Programmes de déjudiciarisation pour délinquants adultes
Recherche en bref
Vol. 3 No. 1
Janvier 1998
Question
Que savons-nous de l'efficacité des programmes de déjudiciarisation visant les délinquants adultes?
Contexte
Ces dernières années, le taux de criminalité au Canada a diminué, et pourtant, il y a eu augmentation des procédures judiciai-res. La charge des tribunaux s'est accrue, le nombre de cas de probation a augmenté et le taux d'incarcération du Canada est devenu l'un des plus élevés de l'Occident. Il y a 30 ans, on a commencé à prendre des mesures pour empêcher que les délinquants ne s'enfon-cent plus profondément dans l'engrenage du système de justice. Ces programmes de déjudi-ciarisation peuvent-ils constituer des moyens de rechange moins restrictifs?
Méthode
Une analyse de la documentation sur la déjudiciarisation a été effectuée. Les études choisies : a) devaient comporter un élé-ment d'évaluation - les rapports descriptifs de programmes n'ont pas été retenus; b) la déju-diciarisation devait prendre la forme de pro-grammes et non de châtiments intermédiaires tels que la surveillance électronique ou les camps de type militaire; c) devaient viser des adultes (les programmes pour jeunes n'ont été examinés que s'ils avaient des incidences sur la déjudiciarisation des adultes).
Réponse
La documentation s'est avérée très peu abondante. Cela est peut-être dû à la tendance conservatrice observée au cours des deux dernières décennies, période où on a plus mis l'accent sur la répression que sur les solutions moins restrictives. La majorité des évaluations des programmes ont été menées auprès de jeunes et d'autres groupes choisis de délinquants considérés comme méritant plus que les autres de recevoir de l'aide et de bénéficier de services sociaux.
L'une des grandes préoccupations touchant les évaluations de ces programmes concerne la possibilité d'un "élargissement du filet". Cette expression sert à décrire l'effet inattendu que ces programmes entraînent en soumettant les délinquants à des contrôles auxquels ils n'au-raient pas été soumis dans l'application normale de la justice. Si un tel programme n'avait pas existé, les délinquants seraient-ils réellement allés en prison ou auraient-ils simplement été placis en probation?
Une analyse a révélé que ce sont d'habitude les délinquants à faible risque, vus comme "ayant besoin qu'on leur donne une chance", qui étaient déjudiciarisés, les cas de première infraction ou d'infractions mineures représen-tant la majorité. Les délinquants atteints de troubles mentaux étaient aussi considérés comme des candidats possibles. Ces résultats semblent indiquer que de nombreux program-mes élargissent le filet plutôt que d'affranchir véritablement les délinquants de la tutelle de la justice. Aussi, comme ces programmes ciblent les délinquants à faible risque, ils ont peu d'effet sur la réduction des populations carcé-rales. Cependant, quelques programmes, qui ciblaient des délinquants à risque plus élevé, ont permis leur réinsertion sociale, en toute sécurité pour la collectivité. Leur succès donne à penser qu'ils pourraient constituer une solu-tion de rechange satisfaisante à l'incarcération.
Les programmes de déjudiciarisation sont offerts à différentes étapes du processus de justice pénale : avant et après la mise en accu-sation, ou au moment de la détermination de la peine, pour éviter la prison. Les évaluations des programmes exécutés par la police et des programmes relevant des procureurs démon-trent qu'ils ont tendance à élargir le filet. L'of-ficialisation de la déjudiciarisation au niveau de la police entraîne souvent l'établissement d'un dossier, faisant état de contacts avec la police, qui suit le délinquant et est susceptible d'être utilisé par la suite afin d'obtenir une sanction plus sévère. Dans les cas de déjudi-ciarisation après la mise en accusation ou d'ajournement des poursuites, on peut orienter le délinquant vers un programme intensif lorsque le procureur estime que la probabilité d'une condamnation est faible.
Les quelques études qui fournissent des données de suivi des groupes de référence ne parviennent guère à prouver que ces program-mes ont un effet sur la récidive. Et presque aucune étude ne fournit de données suffisantes pour déterminer dans quelle mesure le traite-ment ou les services offerts ont atteint leur but.
Enfin, les programmes de déjudiciarisation touchent une très faible proportion (1 % - 2 %) des délinquants. Ce faible pourcentage peut être attribuable aux critères d'admissibilité (p. ex., on ne considère souvent que les délinquants à faible risque) de même qu'à la capacité limitée des programmes.
Incidences sur les politiques
- Les programmes de déjudiciarisation doivent cibler ceux qui risquent vraiment d'être pris dans l'engrenage du système de justice. Sinon, le filet est élargi et il n'y a pas d'économie.
- Les programmes officiels appliqués par la police entraînent une augmentation de la prise en charge des délinquants par le système. Il semble l'officialisation du pouvoir discrétionnaire de la police ne soit pas une stratégie efficace pour éviter cet effet.
- Les attentes quant aux effets de la déjudi-ciarisation sur le système correctionnel doivent être réalistes. À moins que les critères d'admissibilité ne soient modifiés pour que ces programmes puissent accueillir des délinquants à risque moyen, les effets resteront minimes.
- Même s'il y a peu de documentation, les résultats obtenus par les quelques pro-grammes qui effectuaient une sélection minutieuse parmi des groupes à risque plus élevé pour offrir des services commu-nautaires accrus, indiquent que les pro-grammes de déjudiciarisation pour adultes peuvent réussir à faire éviter l'incarcé-ration à certains délinquants.
Source
- Nuffield, J. Programmes de déjudiciarisation à l'intention des adultes. Rapport pour spécialistes no 1997-05, Ottawa, Solliciteur général Canada, 1997.
Pour de plus amples renseignements
James Bonta, Ph.D.
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