La peur du crime et les attitudes à l'égard de la justice pénale au Canada : Bilan des dernières tendances 2001-02

La peur du crime et les attitudes à l'égard de la justice pénale au Canada : Bilan des dernières tendances 2001-02 Version PDF (456 Ko)
Table des matières

Julian V. RobertsNote de bas de page 1
Faculté de criminologie
Université d'Ottawa

2001 - 02

Novembre 2001

Les opinions exprimées dans le présent document n'engagent que l'auteur.Ce rapport est disponible en anglais. This report is available in English under the title : Fear of Crime and Attitudes to Criminal Justice in Canada: A review of Recent Trends

Résumé

Ce rapport résume les dernières tendances enregistrées relativement à la peur du crime et aux attitudes à l'égard de la justice pénale au Canada. Ces tendances se dégagent de l'examen de toutes les enquêtes quantitatives et recherches qualitatives récentes (notamment les groupes de réflexion). L'objet du présent rapport est de décrire des tendances chronologiques et d'explorer la relation entre la peur du crime et les attitudes à l'égard des questions de justice pénale, à commencer par les questions correctionnelles. On trouvera dans le rapport des références complètes.

1. La peur de la victimisation criminelle

Il y a plusieurs façons de mesurer la peur du crime, mais la question la plus fréquemment posée à ce sujet au Canada et dans d'autres pays est la suivante : « Y a-t-il un secteur dans votre voisinage où vous avez peur de marcher la nuit?  » Cette question est utilisée depuis 40 ans dans les sondages.

Les réponses sont plus ou moins les mêmes d'une année à l'autre, à cette différence près que les femmes sont toujours plus susceptibles d'avoir peur d'être victimes d'actes criminels, même si elles ne sont pas plus nombreuses à l'être dans les faits.

Gallup Canada pose régulièrement cette question légèrement différente : « Y a-t-il un secteur dans votre voisinage, c'est-à-dire dans un rayon de deux ou trois kilomètres de votre domicile, où vous auriez peur de marcher la nuit?  » Le pourcentage de personnes qui répondent par l'affirmative est légèrement plus élevé, mais varie peu au fil des ans. En 2000, il était de 27 %, et n'a pas varié beaucoup par rapport au chiffre repère de 1970. Il était moins élevé en 2000 par rapport à bien d'autres années mais, encore une fois, les écarts relevés au fil des ans sont faibles : en 1970, 29 % des répondants avaient peur de marcher la nuit dans certains secteurs de leur voisinage; ils étaient 27 % 30 ans plus tard, comme on peut le voir à la figure 1.

Figure 1 : Réponses à la question sur la peur de marcher dans certains secteurs la nuit (Gallup, de 1970 à 2000)

Figure 1 : Réponses à la question sur la peur de marcher dans certains secteurs la nuit (Gallup, de 1970 à 2000)

Selon les résultats de la dernière Enquête sociale générale (ESG) de Statistique Canada, le pourcentage déjà élevé des répondants qui se sentent en sécurité est en hausse.

Récapitulation

La plupart des gens se sentent à l'abri du crime, en dépit de différences importantes enregistrées relativement au sentiment de sécurité personnelle. La peur du crime n'a pas beaucoup évolué ces dernières années, mais il semble que le pourcentage de répondants qui disent ne pas se sentir en sécurité soit en baisse, sans doute parce que les taux de criminalité sont en baisse et que les Canadiens en prennent conscience.

2. La perception de la criminalité comme problème important

On peut évaluer la perception qu'ont les Canadiens de l'importance de la criminalité en tant que problème de société en comparant cette perception à celle qu'ils ont relativement à d'autres problèmes comme la dette nationale, les soins de santé ou le chômage. On constate que, de manière générale, la criminalité arrive loin derrière d'autres questions.

Figure 2 : Variation du pourcentage de répondants suivant ce qui devait être, selon eux, la préoccupation prioritaire des dirigeants du Canada

Figure 2 : Variation du pourcentage de répondants suivant ce qui devait être, selon eux,la préoccupation prioritaire des dirigeants du Canada

Récapitulation

Dans l'ensemble, les enquêtes effectuées ces dernières années révèlent que, contrairement à d'autres problèmes de société, à commencer par les soins de santé et l'économie, le problème de la criminalité ne préoccupe pas beaucoup la population. Il revêt plus d'importance aux yeux des répondants lorsqu'on leur demande de considérer la criminalité dans leur réponse, mais ce n'est peut-être pas le meilleur moyen de sonder l'opinion publique. Plusieurs sondages indiquent que la criminalité revêt moins d'importance ces derniers temps.

3. Perceptions des tendances de la criminalité

Selon les résultats des sondages d'opinion effectués dans plusieurs pays au cours des dernières décennies, la plupart des gens croient à tort que le taux de criminalité est en hausse. Par exemple, dans une enquête nationale effectuée au Canada en 1994, plus des deux tiers (68 %) des répondants croyaient que le taux de criminalité était en hausse depuis les cinq dernières années, alors que cette même année, le pourcentage de crimes déclarés par la police avait chuté de 5 % pour la troisième année consécutive. En ce qui a trait aux crimes de violence, le contraste entre la perception du public et la réalité était encore plus frappant. En 1994, on a enregistré la plus forte baisse de la criminalité avec violence depuis 1962, date de l'entrée en vigueur du programme DUC. Malgré cela, près de la moitié des sujets de l'échantillon pensaient que les crimes de violence avaient beaucoup augmenté, et 43 % qu'ils avaient augmenté moyennement.

Toutefois, il semble que les perceptions du public soient en train d'évoluer, sans doute en réaction à la couverture médiatique des statistiques officielles de la criminalité. C'est du moins le cas en ce qui a trait au taux de criminalité chez les adultes et chez les jeunes, comme le démontrent les constatations suivantes :

Récapitulation

Pendant bien des années, la plupart des Canadiens sont restés persuadés que le taux de criminalité était en hausse, même si les statistiques tirées des rapports de police ou des enquêtes sur la victimisation démontraient le contraire. Il semble que la situation soit en train de changer, cependant, et que les Canadiens prennent conscience de la réalité, soit que le taux de criminalité est en baisse.

4. Attitudes au sujet des questions de justice pénale

Il semble que les attitudes des Canadiens soient en train d'évoluer sur certaines questions clés de justice pénale. En effet, les Canadiens semblent moins favorables au durcissement des peines et plus favorables aux programmes de justice pénale plus souples comme la libération conditionnelle.

Même si la libération conditionnelle a toujours été très critiquée par l'opinion publique, ce régime jouit cependant d'un solide appui selon une enquête menée en 2000 :

5. La peur du crime et les attitudes à l'endroit du système de justice pénale

L'une des dernières études effectuées sur le thème de la peur était fondée sur les résultats de l'ESG de 1993 (voir Sprott et Doob, 1997). Cette étude aboutissait à la conclusion générale qu'il existait une corrélation significative entre la peur et l'attitude à l'endroit du système de justice pénale : les répondants qui disent avoir peur sont plus susceptibles d'être mal disposés à l'endroit de la police et des tribunaux.

6. Corrélation entre victimisation et attitude à l'endroit de l'incarcération

Des chercheurs ont étudié dernièrement la corrélation entre victimisation et attitude à l'endroit de l'incarcération, à la lumière des données tirées de l'ESG de 1999. Ils ont constaté que la peur a une grande validité prédictive de l'attitude punitive : les répondants qui éprouvent un fort sentiment de peur étaient plus susceptibles d'être favorables à l'emprisonnement des délinquants décrits dans de courts scénarios. Les antécédents de victimisation, que l'acte criminel subi ait été accompagné de violence ou non, n'ont pas de valeur prédictive de l'attitude au sujet de l'emprisonnement.

Objet du rapport

Ce bref rapport résume les dernières tendances enregistrées relativement à la peur du crime et aux attitudes à l'égard de la justice pénale au CanadaNote de bas de page 2. Ces tendances se dégagent de l'examen de toutes les enquêtes quantitatives et recherches qualitatives (notamment les groupes de réflexion) disponibles sur la question. La plupart de ces études ont été commandées par le ministère fédéral du Solliciteur général ou par Justice Canada; d'autres émanent d'entreprises de recherche par sondages comme Environics ou Gallup Canada, qui sondent régulièrement l'opinion des Canadiens sur les questions de justice pénale.

L'objet du présent rapport est de décrire des tendances chronologiques et d'examiner la relation entre la peur du crime et les attitudes à l'égard des questions de justice pénale, à commencer par les questions correctionnelles. Malheureusement, les comparaisons dans le temps ne sont pas toujours possibles en l'occurrence. (Par exemple, l'Enquête sociale générale (ESG) de 1999 comportait des questions sur la libération conditionnelle, mais qui ne figuraient pas dans les versions antérieures de l'ESG.)

La plupart des études effectuées traitent de la peur du crime ou des attitudes à l'égard des politiques de lutte contre la criminalité; rares sont celles qui explorent le lien de cause à effet entre la peur du crime et les attitudes favorables à des mesures comme la libération conditionnelle ou les services correctionnels communautaires. Le présent rapport traite des tendances globales et chronologiques, abstraction faite des différences démographiques, mises à part les plus frappantes (notamment en ce qui a trait à la peur de la victimisation criminelle). Il ne vise pas non plus à faire des comparaisons fouillées des tendances enregistrées au Canada et dans d'autres pays, bien que certaines données internationales y soient présentées.

Vue d'ensemble

La partie I traite des tendances relatives à la peur du crime. Les parties II et III traitent de ce que l'on pourrait appeler des questions de perception, dont l'importance accordée à la criminalité comme préoccupation prioritaire du gouvernement dans son programme d'action sociale et les perceptions du public au sujet de la criminalité. La partie IV présente les tendances enregistrées dans les attitudes du public à l'égard des sanctions pénales et dans la relation complexe entre la peur de la victimisation et les attitudes à l'égard de dimensions précises de la justice pénale. Enfin, la partie V propose des moyens d'éliminer les idées fausses au sujet de la criminalité et de réduire la peur de la victimisation.

I. La peur du crime

Il y a plusieurs façons de mesurer la peur du crime, mais la question la plus fréquemment posée à ce sujet au Canada et dans d'autres pays est la suivante : « Y a-t-il un secteur dans votre voisinage où vous avez peur de marcher la nuit? » Cette question est utilisée depuis 40 ans dans les sondages. Les réponses varient peu d'une année à l'autre, à cette différence près que les femmes sont toujours plus susceptibles d'avoir peur et d'éviter certains secteurs la nuitNote de bas de page 3.

Gallup Canada pose régulièrement cette question légèrement différente : « Y a-t-il un secteur dans votre voisinage, c'est-à-dire dans un rayon de quelques kilomètres de votre domicile, où vous auriez peur de marcher la nuit? » Le pourcentage de personnes qui répondent par l'affirmative est légèrement plus élevé, mais varie peu au fil des ans. En 2000, il était de 27 %, et n'a pas varié beaucoup par rapport au chiffre repère de 1970. Il était moins élevé en 2000 par rapport à bien d'autres années mais, encore une fois, les écarts relevés au fil des ans sont faibles : en 1970, 29 % des répondants avaient peur de marcher la nuit dans certains secteurs de leur voisinage; ils étaient 27 % 30 ans plus tard, comme on peut le voir au tableau 1.

Tableau 1 : Réponses à la question sur la peur de marcher dans certains secteurs la nuit (de 1970 à 2000)

Année

% de réponses affirmatives

% de réponses négatives

2000

27

72

1999

26

73

1997

25

74

1996

30

69

1995

33

66

1994

35

64

1992

36

63

1991

37

60

1990

34

63

1987

27

71

1979

31

67

1974

37

63

1970

29

66

Moyenne

31 %

67 %


Nota : Sont exclues les réponses « indécis » ou « ne sais pas ».
Source : Gallup Canada.

Le tableau 1 indique que la peur de la victimisation a légèrement diminué ces dernières années. Le pourcentage moyen de répondants qui avaient peur de marcher dans certains secteurs la nuit est légèrement inférieur depuis 1997 comparativement à la période de 1970 à 1979 (26 % contre 32 %). D'autre part, le sondage Gallup 2000 révèle certains écarts importants entre les sexes : 41 % des femmes, mais seulement 12 % des hommes ont dit avoir peur de marcher la nuit dans leur voisinageNote de bas de page 4. Ces deux chiffres sont inférieurs par rapport aux années antérieures.

Des tendances comparables se dégagent d'autres sondages menés auprès de la population canadienne. Environics Research pose une question un peu plus simple : « Vous arrive-t-il d'avoir peur de marcher la nuit dans votre voisinage? » Les réponses à cette question ne varient pas beaucoup non plus, le pourcentage de réponses affirmatives n'a jamais dépassé un tiers ni décliné en deçà de 22 % entre 1976 et 1998; il est passé à 27 % en 1998 (Environics Research, 1998).

Selon les résultats des sondages menés en 1999 et 2000 par Earnscliff, les Canadiens se sentent davantage en sécurité : le pourcentage des répondants qui se disent « parfaitement en sécurité » est passé de 28 % à 40 % (voir Earnscliff Research and Communications).

Bien qu'il ne s'agisse pas d'un sondage annuel sur la victimisation (comme le British Crime Survey), l'Enquête sociale générale (ESG) est l'indicateur le plus fiable de la peur ressentie par les Canadiens. Elle pose une question légèrement différente à cet égard en ce sens que les répondants doivent indiquer dans quelle mesure ils se sentent en sécurité lorsqu'ils se déplacent à pied dans leur quartier. Selon les résultats de la dernière ESG, le pourcentage des répondants qui se sentent en sécurité est en hausse. Voici les principales tendances qui se dégagent des résultats de l'ESG enregistrés en 1988, 1993 et 1999 :

Enfin, il convient de noter que la peur du crime varie beaucoup d'une région à l'autre du Canada. Ainsi, dans le sondage Gallup effectué en 2000, le pourcentage des répondants qui ont dit avoir peur de marcher seuls la nuit allait de 14 % dans les provinces de l'Atlantique à 39 % en Colombie-Britannique (Gallup, 2000). À Vancouver, 53 % des répondants ont admis avoir peur de marcher seuls la nuit, contre 34 % à Montréal.

Comparaisons à l'échelle internationale

L'ICVS (International Crime Victimization Survey) permet de dégager des tendances chronologiques relativement à la peur du crime. Comme dans les autres enquêtes par sondage précitées, elle comporte une question sur la peur de marcher la nuit dans le quartier. Selon les derniers résultats de l'enquête, enregistrés en 1996 et 2000, cette peur a diminué au fil des ans (voir Quann, 2001, tableau 4). Cette enquête sur la victimisation permet également de dégager des tendances à l'échelle internationale. Ainsi, les résultats enregistrés en 2000 révèlent que la peur du crime est moindre au Canada que dans bien d'autres pays occidentaux (voir aussi van Dijk et Mayhew, 1997) : seuls trois autres pays surpassent le Canada (voir le tableau 2).

Tableau 2 : Classement des pays par ordre décroissant - Mesure de la peur du crime

Pays

Classement dans l'ordre décroissant
(peur du crime)

Suisse

1

Portugal

2

Pologne

3

Japon

4

Australie

5

Belgique

6

Angleterre et pays de Galles

7

Espagne

8

France

9

Irlande du Nord

10

Écosse

11

Canada

12

Pays-Bas

13

États-Unis

14

Finlande

15


Source : International Crime Victimization Survey (tiré de Quann, 2001)

Pourquoi les Canadiens se sentent-ils plus en sécurité?

Les chercheurs n'ont pas encore fait le tour de la question de savoir pourquoi la peur de la victimisation diminue au fil du temps au Canada. On a établi dans une certaine mesure la validité empirique de la proposition intuitive selon laquelle il existe une corrélation positive entre l'expérience de la victimisation et la peur du crime. Les deux explications les plus plausibles de cette baisse de la peur du crime au Canada sont : a) le déclin des taux de victimisation effective; b) l'évolution des perceptions au sujet de la criminalité (voir les prochaines sections du présent document). Pour l'essentiel, si les Canadiens sont moins susceptibles de devenir des victimes, et plus sensibles à la baisse des taux de criminalité, ils sont également plus susceptibles de se sentir en sécurité. À la fois l'expérience et la perception semblent influer sur le sentiment de peur.

Récapitulation

La plupart des gens se sentent à l'abri du crime, en dépit des différences importantes enregistrées relativement au sentiment de sécurité personnelle. La peur du crime n'a pas beaucoup évolué ces dernières années, mais il semble que le pourcentage de répondants qui disent ne pas se sentir en sécurité soit en baisse. De même, le pourcentage de Canadiens qui se sentent obligés d'opter pour des comportements d'évitement pour ne pas devenir une victime de crime est en baisse. Si le sentiment d'insécurité diminue, c'est sans doute parce que les taux de criminalité sont en baisse et que les Canadiens en prennent conscience.

II. Perceptions de la criminalité comme problème de société

1. La perception de la criminalité comme préoccupation prioritaire du gouvernement

Commençons par les réponses fournies spontanément à la question suivante : « En pensant aux problèmes auxquels fait face le Canada, quel est celui sur lequel le gouvernement du Canada devrait se concentrer en priorité? » La criminalité est loin d'être jugée prioritaire, comme le révèle le tableau 3.

Tableau 3 : La criminalité comme préoccupation prioritaire du gouvernement en 2000

Question de l'heure

% de répondants qui jugent cette question comme étant prioritaire entre toutes

Les soins de santé

33

L'éducation

9

L'économie

9

Le chômage

8

Les impôts

7

La dette publique

6

La pauvreté

5

Les programmes sociaux

3

L'environnement

2

L'immigration

2

La criminalité et la justice

2

L'unité nationale

2

Autre

12


Source : Bureau d'information du Canada, 2000a

L'importance accordée à ces questions d'ordre social est très variable comme le démontrent ces chiffres. L'importance accordée à la criminalité est au plus haut en Colombie-Britannique, et au plus bas dans les provinces de l'Atlantique.

Le tableau 4 présente une vue d'ensemble chronologique des réponses fournies à la question : « Quelle devrait être la première préoccupation des dirigeants du Canada? » En 2001, 4 % des répondants ont cité de façon spontanée la criminalité, contre 6 % en moyenne de 1996 à 1999 (Ipsos-Reid, 2001). On peut tirer plusieurs conclusions de ces tendances. Premièrement, la criminalité n'est jugée prioritaire que par quelques-uns. Deuxièmement, en demandant aux répondants de désigner la question la plus importante, les sondeurs ne peuvent mesurer l'importance réelle accordée à la criminalité que si elle est jugée prioritaire. Troisièmement, il est clair que l'importance accordée à d'autres questions comme l'économie varie davantage.

Cette variabilité s'explique notamment par le fait que les fluctuations de l'indice des prix à la consommation ou du taux de chômage frappent davantage les esprits. Les ralentissements de l'économie se répercutent assez vite sur la vie des gens. En revanche, les variations du taux de criminalité n'ont sans doute pas le même effet sur les perceptions du public, peut-être parce que les médias ne réagissent pas aussi vite aux statistiques officielles de la criminalité qu'aux indicateurs officiels de la conjoncture économique.

Tableau 4 : Pourcentage de répondants ayant spontanément cité l'un des problèmes suivants comme la préoccupation qui devrait être prioritaire pour les dirigeants du Canada

Année

Criminalité/Justice

Économie

Chômage

2001

4

16

11

2000

8

10

14

1999

6

14

23

1998

5

24

32

1997

8

17

49

1996

6

26

44

1995

12

22

34

1994

5

21

33

1993

3

36

38

1992

2

44

24

1991

1

31

14

1990

2

22

8

Moyenne

5

24

27

Étendue

11 %

34 %

41 %


Source : Ipsos-Reid, 2001

2. Importance de la criminalité comme problème de société

La constatation générale qui se dégage de plusieurs enquêtes est que la criminalité revêt moins d'importance aux yeux du public que d'autres questions.

Un sondage Ekos mené en 2000 contredit cette constatation générale selon laquelle la criminalité ne figure pas en tête de liste parmi les priorités des Canadiens. Les répondants devaient indiquer quelle importance le gouvernement du Canada devrait accorder respectivement à plusieurs questions, dont celle de la criminalité et de la justice. Cette dernière question arrive en quatrième position, après les soins de santé, l'environnement et la prévention du crime, mais avant la pauvreté, le chômage, le fardeau fiscal et un certain nombre d'autres problèmes (Ekos Research Associates Inc., 2000). Toutefois, les comparaisons dans le temps relativement à cette question aboutissent à un résultat qui corrobore ceux des autres sondages : le pourcentage de répondants qui attachent une importance prioritaire à la criminalité et à la justice est passé de 87 % en 1994 à 81 % en 2000 (Ekos, 2000).

On peut aborder la question sous un autre angle en demandant aux répondants d'évaluer la gravité du problème de la criminalité. Le résultat général est le même : stabilité dans le temps et déclin, amorcé récemment, du pourcentage de gens pour lesquels la criminalité est un problème.

Dans le sondage Perspectives Canada de 2000, les répondants devaient indiquer la mesure dans laquelle ils étaient préoccupés par un certain nombre de problèmes de société. Le tableau 5 révèle que la criminalité arrive en dernière position, et de loin. En outre, la situation n'a guère changé en 4 ans. Le tableau 6 confirme la même tendance en démontrant que le problème de société qui préoccupe le moins de Canadiens, c'est celui de la criminalité.

Tableau 5 : Pourcentage de Canadiens très préoccupés par tel ou tel problème de société

Problème de société

% de répondants très préoccupés en 2000

% de répondants très préoccupés en 1997

Soins de santé

69 %

57 %

Pauvreté des enfants

58 %

s/o

Qualité de l'instruction

52 %

49 %

Environnement

45 %

47 %

Sans-abri

43 %

s/o

Criminalité

29 %

31 %


Source : Perspectives Canada, 2000

Tableau 6 : Pourcentage de Canadiens peu préoccupés par tel ou tel problème de société

Problème de société

% de répondants peu ou très peu préoccupés en 2000

Criminalité

32 %

Sans-abri

14 %

Environnement

10 %

Qualité de l'instruction

12 %

Pauvreté des enfants

8 %

Qualité des soins de santé

8 %


Source : Perspectives Canada

La criminalité locale

Le même phénomène se produit lorsqu'on sonde les Canadiens, non plus sur la criminalité en général, mais sur la criminalité dans leur collectivité respective. Dans la série de sondages Focus Canada, la question suivante revenait en plusieurs occasions : « Diriez-vous que la criminalité est un problème très important, pas très important ou aucunement important dans votre collectivité » La portion de répondants jugeant la criminalité comme un problème très important dans leur voisinage est passée de 45 % en 1990 à 30 % en 1998 (Environics Canada 1998).

La criminalité comme préoccupation prioritaire

Les enquêtes effectuées dans les années 1990 par Environics Research Group Limited confirment que la criminalité préoccupe de moins en moins la population. Ce problème était jugé très important par près de la moitié des sujets de l'échantillon en 1990, contre seulement 30 % en 1998.

Les enquêtes Earnscliff menées en 1999 et 2000 révèlent également une baisse du pourcentage de Canadiens pour lesquels la criminalité est une préoccupation hautement prioritaire : en 1999, ils étaient 49 %; ils n'étaient plus que 39 % en 2000. On constate la même tendance au sujet de la criminalité chez les jeunes : le pourcentage de répondants considérant ce problème comme une préoccupation hautement prioritaire est passé de 50 % en 1999 à 44 % en 2000.

La même tendance se dégage des enquêtes effectuées par Les Associés de recherche Ekos pour le Centre national de prévention du crime. Au cours des sept dernières années, la question suivante a été posée à huit reprises : « Quelle priorité le gouvernement fédéral devrait-il accorder à la criminalité et à la justice non seulement aujourd'hui, mais dans les cinq années à venir ? » Le pourcentage de répondants optant pour une priorité élevée a chuté de 87 % en 1994 à 77 % en 1998. La moyenne pour les trois dernières années s'est établie de 81 %, soit une diminution par rapport à la moyenne de 85 % enregistrée pour la période de 1994-1996. Certes, il ne s'agit pas d'un déclin spectaculaire, mais d'une tendance qui confirme l'idée que la criminalité préoccupe de moins en moins les Canadiens.

L'importance du problème de la criminalité quand des réponses possibles sont suggérées

On peut finalement déterminer l'importance qu'accordent les répondants au problème de la criminalité en leur suggérant des réponses possibles. Par exemple, en 2000, une enquête nationale comportait l'énoncé suivant : « Je vais vous lire une série de paires de priorités possibles et j'aimerais que vous me disiez laquelle devrait, selon vous, constituer la priorité absolue du gouvernement du Canada » (Bureau d'information du Canada, 2000). Les répondants avaient donc à choisir deux domaines d'intervention prioritaires (p. ex., criminalité/justice et chômage). Cette méthode fait grimper la criminalité et la justice dans l'ordre d'importance (voir le tableau 7).

En revanche, la méthode des réponses suggérées peut aboutir à l'effet inverse, la valeur symbolique prêtée à la justice pénale incitant les répondants à accorder une priorité plus grande au problème de la criminalité. À mon avis, la question posée de but en blanc, sans suggérer de réponses possibles, constitue la meilleure approche.

Tableau 7 : Classement des domaines d'intervention jugés prioritaires (suivant un choix de réponses suggérées)

Classement

Domaine d'intervention

1

Santé

2

Éducation

3

Économie

4

Gestion rentable

5

Criminalité et justice

6

Environnement

7

Chômage

8

Imposition

9

Union canadienne

10

Revenu agricole


Source : Bureau d'information du Canada, 2000

La criminalité au quotidien

En certaines occasions, les sondeurs ont demandé à des Canadiens de situer le problème de la criminalité dans le contexte de leur vie quotidienne. Cette approche donne les mêmes résultats que les questions relatives à l'importance de la criminalité comme problème de société. Brillon, Louis-Guérin et Lamarche ont utilisé cette approche au milieu des années 1980, pour constater que la criminalité était rarement considérée comme un problème vécu au quotidien, comparativement aux ennuis financiers personnels (5 % contre 46 %).

Récapitulation

Dans l'ensemble, les enquêtes effectuées ces dernières années révèlent que, contrairement à d'autres problèmes de société, à commencer par les soins de santé et l'économie, le problème de la criminalité ne préoccupe pas beaucoup la population. Il revêt plus d'importance aux yeux des répondants lorsqu'on leur demande de considérer la criminalité dans leur réponse, mais ce n'est peut-être pas le meilleur moyen de sonder l'opinion publique. Plusieurs sondages indiquent que la criminalité revêt moins d'importance ces derniers temps.

III. Perceptions des tendances de la criminalité

Lorsqu'on leur demande quelle est la raison d'être des sanctions pénales, ou le but premier du système de justice pénale, la plupart des Canadiens répondent : la prévention du crime. Il s'ensuit que si les gens ont le sentiment que les taux de criminalité grimpent inexorablement, ils risquent du même coup de perdre confiance en leur système de justice pénale. Il importe donc, ne serait-ce que pour cette seule raison, d'en savoir davantage sur les perceptions du public relativement aux tendances de la criminalité.

Depuis de nombreuses années, les enquêtes menées dans bien des pays révèlent que les quatre cinquièmes, environ, de la population croient que le taux de criminalité est en hausse (voir Roberts et Stalans, 1997). Il importe de souligner que ni le Royaume-Uni ni les États-Unis ne font exception à la règle. Dans le dernier sondage mené auprès des Américains, près de la moitié des sujets de l'échantillon croyaient que le taux de criminalité était en hausse, alors qu'il est en baisse depuis près de dix ans (Belden Russonnello et Stewart, 2001).

Selon les résultats d'un sondage mené en 1994 par Angus Reid, plus des deux tiers (68 %) des Canadiens croyaient que le taux de criminalité était en hausse depuis les cinq dernières années, alors que cette même année, le pourcentage de crimes déclarés par la police avait chuté de 5 % pour la troisième année consécutive (Hendrick, 1995). En ce qui a trait aux crimes de violence, le contraste entre la perception du public et la réalité était encore plus frappant. En 1994, on a enregistré la plus forte baisse de la criminalité avec violence depuis 1962, date de l'entrée en vigueur du programme DUC (Hendricks, 1995).

Malgré cela, près de la moitié des sujets de l'échantillon pensaient que les crimes de violence avaient beaucoup augmenté, et 43 % qu'ils avaient augmenté moyennement (Angus Reid, 1994). En 1996, un projet de recherche qualitative subventionné par le ministère du Solliciteur général a abouti à cette conclusion : « La majorité des participants, dans toutes les villes visitées, croyaient que la criminalité avait nettement augmenté  » (Angus Reid Group, 1996, p. 10). Voilà qui donne à penser qu'il y a un décalage considérable entre la publication des statistiques de la criminalité et les perceptions du public au sujet de l'évolution du taux de criminalité.

Le taux de criminalité est en baisse depuis maintenant huit années consécutives (Tremblay, 2000). De même, les statistiques sur la victimisation vont à l'encontre de l'opinion communément répandue selon laquelle le taux de criminalité grimpe inexorablement : l'ICVS (International Crime Victimization Survey), menée à quatre reprises entre 1989 et 2000, révèle que le taux de victimisation a baissé de 15 % au cours de cette période (voir Quann, 2001, Tableau 1).

Toutefois, il semble que les perceptions du public soient en train d'évoluer, sans doute en réaction à la couverture médiatique des statistiques officielles de la criminalité. C'est du moins le cas en ce qui a trait au taux de criminalité chez les adultes et chez les jeunes, comme le démontrent les constatations suivantes :

Les perceptions du public relativement aux tendances de la criminalité varient beaucoup d'une province à l'autre. Par exemple, en 1997, le pourcentage de répondants persuadés que le taux de criminalité était en hausse dans leur voisinage depuis les cinq dernières années allait de 9 % dans les provinces de l'Atlantique à 30 % en Colombie-Britannique. Cet écart explique sans doute pourquoi la criminalité est une préoccupation bien plus prioritaire pour les répondants de la Colombie-Britannique que pour ceux des provinces de l'Atlantique : en 1997, 42 % des premiers ont cité la criminalité comme préoccupation prioritaire dans leur collectivité contre seulement 10 % des seconds (Angus Reid, 1997).

Enfin, l'influence des médias d'information transparaît dans les réponses du public aux questions relatives au crime motivé par la haine.

Perceptions du public sur le crime motivé par la haine

En 2000, près de la moitié des répondants à une enquête nationale ont affirmé que le crime motivé par la haine était en hausse au Canada. Comme Statistique Canada ne recueille pas de données sur cette forme de criminalité, la perception du public est fondée nécessairement sur la couverture médiatique des crimes motivés par la haine. (L'ESG comporte une question sur le crime motivé par la haine, mais seulement depuis 1999, ce qui élimine toute possibilité de comparaison dans le temps démontrant que ce genre de crime est effectivement en hausse.)

Optimisme par rapport à l'avenir

Perspectives Canada aborde la question du taux de criminalité sous un autre angle en demandant aux répondants s'ils croient que la situation va s'améliorer ou empirer dans l'année qui vient en ce qui a trait à tel ou tel problème de société. Les réponses à cette question indiquent que les Canadiens sont optimistes quant à l'évolution de divers problèmes de société, dont la criminalité. Ainsi, 47 % des personnes interrogées en 2000 croyaient que le taux de criminalité allait baisser dans leur collectivité au cours des douze mois à venir. Comme d'autres indicateurs examinés dans le présent rapport, cette statistique est demeurée relativement stable au cours des quatre dernières années. Le pourcentage de Canadiens ayant une vision optimiste de l'avenir en ce qui concerne la criminalité est comparable ou supérieur aux pourcentages correspondants pour d'autres problèmes de société (voir Perspectives Canada, 2000).

Conséquences de l'évolution des perceptions du public quant au taux de criminalité

Il faudrait effectuer d'autres analyses pour confirmer l'existence d'un rapport de cause à effet, mais il est probable que l'évolution des perceptions quant au taux de criminalité ait des répercussions à la fois sur la peur du crime et sur les attitudes à l'égard de la justice pénale. On en a déjà la preuve à certains égards. Par exemple, dans une enquête menée en 2000, la plupart des répondants satisfaits de l'action du gouvernement fédéral en matière de criminalité et de justice n'ont toutefois pas pu justifier leur opinion en donnant un exemple précis, mais la baisse du taux de criminalité arrivait en deuxième place parmi les raisons effectivement invoquées par quelques autres (Bureau d'information du Canada, 2000a).

Récapitulation

Pendant bien des années, la plupart des Canadiens sont restés persuadés que le taux de criminalité était en hausse, même si les statistiques tirées des rapports de police ou des enquêtes sur la victimisation démontraient le contraire. Il semble que la situation soit en train de changer, cependant, et que les Canadiens prennent conscience de la réalité, soit que le taux de criminalité est en baisse.

IV. Attitudes au sujet des questions de justice pénale

Il semble que les attitudes des Canadiens soient en train d'évoluer sur certaines questions clés liées aux sanctions pénales et aux interventions correctionnelles. En effet, les Canadiens semblent moins favorables au durcissement des peines, à commencer par la peine capitale, et plus favorables aux programmes de justice pénale plus souples comme les régimes de libération conditionnelle.

Appui à la peine de mort

Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour justifier cette tendance :

  1. la baisse des taux de criminalité, à commencer par le taux d'homicide, qui est tombé en 1999 à son plus bas niveau depuis 1967 - 1,8 par tranche de 100 000 habitants (Tremblay, 2000);
  2. la médiatisation des cas de meurtre donnant lieu à une condamnation injustifiée (p. ex., Morin; Sophonow);
  3. l'absence de groupe de pression politique fort en faveur du rétablissement de la peine de mort et l'appui solide donné au parti politique opposé au rétablissement de la peine de mort;
  4. le peu d'attention accordé à la criminalité et à la justice comme enjeu électoral lors des dernières élections fédérales;
  5. la publicité négative associée à certaines exécutions très médiatisées récemment aux États-Unis (dont celle de Faye Tucker au Texas).

La confiance accordée aux tribunaux

Les attitudes à l'égard des tribunaux ont toujours été défavorables. Là encore, un changement est en train de s'opérer. Lors d'une enquête menée pour le compte du Service correctionnel du Canada en 1997, on a demandé aux répondants dans quelle mesure ils faisaient confiance aux tribunaux, à la police municipale, à la police provinciale, à la Commission nationale des libérations conditionnelles et au SCC lui-même. Les résultats indiquent, comme dans d'autres sondages, que c'est la police qui a le plus de crédibilité : plus de 90 % des répondants faisaient confiance, avec ou sans réserve, à la Police provinciale de l'Ontario.

Les attitudes à l'endroit de la libération conditionnelleNote de bas de page 8

La libération conditionnelle a toujours été très critiquée par l'opinion publique. L'enquête menée en 2000 par Environics Canada auprès des habitants de KingstonNote de bas de page 9 a toutefois révélé que ce régime jouit d'un solide appui, comme en témoignent ces résultats :

Il y a plusieurs explications possibles à cette attitude plus favorable à la libération conditionnelle :

  1. l'absence d'accidents tragiques liés à la libération conditionnelle;
  2. la publication des taux de récidive peu élevés enregistrés chez les libérés conditionnels;
  3. la publicité favorable associée à la célébration du centenaire du régime de libération conditionnelle, en 1999;
  4. la couverture médiatique généralement favorable sur le système correctionnel, à commencer par une série d'émissions diffusées récemment à la chaîne CBC.

Le concept général de la libération conditionnelle est très populaire, mais l'attitude du public au sujet de l'admissibilité au régime n'a pas changé : la plupart des gens pensent toujours que la libération conditionnelle devrait être réservée uniquement à certains délinquants, selon les résultats des recherches effectuées de 1985 à 2000.

En 1985, la Commission canadienne sur la détermination de la peine a demandé à un échantillon de sujets représentatif du public d'indiquer si, selon eux, la libération conditionnelle devrait être accessible à tous les détenus, à certains détenus seulement, ou si elle devrait être abolie. Selon les résultats enregistrés, 65 % du public sont favorables à la première option (voir Roberts, 1988). Quinze ans plus tard, on a demandé à un autre échantillon représentatif de la population de se prononcer pour ou contre cet énoncé : « Tous les délinquants qui sont en prison devraient être admissibles à la libération conditionnelle.  » (Environics Research, 2000). Pas moins de 63 % des répondants étaient tout à fait en désaccord avec cet énoncé, ce qui laisse clairement entendre que certains délinquants sont jugés trop dangereux, ou qu'on considère qu'ils ont commis des infractions trop graves pour être admissibles à la libération conditionnelle avant la date d'expiration de leur peine.

La peur du crime et les attitudes punitives

L'une des dernières études effectuées sur le thème de la peur était fondée sur les résultats de l'ESG de 1993 (voir Sprott et Doob, 1997). Cette étude aboutissait à la conclusion générale selon laquelle il existait une corrélation significative entre la peur et l'attitude à l'endroit du système de justice pénale : les répondants qui disent avoir très peur sont plus susceptibles d'être mal disposés à l'endroit de la police et des tribunaux. Bien sûr, ce genre d'analyse est purement corrélationnelle, et la direction de la causalité est inconnue. Nous ne savons pas si la peur du crime alimente les idées négatives à l'endroit du système de justice pénale, ou si une perception négative du système alimente la peur, les gens étant alors convaincus que le système ne les protège plus contre le risque d'être victimes d'actes criminels.

Comme on l'a noté antérieurement, la plupart des enquêtes menées sondent la peur du crime, ou les attitudes en matière de justice pénale, mais pas les deux variables à la fois. Il est donc difficile de valider les corrélations entre peur et opinion personnelle, et impossible de savoir si la peur de la victimisation criminelle influe sur l'attitude à l'endroit des politiques de justice pénale et des délinquants. L'ESG de 1999 fait exception : elle comportait une série de questions relatives à la peur du crime (voir ci-dessus) ainsi que des questions au sujet du système de justice pénale.

Tufts (2000) a analysé les données recueillies lors de l'ESG de 1999 pour tester la corrélation entre l'attitude punitive (favorable à l'emprisonnement comme sanction infligée pour tel ou tel crime) et le sentiment de sécurité personnelle. Elle a constaté que les répondants qui ne se sentent pas à l'abri du crime sont plus susceptibles d'être favorables à l'emprisonnement dans des cas précis. Tufts et Roberts (2001) ont fait des analyses multivariables des données recueillies lors de l'ESG de 1999 pour constater que la peur a une grande validité prédictive des préférences pour l'emprisonnement.

Corrélation entre victimisation et attitude à l'endroit de l'incarcération

Tufts et Roberts (2001) ont également exploré la corrélation entre victimisation et attitude à l'endroit de l'incarcération à la lumière des données tirées de l'ESG de 1999. Ils ont constaté que la peur a une grande validité prédictive de l'attitude punitive : les répondants qui éprouvent un fort sentiment de peur étaient plus susceptibles d'être favorables à l'emprisonnement des délinquants décrits dans de brefs scénariosNote de bas de page 10. Les antécédents de victimisation, que l'acte criminel subi ait été accompagné de violence ou non, n'ont pas de valeur prédictive de l'attitude au sujet de l'emprisonnement.

Ces constatations donnent à penser qu'il existe une corrélation positive entre la peur, d'une part, et l'attitude favorable à l'emprisonnement et défavorable aux programmes correctionnels axés sur la réinsertion sociale comme la libération conditionnelle, d'autre part. D'où la nécessité d'élaborer des stratégies pour atténuer la peur de la victimisation criminelle, en commençant par dissiper les idées fausses au sujet des taux de criminalité.

Enfin, la corrélation entre victimisation et perceptions (et non plus peur) du crime n'a pas été bien explorée. Il est logique de supposer que les gens qui ont été victimes d'un crime ont plus peur du crime que les autres, particulièrement s'ils ont subi des blessures de la main d'un étranger. Toutefois, il se peut également que la victimisation influe sur la perception des tendances relatives à la criminalité. Cette question, comme d'autres hypothèses évoquées dans le présent document, mérite d'être explorée plus avant au moyen d'analyses statistiques multivariables. Néanmoins, il est clair qu'il existe une corrélation entre victimisation et perceptions au sujet des tendances de la criminalité, comme en témoignent les résultats de plusieurs sondages d'opinion publique. Par exemple, le sondage Angus Reid de 1997 révèle que pas moins de 25 % des victimes, mais seulement 15 % des non-victimes, pensaient que la criminalité avait beaucoup progressé au cours des cinq années écoulées.

V. Dissiper les idées fausses au sujet de la criminalité

La peur est, par définition, subjective; on peut éprouver de la peur même lorsqu'on est parfaitement en sécurité. Ce qui importe, c'est de faire en sorte que l'opinion publique ait une perception réaliste des tendances de la criminalité parce qu'elle est bien informée sur la question. Le problème, c'est que les statistiques sur la criminalité sont traitées différemment par les médias, selon la direction de la tendance : une hausse fait les manchettes - « la criminalité monte en flèche » - tandis qu'une baisse ne présente pas beaucoup d'intérêt médiatique et passe inaperçue.

Par ailleurs, le fait que les statistiques nationales sur la criminalité soient publiées seulement une fois par an peut avoir un effet de distorsion : une fois par année, on peut avoir de bonnes nouvelles à signaler au sujet de la criminalité; mais au cours des 364 jours restants, des cas particuliers de crime sont relatés constamment, habituellement graves quant aux sévices infligés. Les statistiques ne retiennent tout simplement pas autant l'attention que les crimes de violence graves; elles se font rares; et elles passent inaperçues.

Le public ne gardera à l'esprit les statistiques sur la criminalité que si les médias d'information rendent compte de crimes particuliers dans un contexte statistique plus général, ce qui ne se produira vraisemblablement pas pour deux raisons. Premièrement, parce que l'information contextuelle n'intéresse pas les médiasNote de bas de page 11. Deuxièmement, le fait de relater un homicide, par exemple, et d'enchaîner avec des statistiques démontrant que les taux d'homicide n'ont jamais été aussi bas depuis 30 ans serait sans doute jugé insultant par les proches de la victime, aux yeux desquels ces tendances n'ont rien à voir avec le malheur qui les accable. De toute évidence, il faut trouver des moyens de présenter les statistiques sur la criminalité et la justice de manière à en mettre en évidence les limites et l'utilité. Il est ironique de penser que plus le débat sur la criminalité est houleux, plus les pouvoirs publics ont de la difficulté à donner à la population une idée juste des tendances de la criminalité.

Cibler les auditoires

Peu importe les mesures institutionnelles prises pour mieux faire connaître les rouages de la justice pénale, il faudra toujours commencer par déterminer et cibler les sous-groupes clés de la population. Pour utiliser le jargon des agences d'étude de marché, les auditoires doivent être bien segmentés, et les messages conçus en fonction les auditoires ciblés. On aurait intérêt à atteindre davantage le grand public, mais il est très certainement plus efficient d'atteindre directement des sous-groupes distincts, à commencer par les plus exposés au risque de victimisation ou ceux qui se sentent les plus vulnérables. Les enquêtes sur la victimisation comme l'ESG ou l'ICVS ont l'avantage de permettre l'identification de ces groupes. Le présent rapport ne résume pas les tendances démographiques liées aux questions de la peur du crime et aux perceptions des taux de la criminalité, mais il faudrait faire une analyse complète de ces tendances comme première étape vers l'identification des groupes-cibles des messages au sujet de la criminalité et de la justice.

Styles de communication

Une fois les auditoires-cibles établis, il faut leur présenter le message sous une forme adaptée à leurs besoins propres et à leur réceptivité, en faisant appel aux technologies nouvelles. Jusqu'à récemment, les médias de masse - les journaux, la télévision et la radio - monopolisaient pour ainsi dire l'attention du grand public. Les messages, aussi complexes soient-ils, devaient être présentés par le canal des médias, et ceux qui souhaitaient atteindre la population devaient inévitablement se rendre à leurs conditions. Les technologies de l'information ont révolutionné les choses.

Aujourd'hui, en 2001, plus d'un adulte nord-américain sur quatre a accès à l'Internet. La proportion de la population ayant accès à l'Internet croît bien sûr rapidement. Les gens en quête d'information sur la criminalité et la justice pénale devront inévitablement s'accommoder de certaines limites, mais il vaut la peine de repousser ces limites le plus loin possible. Les sites Web interactifs constituent le support idéal pour transmettre d'une manière accessible et conviviale de l'information complexe et détaillée sur la criminalité et la justice. En outre, le Net est le véhicule idéal pour communiquer les résultats de recherche compte tenu du volume de données que l'on peut rendre accessible sur un site WebNote de bas de page 12.

Rôle des médias d'information

Certaines des idées fausses qu'entretient le public au sujet de la criminalité et de la justice résultent de l'esprit mercantile des médias d'information. Nous savons combien les juges sont des proies faciles pour des reportages sélectifs et exagérés. Dans quelle mesure alors peut-on inciter les médias, et les tabloïds en particulier, à être plus responsables? Soyons réalistes; la plus optimiste des réponses est sans doute : « pas tellement ». Toutefois, nous pensons que l'on peut prendre quelques mesures concrètes en ce sens. Par exemple, on peut inciter les rédacteurs en chef à la modération dans la couverture des crimes en leur faisant valoir les conséquences imprévues de ces reportages.

Mais les reportages sur les crimes pèchent souvent davantage par ignorance que par mercantilisme. Ils sont écrits par des journalistes qui sont rarement des spécialistes de la justice pénale, qui travaillent sous pression et sans savoir véritablement de quoi ils parlent. Par exemple, ils mettent en opposition une peine donnée et la peine maximale possible, ou font des comparaisons avec une autre affaire s'en distinguant par certaines particularités. Articles - et éditoriaux - sur les peines infligées condamnent souvent les juges pour leur clémence, sans tenir compte du fait que, dans la plupart des instances, ils s'en tiennent à la peine sur laquelle la défense et la Couronne se sont entendus.

Les journalistes entretiennent souvent les mêmes idées fausses au sujet de la criminalité et de la justice pénale que leurs concitoyens, idées qui transparaissent dans leurs reportages. Les ministères responsables de l'administration de la justice pénale doivent faire en sorte que les façonneurs d'opinion soient bien informés en la matière. Malheureusement, ils peuvent avoir du mal à concilier deux impératifs : faire preuve de transparence envers les journalistes tout en empêchant ces derniers de discréditer leurs politiques aux yeux du public. De leur côté, les journalistes craignent de passer pour les messagers des pouvoirs publics. Au bout du compte, mieux vaut sans doute que les journalistes s'adressent directement aux statisticiens et aux chercheurs spécialistes des tendances de la criminalité et de la détermination des peines.

Les gouvernements centraux, provinciaux et municipaux peuvent prendre bien des mesures pour améliorer les rapports entre les médias et l'appareil de justice pénale : nommer des attachés de presse; rendre les spécialistes comme les statisticiens et les chercheurs plus accessibles aux journalistes; tirer parti des technologies de l'information pour communiquer des données statistiques à la presse; etc.

Utilisation de porte-parole pour informer la population en matière de criminalité et de justice

Plusieurs sondages ont testé la crédibilité relative de divers groupes et catégories de professionnels. Les agents de police sont généralement ceux qui inspirent le plus confiance au public. Par exemple, une enquête effectuée en 1996 a révélé que 35 % de la population avait grande confiance en la GRC, 30 % en la police; alors que les commissions de libération conditionnelle et les tribunaux inspiraient confiance à seulement 4 % et 11 % de l'échantillon, respectivement.

En 1998, Environics a posé cette question plus directe aux répondants en leur soumettant une liste de catégories professionnelles : « En matière de criminalité et de lutte contre le crime, qui sont les plus crédibles parmi ces professionnels ?  » Les chefs de police sont arrivés en tête de liste : plus des deux tiers des répondants les jugeaient toujours ou habituellement crédibles. Les groupes d'aide aux victimes sont arrivés en second avec 66 %. En revanche, les fonctionnaires provinciaux et fédéraux étaient nettement moins bien vus : moins du tiers des répondants les jugeaient toujours ou habituellement crédibles. La leçon à retenir est claire : l'information sur la criminalité et la justice doit provenir des professionnels en qui le public a le plus confiance.

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Tufts, J. et Roberts, J.V. (2001) Sentencing Juvenile Offenders: Comparing Public Preferences and Judicial Practices, manuscrit en cours de révision, Faculté de criminologie, Université d'Ottawa.

Notes

  1. 1

    Je suis reconnaissant aux personnes suivantes de m'avoir aidé à dépouiller les enquêtes examinées dans le présent rapport : Vicki Jasperse; Sue Gardner-Barclay; Nathalie Quann; Antonia Sly; Cynthia Benjamin.

  2. 2

    Pour des analyses de l'opinion publique sur la criminalité et la justice pénale, au Canada et dans d'autres pays, voir : Cullen, Fisher et Applegate, 2000; Hung et Bowles, 1995; Roberts, 1992; Roberts, 1995; Roberts et Stalans, 1997.

  3. 3

    Dans son analyse multidimensionnelle de la variance démographique, fondée sur les résultats de l'ICVS, Quann (2001) note que seulement la victimisation, la taille de la ville et le sexe sont en corrélation significative avec la peur; voir aussi Hung et Bowles, 1995 pour une analyse de la variance démographique.

  4. 4

    Si les femmes ont plus peur que les hommes, c'est aussi parce qu'elles s'inquiètent plus pour la sécurité de leurs enfants (voir Palmer, 1997).

  5. 5

    Le pourcentage de Canadiens qui disent avoir suivi un cours d'autodéfense ou pris un chien de garde est beaucoup plus modeste : 3 % en 1993 et en 1999.

  6. 6

    Il y a cinq ans, le pourcentage de Canadiens très préoccupés au sujet de la criminalité était presque le même, soit 31.

  7. 7

    Il importe de noter toutefois que les sujets étaient moins optimistes au sujet de la criminalité chez les jeunes au niveau provincial et des tendances de cette criminalité : les trois quarts pensaient que les taux de criminalité avaient augmenté dans leur province, et 58 % prévoyaient une aggravation de la criminalité chez les jeunes dans les cinq années à venir.

  8. 8

    L'ESG ne permet pas de comparer les attitudes à l'égard de l'incarcération et de la libération conditionnelle étant donné qu'elle ne comporte des questions sur ces sujets que depuis 1999.

  9. 9

    Il se peut que les habitants de Kingston voient d'un oil plus favorable les questions correctionnelles du fait de la présence dans la région d'établissements fédéraux; toutefois, ces tendances se retrouvent dans d'autres enquêtes auprès d'échantillons plus larges.

  10. 10

    Chaque répondant devait choisir entre l'emprisonnement et une autre sanction dans un scénario présentant un crime donné.

  11. 11

    Lorsqu'une catastrophe aérienne est annoncée dans les médias, la nouvelle s'accompagne rarement de données statistiques qui permettraient au public d'évaluer le risque relatif de l'avion par rapport à d'autres modes de transport comme l'automobile sur des routes encombrées.

  12. 12

    Autre avantage de ce mode de diffusion, c'est qu'il attire quantités de jeunes qui ont des opinions plus malléables à l'égard de la justice pénale. Il offre donc davantage de possibilités que les documents imprimés pour ce qui est de changer les mentalités.

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