hors de ces régions. Le fait de rendre disponibles des biens, directement ou indirectement, à l’autorité nationale de facto en l’Afghanistan procurerait inévitablement un avantage à un groupe terroriste et par conséquent, et pourrait donner lieu à des paiements imprévus aux talibans sous forme de taxes et risqueraient de contrevenir aux dispositions strictes concernant la lutte contre le financement du terrorisme prévues à l’article 83.03 du Code criminel.

La prise de pouvoir des talibans en Afghanistan a entraîné une réévaluation des dispositions du Canada contre le financement du terrorisme. En juin 2023, le projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, a reçu la sanction royale, modifiant par la même occasion des dispositions du Code criminel concernant la lutte contre le financement du terrorisme afin d’inclure une exception distincte pour l’aide humanitaire ainsi qu'une procédure visant à autoriser la réalisation d'activités spécifiques à certaines fins dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste - des activités qui seraient autrement interdites en vertu du paragraphe 83.03(2) du Code criminel en raison d'un avantage inévitable et accessoire dont peut bénéficier un groupe terroriste. Pour ce mettre en œuvre, la Sécurité publique (SP), en étroite collaboration avec les ministères et organismes partenaires, travaille actuellement à la mise en place d’un régime d’autorisation.

L’exception d’ordre humanitaire est en vigueur depuis l’adoption du projet de loi C-41 en juin 2023 et ne nécessite pas de processus de demande afin de réduire les délais de prestation d’aide urgente indispensable.

Dans le cadre du régime d’autorisation, le ministre de la Sécurité publique peut autoriser une personne admissible à exercer, dans une région contrôlée par un groupe terroriste, certaines activités qui seraient par ailleurs interdites par le paragraphe 83.03(2) du Code criminel, car elles pourraient fournir un avantage inévitable et accessoire à un groupe terroriste. 

Le régime permet d’équilibrer le besoin de maintenir les dispositions strictes concernant la lutte contre le financement du terrorisme du Code criminel et de faire progresser les efforts nationaux visant à éliminer le terrorisme qui sont prévus au mandat de  SP tout en permettant de faciliter la prestation d’activités essentielles.

Le régime d’autorisation comprendra un système solide de freins et de contrepoids, y compris un examen relatif à la sécurité nationale de chaque demande et l’imposition d’exigences en matière de rapports aux détenteurs d’autorisations dans le but d’atténuer le risque de financement d’activités terroristes.

SP, en collaboration étroite avec les ministères et organismes partenaires, travaille actuellement à l’établissement d’un équilibre entre l’intérêt public du régime d’autorisation et le besoin de mettre en œuvre l’initiative avec tous les outils et politiques nécessaires en place, comme des documents d’orientation internes et destinés au public, en vue d’appuyer un lancement et une administration efficace du régime d’autorisation. La mise en œuvre du régime d’autorisation est en cours, et SP prévoit le lancement public du régime au printemps 2024.

À titre de mesure de responsabilisation en application du paragraphe 83.0392(1) du Code criminel, le ministre de la Sécurité publique doit préparer un rapport annuel sur l’application des articles 83.031 à 83.0391 à l’égard de l’année civile précédente.

Le rapport annuel de 2023 porte sur la période du 20 juin 2023 au 31 décembre 2023 et est organisé comme suit :

Section I – Aperçu de l’article 83.03 du Code criminel et des exigences en matière de rapports énoncées au paragraphe 83.0392(1.1)

Le paragraphe 83.03(3) du Code criminel a créé un régime d’autorisation permettant au ministre de la Sécurité publique, ou à son délégué, sur recommandation du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ou du ministre des Affaires étrangères, d’accorder une autorisation à une personne admissible afin de la protéger contre toute responsabilité criminelle pour l’exercice d’activités essentielles dans une région contrôlée par un groupe terroriste et de certaines activités par ailleurs interdites par le paragraphe 83.03(2) du Code criminel. Ces activités comprennent la prestation de services de santé, de services d’éducation, de programmes visant à aider les personnes à gagner leur vie, de programmes de protection des droits de la personne, de services d’immigration et de passage sécuritaire, et d’autres activités du gouvernement du Canada, y compris l’aide consulaire.

Bien que la situation actuelle en Afghanistan soit à l’origine de la modification législative, les dispositions ne sont pas restreint à ce pays et peut s’appliquer à d’autres régions du monde contrôlées par un groupe terroriste.

Les personnes admissibles qui souhaitent savoir si elles ont besoin d’obtenir une autorisation peuvent envoyer une demande au ministre de la Sécurité publique, qui répondra par écrit pour indiquer si une autorisation est requise selon les circonstances précises. Cependant, il est recommandé aux demandeurs potentiels d’obtenir des conseils juridiques quant à la décision de présenter une demande.

Les demandes d’autorisation seront évaluées au cas par cas, dans le but d’établir un équilibre entre le risque de financement d’activités terroristes et l’avantage de l’activité proposée. Une autorisation servirait à protéger les détenteurs de celle-ci contre toute responsabilité criminelle liée à l’infraction de financement du terrorisme.

Comme prévu au paragraphe 83.0392(1.1), le ministre de la Sécurité publique doit indiquer le nombre de demandes d’autorisation présentées, approuvées ou rejetées au cours de l’année civile précédente. Les efforts de mise en œuvre du régime d’autorisation sont toujours en cours, et SP n’a pas reçu de demande en 2023.

Section II – Progrès de la mise en œuvre du régime d’autorisation

Depuis juin 2023, SP a continué de mener des efforts interministériels en vue de lancer le régime d’autorisation. Ces efforts ont exigé une contribution et une collaboration importantes de nombreux ministères et organismes, ainsi que des consultations auprès de services internes. SP a dirigé l’élaboration de documents destinés au public, ainsi que de politiques qui orienteront le régime, en étroite collaboration avec Affaires mondiales Canada (AMC), Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’autres ministères et organismes partenaires dans le but de veiller à l’administration efficiente et efficace de l’initiative et à ce que le public, y compris les demandeurs potentiels, puisse profiter de ressources claires et informatives.

En appui à la mise en œuvre du régime d’autorisation, SP a mené la préparation d’une présentation au Conseil du Trésor (CT) visant à demander un financement sur deux ans (exercices 2023-2024 et 2024-2025) pour SP et la GRC. La présentation a également ciblé des fonds à transmettre à AMC pour la conception et l’élaboration d’une interface d’application en ligne et d’un outil de gestion de cas. La présentation a été approuvée par le CT le 7 décembre 2023; SP donc détient les ressources requises pour lancer le régime d’autorisation d’ici le printemps 2024. La mise en œuvre du régime comprend :

SP, de concert avec les ministères et organismes partenaires, a continué de collaborer avec les intervenants, dont les individus et les organisations qui pourraient demander des autorisations. En juillet 2023 et en mars 2024, SP a organisé des présentations destinées aux intervenants et, en août 2023, a recueilli l’opinion de ceux-ci sur les principaux documents destinés au public, y compris le document d’orientation sur les politiques opérationnelles et le formulaire de demande. Dans la mesure du possible, les commentaires reçus ont ensuite été pris en compte pour améliorer l’accessibilité et la convivialité des documents à l’intention des intervenants.

De plus, SP continue de collaborer avec ses partenaires des domaines de la sécurité et du renseignement en vue d’assurer que le régime d’autorisation sera compris d’un processus complet d’examen de la sécurité et d’évaluation des risques pour toutes les demandes transmises, ainsi que la surveillance rigoureuse et constante de l’application et de la conformité des autorisations délivrées.

SP travaille toujours de concert avec de nombreux ministères et organismes du gouvernement, dont AMC, IRCC, la GRC, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), le ministère de la Justice, le ministère des Finances et l’Agence du revenu du Canada (ARC). Les ministères et organismes participants ont pris des mesures pour appuyer le lancement et l’administration permanente du régime d’autorisation. Les activités sont détaillées ci-dessous.

Affaires mondiales Canada

De juillet à octobre 2023, AMC a instauré un nouveau groupe de travail dédié à l’établissement et à l’administration du régime d’autorisation, en consultation avec les différentes directions visées. Le travail du groupe comprend la rédaction de politiques, de processus et de procédures normales d’exploitation internes qui guideront l’évaluation des demandes du régime d’autorisation de façon uniforme et efficace. Le groupe assiste également SP dans l’élaboration de documents d’orientation clés, de formulaires de demande détaillés et d’une EFVP. AMC a aussi entamé des efforts de conception et de développement d’une interface en ligne qui permettra de recevoir les demandes dans un format sûr et convivial. De plus, AMC a entamé le test des formulaires et des processus par un travail initial sur les demandes d'autorisation pour la programmation financée par AMC en Afghanistan. Finalement, au cours de l’année 2023, AMC a régulièrement rencontré les intervenants pour répondre aux questions concernant l’exception d’ordre humanitaire et le régime d’autorisation.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

En collaboration avec des ministères fédéraux et des partenaires hors du gouvernement, IRCC appuie la mise en œuvre du régime d’autorisation. De nombreux clients d’IRCC se trouvent toujours en Afghanistan, une région contrôlée par une organisation terroriste désignée et où le Canada n’est pas présent. Cela limite la capacité du Ministère de traiter complètement les demandes d’immigration, à moins que les clients ne se trouvent dans un pays tiers. Les clients d’IRCC peuvent courir un grand risque en tentant de quitter l’Afghanistan pour terminer les dernières étapes du traitement, ou ne pas être en mesure de se rendre dans un autre pays sans aide. IRCC travaille avec des pays qui partagent les mêmes vues, des partenaires dans la région et des organisations non gouvernementales pour aider le passage sécuritaire de clients afghans. Le ministère continue aussi de collaborer avec SP et AMC en prévision du lancement du régime d’autorisation. IRCC a élaboré des procédures et des documents d’orientation internes pour préparer la mise en œuvre du régime d’autorisation et le ministère continue de surveiller de près les progrès.

Gendarmerie royale du Canada

Au cours des derniers mois, la GRC a poursuivi ses progrès vers la création et la mise en œuvre d’une nouvelle unité au sein de la Sécurité nationale de la Police fédérale en vue d’appuyer le ministre de la Sécurité publique et d’autres organismes gouvernementaux dans les examens de la sécurité du nouveau régime d’autorisation. La GRC a participé activement aux consultations internes et du gouvernement du Canada quant à la planification du régime, y compris l’EFVP et l’ACS Plus. À ce jour, aucune demande n’a été reçue et la mise en œuvre est toujours en cours. La GRC continue de tenir des discussions internes sur la mise en œuvre, les procédures normales d’exploitation, la méthodologie et les stratégies et modèles de TI et de gestion des données. La GRC a obtenu du financement du CT à la fin de 2023 et a entrepris des mesures de dotation pour assurer la mise en œuvre opportune de l’initiative. À ce jour, un des six postes financés par la présentation au CT a été doté, et la GRC s’engage à instaurer les procédures et politiques requises pour protéger la sécurité de l’information et fournir suffisamment de ressources pour respecter les normes et les attentes du service à la clientèle.

Agence du revenu du Canada

L’ARC joue un rôle de soutien au régime d’autorisation en communiquant les renseignements sur les contribuables pertinents aux partenaires du régime dans le cadre de l’examen de sécurité décrit au paragraphe 83.032(10) et à l’article 83.034 du Code criminel. L’ARC continue de travailler avec les partenaires pour satisfaire aux exigences et attentes relatives à l’administration du régime d’autorisation en ce qui concerne l’échange responsable de renseignements dans le cadre d’examens de sécurité. Le ministère a également participé à l’EFVP touchant plusieurs institutions dans son rôle de soutien du régime d’autorisation.

Ministère des Finances du Canada

Le ministère des Finances (FIN) assure la surveillance des politiques et du cadre législatif liés au régime canadien de lutte contre le blanchiment de capitaux (LBC) et le financement d’activités terroristes (LFAT), fournit des conseils au gouvernement du Canada sur les politiques nationales et internationales relatives à la LBC et à la LFAT et est responsable de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements connexes. Dans le cadre du régime d’autorisation, le ministère travaille avec SP pour veiller à ce que le nouveau programme s’intègre et s’harmonise aux efforts continus du Canada de mise en œuvre des normes relatives à la LBC et à la LFAT définies par le Groupe d’action financière. FIN coordonne également des efforts visant à accroître la sensibilisation du secteur à but non lucratif du pays aux questions liées au financement d’activités terroristes et a recueilli les commentaires d’intervenants lors d’un processus de consultations publiques entamé en juin 2023. Les consultations portaient sur divers autres enjeux relatifs à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Section III – Échéancier prévu pour le lancement du régime d’autorisation et prochaines étapes

Les efforts de mise en œuvre du régime d’autorisation se poursuivent. SP prévoit lancer le régime d’ici le printemps 2024 et continuera de travailler pour atteindre la pleine capacité opérationnelle avant la fin de l’année.

À l’heure actuelle, le régime d’autorisation dispose de financement jusqu’en mars 2025, et il sera nécessaire d’obtenir un financement continu pour soutenir les activités et l’administration de l’initiative. SP investira des ressources pour se pencher sur la question des besoins en matière de financement.

Après le lancement du régime d’autorisation, SP et les partenaires gouvernementaux de la mise en œuvre poursuivront leurs efforts pour s’assurer que le public et les demandeurs disposent des ressources nécessaires et fournir une application et un processus d’examen simples et conviviaux. Cela comprend la définition de normes de service visant à accroître la transparence du régime d’autorisation pour les demandeurs et le public.

Comme énoncé au paragraphe 83.0392(2) du Code criminel, un examen approfondi des articles 83.031 à 83.0391 et de leur application sera effectué par le ministre de la Sécurité publique au plus tard au premier anniversaire de l’entrée en vigueur de l’article (20 juin 2023), et un rapport devra être présenté dans les cent quatre-vingts jours suivant ce premier anniversaire. SP sera responsable de cet examen, en collaboration avec les partenaires et organismes.

Finalement, SP investira également les ressources nécessaires pour la rédaction du rapport annuel 2024 du régime d’autorisation, qui comprendra des renseignements détaillés sur la première année en fonction du régime.

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