Le balisage de l'expérience de guérison

Rapport final d'un projet de recherche d'une Première nation sur la guérison dans les collectivités autochtones du Canada

Le balisage de l'expérience de guérison Version PDF (562 Ko)

Coordination et administration

Four Directions International
Four Worlds Institute for Human and Community Development
347 Fairmont Boulevard
Lethbridge (Alberta) T1K 7J8
(403) 320-7144
4worlds@uleth.ca
http://home.uleth.ca/~4worlds

The Four Worlds Centre for Development Learning
C.P. 395, Cochrane (Alberta) T4C 1A6
(403) 932-0882
fourworlds@telusplanet.net

Recherche et rédaction

Phil Lane, Jr.
Michael Bopp
Judie Bopp
Julian Norris

Financement

Groupe de la politique correctionnelle autochtone
Solliciteur général du Canada
Gouvernement du Canada
Ottawa (Ontario)

Fondation autochtone de guérison
Ottawa (Ontario)

Le présent rapport a été rendu possible grâce à une contribution conjointe de Soliciteur général Canada et de la Fondation autochtone de guérison.

Les opinions exprimées dans le présent rapport sont celles de l'auteur; elles ne correspondent pas nécessairement à celles du Solliciteur général du Canada ou de la Fondation autochtone de guérison.

APC 21 CA (2002)

Collection sur les Autochtones

Vous pouvez obtenir une copie du présent rapport en écrivant à l'adresse suivante :

Groupe de la politique correctionnelle autochtone
Solliciteur général du Canada
340, avenue Laurier Ouest
Ottawa (Ontario)
K1A 0P8

Si vous avez besoin de plus d'une copie, n'hésitez pas à photocopier le présent rapport, en totalité ou en partie.

No de cat. : JS42-105/2002F
ISBN n: 0-662-87096-4

Table des matières

Remerciements

Ce projet a été financé par le Groupe de la politique correctionnelle autochtone du Solliciteur général du Canada et par la Fondation de guérison autochtone. Nous sommes tout particulièrement reconnaissants envers M. Ed Buller, directeur du Groupe de la politique correctionnelle autochtone, et Mme Gail Valaskakis, directrice de la recherche à la Fondation autochtone de guérison, qui ont guidé et appuyé notre travail à toutes les étapes.

Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude envers les six collectivités autochtones canadiennes qui ont si généreusement participé aux consultations communautaires intensives et à une réunion consultative nationale à Winnipeg. Ces collectivités étaient, dans l'ordre alphabétique, les suivantes :

Dans chacune de ces collectivités, des membres clés du personnel et des bénévoles ont consacré de nombreuses heures et, dans certains cas, de nombreux jours à trouver des réponses à des questions très difficiles au sujet du travail de guérison mené dans leur collectivité et des mesures qu'il faudrait prendre pour que s'y établissent un bien-être et une prospérité durables.

Les participants à la réunion consultative nationale qui a eu lieu à Winnipeg les 14 et 15 janvier 2002 ont fait un examen réfléchi et soutenu des conclusions de la recherche et, par leurs observations supplémentaires et souvent profondes, ils nous ont aidés à dégager des tendances des centaines de pages de données sur les collectivités que nous avons recueillies. Nous leur exprimons donc notre grande reconnaissance.

Les personnes suivantes ont participé à cette réunion de deux jours.

Aux étapes de la conceptualisation et de l'exécution de cette étude, plusieurs professionnels clés du domaine de la guérison autochtone nous ont aidés à mieux comprendre les tendances qu'ont permis de dégager les études communautaires et l'analyse documentaire. Collectivement, leur travail nous a grandement aidés à comprendre les thèmes et tendances complexes et souvent contradictoires que nous avons constatés. Nous signalons donc la contribution des personnes suivantes :

Organisation du rapport

Le rapport comporte les parties suivantes :

Partie un : Introduction et contexte

Partie deux : Résumé des conclusions de l'analyse documentaire

Partie trois : Profils de collectivités - aperçu du travail de guérison en cours dans les six collectivités choisies

Partie quatre : Les voix des collectivités - extraits d'observations faites par divers représentants des collectivités en réponse aux questions de recherche

Partie cinq : Enseignements tirés au sujet de la guérison et du parcours de guérison

Partie six : Enseignements tirés au sujet du soutien à accorder au processus de guérison

Partie sept : Enseignements tirés au sujet des obstacles et défis actuels

Partie huit : Enseignements tirés au sujet de la guérison en tant que moteur de la reconstruction des nations

Partie neuf : Le parcours de guérison individuel (4 stades)

Partie dix : Les quatre saisons de la guérison communautaire

Partie onze : Recommandations à l'intention des collectivités

Partie douze : Recommandations à l'intention des partisans et des bailleurs de fonds de la guérison communautaire

PARTIE UN: INTRODUCTION ET CONTEXTE

Pendant des centaines d'années (dans certains cas jusqu'à 300 ans), les collectivités autochtones du Canada ont traversé vague après vague de chocs et de traumatismes débilitants qui ont laissé des nations entières de personnes ébranlées et brisées. Ces vagues de chocs ont pris de nombreuses formes :

Il est clair que ces diverses sources de traumatismes extrinsèques aux collectivités autochtones ont eu pour conséquence de provoquer un vaste éventail de comportements dysfonctionnels et nuisibles (comme la violence sexuelle et physique), qui se sont ensuite transmis, génération après génération, à l'intérieur des collectivités. Autrement dit, jusqu'à trois à cinq générations après celle qui a initialement été victime de ces traumatismes, les arrières-arrières-petits-enfants de ceux ont à l'origine été traumatisés par des événements historiques sont eux-mêmes traumatisés par des problèmes qui continuent de se perpétuer dans les familles et collectivités actuelles.

Le résultat de tous ces traumatismes? Une vaste gamme de dysfonctionnements personnels et sociaux qui se manifestent par des symptômes comme les suivants :

Au niveau personnel - des êtres qui sont incapables d'entretenir des relations intimes, qui ne peuvent pas faire confiance aux autres et en qui on ne peut pas mettre sa confiance, qui ne peuvent pas travailler en équipe, ni persévérer lorsqu'ils rencontrent des difficultés, ni fonctionner comme parents, ni conserver un emploi, ni abandonner des habitudes nuisibles, comme l'alcoolisme, la toxicomanie, ou la violence familiale. (Bien sûr, nous savons maintenant qu'il est possible d'inverser toutes ces incapacités au moyen de processus de guérison et d'apprentissage).

Au niveau familial - Pour les êtres pris dans cet étau (des problèmes que nous venons de décrire), la famille devient une source de traumatisme et de dysfonctionnement puisque des déficiences telles la toxicomanie et la violence y sont transmises. Les besoins humains fondamentaux de sécurité, d'amour et de protection restent insatisfaits, et le système familial ne peut plus être le fondement d'une vie communautaire saine, comme il l'était dans la société traditionnelle.

Beaucoup de collectivités autochtones envisagent de retourner au système des clans et au gouvernement de clans, mais cette solution ne serait viable que si les familles autochtones pouvaient développer de nouveau des niveaux poussés de confiance, d'intimité, de coopération et de communication efficace et adhérer à un système propice à la vie, à des valeurs et convictions enrichissantes et des normes morales.

(À cet égard aussi, nous savons que les familles peuvent, à force d'efforts soutenus, de beaucoup d'amour et d'appui des autres, apprendre, guérir et surmonter de longs antécédents de traumatismes et de dysfonctionne-ment intergénérationnel.)

Au niveau communautaire - Les collectivités autochtones qui ont été traumatisées manifestent des tendances assez prévisibles au dysfonctionnement collectif, prenant diverses formes comme le dénigrement et la médisance généralisés, des conflits sociaux et politiques et des bagarres intestines constants, une tendance à rabaisser le travail de toute personne qui tente de servir la collectivité, la corruption politique, le manque de responsabilité et de transparence au niveau de la gouvernance, un climat généralisé de méfiance entre les gens, une incapacité chronique à s'unir et à travailler ensemble pour régler des problèmes humains critiques, la concurrence et les guerres intestines entre programmes, un sentiment général d'aliénation et de désengagement de la part de la majorité des gens quant aux affaires de la collectivité (qu'est-ce que ça donne?), un climat de crainte et d'intimidation à l'égard des dirigeants et un manque général de progrès et de succès dans les initiatives et entreprises communautaires (caractérisées par une tendance à l'autodestruction).

(Nous savons maintenant qu'il est possible de transformer ces tendances, comme celles qui se manifestent aux niveaux personnel et familial, à force de processus persistants et efficaces de guérison et de développement communautaires.)

Et alors?

Il est évident que les collectivités autochtones ne peuvent pas progresser si l'on ne corrige pas ces tendances à perpétuer, une génération après l'autre, ces traumatismes et dysfonctionnements. Il faut briser le cycle et adopter de nouvelles habitudes de vie qui favoriseront la pérennité du bien-être et de la prospérité des personnes.

Le mouvement de guérison autochtone

Depuis le début des années 1980, de plus en plus de collectivités autochtones sont aux prises avec le défi de la guérison. Dans la plupart des cas, les premières initiatives ont visé à corriger le problème pernicieux et si destructeur de l'alcoolisme. Mais la capacité d'un nombre sans cesse croissant de collectivités à combattre ce problème a graduellement montré que l'alcoolisme et la toxicomanie ne constituaient en réalité que la pointe d'un énorme iceberg dont la plus grande partie restait cachée sous la surface de la vie communautaire.

On a assisté à l'apparition, partout au Canada, de programmes de guérison autochtones centrés sur des problèmes comme les toxicomanies, la violence sexuelle, l'incompétence parentale, la violence familiale, la dépression, le suicide, la rage et la colère, sans oublier le syndrome des pensionnats.

La multiplication de ces programmes variés s'est aussi accompagnée de l'émergence de diverses approches. Les stratégies axées sur la « guérison », tels des programmes de traitement résidentiels (basés sur divers modèles de traitement), des programmes de counseling thérapeutique individuels, des ateliers et retraites de croissance personnelle et des pratiques traditionnelles comme les sueries, les cérémonies de guérison, le jeûne, les prières et l'application des enseignements traditionnels.

On dénombre actuellement plus de 1 000 programmes de guérison autochtones dans les réserves et les villes du Canada et encore plus d'initiatives qui intègrent consciemment une composante de guérison à d'autres types de programmes.

Contexte de l'étude

Il est évident pour toute personne qui travaille dans les collectivités autochtones ou de pair avec celles-ci qu'il se fait beaucoup de travail novateur en ce qui a trait à la guérison individuelle et sociale, mais qu'on n'a guère tenté d'organiser tout l'éventail des concepts, de l'expérience et du travail pratique qui font partie intrinsèque de ce processus. Dans « Vers un ressourcement » (volume 3, p. 121 du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones du gouvernement du Canada de 1996), les commissaires affirment : « Pour [les Autochtones], la guérison représente l'état atteint par les individus et les collectivités qui ont réussi à se remettre des effets persistants de l'oppression et du racisme systémique dont ils ont été l'objet pendant des générations ». Bien que cette description nous renseigne sur les origines de la dislocation et de la maladie dans les collectivités autochtones, elle ne nous indique guère comment favoriser le rétablissement.

Ce manque d'organisation générale du processus de guérison peut aussi être attribuable en partie au fait que la guérison constitue une composante indissociable de tous les autres efforts de développement, qu'ils soient axés principalement sur les solutions de rechange à l'incarcération, le rétablissement à la suite de problèmes de toxicomanie et d'actes de violence sexuelle, le développement économique ou l'éducation. Cela signifie que le travail de guérison est mené dans de nombreux contextes différents et qu'il est façonné par les autres programmes dont la guérison constitue une composante importante. De plus, différentes initiatives de guérison ont mis l'accent sur différents aspects de l'intervention et développé certains types d'expertise. Il se peut également qu'on n'ait pas élaboré des définitions, principes et processus clairs et génériques parce que les collectivités devaient créer leurs propres modèles et processus étroitement liés à leurs cultures, ressources et besoins. Beaucoup de collectivités ont appris que les interventions en matière de guérison devaient être intimement liées à leurs relations avec les Aînés et d'autres dirigeants culturels, ainsi qu'aux cérémonies et protocoles axés sur l'épanouissement personnel et le rétablissement de relations saines au sein des familles et des collectivités. Cela signifie qu'il faut s'attendre à beaucoup de variantes dans la façon dont les collectivités ou nations conçoivent et mettent en oeuvre leurs programmes de guérison.

Par contre, les peuples autochtones de l'ensemble du Canada semblent s'entendre sur certains principes de base (comme le principe que la guérison vient de l'intérieur et celui selon lequel la guérison des personnes et celle des collectivités sont liées l'une à l'autre). Il y a également consensus général sur le fait que toute intervention de guérison exige de surmonter l'oppression et la violence héritée du passé, ce qui entraîne ordinairement, dans la pratique, la transformation de la vie intérieure, des relations familiales et communautaires et des conditions sociales et environnementales dans lesquelles les gens évoluent. Autrement dit, guérir signifie d'aller au-delà de la blessure, de la douleur, de la maladie et de la dysfonctionnalité pour établir de nouveaux régimes de vie qui produisent un mieux-être durable.

Toutefois, malgré ces points communs, on ne semble nulle part avoir énoncé clairement et de façon exhaustive le sens de la guérison personnelle et communautaire dans le contexte des collectivités autochtones, le lien entre la guérison et le développement du mieux-être et de la prospérité, et la façon dont les tentatives de guérison et de développement peuvent être cultivées et appuyées.

L'absence de modèles viables et de principes explicites pose un défi critique aux collectivités et organisations autochtones qui sont aux prises avec les questions de guérison de même qu'aux bailleurs de fonds désireux d'appuyer les interventions de guérison autochtones. Pour répondre à ce besoin, le Groupe de la politique correctionnelle autochtone du Solliciteur général du Canada et le Bureau de la recherche de la Fondation autochtone de guérison ont adjugé à Four Directions International un contrat en vue d'exécuter un projet de recherche visant à révéler la riche expérience des collectivités autochtones en matière de processus et programmes de guérison et de communiquer cette information de manière à éclairer le parcours de guérison de tous ceux qui sont à une étape quelconque du processus.

(Note : Four Directions International est un groupe d'organisations ayant pour vocation d'appuyer le développement humain et communautaire, surtout en partenariat avec les collectivités autochtones du monde. Four Worlds s'occupe dans une large mesure de créer des partenariats entre les membres de tribus partout dans le monde pour appuyer le développement économique et social. Le Four Worlds Centre for Development Learning se spécialise dans le renforcement des capacités en vue d'un développement participatif. Ces deux organisations ont collaboré à tous les stades du projet de recherche sur le balisage de l'expérience de guérison des collectivités autochtones du Canada).

II. Le processus de recherche

Le sens profond du mot « recherche » est « chercher ou examiner à nouveau ». Le processus de recherche utilisé pour Le balisage de l'expérience de guérison des collectivités autochtones du Canada a été conçu justement pour permettre d'examiner à nouveau toute la question de la guérison personnelle, familiale et communautaire dans le contexte du renouveau culturel, économique, politique et social des collectivités autochtones afin de présenter une perspective intégrante permettant de comprendre un processus très diversifié et complexe. On espérait également que ce processus de recherche puisse inciter les collectivités autochtones à utiliser un plus vaste répertoire de modèles et d'idées durant leur cheminement sur la voie du développement.

Il y avait clairement beaucoup à retirer d'un processus de recherche participatif servant à examiner les meilleures réflexions et pratiques liées aux interventions de guérison dans les collectivités autochtones du Canada. Ce processus de recherche devrait en effet permettre de baliser le territoire couvert par les interventions de guérison personnelles et communautaires, c'est-à-dire l'expérience des collectivités autochtones jusqu'à maintenant, leurs défis et victoires, leur compréhension et leur mise en pratique des processus primaires que comporte la guérison personnelle et communautaire (y compris une exploration du rôle des modèles de guérison traditionnels et basés sur la science occidentale) et les principes utilisés pour faire en sorte que ces processus soient menés de manière respectueuse et sûre pour tous les intéressés. Ce balisage devait aussi permettre de situer la guérison dans toute la gamme des interventions de développement humain et communautaire dans les collectivités autochtones, tant dans un sens général que dans le sens où la guérison est liée à des secteurs précis comme la justice communautaire, le développement économique, l'éducation et la santé. Il devait pouvoir être utilisé par les collectivités autochtones, de même que par tous les paliers de gouvernement, les bailleurs de fonds et les personnes s'occupant de l'élaboration et de la mise en oeuvre de programmes afin de mettre en valeur leur rôle respectif pour ce qui est d'encourager la guérison et le développement dans les collectivités autochtones.

Avantages éventuels du projet « Le balisage de l'expérience de guérison des collectivités autochtones du Canada »

Il suffit d'énumérer les avantages éventuels de cette recherche pour en comprendre la nécessité.

  1. La recherche permettrait aux collectivités autochtones du Canada d'avoir une compréhension générale des défis qui les attendent le long du parcours qu'elles poursuivent ou entament pour parvenir à un plus grand mieux-être.
  2. À l'échelle du Canada, cette recherche pourrait aider de nombreux programmes régionaux et communautaires dans les collectivités autochtones en permettant aux responsables d'apprendre des autres, de ce que la théorie a de mieux à offrir et des enseignements tirés des pratiques exemplaires.
  3. Les bailleurs de fonds publics ainsi que du secteur privé pourraient utiliser les conclusions de la recherche pour élaborer des lignes directrices et critères en matière de propositions et créer des partenariats de financement entre divers intervenants.
  4. La recherche pourrait également renforcer les négociations et les initiatives de promotion des intérêts auprès des gouvernements en définissant plus clairement le lien entre la guérison et des secteurs d'activité précis (comme le développement économique, la justice, l'éducation et la santé).
  5. Le soutien technique accordé aux programmes de guérison pourrait être plus focalisé et efficace (p. ex., pour la formation du personnel et la planification stratégique).
  6. La recherche pourrait aussi préciser les relations entre d'une part la guérison et d'autre part l'élaboration et la mise en oeuvre de programmes dans des secteurs précis comme la justice ou le développement économique.
  7. Les programmes de guérison autochtones pourraient avoir un impact encore plus grand sur les écrits et la pratique en matière de santé et de développement à l'échelle internationale.
  8. La recherche pourrait aider les responsables de l'évaluation à élaborer des cadres appropriés pour évaluer les résultats et l'impact des programmes.
  9. Le Groupe de la politique correctionnelle autochtone pourrait utiliser la recherche dans son travail de promotion des intérêts et d'élaboration de la politique au niveau fédéral. La recherche sera également d'une grande utilité, offrant un appui technique et financier de programmes particuliers.
  10. La Fondation autochtone de guérison pourrait utiliser la recherche pour éclairer son propre travail d'ici la fin de son mandat et la mettre à la disposition des programmes qu'elle appuie (ainsi que des nombreux programmes qu'elle ne peut éventuellement pas se permettre d'appuyer) de façon à améliorer l'efficacité des programmes.

Sources de données

Ce projet de recherche fait fond sur l'excellent travail déjà entrepris dans de nombreuses collectivités autochtones du Canada ainsi que sur le corpus d'écrits, de pratiques exemplaires et de documentation sur les projets disponible par l'entremise d'établissements d'enseignement, de fournisseurs d'une aide technique et des gouvernements.

La principale source de données a toutefois été les praticiens et programmes communautaires autochtones. On a choisi à l'échelle du Canada six endroits représentatifs de la vaste gamme d'expériences et d'approches en guérison. Des consultations approfondies ont été menées avec des dirigeants des programmes communautaires, des bénévoles clés et les principales équipes de guérison dans chacune des collectivités.

Les consultations et examens ont été menés dans les six collectivités suivantes (énumérées dans l'ordre alphabétique) :

  1. La Première nation Eskasoni de l'île du Cap-Breton (Nouvelle-Écosse);
  2. la Première nation Esketemc, appelée aussi « Alkali Lake » (Colombie-Britannique);
  3. la Première nation de Hollow Water du sud-est du Manitoba;
  4. la Première nation Mnjikaning, de Rama (Ontario);
  5. la Première nation Squamish près de Vancouver (Colombie-Britannique);
  6. la Première nation Waywayseecappo du sud-ouest du Manitoba.

La Partie trois du rapport renferme de brefs profils de guérison de chacune de ces collectivités.

Il importe de souligner que ces six collectivités ont été choisies pour représenter un vaste éventail d'expériences de guérison communautaire : des petites et des grandes collectivités, des intervenants chevronnés du processus de guérison, des débutants et des personnes entre les deux, des collectivités situées à l'intérieur ou près de grands centres et des collectivités isolées, des collectivités ayant des modèles de comportement exceptionnels et d'autres s'efforçant encore d'élaborer des programmes d'intervention convenables. Nous voulions ainsi présenter une grande diversité de points de vue et d'expérience.

Nous avons également consulté quelques praticiens qui travaillent avec beaucoup de collectivités pour aider l'équipe de recherche à dégager des tendances et courants généraux.

Composantes du projet de recherche

Le projet de recherche a comporté les composantes suivantes (ou processus de recherche suivants).

  1. Analyse documentaire - Cette étape a consisté en un examen d'écrits d'érudition et d'études de cas portant sur les interventions auprès des Autochtones et de leurs collectivités, ainsi que de documents décrivant des interventions auprès d'autres populations. L'analyse documentaire a aidé à préciser les processus et approches de guérison de même que les pratiques exemplaires. Elle a été menée au début du processus de recherche pour que les constatations puissent éclairer le choix des lieux à visiter et contribuer à l'établissement des « balises » finales du travail de guérison et de sa relation avec les autres processus de développement humain et communautaire.
  2. Examen de la documentation des projets - Les expériences et les réflexions précieuses qui ont pu être exprimées au sujet de la guérison autochtone ne l'ont pas été, pour une bonne part, dans des écrits formels. Les documents sur des initiatives entreprises dans les domaines notamment de la prévention et du traitement de la toxicomanie, de la justice réparatrice et de la santé mentale ont clairement beaucoup à apporter à ce processus de recherche.
  3. Visites sur place - Six projets de guérison menés dans différentes régions ont été choisis pour l'analyse de cas, et leurs représentants ont été invités à participer à la réunion consultative nationale. Les questions de recherche données précédemment ont également servi à guider les processus de consultation avec les responsables de l'exécution des projets de guérison, la clientèle cible, les dirigeants communautaires et les Aînés dans chaque collectivité. En reconnaissance pour leur participation à ce processus, les représentants de chaque projet de guérison ont reçu un court document de rétroaction résumant les conclusions des réunions et présentant des observations destinées à renforcer le programme. En outre, deux représentants de chaque projet ont été invités à participer à la réunion consultative nationale (voir ci-dessous) où ils ont eu l'occasion de rencontrer des collègues de partout au Canada et d'apprendre de ces derniers.
  4. Réunion consultative nationale - Cette réunion a été tenue à l'issue de l'analyse documentaire et de l'examen de la documentation des projets, des consultations sur les études de cas aux six endroits où des projets de guérison étaient en cours et de l'établissement des conclusions préliminaires de la recherche. Y ont participé l'équipe consultative, les chercheurs et deux représentants de chacun des six endroits où des projets étaient menés; l'objectif était de passer en revue les conclusions de recherche préliminaires et d'élaborer un « tracé » global répondant aux questions de recherche énumérées ci-dessus. Le rapport de recherche final a été élaboré à la lumière de la contribution des participants à ce processus consultatif et de leurs conseils à ce sujet.
  5. Entrevues avec les principales sources d'information et appui en matière de consultation - En plus de recueillir une information dans les écrits et la documentation sur les projets et de faire des visites sur place, nous avons interviewé quelques dirigeants autochtones oeuvrant dans le domaine de la guérison. Le Canada compte quelques éminents dirigeants autochtones dans ce domaine pouvant contribuer énormément à dégager les tendances qui ressortent des différents projets et à retracer l'évolution des interventions en matière de guérison depuis au moins le début des années 1980.

Questions de recherche

Le processus de recherche que nous venons de décrire visait à répondre aux questions suivantes.

  1. En quoi consiste l'expérience des collectivités autochtones du Canada dans toute sa diversité, en ce qui a trait aux interventions de guérison aux niveaux individuel, familial et communautaire? Qu'est-ce qui a donné de bons résultats? Qu'est-ce qui n'a pas donné de résultat? Quels sont certains des atouts et des ressources que les collectivités autochtones apportent à ce cheminement? Quels sont leurs plus gros obstacles? Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience qui seront utiles aux collectivités autochtones et à tous ceux qui progressent dans leur propre parcours de guérison?
  2. Quelles tendances peut-on dégager de cette expérience en ce qui a trait aux questions suivantes?
    1. Comment peut-on définir la guérison personnelle? Pour quelle maladie ou dysfonctionnement la guérison est-elle nécessaire? Quelles sont les causes profondes de cette maladie ou de ce dysfonctionnement? Comment peut-on décrire le parcours de guérison personnel d'après les étapes qu'il englobe? Peut-on à un moment donné dire qu'une personne est « guérie » et quand? Quelles sont les conséquences observables de la guérison? Quels sont les types de soutien les plus utiles pour les personnes qui ont entrepris un parcours de guérison et de rétablissement?
    2. Comment peut-on le mieux aider les familles à se sentir entières et en santé?
    3. Comment peut-on décrire les « maladies » ou dysfonctionnements des collectivités? Comment peut-on définir la guérison d'une collectivité? Quels sont les conséquences observables de la guérison d'une collectivité? Par quelles étapes une collectivité peut-elle s'attendre de passer pour parvenir à un niveau de mieux-être qui lui permettra de prospérer? Quels sont les types de soutien les plus utiles aux collectivités qui veulent parvenir à la santé et à la prospérité?
    4. Quel lien y a-t-il entre la guérison de la personne, de la famille et de la société et le développement économique, politique, social et culturel d'une collectivité?
  3. Quelle a été l'expérience des collectivités autochtones pour ce qui est de s'inspirer des modèles et stratégies de guérison traditionnels et occidentaux? Quels enseignements peut-on tirer de cette expérience?

On a précisé ces questions pour former les trois groupes de questions suivants :

PARTIE 2: RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE L'ANALYSE DOCUMENTAIRE

Dans notre examen des travaux de recherche sur la guérison, nous avons cherché des réponses à trois questions :

  1. Qu'est-ce que la guérison?
  2. Qu'a-t-on essayé?
  3. Qu'est-ce qui donne de bons résultats?

Nous avons puisé dans la littérature de diverses disciplines, tant générale que d'érudition, par exemple :

Il est important de signaler qu'il ne s'agit pas d'une analyse documentaire exhaustive mais plutôt d'un aperçu des recherches effectuées.

Qu'est-ce que la guérison?

Définitions

On trouve dans les écrits de nombreux modèles et tracés décrivant les différentes manières de comprendre le parcours de guérison des individus et des collectivités ainsi que les stades ou éléments de ce parcours. Dans le contexte des traumatismes et de la violence, par exemple, beaucoup de chercheurs et praticiens affirment que la première étape consiste à créer un lieu de sécurité. Ce sanctuaire est indispensable pour répondre aux besoins de la personne en rétablissement de raconter son histoire. Cela donne lieu à un processus d'apprentissage, souvent dans le contexte d'une relation thérapeutique d'encadrement, permettant de construire de nouveaux schèmes de vie. (Abadian, 1999; Bopp et coll., 1998) Dans le contexte des toxicomanies, le modèle des Douze étapes est largement utilisé et bien décrit dans la littérature (p. ex., Cook, 1988). Au moins sept différents modèles sont couramment utilisés pour décrire le parcours de développement communautaire (Bopp et Bopp, 2001, p. 10-11). Nous résumons dans ce rapport des éléments de ces divers modèles individuels et collectifs. On commence à dégager des nouvelles recherches un modèle faisant le lien entre les divers niveaux de guérison et de développement (du niveau personnel au niveau collectif).

Qu'a-t-on essayé? Qu'est-ce qui donne de bons résultats?

Au Canada, depuis 25 ans, un vaste éventail d'expériences, de programmes et d'activités ont été entrepris dans ce qu'on pourrait appeler le « mouvement de guérison autochtone ». Ils ont inclus ce qui suit :

Il serait juste de dire qu'on commence à peine à voir la littérature sur cette vaste expérience comme un courant distinct. Comparativement aux écrits sur l'expérience coloniale et ses séquelles, ceux qui portent sur la guérison communautaire demeurent fragmentés et diversifiés. Même s'il existe un nombre croissant d'écrits sur les expériences mentionnées ci-dessus, on n'a guère tenté d'intégrer les disciplines. Dans cette partie, nous résumons certains des enseignements et des initiatives clés de chacun de ces domaines.

Activités culturelles et de guérison traditionnelles

Points de contradiction apparente entre les deux visions du monde
  Thérapeute Aînés
Style Besoin d'avoir une preuve de l'efficacité du programme
Demande de rapports écrits
Acceptation de l'efficacité de la guérison
Tradition orale
Axe principal Cognitivo-comportemental Spirituel - émotif
Style de traitement Clinique Confrontation/remise en question Encourageant Sans confrontation
Approche du traitement/ ou de la guérison Structurée et axée sur les buts
Attitude selon laquelle il est inacceptable de demander le pardon
Non structurée et axée sur le processus
Pour guérir, il faut demander le pardon
Attitude à l'égard du délinquant Réservée, soupçonneuse Fondée sur la bienveillance et la confiance

Ces polarités traduisent une tension qu'on trouve partout au pays (approche traditionnelle par opposition à populaire, modèles occidentaux par opposition à indigènes). Beaucoup de groupes utilisent le mot « guérison », mais y donnent un sens très différent.

Camps culturels en milieu sauvage

Beaucoup de collectivités ont essayé, pour atteindre les jeunes, des camps culturels, dont bon nombre ont été liés à des initiatives de justice. On compte de nombreux programmes et modèles fructueux. Dans son rapport sur la santé et la guérison, la Commission royale sur les peuples autochtones mentionne le programme modèle axé sur la « redécouverte ». Plus de 30 collectivités autochtones du Canada l'ont mis en application et un nombre encore plus élevé se sont inspirées directement de cette expérience. Le programme de la redécouverte n'est pas un modèle de traitement ou de guérison, bien que des centres de traitement aient aiguillé des jeunes vers des programmes de redécouverte et que des collectivités aient mis ces programmes en place pour s'occuper explicitement de problèmes comme ceux de la toxicomanie et du suicide. Il est basé sur un camp d'été de deux semaines qui inclut une partie ou l'ensemble des éléments suivants (Henley, 1996) :

D'après des évaluations effectuées aux différents camps (Lertzman, D., 2002, « Rediscovering Rites of Passage », Journal of Conservation Ecology), leurs répercussions et avantages incluraient, selon les collectivités, les suivants :

  1. L'accroissement de l'estime de soi; comme les camps intègrent les aspects physique, spirituel, affectif et mental de la vie, chaque participant peut trouver un domaine ou une activité dans laquelle il excelle. (Presque toutes les recherches publiées sur les effets à long terme de programmes en plein air confirment cet accroissement de l'estime de soi. Voir par exemple Davis-Berman, J. et Berman, D.S., « The Wilderness Therapy Program; An Empirical Study of It's Effects with Adolescents in an Outpatient Setting », Journal of Contemporary Psychotherapy (1989), vol. 19, no 4, p. 271-281).
  2. Le développement d'un sens vigoureux de fierté culturelle et un renouvellement du sentiment d'appartenance.
  3. L'établissement de relations de confiance et l'acquisition d'un sens plus grand à sa vie.

Certains chercheurs (Crisp, S., 1998) situent les programmes en nature sauvage pour les jeunes le long d'un continuum allant des loisirs à la thérapie en passant par l'enrichissement. La thérapie comporte le traitement pour un problème sous-jacent après l'analyse diagnostique d'une problème de longue date ou d'un schème de comportement. Les résultats escomptés sont précisés et l'on s'emploie de façon délibérée à les produire. L'enrichissement consiste en l'offre d'une expérience constructive et éventuellement salutaire qui améliore la situation du client par rapport à son trouble ou son dysfonctionnement sans toutefois tenter de s'attaquer aux causes profondes du problème. Il peut se produire des changements, mais ceux-ci tendent à être temporaires si l'on ne s'occupe pas des causes profondes (p. ex., les programmes d'enrichissement peuvent accroître l'estime de soi des toxicomanes mais ne remédient pas aux facteurs à l'origine du problème comme la dépression, la violence sexuelle, la dynamique familiale). Les programmes de loisirs ne visent pas à remédier au problème de la personne, mais plutôt à améliorer le processus.

Centres et programmes de traitement et de guérison

On dénombre actuellement au Canada une cinquantaine de programmes de traitement résidentiel à l'intention des Autochtones. Il existe aussi divers programmes de traitement communautaires non résidentiels.

Programmes de guérison, travail de counseling et de groupe

De nombreuses différentes sortes de programmes de guérison et de modèles thérapeutiques et de counseling ont été essayés dans les collectivités autochtones. Ils ont inclus les suivants :

Bien que presque toutes les solutions imaginables aient été essayées quelque part, l'expérience n'a largement pas été consignée.

Programmes de développement communautaire

Les collectivités autochtones ont entrepris une foule d'initiatives de développement communautaire. Celles-ci ont inclus l'élaboration de programmes intégrés face à des situations d'urgence, l'élaboration d'une politique d'intérêt public habilitante, l'établissement de liens entre le développement économique et les initiatives axées sur le mieux-être personnel et l'élaboration de plans intégrés de guérison et de développement communautaire. On est de plus en plus conscient de la nécessité d'opérer des changements structurels pour améliorer les initiatives de guérison communautaire (Bopp et Bopp, 2001; Four Worlds, 1989; Warry et Justice, 1996).

Résumé et conclusions

Notre courte évaluation de la documentation sur la question nous permet de dégager un certain nombre de tendances et conclusions :

  1. Les écrits sur la guérison individuelle et communautaire des Autochtones commence à peine à s'imposer comme un corpus distinct. Cette tendance ira sans doute en augmentant au cours des prochaines années, et il y a du travail important à faire pour réunir de façon plus intégrée et systématique les enseignements et points de vue provenant des ressources existantes pour les mettre davantage à la disposition des praticiens, d'une manière accessible et pratique.
  2. La « guérison » dans le contexte autochtone canadien désigne un ensemble d'idées, d'activités, d'événements, d'initiatives et de relations qui surviennent à tous les niveaux, du niveau individuel au niveau intertribal. Cet ensemble est largement inspiré de modèles et d'expériences de divers coins de la planète et suscite également ses propres modèles, méthodes, expressions et analyses, dont beaucoup commencent à peine à être intégrés au dialogue dominant. On peut appeler cet ensemble le « mouvement de guérison » autochtone.
  3. Le mouvement de guérison produit des résultats interreliés à beaucoup de niveaux qui sont difficiles à suivre et à mesurer, surtout à l'aide des modèles et outils existants (déterminés par la culture). Il est vrai que des interventions spécifiques au niveau communautaire ont un impact direct sur les personnes, et on peut en dire autant, notamment, du climat qui commence à se manifester dans la collectivité, des nombreuses activités liées à la au mouvement de renaissance culturelle, de l'émergence d'un nombre croissant de modèles de comportements autochtones inspirants aux niveaux local et national, de l'image de plus en plus positive et assurée des peuples et questions autochtones que véhiculent les médias autochtones, de la résolution de revendications foncières importantes et d'initiatives axées sur l'autonomie gouvernementale.
  4. Bien que ce mouvement puisse accroître les difficultés méthodologiques actuelles pour ce qui est d'isoler et de mesurer les résultats d'interventions précises, il offre aussi des moyens d'action clairs pour promouvoir la guérison et le développement. Il ressort de plus en plus de la littérature que les interventions doivent être adaptées à ce processus holistique et multidimensionnel, à la réalité du processus même de guérison. Les études nous donnent déjà les premiers indices du fait que les systèmes dominants s'ouvrent eux-mêmes à la possibilité d'une transformation au moyen d'une interaction avec les processus de guérison autochtones et qu'ils incluent une tentative de comprendre et d'appuyer les collectivités dans leur parcours de guérison (voir par exemple Warry, 1998, p. 257).
  5. On a presque tout essayé en ce qui concerne les approches de guérison. On peut essentiellement dire que presque tout donne de bons résultats pour quelqu'un et que rien ne donne de bons résultats pour tout le monde. Il est clair que les approches comme telles sont moins importantes que le contexte dans lequel elles sont appliquées. Les collectivités autochtones ont aussi adapté de nombreux modèles et méthodes à leur réalité culturelle et sociale. Les points de vue indigènes sur la guérison sont au coeur du mouvement de guérison autochtone et ont été le moteur silencieux d'un grand nombre d'initiatives importantes. Ces points de vue ne constituent pas des modalités de guérison comme le seraient par exemple des techniques thérapeutiques de counseling particulières, mais constituent plutôt le cadre dans lequel ces techniques trouvent leur sens.
  6. La guérison traditionnelle a elle-même évolué. Les guérisseurs ont adapté des techniques, des produits médicinaux et des symboles pour relever les nouveaux défis auxquels ils font face. De plus en plus de praticiens autochtones participant au mouvement de guérison s'inspirent de traditions qui combinent des éléments des pratiques traditionnelles et contemporaines. Dans certains cas, ces pratiques mixtes sont maintenant présentées comme des pratiques « traditionnelles » et sont de plus en plus intégrées au discours et à l'expérience du mouvement de guérison.
  7. Les initiatives les plus prometteuses semblent être celles qui transforment activement des courants de maladie et de dysfonctionnement dans leur contexte réel. Le traitement communautaire, les approches de counseling systémiques, l'apprentissage participatif et les activités de recherche sont tous des exemples d'initiatives utilisées auprès de personnes et de groupes dans leur univers immédiat, qui présentent leurs schèmes de pensée et d'action comme étant ancrés dans cet univers (plutôt que de présenter leurs problèmes comme résultant uniquement d'eux-mêmes, qui est souvent la raison pour laquelle on envoie une personne suivre un traitement).
  8. Les jeunes, qui constituent le segment le plus nombreux et au taux de croissance le plus élevé de la société autochtone, semblent manifester de la façon la plus aiguë les symptômes de la perturbation communautaire et culturelle. Les démarches de prévention, de guérison et de développement accusent un retard par rapport à cette réalité. Pourtant, les auteurs le disent bien clairement : à moins qu'on ne les cible explicitement, les jeunes sont destinés à répéter et à amplifier les comportements d'autodestruction de leurs prédécesseurs.
  9. Nombre d'auteurs soulignent l'importance du rôle de catalyseur que jouent les travailleurs communautaires interdisciplinaires, qui peuvent organiser et focaliser des initiatives en cours, appuyer et entretenir des approches intégrées, et servir d'agents de « pollinisation croisée » des stratégies, idées et cas de réussite.

PARTIE TROIS: PROFILS DE COLLECTIVITÉS

Nous avons visité les six collectivités suivantes (énumérées dans l'ordre alphabétique) : la Première nation Eskasoni en Nouvelle-Écosse, la Première nation Esketemc en Colombie-Britannique, la Première nation de Hollow Water au Manitoba, la Première nation Mnjikaning en Ontario, la Première nation Squamish en Colombie-Britannique et la Première nation Waywayseecappo au Manitoba. Après avoir fourni des renseignements généraux sur ces collectivités, nous décrivons leurs défis et programmes novateurs actuels.

Mouvement de guérison Eskasoni (Cap-Breton, Nouvelle-Écosse)

Les Mi'kmaw du Cap-Breton ressemblent sous bien des rapports à une vaste famille élargie comptant de nombreuses branches et cinq collectivités établies qui sont désormais reconnues comme des Premières nations distinctes. Malgré les nombreuses différences entre ces Premières nations en ce qui a trait à la guérison (l'une d'entre elles commence à peine le processus et est aux prises avec de grandes difficultés tandis que les autres sont à diverses étapes du parcours), les enseignements tirés d'une collectivité influent sur toutes les autres.

De plus, certains organismes (notamment d'aide à l'enfance, de police et de santé mentale) n'appartiennent pas exclusivement à la collectivité d'Eskasoni et ne sont pas non plus exploités uniquement par elle mais assurent plutôt des services à toutes les collectivités. Pour ces raisons, les observations et commentaires suivants puisent largement dans le savoir et l'expérience de toutes les collectivités Mi'kmaw de l'île du Cap-Breton.

La collectivité d'Eskasoni est elle-même assez importante (environ 3 500 habitants), et les travailleurs communautaires considèrent ce facteur comme un défi de taille. En effet, la collectivité est si vaste, complexe et étendue qu'il semble décourageant (sinon impossible) d'envisager la création d'un mouvement de guérison dans celle-ci. Comment peut-on réunir assez de personnes pour vraiment faire une contribution?

Selon les intervenants, les problèmes les plus graves incluent les toxicomanies (dont le profil a changé au fil des ans pour inclure de graves dépendances à des médicaments d'ordonnance et qui touchent plus de 70 p. 100 des ménages dans la collectivité), une violence sexuelle endémique qu'on n'a largement pas reconnue et dont on ne s'est pas systématiquement occupé, de même qu'une colère et une rage profondes qui se traduisent souvent par des actes de violence. Ils ont aussi parlé éloquemment de la nécessité de transformer les systèmes dans lesquels les gens vivent et qui servent à répondre aux besoins de la collectivité. Les systèmes tout particulièrement préoccupants incluent ceux d'assistance sociale et de protection de l'enfance, d'éducation et de justice, de même que les systèmes politique, économique, spirituel et culturel. Comme les participants l'ont expliqué, tous ces systèmes ont été accaparés par le processus colonial et les pensionnats, et il faut maintenant les reprendre, les assainir et les transformer de façon qu'ils ne soient plus des produits culturels européens mais plutôt des institutions et processus mi'kmaw qui contribuent véritablement au bien-être et à la prospérité des gens.

Parcours de guérison d'Esketemc (Alkali Lake, Colombie-Britannique)

Alkali Lake est connue dans tout le monde indigène pour sa lutte victorieuse contre l'alcoolisme dans la collectivité. Vers le milieu des années 1980, celle-ci a opéré une transformation fondamentale : alors qu'auparavant presque tous les hommes, femmes et enfants âgés de plus de 12 ans étaient des alcooliques, elle est arrivée à un point où 95 p. 100 de la population pratiquaient la sobriété. Mais la collectivité ne s'est pas arrêtée là. Elle a poursuivi son processus de guérison pour s'occuper des niveaux élevés de violence physique et sexuelle et de nombreux autres problèmes. Bon nombre des enseignements que cette lutte a permis de tirer ont été intégrés à un programme de formation exhaustif appelé « New Directions Training », qui a été utilisé dans nombre de collectivités nord-américaines.

En plus de regrouper des représentants de tous les programmes de la bande axés sur la guérison, ce groupe comprend également bon nombre des initiateurs du mouvement de guérison d'Esketemc. Presque toute l'équipe participe activement au parcours de guérison depuis le début des années 1980 et un grand nombre de ses membres sont bien connus à l'échelle de l'Amérique du Nord pour les travaux de formation et de guérison qu'ils ont entrepris dans des centaines de collectivités autochtones.

Il a été fascinant de voir l'équipe traiter immédiatement de ses propres défis actuels. Même si nous lui avons posé une série organisée de questions, elle a voulu explorer en profondeur la relation entre la guérison et les dimensions du développement social et économique de l'édification d'une nation. Dans l'esprit des membres de la collectivité d'Esketemc, le processus de guérison s'est heurté en quelque sorte à un « plafond de verre ». Selon eux, peu importe que les membres de la collectivité soient sains, compétents sur le plan affectif, libres de toute toxicomanie et violence, rattachés spirituellement à leurs propres identité et valeurs, aptes à exprimer clairement ce qu'ils envisagent pour l'avenir de leur nation et pour eux-mêmes, disposés à travailler avec acharnement et même à faire des sacrifices pour réaliser leur vision, rien de tout cela n'importe quand il faut vivre dans un système politique et économique répressif qui maintient les Autochtones dans un état d'impuissance, de pauvreté et de chômage. La Première nation Esketemc a démontré que même s'il est possible de sortir du traumatisme et de la tragédie pour devenir des personnes physiquement et spirituellement entières et entretenir des relations familiales et communautaires largement saines et positives, les limites imposées par le gouvernement au potentiel de développement d'un peuple empêchent les générations montantes d'être en santé. Selon l'équipe de base qui s'occupe de la guérison, il y a un danger bien réel, si l'on ne trouve pas un moyen de surmonter ces obstacles, que les progrès accomplis par la bande d'Alkali Lake sur le plan du mieux-être disparaîtront en moins d'une génération.

Processus de guérison holistique de Hollow Water (Hollow Water, Manitoba)

Hollow Water est une réserve Anishinabe comptant environ 1 000 personnes et qui est située à 150 milles au nord-est de Winnipeg (Manitoba). Elle est étroitement liée à trois collectivités voisines -Manigotan, Aghaming et Seymourville.

En 1984, une équipe composée de dirigeants politiques, de fournisseurs de services de tous les organismes travaillant dans la région et de bénévoles des collectivités de personnes-ressources, a été mise sur pied pour s'occuper de guérison et de développement dans ces quatre collectivités.

L'équipe exerçait deux fonctions essentielles. Premièrement, elle constituait le noyau de personnes qui, au sein de ces collectivités, avaient entrepris leur parcours de guérison et étaient déterminées à aider les autres membres des collectivités à entreprendre leur propre parcours de façon que les collectivités deviennent des endroits sûrs et sains pour les enfants et petits-enfants. Deuxièmement, la mise sur pied de l'équipe de personnes-ressources représentait une initiative intégrée de la part de membres de divers disciplines et secteurs (p. ex., éducation, politique, religion, santé, économie) résolus à mener un processus soutenu et à long terme de promotion de la santé au sein de la communauté.

C'est en 1986 qu'on a parlé pour la première fois de violence sexuelle. Auparavant, personne n'en parlait. Un examen par les membres de la collectivité de Hollow Water de la situation qui avait cours avant 1986 leur a permis de constater l'existence de graves problèmes de drogues, d'alcool et de chômage et la nécessité de replacer l'éducation de leurs enfants dans les traditions culturelles. Ils avaient atteint un point de non-retour. Ils ont bien vu qu'il y avait eu beaucoup de cas de violence sexuelle depuis de nombreuses années, mais que l'on ne pouvait pas en parler, que cela était tabou. D'ailleurs, la plupart des membres de l'équipe de personnes-ressources avaient personnellement été touchés par cette violence. En soulevant le voile de l'alcoolisme, ils ont découvert que beaucoup de personnes éprouvaient de vifs sentiments de colère et de blessure, qu'elles présentaient des comportements dysfonctionnels liés à la violence sexuelle ou à une autre forme de violence qu'elles avaient subie par le passé. Il est apparu de plus en plus clairement que, pour réussir sur les plans politique et économique, la collectivité avait beaucoup de travail de guérison personnelle à faire.

Cela a été suivi d'une période très active d'apprentissage et de guérison. Les membres de l'équipe de personnes-ressources ont consulté de nombreux groupes, partout en Amérique du Nord, qui s'occupaient de problèmes analogues et, en 1988, ils ont établi leur propre programme de formation appelé S.A.F.E. (Self Awareness Training for Everyone - sensibilisation à la conscience de soi pour tous) inspiré du programme New Directions alors offert par la collectivité d'Esketemc (Alkali Lake). Cela a permis d'offrir ce genre de formation au plus grand nombre possible de membres de la collectivité qui étaient disposés à entreprendre un parcours personnel de guérison et d'apprentissage.

Une des conséquences de l'accroissement de la confiance et de la communication résultant de la formation en croissance personnelle a été une augmentation marquée du nombre de cas de violence sexuelle qui ont été dévoilés. L'équipe de personnes-ressources n'a pas tardé à reconnaître l'existence d'un conflit fondamental entre l'intervention du système de justice auprès des délinquants et ce que la collectivité devait faire. Elle a compris qu'il fallait en réalité négocier une nouvelle relation avec tous les intervenants s'occupant des cas de violence sexuelle, y compris :

Les autres principaux intéressés ayant besoin de beaucoup de soutien, d'amour et d'attention incluaient :

La relation renégociée devait être basée sur un ensemble strict de procédures à suivre au sujet de la divulgation et de la manière dont les tribunaux s'occuperaient de celle-ci pour favoriser la guérison. Un premier système a été élaboré, qui a ensuite été affiné et mis au point. Ce modèle est devenu le processus holistique de guérison (CHCH), qui fonctionne essentiellement comme suit.

  1. Une équipe d'intervention composée de représentants du système de justice, des services de protection de l'enfance, des services de santé mentale communautaires et de la collectivité (souvent un Aîné) mène une enquête initiale pour déterminer ce qui s'est vraiment produit. On enregistre la version de la victime, dont on assure la sécurité et le soutien constant.
  2. Après avoir déterminé, hors de tout doute raisonnable, qu'il y a eu violence, on confronte et l'on accuse l'agresseur. À ce stade, on a recours au pouvoir de la loi et de la collectivité pour encourager l'agresseur à combattre sa tendance à nier et l'amener à avouer l'agression et à accepter de participer au processus de guérison. L'agresseur a deux choix : a) il peut plaider coupable et être condamné à la probation, qui exige sa pleine collaboration avec le processus de guérison; b) il peut tenter sa chance devant un tribunal avec pour issue probable l'incarcération.
  3. Si l'agresseur opte pour le processus de guérison, il entame un parcours de trois à cinq ans qui aboutit au dédommagement et à la réconciliation entre l'agresseur et la victime, la famille de cette dernière et l'ensemble de la collectivité.
  4. Si l'agresseur s'engage à suivre le processus de guérison, l'équipe du CHCH demande au tribunal un délai de quatre mois pour évaluer l'authenticité de l'engagement. Ordinairement, les agresseurs optent pour ce processus parce qu'ils craignent l'incarcération. C'est pourquoi il est important de déterminer s'ils sont vraiment prêts à participer pleinement au processus.
  5. Au cours de la période de quatre mois, les agresseurs doivent faire un examen approfondi d'eux-mêmes pour reconnaître ce qu'ils ont fait et les torts que leurs actions ont causés aux autres. Ce processus comporte quatre cercles :
    1. Dans la première série de cercles, la personne doit décrire ce qu'elle a fait. Souvent, elle ne révèle que de petits éléments et évite d'entrer dans le détail. Graduellement, l'agresseur peut tout avouer, et on l'aide à sentir l'amour et le soutien du cercle. Il apparaît clairement que l'objectif du cercle est d'aider l'agresseur à devenir un membre sain et productif de la collectivité. Au cours de cette période, l'agresseur doit aussi rencontrer chaque semaine un conseiller en violence sexuelle pour subir une évaluation supplémentaire.
    2. Dans le deuxième cercle, l'agresseur réunit sa famille nucléaire pour lui décrire ce qu'il a fait et recevoir sa réaction.
    3. Le troisième cercle reprend le deuxième, mais avec la famille étendue (p. ex., parents, grands-parents, tantes, oncles).
    4. Le quatrième cercle est celui de la détermination de la peine. L'agresseur doit alors avouer à l'ensemble de la collectivité ce qu'il a fait et décrire les mesures qu'il a prises sur son parcours de guérison. Selon les membres du personnel du CHCH, la personne qui franchit toutes ces étapes est véritablement engagée envers le processus de guérison.
  6. Le processus du CHCH employé auprès des agresseurs comporte en tout 13 étapes :
    1. Divulgation
    2. Garantie de sécurité pour la victime
    3. Rencontre avec l'agresseur
    4. Soutien du conjoint et des parents de l'agresseur
    5. Soutien des familles touchées
    6. Rencontre entre l'équipe d'évaluation et la GRC
    7. Cercles avec l'agresseur
    8. Cercles avec la victime et l'agresseur
    9. Préparation de la famille de la victime en vue du cercle de détermination de la peine
    10. Préparation de la famille de l'agresseur en vue du cercle de détermination de la peine
    11. Réunion spéciale en vue du cercle de détermination de la peine
    12. Examen de la peine (après trois ans)
    13. Cérémonie de purification
  7. Il est important de signaler que ce modèle n'est pas centré uniquement sur l'agresseur. Les victimes reçoivent beaucoup de soins, d'amour et d'attention thérapeutique pour venir à bout du traumatisme de la violence qu'elles ont subie.
  8. Une des caractéristiques particulières du modèle CHCH de la Première nation de Hollow Water est la façon dont il intègre le système juridique canadien au cercle de la collectivité de façon à utiliser de manière créative ce système pour contribuer à la guérison. Une autre caractéristique est qu'on insiste beaucoup sur l'importance d'assumer la responsabilité de la violence et sur le fait que les agresseurs doivent être tenus responsables. Ce n'est pas par l'incarcération qu'on peut aboutir à ce résultat mais plutôt par le rétablissement de relations d'amour et de compassion.

Au moment de la rédaction du présent document, le groupe CHCH cherche des moyens d'élargir le processus de guérison pour intervenir plus efficacement auprès des jeunes de la collectivité, dont certains ont des problèmes non seulement d'alcool mais aussi de drogues. Comme dans les autres programmes de guérison autochtone où l'on s'occupe depuis de nombreuses années de questions de guérison, on cherche aussi, dans le contexte du CHCH, des moyens de motiver l'ensemble de la collectivité et d'assurer sa participation active. Les responsables insistent sur le fait qu'il ne s'agit ni d'un programme ni d'un projet mais plutôt d'un processus faisant partie de ce qui doit être un mouvement de guérison pour être fructueux.

Modèle de guérison Biidaaban de la Première nation Mnjikaning (Rama, Ontario)

Nous sommes un peuple Biidaaban Qui accueille le soleil levant Le cercle apporte la guérisonÀ tous et à chacun Comme l'arbre près de l'eau vive Issu de la Terre nourricière Avec un esprit revigoré nous jaillissons En plein dans la vie toujours en train de se refaire.

(John Wesley Oldham, 9 juin 1995)

Le modèle de guérison Biidaaban consiste en une approche de justice réparatrice pour diverses infractions (p. ex., agression sexuelle, fraude, violence familiale). Il offre diverses possibilités de guérison (sous forme de séances de counseling individuelles et de groupe et de renvois vers des guérisseurs traditionnels, des psychologues et d'autres thérapeutes) à la personne blessée et à celle qui a causé les blessures. Ces personnes bénéficient également de l'aide du processus judiciaire et des assemblées communautaires qui constitue un élément essentiel du programme Biidaaban.

Les personnes qui ont causé des blessures à autrui, que la police ait ou non porté des accusations contre elles, doivent assumer la responsabilité de leur comportement et accepter de participer au processus Biidaaban. On leur assigne un conseiller en mieux-être qui les aide à élaborer et à respecter un plan de traitement provisoire. Si la personne a été inculpée, ce plan est présenté au tribunal, et l'on demande un sursis de quatre mois. Pendant cette période, la personne suit le plan de traitement provisoire, et l'on détermine si le processus de guérison Biidaaban doit constituer la prochaine étape. De cette manière, la peine imposée par le tribunal peut faire entrer en ligne de compte ce processus.

L'étape suivante est une assemblée communautaire durant laquelle les personnes qui ont été blessées peuvent décrire les répercussions que l'incident ou les incidents ont eues sur elles. Les auteurs des torts peuvent s'excuser de leur comportement, et la collectivité peut décider des mesures à prendre pour dédommager les victimes et rétablir l'équilibre et l'harmonie en élaborant un plan de traitement. L'équipe Biidaaban surveille la mise en oeuvre de ce plan pendant au moins six mois.

Origine du modèle de guérison Biidaaban

Inquiets de l'ampleur du problème de la violence sexuelle à l'endroit des enfants dans la collectivité et du degré auquel le problème demeurait caché, les 25 membres de Gga Wiidookaadmin, le comité des services aux personnes du Conseil, composé d'Aînés et de travailleurs des services sociaux et de santé de première ligne, ont lancé le projet Biidaaban. Un important jalon dans l'élaboration du projet a été l'engagement pris par 16 personnes d'entreprendre un projet de formation qui devait les aider à élaborer un modèle de guérison tirant parti du travail exemplaire accompli par d'autres communautés des Premières nations, et à travailler à leur propre guérison en préparation à l'exigeante tâche de favoriser la guérison chez les autres. On a fini par appeler ce groupe le cercle Biidaaban. Parmi ses premières tâches, une des plus importantes a été l'élaboration de protocoles explicites d'intervention dans les cas d'allégation ou de divulgation de violence sexuelle dans la collectivité.

Le 10 juin 1996, le chef et le Conseil de Mnjikaning ont signé une résolution du Conseil de bande appuyant la mise en oeuvre du projet Biidaaban—le modèle de guérison de la collectivité Mnjikaning. Comme il est signalé dans la deuxième édition de la documentation sur le programme (révisée et mise à jour en 1996), ce modèle de guérison représente la culmination du désir de cette collectivité de s'occuper du problème de la violence sexuelle au moyen d'un modèle holistique réunissant les méthodes de guérison autochtones traditionnelles et les méthodes thérapeutiques modernes.

En octobre 1998, les services sociaux et de santé du Conseil Mnjikaning ont présenté une proposition de financement au Groupe de la politique correctionnelle autochtone du Solliciteur général du Canada. Cela a représenté un jalon très important puisqu'il a ainsi été possible de constituer pour le programme Biidaaban un personnel rémunéré chargé d'assurer les services de plus en plus en demande, d'avoir accès à l'expertise de cliniciens qualifiés, de sensibiliser les membres de la bande Mnjikaning au problème de la violence sexuelle, à la guérison et aux autres types de services de soutien offerts par Biidaaban, ainsi que d'offrir d'autres occasions d'apprentissage aux membres du cercle Biidaaban. Au moment de la rédaction du présent document, ce premier cycle de financement triennal arrive à sa fin, mais un soutien financier est attendu du gouvernement fédéral pour encore deux ans. La bande continue à absorber environ le tiers du coût du programme. Une subvention a également été reçue de la Fondation autochtone de guérison pour la période 1999-2000 afin d'offrir des possibilités de « guérison spirituelle » aux membres de la Première nation Mnjikaning.

Prochaines étapes pour le programme Biidaaban

Un défi de taille que devront relever au cours des prochains mois les responsables du programme Biidaaban sera de trouver un moyen de transformer celui-ci d'un programme qui permet d'assurer des services utiles et efficaces à la clientèle en un mouvement de guérison véritable qui capte davantage l'imagination et l'énergie de la collectivité.

Approche de guérison communautaire de la nation Squamish (Squamish, Colombie-Britannique)

Les membres de la nation Squamish (North Vancouver et Haut-Squamish, Colombie-Britannique) participent activement et régulièrement depuis plus de 20 ans à des activités pour les aider à guérir des répercussions généralisées du traumatisme créé par les pensionnats. Ancré dans le courage et l'initiative de personnes qui ont cherché à obtenir de l'aide, alors que dans leur entourage on ne voyait pas l'existence d'un problème, le processus s'est transformé graduellement en un mouvement véritablement communautaire.

Il ne fait aucun doute que dans le cas de la nation Squamish, la principale incitation à chercher la guérison est venue de membres et de groupes de la collectivité (c.-à-d., de la société civile) plutôt que des dirigeants politiques ou des programmes de la bande. L'impulsion est peut-être venue surtout des Aînés, dont certains se sont consciemment penchés sur leurs propres problèmes de guérison et ont commencé à s'organiser pour influencer les autres dans la nation Squamish.

Un des exemples plus éloquents est la façon dont les membres du comité consultatif des Aînés, qui s'est organisé lui-même, s'est employé à régler des problèmes, comme ceux de la toxicomanie, du suicide et de la violence, en commençant par eux-mêmes. Voici comment une grand-mère décrit le processus.

Nous avons commencé par nous-mêmes. Je suis une survivante du système des pensionnats. Nous avons pleuré, et cela nous a fait du bien. Cela nous a soulagés, et nous avons été guéris, mais cela a pris du temps. Cela ne se produit pas tout d'un coup. Nous avons mis des années à en venir où nous en sommes.

Ce groupe relativement peu nombreux d'Aînés (10 ou 12 personnes, quelques hommes et quelques femmes) ont en définitive élaboré avec quelques jeunes une proposition en vue d'un centre d'urgence de la nation Squamish, qu'il a appelé Esemkwu, ce qui signifie « enveloppé dans une couverture ». Les Aînés voyaient dans ce centre une ressource de guérison et un catalyseur de changement dans la collectivité. Le projet a été financé par la Fondation autochtone de guérison, et le centre constitue désormais une importante force de guérison pour la nation Squamish.

De concert avec les responsables d'Esemkwu et de nombreuses autres personnes, les Aînés ont également organisé pour les membres de la nation Squamish et d'autres intéressés, dans le district continental sud de la Colombie-Britannique, une conférence à l'intention des survivants du système des pensionnats. Celle-ci a été couronnée de succès au point où une deuxième conférence axée sur les survivants de la seconde génération a été organisée l'année suivante et une troisième, l'année d'après.

La nation Squamish est répartie entre deux endroits. Environ 2 000 personnes vivent dans la réserve de North Vancouver ou sont éparpillés dans la ville de North Vancouver. Il y en a aussi environ 1 000 qui vivent dans ce qu'on appelle le « Haut-Squamish », consistant en une série de petits établissements le long de la route Squamish, non loin de la ville de Squamish.

La plupart des membres de la nation Squamish vivent en milieu urbain et sont donc (surtout en ce qui concerne les jeunes) beaucoup plus vulnérables à l'isolement, aux toxicomanies et aux autres stress que connaissent les couches sociales inférieures dans les grandes villes. Ceux du Haut-Squamish ont souvent l'impression d'être laissés pour compte dans les affectations aux programmes de la bande; pourtant, leur réceptivité aux initiatives de guérison a généralement été plus grande et uniforme que celle des citadins.

Bien que la première vague de réponse aux séquelles des pensionnats ait été axée principalement sur l'intervention d'urgence, cela n'a pas été la seule réponse. On a investi beaucoup d'énergie dans la création de possibilités de guérison à long terme sous forme d'interventions de counseling et de renvois vers des programmes de traitement, des cercles de soutien et un vaste éventail d'activités de prévention. La plupart des intervenants de première ligne oeuvrant dans le domaine du mieux-être sont bien sûr conscients depuis longtemps du besoin fondamental de guérison à long terme pour les individus ainsi que de la nécessité de s'occuper de guérison sur d'autres plans comme ceux de la politique communautaire, de la disparité économique et du rétablissement des fondements spirituels et culturels du peuple Squamish.

La prochaine étape critique dans le mouvement de guérison de la nation Squamish semble être de remplacer le mode d'intervention au coup par coup (c.-à-d., aller d'une situation d'urgence à une autre) par une exploration des causes profondes pour aider les gens à s'occuper du vaste éventail de déterminants du mieux-être, comme un revenu suffisant, un soutien social et la capacité de la population à participer véritablement au façonnement de l'avenir de la collectivité.

La Première nation Waywayseecappo s'occupe de guérison et de développement (Waywayseecappo, Manitoba)

Waywayseecappo est située à environ trois heures à l'ouest et un peu au nord de Winnipeg, dans un district agricole typique des Prairies. On voit rapidement que les Wayway n'ont pas passivement accepté la pauvreté et la marginalisation. La collectivité a fait preuve d'une initiative et d'une créativité remarquables en prenant en main l'éducation et diverses initiatives de développement économique et en trouvant des réponses très créatives à des problèmes sociaux.

Une des innovations de la collectivité est le programme Oshi-iwke (nouvelles femmes), qui est un programme résidentiel à l'intention des jeunes femmes axé sur la guérison, la transition et l'acquisition de compétences psychosociales. Les jeunes femmes qui sont enceintes ou qui viennent d'avoir un enfant peuvent vivre dans un immeuble de 12 logements. Le programme comporte des cérémonies de transition culturelle et beaucoup de mesures d'entraide et de renforcement communautaires pour ces jeunes femmes. Les responsables ont entrepris de rédiger un manuel distinguant 10 étapes dans l'amélioration de la santé et l'accroissement de l'autonomie.

L'expérience des pensionnats et une foule d'autres traumatismes ont eu un profond impact sur la communauté de Waywayseecappo, qui est aux prises avec des problèmes d'alcoolisme, de violence, de désintégration culturelle et de désunion.

Malgré les efforts d'individus forts et de programmes entiers en vue d'accroître le mieux-être de la collectivité, celle-ci n'avait pas (au moment de notre visite en juillet 2001) réussit à « voir » le mieux-être comme un défi fondamental dans l'édification d'une nation, et aucun plan complet n'avait été établi en vue de favoriser la guérison en rapport avec le développement économique et social.

PARTIE QUATRE: LES VOIX DES COLLECTIVITÉS

Comme nous l'avons déjà mentionné, nous avons visité les six collectivités suivantes (énumérées dans l'ordre alphabétique) : la Première nation Eskasoni en Nouvelle-Écosse, la Première nation Esketemc en Colombie-Britannique, la Première nation de Hollow Water au Manitoba, la Première nation Mnjikaning en Ontario, la Première nation Squamish en Colombie-Britannique et la Première nation Waywayseecappo au Manitoba. Durant ces visites, nous avons exploré trois grandes questions :

  1. Qu'est-ce que la guérison? Parvient-on jamais à guérir? Quels sont les résultats?
  2. En quoi consiste le parcours de guérison? Qu'arrive-t-il aux diverses étapes du parcours? Quels obstacles se posent? Que peut-on faire pour les surmonter? Qu'est-ce qui est vraiment efficace? Qu'est-ce qui ne l'est pas?
  3. Quel est l'avenir de la guérison? Quel est le but ou la destination du parcours de guérison? Que doit-il se produire aux stades ultérieurs? Quelle relation y a-t-il entre la guérison et l'édification d'une nation?

Dans cette partie, nous présentons certains éléments qui nous ont été communiqués au cours de ces discussions importantes. Nous ne pouvons manifestement pas inclure tous les commentaires, sinon le document compterait des centaines de pages. Nous avons organisé des échantillons de commentaires sous forme d'un échange : en tant que chercheurs, nous posons une question, qui est suivie des réponses des divers membres des collectivités. Nous osons espérer que ces passages vous donneront une idée des réflexions judicieuses que nous avons entendues. Le texte intégral des consultations avec les collectivités se trouve dans les rapports de visites individuelles portant sur chacune des six collectivités.

Dans la partie qui suit, nous n'indiquons pas le nom de nos divers interlocuteurs mais uniquement celui de leur collectivité.

Qu'est-ce que la guérison?

Eskasoni

La guérison est un processus, un parcours. Il est rare qu'elle comporte un début et une fin définis. Elle s'impose non pas parce que nous sommes tous des êtres brisés ou que nous voulons être parfaits, mais plutôt parce que nous voulons être des personnes en santé dans une collectivité en santé.

Esketemc

La guérison est un développement mental, affectif, physique et spirituel. Tout est dans le cercle d'influences. La guérison ne se limite pas non plus à l'individu, mais comporte aussi un développement politique, social, culturel et économique.

Mnjikaning

À la place de « guérir » on peut aussi parler de « revivre », « reconstruire » ou « recréer ».

Squamish

Guérir, c'est avoir l'esprit clair, penser de manière spirituelle, être libre de toute rage, de toute colère, de toute blessure, croire dans le Créateur, en soi et dans les autres.

Waywayseecappo

La guérison comporte de nombreuses dimensions. Elle suppose une transformation, une victoire sur les sentiments de blessure. Mais la guérison rejoint aussi le développement économique. L'éducation fait aussi partie de la guérison. Sortir de la pauvreté, de l'assistance sociale, c'est aussi guérir. La guérison, c'est tout ce qui aide les gens à être plus unis, plus aptes à se sentir bien, à prospérer.

Hollow Water

L'équipe du processus holistique de guérison (CHCH) qualifie désormais de « thérapie de décolonisation » une bonne part de ce qu'on appelait auparavant la « guérison ». Les séquelles de l'agression coloniale sur la collectivité et la culture dont nous avons héritées incluent les suivantes : des personnes déséquilibrées, des valeurs destructives qui dominent la vie communautaire, une attitude de dépendance et des systèmes communautaires qui contribuent à perpétuer ces problèmes. La guérison communautaire en tant que thérapie de décolonisation comporte les tâches suivantes : énoncer les principes qui favorisent la santé et l'équilibre dans la collectivité, aider les gens à regagner leur équilibre, baser tous les systèmes communautaires sur des principes sains et équilibrés et assumer la pleine responsabilité en tant que collectivité pour ce parcours.

Quels sont certains des problèmes pour lesquels la guérison est nécessaire?

Hollow Water

Traditionnellement les Aînés ont transmis aux jeunes les enseignements leur permettant de comprendre, dans leur propre développement, quelque chose de la vie et de leur place dans la Création. L'influence des Aînés et des enseignements apparaissaient comme un obstacle à l'assimilation par le système colonial et elle a donc été systématiquement perturbée et supprimée. Cette perturbation se manifeste davantage dans la vie affective et spirituelle des personnes, ce qui explique que les relations, la sexualité et la religion sont les dimensions qui semblent les plus déséquilibrées aujourd'hui.

Eskasoni

Nous sommes aux prises avec une toile complexe de problèmes : alcool et drogues, jeux, violence sexuelle, violence familiale et tout l'éventail des problèmes des survivants des pensionnats touchant par exemple les responsabilités parentales, le repli affectif et une rage qui brûle à petit feu en nous (pour ne mentionner que ceux-là).

Squamish

Nos programmes constituent un élément du problème. Nous souffrons de « programmite ». Nous n'avons ni argent, ni buts, ni vision en commun, ni plan intégré. Nous avons des services distincts qui souvent font double emploi, et nous donnons souvent aux gens plus de pouvoir d'action que nous ne les aidons à guérir.

Esketemc

On ne peut pas vraiment aider les gens à guérir si l'on ne crée pas pour eux un climat de sécurité en ce qui concerne l'alimentation, les vêtements, le logement. Nous ne réussirons jamais à guérir complètement si nous ne parvenons pas à régler nos vrais problèmes de développement économique.

Waywayseecappo

Nous avons beaucoup de problèmes dont nous avons besoin de guérir. Un des principaux (d'après une étude récente) est celui de la violence familiale. On nie largement que cela existe, mais c'est un problème énorme. Nous savons que la violence sexuelle est répandue, mais l'on n'a ni examiné ni tenté de régler ce problème. Si l'on compte les cuites d'une soirée, on peut dire que presque chaque foyer vit avec un problème d'abus d'alcool ou de drogues. Si l'on inclut les jeunes (qui constituent environ 60 % de la population), la proportion augmente en flèche. Il y a peut-être 90 % des jeunes qui en consomment.

Mnjikaning

La collectivité ne veut pas entendre parler des problèmes déchirants comme celui de la violence sexuelle parce que cela exige de faire face à sa douleur et d'opérer des changements qui exigent beaucoup de travail.

Quel parcours de guérison l'individu suit-il?

Waywayseecappo

Une personne en santé a une raison de se lever le matin.

Mnjikaning

La confiance et l'estime de soi de la personne qui guérit se raffermissent. Le feu qui l'anime grandit et elle commence à se sentir valable et à se faire entendre davantage. Elle se respecte et respecte les autres davantage. Elle peut jeter un regard de compréhension sur ceux qui l'ont blessée. Le processus de guérison nous aide à comprendre pourquoi les gens sont comme ils sont.

Squamish

Guérir, c'est avoir l'esprit clair, penser de manière spirituelle, croire dans le Créateur, en soi et dans les autres, être libre de toute rage, de toute colère, de toute blessure. Les personnes qui guérissent deviennent de plus en plus fonctionnelles. La colère, la peur et le désespoir les quittent graduellement et sont remplacés par des sentiments d'espoir, de souci pour les autres, de compassion et d'amour. L'étau des sentiments négatif se desserre et elles se sentent moins paralysées, plus en mesure de penser clairement, de se considérer elles-mêmes comme des agents efficaces du changement dans leur propre vie, plus en mesure d'assumer la responsabilité de leurs choix.

Eskasoni

La guérison passe par la spiritualité. Cela ne veut pas dire la religion. Nous utilisons des prières, des sueries, des assemblées traditionnelles, tout ce qu'il faut pour garder l'esprit vivant…

La guérison suppose en grande partie de voir un sens dans les pertes et la douleur passées. Il faut voir dans les événements passés un sens positif…

Il n'y a pas de solution universelle. Les êtres sont différents et leurs besoins de guérison diffèrent. Nous sommes différents dans notre manière d'avoir mal, mais aussi selon notre sexe, notre âge, le genre de famille dont nous sommes issus, etc.

Esketemc

Dans les cercles de guérison, il faut entendre la douleur et la version des victimes. Souvent, on met l'accent sur les délinquants. Les deux aspects sont importants…

Nous avons pour responsabilité de dépasser nos sentiments dans cette génération et de faire face au reste du monde…de dire, voilà notre terre, voilà notre patrimoine. Non seulement les non-Autochtones nous ont blessés, ils ont pris nos terres et écrasé nos cultures. Il s'agit maintenant de ramasser les morceaux et de poursuivre. Alors, grouillons-nous. Je ne veux pas que ma petite-fille continue à se battre, qu'elle soit en colère, que quelque chose la retienne. C'est à nous de porter cette croix. Nous avons été choisis pour la porter et non pour la transmettre.

Hollow Water

Le processus de guérison semble cyclique. Il y a des périodes de grand mouvement et de croissance apparente et des périodes de stagnation et de repli où la situation ne progresse pas et même empire.

Quelles sont les autres dimensions du parcours de guérison?

Squamish

Beaucoup d'adultes portent encore tant de blessures qu'ils ne peuvent pas être de bons parents ou prendre soin de leurs enfants; pourtant il est essentiel pour guérir la nation d'élever des enfants en santé (sans recycler la douleur et la violence). Il s'agit d'un problème central pour le peuple Squamish, un problème auquel il faut trouver des solutions viables.

Waywayseecappo

Notre régime de gouvernance nous rend et nous garde malades. Il élève les membres de la collectivité les uns contre les autres. Depuis la dernière élection, les femmes sont partagées. Les anciennes amitiés sont brisées. Nous allons organiser des cercles pour essayer d'en guérir. Actuellement, le système de gouvernance est accusatoire et suscite la bagarre et la désunion. Il encourage le népotisme et la corruption. Nous disposons de trois millions de dollars pour les programmes sociaux, mais cette somme est fragmentée en petits morceaux, et chaque gestionnaire de programme protège le sien.

Eskasoni

Il y a quatre ou cinq ans, on a interdit la contrebande ici, mais la loi n'a jamais été appliquée. Les membres de la collectivité se sont réunis et ont travaillé ensemble pour essayer d'apporter des changements, mais les institutions publiques et les dirigeants auxquels ils faisaient confiance pour exécuter la décision de la communauté ont réussi à se dérober à leurs responsabilités de régler vraiment le problème. La corruption parmi les haut placés constitue un obstacle majeur à la guérison et fait vraiment partie de ce qui doit être corrigé. Lorsqu'on mine ainsi systématiquement la volonté et les intentions de la communauté, ses membres perdent toute confiance dans leur capacité à faire une contribution véritable ou à opérer un changement. Ils sont de moins en moins disposés à s'occuper de toute chose controversée, ils sont plus passifs et plus portés à attendre que les autres règlent les problèmes de la collectivité. Le fait est que beaucoup de personnes se sentent impuissantes et incapables de changer un environnement qui, comme elles le savent, les opprime lentement. Il existe beaucoup de mécontentement, mais aussi une grande peur de parler. Nous avons peur que ceux qui détiennent le pouvoir s'en prennent en quelque sorte à nous, comme lorsque nous avons besoin de faire réparer quelque chose ou que nous avons besoin d'une maison pour un de nos enfants. Les puissants contrôlent notre accès aux services et programmes que nous avons peut-être le « droit » d'avoir; ils contrôlent tout. Nous sommes si nombreux à rester silencieux. Nous sommes dominés par notre peur.

Mnjikaning

Notre chef et les membres de notre conseil ne sont pas complètement déterminés à diriger d'une manière propre et sobre. Essentiellement, la collectivité demande à ses dirigeants d'être des modèles de comportement sains, et il y a aussi des pressions exercées par le chef national…

L'argent fuit notre collectivité, qui est trop petite pour soutenir beaucoup d'entreprises (il n'y a pas d'économies d'échelle). Il y a aussi d'autres obstacles à l'activité commerciale. Il suffit qu'une entreprise commence à prospérer et le Conseil risque de la supprimer.

Hollow Water

Le processus de guérison exige essentiellement que l'ensemble de la collectivité prenne en main les problèmes et leurs solutions. La difficulté réside en partie dans la tendance à croire que certains problèmes relèvent de services, programmes ou organismes de l'extérieur. La « mentalité de bénéficiaires de programmes » que les gens acquièrent peut aussi nuire au processus de guérison. Les gens participent à des programmes en tant qu'agents de changement, parce qu'ils veulent faire une contribution à leur collectivité. Graduellement, ils apprennent à se conformer, à ne pas faire de vagues, et ils perdent certaines des qualités qui les motivaient initialement, qui contribuaient à leur efficacité. Dans les programmes, on a tendance à perdre de vue les objectifs, à tout faire pour justifier leur maintien. On se sent frustré parce que les systèmes conçus pour répondre aux besoins de la population deviennent des systèmes qui ne répondent plus à ses besoins, qui sont déchargés de toute obligation de rendre des comptes.

Esketemc

Guérir, c'est retrouver nos cercles de justice traditionnelle, c'est faire face à la douleur affective et aux cicatrices laissées par le système des pensionnats. Guérir, c'est refaire notre sécurité économique, susciter des possibilités réelles de création de la richesse; guérir, c'est aider nos jeunes à trouver une meilleure voie dans la vie que celle que nous avons empruntée. Guérir, c'est reconstruire notre système traditionnel de clans. Tous ces éléments sont nécessaires parce qu'on nous les a enlevés et que nous en avons besoin pour retrouver notre force véritable comme nation.

Eskasoni

La structure du financement gouvernemental pour les initiatives de guérison est un autre obstacle qui nous empêche d'élaborer un programme cohérent et à long terme. Nous devons consacrer une grande part de notre temps et de notre énergie à essayer d'avoir accès à des fonds (ou à rendre compte des fonds reçus). Il existe de nombreuses petites sources de fonds, et nous devons être comme des caméléons et changer constamment l'allure de notre mandat pour obtenir un financement. Ces fonds incluent Pour des collectivités en bonne santé, le PNLAADA, la Fondation de guérison et Grandir ensemble. Mais il n'y a pas de financement de base qui appuie le travail essentiel à long terme pour construire et maintenir une initiative cohérente. Le grand problème, c'est que les diverses composantes du gouvernement ne travaillent pas ensemble à l'interne.

Qu'est-ce qui a donné de bons résultats pour vous dans la promotion de la guérison?

Hollow Water

Les processus de guérison exigent souvent un soutien de l'extérieur de la collectivité de même que la mobilisation efficace des ressources à même celle-ci.

Waywayseecappo

Nos dirigeants détiennent une des principales clés du parcours de guérison. Ils doivent élaborer un plan pour la communauté qui appuie le travail nécessaire. Nous avons besoin d'un plan complet de guérison et de développement communautaires qui englobe la guérison, le logement, la gouvernance, le développement économique, bref tous les éléments… Nous avons appris que la guérison n'est jamais achevée. On peut se rétablir, mais cela prend énormément de temps. Le coureur de fond qui trébuche n'abandonne pas. Pourquoi? Parce qu'il est motivé et qu'il a confiance en lui-même. Nous devons appuyer nos gens à long terme, pendant de nombreuses années. Cela veut dire qu'il faudra leur donner de l'entraînement, beaucoup d'encouragement et un appui à long terme jusqu'à ce qu'ils soient motivés et qu'ils aient confiance en eux-mêmes.

Esketemc

Pour guérir, il faut avoir une vision de ce que l'on veut retirer de la vie, un plan quant à la manière d'y arriver et l'aide nécessaire (il peut s'agir de guérison, de formation ou d'accès à du financement ou simplement de l'appui des Aînés, de la famille, de la collectivité). Chaque personne a besoin d'un plan. Chaque famille aussi. Puis, il faut se réunir pour élaborer un plan communautaire qui aidera tout le monde à réaliser ses aspirations et ses rêves.

Mnjikaning

Pour aider la collectivité dans son parcours de guérison, nous devons continuer à venir travailler. Nous devons continuer à écouter puis à agir. Nous devons faire preuve d'empathie. Nous devons prêcher par l'exemple… Guérir, c'est vivre en harmonie avec les enseignements et cérémonies. Tous nos programmes sont basés sur le respect, pour nous-mêmes et pour autrui. Nous avons également besoin de cérémonies de rites de passage afin de protéger nos jeunes lorsqu'ils entament la deuxième étape de leur vie.

Squamish

Il est important d'inclure dans le répertoire des stratégies utilisées d'autres approches, à part celles de la thérapie centrée sur la discussion. Il y a par exemple le contrôle respiratoire, les activités culturelles, l'approche centrée sur l'art et les activités sociales. Toutes ces méthodes (et bien d'autres) peuvent être efficaces si elles sont combinées aux approches plus traditionnelles.

Eskasoni

Il faut intervenir dans les foyers. Des membres du personnel qui parlent mi'kmaw travaillent en étroite collaboration avec les membres de la famille. On estime que toute celle-ci participe au programme, plutôt que seulement l'adolescent en difficulté ou la mère qui a des problèmes. Nous invitons les tantes, les frères et soeurs, les Aînés à appuyer les nouveaux comportements que nous cherchons à développer. Nous intervenons dans un foyer jusqu'à trois fois par semaine. Parfois, nous nous occupons de la gestion familiale pendant quelques heures et donnons l'exemple de nouveaux comportements. Nous offrons de l'aide et des conseils (p. ex., au sujet des méthodes parentales). Parfois, nous faisons participer la personne qui a des problèmes à des séances de counseling, puis nous la réintégrons graduellement dans sa famille. Il arrive par exemple que le père et la mère participent à des séances de counseling avec des conseillers qui sont différents de ceux qui s'occupent des enfants ou des adolescents. Mais nous organisons des conférences de cas afin d'avoir une vue d'ensemble du processus.

Souvent, les gens ont simplement besoin d'aide matérielle. Ils sont pauvres. Ils n'ont ni domicile, ni véhicule, et parfois, une mère célibataire arrive à un point où elle n'en peut plus. Les clients peuvent téléphoner à leur intervenant ou leur intervenante, qui les amènera au magasin ou qui arrêtera simplement chez eux pour jaser. Pour aider les familles à guérir, il est important d'être là pour les gens, de se comporter vraiment en ami, d'offrir son soutien.

PARTIE CINQ: ENSEIGNEMENTS TIRÉS AU SUJET DE LA GUÉRISON ET DU PARCOURS DE GUÉRISON

On peut résumer comme suit les enseignements que nous avons tirés au sujet de la guérison dans les collectivités autochtones :

Qu'est-ce que la guérison?

  1. La guérison est un processus de développement par lequel une personne tente de parvenir à l'équilibre en elle-même, dans ses relations avec les autres, avec le monde naturel et avec le monde spirituel. Elle représente un choix de vivre en harmonie avec les valeurs et enseignements fondamentaux qui sont à la base de toute la culture autochtone (et autres cultures). La « guérison » englobe un vaste éventail d'initiatives, d'impulsions et d'efforts au niveau des individus, de la famille, de la collectivité, des organisations, des institutions et de la nation.
  2. Dans les collectivités autochtones, la notion de guérison est axée sur le bien-être plutôt que sur la maladie. Elle a pour objet d'aider la population à progresser vers l'intégralité et l'équilibre. Elle englobe tous les niveaux de la collectivité, de l'individu à la nation, et inclut les éléments politiques et économiques, les schèmes de relations sociales et le processus de rétablissement culturel. Aux personnes qui ont étudié dans les disciplines abstraites des universités euro-canadiennes, ces grandes définitions semblent tout inclure et par conséquent ne vouloir rien dire. Le point important que les peuples autochtones ne cessent de faire valoir est que leur mode de vie - qui était un système intégré aux dimensions nombreuses - leur a été enlevé, et si la guérison ne signifie pas de rétablir une forme de vie propice au bien-être humain, que signifie-t-elle exactement?
  3. Il y a deux dimensions distinctes dans le processus de guérison. La guérison en tant que rétablissement signifie essentiellement d'abandonner la douleur et la souffrance qu'a connues une collectivité dans une situation de crise. La guérison en tant que mieux-être signifie d'adopter et de maintenir des modes de vie sains.
  4. Le processus de guérison peut s'étendre sur plusieurs générations. Beaucoup de collectivités ont mis des générations à intérioriser la douleur et le traumatisme qu'elles portent actuellement en elles, et il leur faudra peut-être des générations pour s'en sortir. Il est possible de guérir; même si l'on aura toujours besoin de programmes pour aider des personnes à surmonter la douleur et la souffrance qui font inévitablement partie de la vie et les aider à acquérir des habiletés pour vivre de manière saine, on n'aura pas toujours nécessairement besoin des interventions intensives actuellement requises. Il existe actuellement des situations spéciales (les séquelles du système des pensionnats et du colonialisme) qui exigent une intervention intensive. Avec le temps, ce type d'intervention sera axé moins sur le rétablissement et davantage sur la reconstruction de nouvelles habitudes de vie.
  5. La guérison comme décolonisation. À ce point-ci dans l'histoire, le parcours de guérison consiste en grande partie à surmonter les séquelles de la toxicomanie et du dysfonctionnement qui sont les résultats de décennies de colonialisation, d'activités missionnaires et de pensionnats. « Guérir » signifie de rétablir l'intégrité et le bien-être humains et communautaires que ces traumatismes historiques ont détruits. Cela ne consiste pas exclusivement dans le rétablissement de la santé mentale et l'élimination des comportements dysfonctionnels comme la toxicomanie et la violence, bien que la guérison inclue certes ces éléments. La guérison communautaire est parfois qualifiée de « thérapie de décolonisation » par les intervenants de première ligne.

Le parcours de guérison communautaire

  1. Le processus de guérison semble cyclique. Des périodes très mouvementées et de croissance apparente sont suivies de périodes de stagnation et de repli. Cela vaut pour toute entreprise d'apprentissage, qu'il s'agisse d'une personne qui apprend à maîtriser une nouvelle compétence ou d'une organisation qui se réoriente en fonction de nouveaux principes. Il est très important pour ceux qui pilotent et appuient un processus de guérison de comprendre le processus d'apprentissage. Souvent, ce qui semble être une étape de stagnation et de repli constitue en réalité un plateau où il se fait beaucoup d'apprentissage et d'assimilation des acquis. Les périodes de croissance rapides sont invariablement précédées de longues périodes où « il ne se passe pas grand-chose ». Il est important d'apprendre à suivre ces cycles pour comprendre le genre de travail qui s'impose aux diverses étapes du parcours.
  2. Des périodes de croissance et de développement rapides sont souvent déclenchées par une crise quelconque. À condition d'être bien gérées, les crises peuvent être une occasion de mobiliser les intéressés en vue d'un apprentissage rapide et d'une action coordonnée. Quand la crise a perdu de son acuité (soit parce qu'on a largement réglé le problème, soit parce que l'on est devenu découragé, apathique, las), le processus de guérison peut aussi s'enliser. Si l'intervention de guérison a été organisée autour d'une série de crises, il peut être très difficile de « changer de vitesse » afin de profiter de possibilités nouvelles de mobiliser la collectivité afin qu'elle prenne en main ses problèmes.

Le parcours de guérison individuel

  1. Les gens peuvent guérir, changer, apprendre, croître. Il existe des dirigeants efficaces et inspirants des processus de guérison qui sont des témoignages vivants de la possibilité d'une transformation. Des initiatives menées à travers le pays montrent clairement qu'il est possible d'opérer une métamorphose fondamentale en faisant participer des personnes (en aussi mauvaise santé qu'elles soient) à un processus de transformation systématique et à long terme qui leur permet de passer du dysfonctionnement au mieux-être.
  2. Le parcours de guérison individuel et le parcours de guérison communautaire sont indissociables. Les dirigeants du mouvement de guérison doivent se préoccuper attentivement de leur propre mieux-être sinon ils ne peuvent pas être efficaces dans leurs collectivités. En même temps, les progrès accomplis sur le plan du mieux-être général de la collectivité donnent aux dirigeants le courage de continuer et en définitive les ressources humaines dont ils ont besoin pour poursuivre leur travail.
  3. Il n'existe pas de définition simple de la « guérison » ou du « parcours de guérison ». On peut parler des qualités qu'une personne acquiert par sa guérison personnelle. Ainsi, les bien-portants n'ont pas besoin de contrôler les autres, ils ne sont pas paralysés par des craintes ancrées dans le passé, ils ont acquis les habiletés nécessaires pour s'occuper d'eux-mêmes. Ils manifestent une confiance et une estime de soi qui sont solides, se respectent et respectent les autres et peuvent écouter ce que les autres ont à dire à leur sujet sans tout intérioriser.
  4. On peut aussi parler de la guérison en fonction du cercle d'influences. La guérison touche toutes les dimensions de la personne - le corps, les facultés intellectuelles, l'esprit et les sentiments. Elle vise la personne, la famille, la collectivité et la nation en entier. Elle englobe tout le cycle de la vie, l'enfance, la jeunesse, l'âge adulte et la vieillesse.
  5. Les êtres humains ne commencent leur parcours de guérison que lorsqu'ils sont prêts à le faire, ce qui est souvent quand ils sont à leur plus bas. Quand ils risquent de perdre quelque chose (p. ex., leur liberté, leur relation, leurs enfants, leur emploi), ils sont prêts à agir. Les intervenants doivent se tenir prêts à travailler avec ces personnes lorsque celles-ci se sentent prêtes à le faire (et non pas par rapport aux cadres de référence et aux conditions des intervenants).
  6. La personne qui travaille à son rétablissement doit avoir un rêve (c.-à-d., une vision, un plan) pour tracer la voie qui mène à un meilleur avenir. Le rêve se développe au fur et à mesure qu'elle progresse dans la voie de la guérison. Pour certaines personnes, cela peut vouloir dire de poursuivre leurs études et leur formation. Pour d'autres, cela peut signifier d'avoir accès à un crédit ou des fonds. Pour d'autres encore, il peut s'agir de créer des partenariats viables ou d'obtenir l'approbation et le soutien requis des dirigeants de la collectivité.

Éléments du parcours de guérison

  1. Un grand nombre de modalités et de méthodes de guérison ont été essayées dans les collectivités. La littérature sur la question et l'expérience de ces dernières nous apprennent que nombre de diverses manières de faire sont utiles. Il n'y a rien qui donne toujours de bons résultats ou qui convient à tout le monde. Les thérapies corporelles, la maîtrise de la respiration, la guérison spirituelle, la mise en valeur de l'énergie, les méthodes de counseling individuelles et de groupe (il y existerait plus de 200 formes décrites différentes), la participation aux méthodes de guérison traditionnelles, la participation à des activités religieuses, les loisirs, l'acquisition de compétences, les arts et la musique, les groupes de soutien, les techniques de relaxation et les pratiques axées sur la relation entre l'esprit et le corps, tous ont quelque chose à offrir. Les aides compétents dans les collectivités sont conscients des nombreux points d'entrée disponibles et peuvent guider les gens vers une modalité qui leur sera utile.
  2. Il est important, pour progresser dans son parcours de guérison, de comprendre le passé. Qu'est-ce qui nous est arrivé? Lesquels de nos choix ont abouti à l'accumulation de blessures? Qu'est-ce qu'on nous a fait? Qu'avons-nous perdu? Qu'avions-nous que nous devons maintenant récupérer ou redécouvrir?
  3. Le « pardon » est une notion controversée, compte tenu des aspects liés à la justice du bagage que nous avons hérité du système des pensionnats. Il demeure néanmoins un élément essentiel de la guérison. Les personnes qui n'apprennent pas à pardonner (ce qui n'est pas la même chose qu'oublier) continuent à éprouver des sentiments qui les blessent. Le parcours de guérison exige d'assumer une pleine responsabilité (comme individus, familles et collectivités) pour le travail à accomplir afin de surmonter ce dont nous avons hérité.
  4. Il faut souvent une situation de crise (comme la divulgation par une personne bien en vue d'actes de violence) pour qu'une collectivité cesse de nier l'existence d'un problème et qu'elle reconnaisse son besoin de guérir.

PARTIE SIX: ENSEIGNEMENTS TIRÉS AU SUJET DU SOUTIEN À ACCORDER AU PROCESSUS DE GUÉRISON

Le rôle du leadership

  1. Le leadership en matière de guérison vient ordinairement d'un des trois secteurs suivants : les membres de la collectivité, les organismes et services professionnels et les dirigeants politiques. Graduellement, au fur et à mesure de la guérison des collectivités, les trois secteurs sont mobilisés.
  2. Souvent, le parcours de guérison d'une collectivité est déclenché par un petit groupe de personnes qui se consacrent à ce travail pendant de nombreuses années, fréquemment au prix de grands sacrifices personnels et sans guère de reconnaissance. Dans de nombreuses collectivités, les femmes ont été la cheville ouvrière et les catalyseurs du processus de guérison.
  3. La participation et l'appui des dirigeants politiques constituent un élément critique du parcours de guérison pour les collectivités. En leur absence, le processus de guérison semble avancer tant bien que mal ou perdre son élan. Le régime de gouvernance et les mécanismes de leadership dans la collectivité exercent un contrôle sur plusieurs préalables importants du processus de guérison communautaire.
    1. Les dirigeants semblent avoir le pouvoir (qui leur a peut-être été accordé par une population passive) de suspendre les processus de guérison si ceux-ci semblent poser une menace (p. ex., lorsqu'ils font la lumière sur la violence ou la corruption passée ou actuelle).
    2. Les dirigeants sont étroitement surveillés. Ils donnent le ton en ce qui concerne l'approbation et l'encouragement ou la désapprobation et la réprobation de la guérison. Les personnes qui sont aux premières étapes de leur parcours de guérison sont particulièrement vulnérables à l'influence des dirigeants.
    3. Les dirigeants peuvent gérer efficacement ou non les ressources destinées aux programmes de la collectivité (ressources en termes de fonds, de personnes et d'énergie). Le résultat peut être un effort coordonné et durable ou le gaspillage de précieuses ressources et possibilités.
    4. La guérison et le développement doivent être planifiés à long terme. Si les dirigeants ne donnent pas l'exemple en insistant sur l'exécution de ce travail de planification, il est peu probable que celui-ci se produise.
  4. L'appui des dirigeants politiques de la collectivité fait une énorme différence. Il sert à reconnaître l'importance du processus de guérison, aide à canaliser les ressources vers celui-ci et reconnaît aux personnes leur pouvoir d'action. Voici certaines des contributions critiques que les dirigeants font au processus de guérison :
    1. donner l'exemple d'habitudes saines dans leur vie personnelle et professionnelle.
    2. appuyer de manière visible les initiatives de guérison communautaires et souligner leur importance par leur présence.
    3. écouter les gens et les encourager à chacune de leur moindre réussite.
    4. créer des possibilités, programmes, politiques et systèmes pour aider les gens dans leur parcours de guérison.
  5. La direction assurée par les Aînés revêt une importance critique. Quelques Aînés peuvent créer un mouvement puissant en faveur de la guérison dans une collectivité, à condition de :
    1. créer entre eux un cercle de confiance et d'unité;
    2. entamer leur propre processus de guérison;
    3. élaborer une vision du genre de processus et de résultats souhaités;
    4. persévérer, même si cela prend des années;
    5. obtenir l'aide des personnes voulues;
    6. faire fond sur leurs réussites, une étape à la fois;
    7. exercer le rôle d'Aînés traditionnels en assumant une autorité morale et en offrant leurs services suivant des modalités auxquelles la collectivité peut apprendre à faire confiance;
    8. établir un code de conduite pour leurs membres; utiliser le cercle d'Aînés pour protéger l'intégrité de ces derniers en appuyant et, au besoin, en conseillant leurs membres et en leur lançant des défis.

La création d'organisations et le renforcement des capacités communautaires pour appuyer la guérison

  1. Une étape très importante est franchie lorsque le processus de guérison dans une collectivité est unifié au moyen d'un programme défini comportant un personnel rémunéré, un soutien financier et la reconnaissance des dirigeants politiques de la collectivité. Les bénévoles, qui appuient souvent au moyen de leurs propres ressources financières les activités, ne peuvent pas accomplir indéfiniment le travail à faire. Il est aussi important pour la collectivité de prendre en main le processus de guérison en y consacrant des ressources et en intégrant les initiatives de guérison à la structure permanente des programmes communautaires.
  2. Cette étape compte toutefois certains dangers. En effet, le processus risque de devenir tout simplement un autre service que la population attend. Cela signifie que la population se décharge de la responsabilité pour le mieux-être de la collectivité sur un groupe d'« experts » qui prendront les choses en main. Mais la guérison n'est pas quelque chose que l'on peut offrir. Elle exige une participation active de la part de l'ensemble de la collectivité. La guérison progresse de l'intérieur. Il est facile de tomber dans le piège de la guérison comme « programme » assurant certains services à la population. Mais cela peut renforcer la mentalité de dépendance qui sous-tend d'autres problèmes dans les collectivités.
  3. L'adoption par inadvertance d'une « mentalité de bénéficiaire de programmes » est en réalité un résultat très courant lorsque les collectivités tentent de systématiser les processus de guérison. Un programme, avec son financement et ses employés, ses rapports, etc., devient rapidement un élément du statu quo. On tend à perdre de vue la vision initiale et à tout faire pour justifier le maintien du programme que l'on s'est employé avec acharnement à créer. À ce stade, le principal défi consiste à renouveler et revitaliser constamment l'essentiel du processus de guérison tout en créant des structures (comme des programmes) qui favorisent la poursuite du processus. Cela est loin d'être facile étant donné que beaucoup de systèmes (comme le système politique, le système de santé, le système d'éducation) dans les collectivités sont eux-mêmes déséquilibrés. Dans le processus de guérison, il faut constamment pouvoir remettre en question le statu quo et préserver la capacité à transformer.

Collaboration et participation

  1. Au fur et à mesure que les programmes deviennent plus établis et professionnels, il est important de maintenir la participation de la collectivité, sinon les programmes risquent de connaître des difficultés. Un élément clé des programmes de guérison consiste à préserver la compréhension et la participation de la collectivité en ce qui concerne le processus.
  2. Il est très difficile de maintenir l'intégration des programmes et services consacrés au développement social dans la collectivité. Les gens ont tendance à se replier dans leurs propres services. Même si un programme de guérison peut être amorcé comme une initiative de collaboration inter-organismes, on tend à le considérer comme un programme indépendant. Cette tendance compromet le processus de guérison dans les collectivités, mais beaucoup de professionnels de première ligne ne semblent pas avoir l'énergie et les habiletés requises pour maintenir une collaboration inter-organismes centrée sur le processus de guérison. Souvent, c'est le leadership qui manque.
  3. Plus une collectivité peut maintenir l'unité inter-organismes dans sa vision, sa planification, son exécution des programmes et son évaluation, plus elle sera cohérente et efficace dans son appui des initiatives de guérison. Dans la pratique, cette capacité semble se développer de pair avec le processus de guérison global.
  4. Le groupe, au sein de la collectivité, qui se consacre au processus de guérison peut grandement bénéficier du bon type d'appui de l'extérieur. Il a besoin de voir des modèles de ce qui peut être accompli, il a besoin d'appui pour apprendre à avoir confiance en lui-même et acquérir les habiletés nouvelles et le discours qui lui permettra de faciliter le processus de guérison, et il a besoin de l'aval et de la reconnaissance de personnes de l'extérieur qui voient ce qu'il a accompli.

PARTIE SEPT: ENSEIGNEMENTS TIRÉS AU SUJET DES OBSTACLES ET DÉFIS ACTUELS

Obstacles à surmonter à l'intérieur de la collectivité

  1. De nombreux intervenants en guérison dans les collectivités autochtones se sentent très isolés et ont le moral au plus bas en raison des salaires modestes qui leur sont versés, du faible niveau d'influence dont ils jouissent auprès des dirigeants de programmes et des politiciens, et d'un volume de travail extrêmement élevé. Les pressions liées aux demandes incessantes des clients, au manque d'argent, de personnel et de temps (en permanence), et au sentiment d'être dépassé par les événements drainent l'énergie de ceux qui se trouvent sur la ligne de front. Heureusement, ils sont réconfortés par la pensée que leur travail rapporte vraiment des dividendes et que des gens guérissent (en partie) grâce à leurs efforts. Mais le taux d'épuisement professionnel n'en reste pas moins effarant.
  2. Dans certaines collectivités, l'alcoolisme est encore un grave problème. Santé Canada et la Fondation autochtone de guérison semblent accorder leur attention à d'autres problèmes tels que la violence physique et sexuelle. Malheureusement, en ce qui concerne un très grand nombre de collectivités n'ayant accompli qu'une petite partie de leur parcours de guérison, la dépendance à l'alcool et aux drogues demeure le problème de fond le plus débilitant nuisant au mieux-être de la collectivité. Il sera vraisemblablement difficile voire impossible de faire des progrès dans d'autres domaines clés liés au mieux-être si ce problème n'est pas traité de façon efficace.
  3. Amener des organismes (n'ayant ni le même mandat ni les mêmes ressources financières) à adopter une vision commune et à travailler ensemble, n'est pas un mince exploit. Le niveau de bien-être des gens qui oeuvrent au sein des comités interorganismes est l'une des raisons expliquant qu'il n'est guère facile de maintenir ces comités sur pied. En fait, c'est un peu un cercle vicieux. Les organismes concernés essaient, dans le cadre de collaborations, d'engager la collectivité dans des processus de rétablissement et de développement. Mais les gens qui travaillent pour le compte de ces organismes ont souvent eux-mêmes besoin de se soumettre à un processus de guérison et ont créé collectivement une culture de travail qui reflètent le dysfonctionnement de la collectivité dont ils sont censés favoriser la guérison. Il est donc capital de mettre sur pied des organismes fonctionnels où les relations entre employés seraient caractérisés par l'amour des autres, le sens du pardon, l'unité et le soutien mutuel, dans la mesure où seul un groupe de gens sains peut espérer contribuer à accroître le bien-être d'autres personnes.

Obstacles structurels externes

  1. Toutes les collectivités ayant participé à la présente étude ont affirmé que la structure actuelle « un chef, un conseil » établie par le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada était l'une des causes de la maladie qui doit être guérie. Ce système (imposé par une entité de l'extérieur) désunit et divise les gens en plus de renforcer une exclusion intrinsèque des gens du processus organique de gouvernance ainsi que la corruption et la mauvaise gestion des ressources communautaires. Dans cette optique, le développement de la gouvernance contribuerait à la guérison.
  2. Le système politique et économique dans lequel les Autochtones sont contraints de vivre à l'heure actuelle comporte un ensemble inné d'entraves à la guérison durable qui sont susceptibles d'amener les générations subséquentes à adopter certaines habitudes dysfonctionnelles (toxicomanies, violence, etc.) en dépit du fait qu'une génération antérieure aura travaillé très fort pour les éliminer.

Défis sur le plan du financement

  1. Dans le système actuel imposée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada, les bandes, en particulier les plus petites bandes aux moyens limités, disposent d'une faible marge de manoeuvre en ce qui concerne le contrôle financier de leurs propres affaires. L'utilisation de l'argent est strictement réglementée et les conseils ont un pouvoir discrétionnaire limité quand vient le moment de dépenser comme ils le voudraient. Chaque sou de financement provenant du gouvernement est investi dans des programmes spécifiques dont le détail est en grande partie préétabli par Ottawa. Quant aux programmes de guérison, ils sont sollicités à outrance en raison d'un volume de travail impossible à gérer et il n'y a pas d'« argent » pour se procurer les ressources dont on a vraiment besoin.
  2. À cause de la structure de financement actuelle du secteur de la guérison, il est extrêmement difficile pour les collectivités de se sortir d'un mode de gestion de crise pour se consacrer à la guérison et au développement à long terme. Le principal problème réside dans le fait que tous l'argent disponible pour des programmes est surtout destiné à régler un seul problème ou un ensemble bien défini de problèmes, et ce, à court terme.
  3. Ce dont on a besoin, c'est du financement favorisant l'application de mesures et une planification complète à long terme. Ce financement doit permettre d'assurer à la fois la guérison en vue du rétablissement (intervention en cas de crise) et le développement de la santé communautaire (à cette fin, il faut prendre des mesures pour que les gens et les familles aient une bonne santé et qu'ils entretiennent des relations saines, et aussi pour assurer le bon fonctionnement des organismes et assainir la collectivité et la nation). Une telle approche holistique, exhaustive, à long terme et coordonnée exige un leadership axé sur l'intégration et soutenu qui s'exercera durant un certain nombre d'années. L'organisme qui fournit un tel leadership a besoin d'un financement de base durable (et non pas seulement du financement pour des projets) qui permettra à l'équipe de cet organisme d'investir de l'énergie de façon soutenue dans l'accroissement de la capacité de la collectivité à se guérir elle-même et à promouvoir son propre développement.
  4. L'absence d'une vision, d'objectifs et de stratégies de collaboration propres à l'ensemble des programmes dans les collectivités en phase de rétablissement affaiblit l'impact du financement disponible pour des programmes sociaux. La redondance, la mauvaise gestion et le grand manque d'uniformité des services rendent improductif un investissement qui devrait pourtant être fructueux.
  5. Tout comme de nombreux autres programmes de développement sociaux offerts au sein de collectivités autochtones, les programmes de guérison souffrent souvent d'un manque de fonds et d'employés. Il n'y a tout simplement pas assez de ressources pour fonctionner et le personnel travaille trop d'heures pour un salaire trop modeste. On consacre aussi trop de temps à trouver de telles ressources et à rendre des comptes à diverses sources de financement qui ont chacune leurs critères et leurs exigences en matière de production de rapports, dont certaines coûtent très cher à satisfaire. Cet état de chose entrave le travail de guérison dans les collectivités. Il importe que ces programmes soient financés à même de l'argent destiné à des fins non prioritaires et qu'on leur fournisse une assise stable qui leur permettra de poursuivre leurs activités.

La crise chez les jeunes

  1. Une crise sévit chez les jeunes Autochtones et elle semble s'aggraver. Dans de nombreuses collectivités, on constate que si une génération a accompli un parcours de guérison et de rétablissement, les jeunes de la génération suivante semblent vivre dans un état de crise et de dépendance encore plus marqué que ne l'étaient leurs parents.
  2. On s'entend généralement pour dire que ce problème est en train de devenir insoluble et qu'il y a peu de modèles de stratégies complètes qui pourraient servir à assurer le développement des jeunes au sein des collectivités.
  3. Il arrive souvent que les jeunes soient les premiers à se manifester et à demander des changements, après quoi ce sont leur mère et d'autres femmes qui ont le courage d'affronter les problèmes dénoncés qui font souffrir leurs enfants.
  4. La guérison de la collectivité passe par des interventions élaborées auprès des enfants. Le fait de se concentrer exclusivement sur les adultes a pour effet d'accroître considérablement la santé de cette population, mais ceux-ci devront inévitablement se battre pour aider leurs propres enfants qui, parfois, ne souhaitent même pas se pencher sur leurs problèmes. Si l'objectif visé est de guérir la nation, il est primordial que l'on investisse grandement dans la guérison de ses enfants.

PARTIE HUIT: ENSEIGNEMENTS TIRÉS AU SUJET DE LA GUÉRISON EN TANT QUE MOTEUR DE LA RECONSTRUCTION DES NATIONS

Lier la guérison au développement économique

  1. La guérison est indissociable du développement social et économique et de l'édification de la nation. Bien que tout le monde saisisse cela d'un point de vue intellectuel, il appert qu'en pratique, on établit une distinction fonctionnelle, dans la plupart des collectivités, entre les activités de guérison et les travaux liés au développement politique et économique, au logement et même au perfectionnement des ressources humaines (formation et éducation).
  2. Cette orientation donne à penser que la « communauté de la guérison » autochtone a adopté une nouvelle perspective ces dernières années. Dans le cadre de plusieurs études nationales effectuées par Four Worlds, il y a toujours eu quelques personnes dans chaque collectivité qui ont vaguement fait allusion aux liens entre la guérison et le développement communautaire. Or ces liens sont maintenant devenus probants pour tout le monde. Alors que par le passé, il y avait toujours des divergences d'ordre conceptuel dans de nombreuses collectivités entre ceux qui prônaient le développement économique en tant que solution et ceux qui privilégiaient plutôt la guérison, on retrouve maintenant de nombreux chefs de file du secteur de la guérison des collectivités qui pensent que le développement économique et la réforme du système politique constituent des formes de guérison et doivent être favorisés à l'aide de mesures concrètes en tant qu'éléments du processus de guérison.
  3. L'aspect économique, et en particulier la dépendance qu'entretiennent de nombreuses collectivités envers le système d'aide sociale, doivent aussi être pris en considération aux fins de notre analyse de la guérison de la collectivité. Il existe des relations directes et fondamentales entre le manque de possibilités d'accomplir du travail productif, la pauvreté structurelle et le désespoir, d'une part, et entre la capacité qu'ont (ou n'ont pas) des personnes et des collectivités secteur de la guérison. L'une des façons d'y arriver serait de lier directement la guérison au développement économique en collaborant avec les gens du secteur du rétablissement, et ce, afin de mettre sur pied des entreprises qui fourniraient un emploi rémunéré à des travailleurs et un revenu stable (soit les profits de ces entreprises de neutraliser des modes de souffrance et de dysfonctionnement afin de pouvoir ensuite commencer à enclencher des processus de développement constructifs. Lorsque les gens ont assez d'argent pour satisfaire leurs besoins fondamentaux avec dignité et qu'ils peuvent participer à la vie de la société sans honte, certains de leurs besoins pressants en matière de guérison s'en trouvent ainsi comblés.
  4. Il serait grandement nécessaire d'accroître dans une forte mesure le financement de base standard du) aux programmes de guérison.

La nécessité de transformer les structures et les systèmes

  1. Ce qu'il faudrait, c'est créer un système holistique qui fournirait des chemins critiques pour la guérison, la croissance personnelle et l'apprentissage avant de déboucher sur une amélioration sensible de la situation sociale, économique et politique de la personne, de la famille et de la collectivité. En d'autres termes, au fur et à mesure que la santé des gens s'améliore, il faut leur offrir un éventail d'occasions qui leur permettront de mieux se loger, d'accéder à des niveaux supérieurs de sécurité économique et de prospérité et d'accroître considérablement leur capacité (c'est-à-dire leur pouvoir et leur capacité) de participer à la planification et à la création du futur.
  2. La « guérison » ne doit absolument pas être réduite (d'un point de vue conceptuel) à un processus d'élimination de la souffrance et des habitudes dysfonctionnelles. Elle doit aussi englober l'adoption d'un nouveau mode de vie sain et la poursuite de visions et de rêves. Dans la mesure où la guérison consiste à rétablir un équilibre entre une personne et la société après que cet équilibre eut été détruit par des événements passés, ce rétablissement doit être suffisamment important pour redonner à la personne une vie dépassant les exigences minimums liées à un simple état de survie. La « guérison » en tant que moyen de rétablissement doit aussi permettre de réunir les conditions dans lesquelles les gens et leur société pourront exploiter et réaliser leur potentiel humain.
  3. Planifier le rétablissement - La guérison ne se résume pas à un cheminement individuel vers la sobriété ou le mieux-être personnel. Il s'agit aussi de la reconstitution d'une nation, un processus qui ne saurait se réaliser sans efforts systématiques à long terme. Il faut suivre un plan. Un plan de réédification national devrait traiter simultanément de plusieurs questions :
    1. Les rêves et aspirations des gens;
    2. La transformation du système politique actuel;
    3. L'élaboration d'une fondation économique durable;
    4. La réappropriation de la langue et de la culture;
    5. La préparation des futures générations d'enfants. (Pour ne nommer que quelques questions importantes.)
  4. L'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan exhaustif de ce genre nécessite des ressources ainsi qu'un appui soutenu durant un certain nombre d'années. Le fait que certaines personnes ont tenté d'exclure de la définition de « guérison » presque tous les éléments susmentionnés est extrêmement troublant et problématique lorsqu'on l'aborde du point de vue de nations en voie de rétablissement.
  5. Si le processus de rétablissement ne consiste pas à se réapproprier toutes ces capacités collectives perdues (dans le cadre de l'expérience vécue au sein des pensionnats par exemple), alors en quoi consiste-t-il?

Le rôle de la spiritualité et de la culture

Le renouvellement de la spiritualité en général et de formes culturelles autochtones de spiritualité en particulier est un élément essentiel du parcours de guérison des collectivités autochtones. Lorsque des collectivités ont été contraintes de se couper de leurs racines spirituelles durant une période de temps suffisamment longue, le manque de vision et de cohérence qui caractérise la vie communautaire tend à empêcher les gens d'« envisager » des modes de vie autres que celui dans lequel ils sont emprisonnés. Par ailleurs, il a été clairement démontré qu'en ravivant la conscience et les pratiques spirituelles et culturelles des gens, on peut accroître grandement la cohérence et la vitalité d'un processus de guérison d'une collectivité.

PARTIE NEUF: LE PARCOURS DE GUÉRISON INDIVIDUEL

Première étape: le début du parcours

Le parcours de guérison d'une personne débute souvent lorsqu'elle est confrontée aux conséquences incontournables d'une habitude ou d'un comportement qui détruit sa vie, ou qu'elle se sent enfin suffisamment prête à raconter son histoire.

Cette personne a peut-être passé une importante partie de sa vie à nier le côté destructif de ce comportement ou à ne pas en avoir conscience, ou encore à penser que ce comportement lui rapportait plus d'avantages qu'il ne lui causait d'inconvénients. Mais voilà qu'elle se retrouve dans une situation pénible (séjour en prison, démêlés avec la justice, grossesse non désirée, départ du conjoint, congédiement, découragement face à la situation qui perdure, perte du droit de voir ses enfants, décès d'un proche), qu'elle a une prise de conscience ou qu'elle vit un éveil spirituel, et cette situation l'amène à souhaiter que les choses changent. La solution au problème est d'éliminer le comportement destructif. Souvent, à ce moment, la personne concernée entreprendra des traitements ou une thérapie ou se joindra à un groupe d'entraide; il arrive aussi qu'elle tente de s'en sortir seule. Dans un cas comme dans l'autre, le travail de guérison à accomplir sera le même. Il arrive fréquemment que des gens doivent s'y reprendre à plusieurs fois pour amorcer leur guérison, et qu'elles replongent à nouveau malgré tout dans le déni et la souffrance. Lorsque la peur des conséquences est plus grande que la crainte de s'ouvrir et de faire confiance à autrui, ou que les gens trouvent un « refuge » (c'est-à-dire un sentiment de sécurité) dans la relation qu'ils développent avec ceux qui travaillent dans le but de favoriser leur guérison, le parcours peut alors vraiment débuter. Habituellement, la première étape consiste à raconter son histoire personnelle, d'abord pour l'exprimer tout haut et ensuite pour comprendre de quelle façon elle est liée à la souffrance et à la dysfonction que l'on souhaite « guérir ».

Il peut être très difficile d'éliminer le comportement nuisible. Parfois on peut avoir l'impression qu'il sera plus difficile d'y mettre fin que de continuer à se comporter de cette façon. On peut traverser de nombreux cycles de rechute et de rétablissement, voire en devenir la proie durant des années et même toute sa vie. Ce cycle se poursuivra jusqu'à ce qu'on s'attaque aux catalyseurs primaires de ses modes de dysfonction et de dépendance. Deux facteurs se trouvent à l'origine de cet état de chose :

  1. La toxicomanie est habituellement un mode de vie en soi et la plupart des toxicomanes appartiennent à une sous-culture de dépendance. Peu importe que le toxicomane ait commencé à consommer la substance et que ce soit ensuite devenu son mode de vie ou qu'il ait acquis le sentiment d'appartenir à une sous-culture et découvert que la toxicomanie était le prix à payer pour s'y associer, sa vie a commencé à graviter autour d'une culture de dépendance. Dans une telle sous-culture, les besoins humains fondamentaux du toxicomane sont comblés mais d'une façon qui est très dommageable. Ses amis et sa famille, son sens de l'appartenance à son groupe, ses activités, ses habitudes quotidiennes, son régime alimentaire, son rôle social, ses objectifs et son sens de l'ordre, son habillement, son langage, sa vie sexuelle, ses rituels, ses symboles et sa musique, ses moyens de subsistance et plein d'autres choses sont façonnés par la sous-culture de dépendance, et son univers et son identité en dépendent aussi. Arrêter de consommer équivaut à essayer de s'extirper d'un véhicule en mouvement. Non seulement le traitement de la toxicomanie s'oppose-t-il à l'expérience de l'intoxication mais il est nécessaire à l'établissement d'un mode de vie de rechange. De nombreuses personnes se rendent compte de cette dure réalité lorsqu'elles reviennent chez elles après avoir s'être fait soigner dans un centre de traitement.
  2. Lorsque la dépendance a été contrée, on assiste souvent à l'apparition de sentiments traumatiques et d'effets inquiétants. Des sentiments de honte, d'inutilité, de colère, de rage, de peine, de solitude, de culpabilité, de déprime et de tristesse étaient peut-être latents et se sont peut-être intensifiés durant des années. Dès qu'un toxicomane arrête de consommer, il réalise que de tels sentiments dominent sa vie intérieure. Il est également susceptible de vivre des épreuves difficiles : il pourra confronter les personnes qui lui ont fait subir des mauvais traitements, être confronté par ses victimes, devoir accepter sa nature profonde ou sa « vocation » ou encore devoir prendre sa vie en main et assumer la responsabilité de ses actes. Il n'est pas assuré non plus qu'il ait des stratégies d'adaptation pour remplacer son comportement de dépendance. Un cycle pénible pourra en résulter suivant lequel le comportement de dépendance servira à traiter les symptômes provoqués par son interruption ou par la complexité et le stress de la vie quotidienne tout simplement.

Le parcours de guérison est rarement synonyme d'un retour à une vie saine antérieure. Il s'agit d'un rite de passage nécessitant une dissociation de l'ancienne identité, une période d'apprentissage, un encadrement et du soutien, et l'établissement d'une nouvelle identité, de nouvelles habitudes de vie et de nouvelles relations.

Deuxième étape: le rétablissement partiel

À ce stade, la personne s'est presque complètement libérée de sa dépendance mais les catalyseurs qui l'alimentaient sont toujours présents.

À ce stade, il faut lutter pour cerner les origines des traumatismes du passé qui sont responsables de la souffrance et du comportement dysfonctionnel. Ce travail pourra être long et éprouvant mais aussi incroyablement grisant. Le rétablissement est précaire mais il arrive souvent à la personne de ressentir de l'enthousiasme, de l'excitation et une énergie renouvelée. Celle-ci fait quelque chose de sa vie et découvre des aspects de sa personne. Elle a la possibilité de s'installer dans une nouvelle collectivité où elle pourra se faire accepter et qui récompensera sa participation au processus de guérison. De nouvelles possibilités se profilent. Durant cette étape de transition, elle aura besoin de beaucoup de soutien. Bon nombre de ces personnes se joignent à des communautés de guérison de divers types tels que des groupes de thérapie (AA, organismes de traitement communautaires, etc.), des groupes religieux (groupes associés à une église, etc.) ou des groupes axés sur la culture traditionnelle. Au sein de ces groupes, une bonne partie des besoins qui étaient comblés par leur toxicomanie sont satisfaits et si elles le veulent, elles peuvent s'engager complètement et avec entrain dans cette nouvelle « culture » (dans certains cas pour le reste de leur vie). La culture de rétablissement remplace la culture de dépendance.

Troisième étape: la longue traversée

À compter du moment où une personne a durement acquis une certaine forme de stabilité, il lui faut beaucoup de courage, de discipline et de motivation pour continuer à suivre le parcours de guérison.

L'enthousiasme chute, l'ampleur du parcours devient apparente, l'appui d'autrui vient à manquer (« Elle est obsédée par la guérison! »), certaines objections apparaissent (« Pourquoi réveiller le monstre qui dort? ») et, en plus, il faut s'occuper des affaires courantes. Beaucoup de gens cessent leur travail de guérison lorsque leur souffrance devient tolérable ou que leur vie leur paraît gérable. Cette stabilité pourra être dysfonctionnelle dans la mesure où le comportement antérieur n'est plus dominant (« Je suis sobre ») mais la conscience de son origine persiste. Ce comportement pourra aussi se manifester d'une façon moins radicale ou moins destructrice, ou sous la forme de relations malsaines et compulsives avec les gens, le travail, la nourriture, le tabac et le jeu.

Cette étape est, au bout du compte, celle de l'établissement d'une nouvelle identité et d'un nouveau mode de vie, ce qui pourra prendre du temps et se faire lentement. Il y aura peut-être de longues périodes de stagnation, agrémentées par des périodes de croissance et d'évolution. De nombreuses erreurs seront commises et il y aura beaucoup de choses à apprendre. De nouvelles stratégies et habitudes seront mises à l'essai. Certaines passeront le test, d'autres, non. Chaque personne devra emprunter le chemin qui lui convient.

Il n'est pas facile d'effectuer ce parcours seul. De nombreuses choses peuvent aider une personne à persévérer : les expériences de renouvellement, une collectivité attentionnée, des guides et des mentors, la participation à un parcours dirigé (tels que les cycles de cérémonials traditionnels) et l'éducation permanente. La majeure partie du travail accompli n'est pas apparente étant donné que la personne est en train de construire de nouvelles fondations et de cultiver de nouvelles valeurs.

Quatrième étape: transformation et renouvellement

Le parcours de guérison vise, en définitive, à transformer la conscience et à favoriser l'acceptation et la croissance spirituelle.

À cette étape, le parcours ne sert plus à composer avec les démons du passé mais incite plutôt la personne à nourrir une vision plus élevée des choses. Celle-ci est mue par une détermination à construire son existence et la collectivité dont elle fait partie sur des principes créateurs de vie (lois spirituelles, enseignements originels, vertus désirables, etc.). Elle nourrit de la même façon une vision qui la motive et l'engage. L'expérience du moi souffrant régresse pendant que celle du moi universel progresse. Au fur et à mesure que la conscience adhère pleinement à des principes créateurs de vie, l'existence extérieure de la personne subit aussi naturellement de profonds changements. De nouveaux liens se forment. De nouvelles façons de s'exprimer et de rendre service à la collectivité deviennent d'importants éléments d'un mode de vie naissant. À ce stade, il arrive souvent que les gens n'aient plus besoin de la « culture du rétablissement » et leur participation à des activités de « guérison » se met donc à régresser. Cela étant dit, la centration égocentrique associé aux dépendances fait place à une propension - beaucoup plus axée sur l'extérieur - à servir les autres, et une identité personnelle marquée par la dysfonction cède le pas à une identité beaucoup plus riche et profonde, par ailleurs ancrée dans la culture et dans la collectivité.

Partie dix: Les quatre saisons de la guérison communautaire

Contexte

Les consultations que nous avons menées auprès des six collectivités partenaires et les connaissances et expériences accumulées au sein de nombreuses autres collectivités révèlent clairement que le processus de guérison communautaire semble également suivre différents stades ou cycles. Quatre étapes distinctes ont été cernées, à savoir :

Étape 1 : Le début du parcours (le dégel subséquent au long hiver)
Étape 2 : La force d'impulsion s'accroît (le printemps)
Étape 3 : Le blocage (l'été)
Étape 4 : De la guérison à la transformation (l'automne)

Mises ensemble, ces étapes forment une sorte de « balisage » du processus de guérison pouvant servir à la fois à comprendre la dynamique du processus communautaire et à déterminer des mesures et des priorités futures. Mais il faut aussi mentionner d'entrée de jeu que ces étapes ne sont que des modèles approximatifs d'événements complexes de la vraie vie. Elles ne représentent pas « la vérité », mais leur description n'en contient pas moins certaines vérités. Elles ne se déroulent pas, du reste, de façon linéaire et s'apparentent plutôt à des ondes se propageant dans l'eau d'une piscine, chaque nouveau cercle englobant les précédents. Subséquemment à un examen de ce modèle effectué par les six collectivités partenaires, il importe d'insister sur le fait que le cycle identifié pourrait aussi bien s'amorcer au printemps. Ce qui compte, c'est qu'il s'agit d'un cycle.

Au fil de chaque étape, les personnes concernées améliorent leur compréhension et leurs capacités en vue de transformer les conditions existantes. Ce développement est surtout attribuable à un cycle dynamique d'action et de réflexion qui aboutit à un apprentissage.

Étape 1: L'HIVER - Le début du parcours

Cette étape correspond à la crise ou à la paralysie que vit une collectivité. La majeure partie de l'énergie de cette collectivité est canalisée dans le maintien d'habitudes destructrices. Les comportements dysfonctionnels engendrés par l'oppression et les traumatismes intériorisés sont endémiques dans la collectivité, et il arrive que ses membres endossent tacitement le principe voulant que cette situation soit en quelque sorte « normale ».

Dans le cadre d'un tel scénario, l'une ou l'autre des situations suivantes surviendra :

  1. Des personnes clés commencent à remettre le statu quo en question et bon nombre d'entre elles changent radicalement de cap dans leur vie. Leur parcours personnel se caractérise souvent par la prestation de services à leur collectivité; ils commencent à communiquer avec d'autres personnes, à offrir du soutien et à mettre sur pied des activités de guérison et d'intervention en cas de crise. Il arrive fréquemment que ces activités soient entreprises au prix d'importants sacrifices personnels et que des membres de la communauté s'y opposent farouchement.
  2. L'itinéraire du programme est aussi un autre point de départ. Ainsi lorsque les responsables de programmes ou d'organismes existants sont frustrés de ne pas pouvoir atténuer les effets de la crise qu'ils tentent de gérer, ils commencent à collaborer étroitement avec d'autres alliés au sein de la collectivité afin d'élaborer une stratégie d'une plus grande portée. Il arrive souvent que des groupes interorganismes soient mis sur pied et entreprennent de planifier des interventions et des initiatives de type collaboratif.

Ces deux points de départ produisent des effets comparables. La « guérison » finit par être intégrée aux activités de la collectivité. Des groupes dont le « mandat » est axé sur la santé, la guérison, la sobriété, le mieux-être, etc. se forment et commencent à établir les fondations d'une nouvelle réalité, souvent avec l'appui d'organismes ou de personnes de l'extérieur au début. (Certains Aînés jouant un rôle clé et qui gardent vivantes les traditions culturelles sont eux aussi une importante source d'appui et d'inspiration à ce stade.).

Comment ce stade est-il atteint?

Lorsque survient une ou plusieurs des situations suivantes :

Perception au niveau communautaire : quelle est la nature du problème à régler?

Quels types de mesures sont prises?

Quels résultats ont été obtenus et quels sont les indicateurs de réussite?

Quelles contraintes s'exercent?

Qu'apprend-on durant cette étape?

Deuxième étape: LE PRINTEMPS -La force d'impulsion s'accroît

C'est l'étape du dégel, à la faveur de laquelle d'importantes quantités d'énergie sont libérées et des changements visibles et positifs surviennent. Une masse critique semble avoir été atteinte et les velléités se transforment en une puissante pulsion amenant des groupes de gens à amorcer leur parcours de guérison ensemble, poussés en ce sens par les personnes clés qui sont intervenues à la première étape. Cette deuxième étape est souvent excitante. La force d'impulsion s'accroît et il arrive fréquemment que des réseaux d'entraide soient mis sur pied et que l'on réalise des projets d'apprentissage et de formation. Le moral est au plus haut.

De nouveaux modes d'organisation commencent à émerger. Un réseau distinct axé sur la guérison commence à prendre forme et est cautionné par la collectivité, souvent avec l'appui de politiciens. Le processus de guérison devient plus visible par l'entremise de programmes et d'organismes. À ce stade, l'engagement des bénévoles est souvent considérable mais il y aussi des organisations professionnelles qui commencent à prendre part au processus. La perception du « problème » change elle aussi. On passe graduellement d'un modèle de maladie à un modèle de mieux-être, et de la formulation des problèmes à la recherche de leurs causes et des traumatismes fondamentaux sous-jacents.

On nourrit beaucoup d'espoir et d'optimisme à ce stade du processus. Les gens ont l'impression que s'il y a assez de personnes et de familles qui ont la possibilité d'entreprendre le parcours de guérison, le « problème » pourra alors être réglé. Ceux qui dirigent le projet et qui y participent investissent énormément de temps et d'énergie dans le mouvement de guérison de la collectivité. Il y a encore de l'opposition mais celle-ci est généralement éclipsée par l'enthousiasme du mouvement de guérison.

Comment ce stade est-il atteint?

Perception au niveau communautaire : quelle est la nature du problème à régler?

Quels types de mesures sont prises?

Quels résultats ont été obtenus et quels sont les indicateurs de réussite?

Quelles contraintes s'exercent?

Qu'apprend-on durant cette étape?

Troisième étape: L'ÉTÉ - Le blocage

À ce stade-ci, on a l'impression que le mouvement de guérison s'est « heurté à un mur ». Bon nombre des intervenants de première ligne sont profondément fatigués, découragés ou épuisés. Le processus de guérison semblent être bloqué. Bien que de nombreuses personnes aient poursuivi des activités de guérison, beaucoup d'autres semblent avoir été abandonnées en cours de route. On réalise de plus en plus qu'il n'y a pas que des personnes qui ont besoin d'être guéries, mais aussi des systèmes entiers. Il se peut que des initiatives aient déjà été entreprises au sein de ces systèmes (éducation, gestion publique, économie, justice, etc.). Dans certains cas, ces initiatives semblent avoir commencé à s'institutionnaliser; par le fait même, le dynamisme et l'espoir qui s'en dégageaient à l'étape 2 s'estompent. Dans d'autres cas, et bien que les consciences aient commencé à évoluer, de vieux modes de fonctionnement sont perpétués en raison de l'absence de nouveaux modèles et stratégies (qui seraient adaptés à la culture des gens concernés). La lune de miel est terminée; la collectivité s'attelle maintenant à la lourde tâche de transformer des habitudes profondément enracinées et de reconstituer une identité communautaire qui avait été dictée par diverses formes d'oppression et de dysfonctionnement.

On observe souvent un ensemble de paradoxes à la troisième étape, à savoir :

  1. Les relations avec les organisations, organismes et autorités de l'extérieur sont en train de se transformer. Il y a beaucoup plus d'ouverture d'esprit et le climat dans lequel ces relations ont cours a évolué. La disponibilité de services de soutien de l'extérieur est beaucoup plus grande que par le passé. Il est possible, en revanche, que le soutien et la collaboration au sein de la collectivité aient régressé alors que les vieilles habitudes commencent à s'incruster à nouveau et qu'une certaine lassitude face au processus de guérison se fait sentir.
  2. Juste au moment où un nombre considérable d'adultes semblent être devenus sobres et avoir repris le contrôle de leur vie, une nouvelle crise, vraisemblablement pire que la précédente, sembler se déclarer chez les jeunes. La criminalité juvénile augmente. La consommation de drogues remplace la consommation d'alcool (ou s'y ajoute).
  3. De nombreux adultes semblent avoir acquis de nouvelles dépendances depuis qu'ils ont cessé leurs abus d'alcool. Le jeu est en train de devenir un grave problème social tout comme la dépendance aux médicaments sur ordonnance et certains autres comportements liés à l'automédication. Il est aussi en train de devenir évident que l'alcoolisme recelait de nombreuses autres choses et certains secrets concernant la collectivité sont dévoilés. Bien que les gens soient plus sobres qu'avant, la situation semble en fait empirer...
  4. Aux yeux de ceux qui occupent les postes de première ligne, il peut sembler que beaucoup de gens ont « déserté » le mouvement de guérison. De nombreuses personnes ont réduit leur degré d'engagement ou font moins souvent acte de présence que par le passé. Parallèlement, il est possible qu'un groupe de gens dont la santé est relativement bonne soit en train d'émerger au sein de la collectivité, et que ces gens consacrent leurs énergies à leur propre vie ou à celle de leur famille. Maintenant qu'ils se sont affranchis de la « culture de dépendance », ils préfèrent investir du temps dans des activités familiales et vivre leur propre vie plutôt que de se soumettre assidûment à une « culture de rétablissement ».

Ce qui semblait être un mur n'est peut-être qu'un long plateau. Lorsqu'on se trouve sur un plateau, on a l'impression qu'il ne se passe pas grand-chose et que l'on ne va nulle part. Mais en réalité c'est le moment où l'on établit les fondements de tous les progrès à venir. Il ressort clairement, à la réflexion, que d'importants gains ont été réalisés dans le cadre de cette étape. Les normes de la collectivité ont évolué. Ce qui était « mauvais » est moins pire qu'auparavant! Un nombre accru de gens se livrent à des activités constructives. Un nombre accru de gens reçoivent de la formation, s'instruisent et trouvent du travail, et les capacités de la collectivité augmentent. Dans de nombreux cas, une revitalisation culturelle et spirituelle émerge parallèlement au processus de guérison et les deux s'influencent mutuellement.

Au fur et à mesure que la troisième étape progresse, une nouvelle analyse émerge. On commence à se rendre compte que la « guérison » seule ne suffit pas et ne suffira jamais. L'élimination des souffrances du passé n'est pas garante d'un avenir meilleur. On réalise de plus en plus qu'il est nécessaire d'effectuer une décolonisation (des mentalités et schèmes de pensée) et de s'occuper des entraves structurelles au développement (règles du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, racisme, pauvreté, etc.). Les réalités liées aux économies d'échelle deviennent évidentes: le pouvoir d'intervention d'une petite collectivité est limité quand vient le moment de s'attaquer à de tels problèmes.

Comment ce stade est-il atteint?

Certains organismes et initiatives ont vu le jour dans la foulée de l'étape précédente. La guérison devient de plus en plus institutionnalisée au fur et à mesure que la capacité de prestation de services professionnels s'accroît au sein de la collectivité. Le maintien de la participation des membres de la collectivité devient alors un important problème. Le processus est aussi stimulé (mais pas nécessairement de manière ouverte) par le programme d'activités des organismes de financement qui fournissent l'appui matériel nécessaire à la réalisation des initiatives en matière de guérison.

Perception au niveau communautaire : quelle est la nature du problème à régler?

Quels types de mesures sont prises?

Quels résultats ont été obtenus et quels sont les indicateurs de réussite?

Quelles contraintes s'exercent?

Qu'apprend-on durant cette étape?

Quatrième étape: L'AUTOMNE - De la guérison à la transformation

À la quatrième étape, les consciences évoluent considérablement. Du point de vue de la guérison, on passe de la « réparation » à la « construction », et de la guérison de personnes et de groupes à la transformation de systèmes. Les gens ont de plus en plus l'impression que leurs propres systèmes leur appartiennent et que leur aptitude et leur capacité à négocier des relations externes mutuelles et efficaces s'accroissent elles aussi. La guérison devient un maillon du processus d'édification de la nation. Une société civile voit le jour au sein des collectivités et de la communauté autochtone dans son ensemble, et un transfert des responsabilités commence à s'opérer. Le processus de guérison est régi par la société civile plutôt que par les programmes et le gouvernement.

Ceux qui dirigeaient le mouvement de guérison à la deuxième étape arrivent maintenant à une nouvelle étape de leur vie. Ils vont bientôt accéder au statut d'Aîné et leur analyse et leur vision des choses ont évolué et gagné en profondeur. Au lieu d'éteindre des feux, ils pensent maintenant à élaborer des modes de vie sains et nouveaux, et dans nombre de cas, leur famille et leurs réseaux commencent à mettre en application ces nouveaux modes de vie. On commence aussi à chercher des partenariats, des alliances et du soutien en vue du traitement des problèmes de plus grande envergure.

Comment ce stade est-il atteint?

Perception au niveau communautaire : quelle est la nature du problème à régler?

Quels types de mesures sont prises?

Quels résultats ont été obtenus et quels sont les indicateurs de réussite?

Quelles contraintes s'exercent?

Qu'apprend-on durant cette étape?

PARTIE ONZE: RECOMMANDATIONS À L'INTENTION DES COLLECTIVITÉS EN PHASE DE RÉTABLISSEMENT

Dans cette section, nous faisons des recommandations générales découlant de nos observations et conclusions. Certaines d'entre elles sont destinées aux collectivités qui sont en phase de rétablissement et portent essentiellement sur des façons d'accélérer et de prendre en main le processus de guérison de la collectivité à l'intérieur même de celle-ci. D'autres visent les entités de l'extérieur qui appuient le processus de guérison de la collectivité telles que les bailleurs de fonds, les fournisseurs d'assistance technique, les concepteurs de programmes et les décideurs.

Recommandation 1 - Se concentrer sur l'accroissement des capacités des bénévoles

En tant que processus technique et professionnel nécessitant des compétences de niveau avancé attestées et un encadrement professionnel, la guérison n'est pas vraiment considérée, au sein de nombreuses collectivités, comme un processus relevant de ces collectivités ni comme un travail revenant d'abord à des membres et des organismes de ces mêmes collectivités. C'est ainsi que l'on en est venu à s'en remettre de plus en plus à des professionnels et des agences pour régler, en quelque sorte, le problème que représente la guérison de la collectivité.

En fait, il n'y a jamais assez de conseillers dûment formés ni de moniteurs professionnels spécialisés dans les processus de guérison (et il n'y en aura jamais assez). Il y a tout simplement trop de gens ayant besoin de participer à un processus de guérison et la pénurie de sources de financement stables et fiables ne cesse de croître. L'« épuisement professionnel » des intervenants de première ligne, qui est imputable à un volume de travail impossible à gérer, et la difficulté (propre à de nombreuses cultures autochtones) d'avoir des rapports adéquats avec des professionnels, constituent eux aussi de graves problèmes.

Il faudrait, selon nous, que l'on décide sciemment de développer la capacité de membres de la collectivité (c'est-à-dire de bénévoles) à diriger et à assurer la réalisation du processus de guérison. À cette fin, il faudrait que les programmes professionnels soient modifiés de manière que les professionnels ne soient plus les seuls fournisseurs de services de guérison et voient plutôt à développer les capacités de bénévoles clés de la collectivité et à appuyer les conseillers bénévoles, particulièrement en ce qui concerne les problèmes de guérison majeurs ou difficiles à régler.

Recommandation 2 - De la réponse à une crise à l'établissement de nouvelles habitudes de vie

Le terme « guérison » est souvent employé pour désigner le traitement de personnes blessées, la récupération de capacités perdues et la libération de potentialités inhibées. En tant que tel, il s'agit fondamentalement d'une réponse à l'impact de traumatismes. Mais la guérison seule ne suffit pas. Le sujet doit aussi acquérir de nouvelles habitudes de vie, c'est-à-dire s'engager sur de nouvelles voies qui lui permettront d'accéder à un bien-être et une prospérité durable, ce qu'on pourrait appeler le « mieux-être » ou, de façon plus générale, le « développement humain et communautaire ». Il faudrait, selon nous, que les collectivités autochtones en phase de rétablissement modifient sciemment une bonne partie des attributions quotidiennes des travailleurs communautaires professionnels de manière que ceux-ci ne fassent pas que répondre aux crises et guider le processus de rétablissement, maisqu'ils favorisent aussi le développement communautaire (en inculquant par exemple de nouveaux modes de vie aux personnes en phase de rétablissement).

À cette fin, ils devront peut-être accomplir un travail proactif lié à l'éducation et à la formation des adultes, au développement économique, à la réalisation de réformes politiques, au perfectionnement des jeunes, au logement ou à de nombreux autres champs d'intervention. Cela pose un problème d'ordre pratique dans la mesure où personne ne peut être un « spécialiste » d'un aussi grand nombre de domaines. Pour que ce changement survienne, il faudra que les organismes oeuvrant dans les domaines de la guérison et du mieux-être établissent des partenariats constructifs avec d'autres programmes et professionnels de la collectivité.

Recommandation 3 - Élaborer un plan exhaustif de guérison et de développement de la collectivité

Le rétablissement de la collectivité est une entreprise de longue haleine; le chemin à parcourir est très sinueux et l'on ne saurait donc s'y aventurer sans balises.

L'élaboration d'un plan exhaustif de développement et de guérison est l'une des mesures les plus productives qu'une collectivité puisse prendre. À cette fin, il faut procéder à une consultation élargie de la collectivité concernée et dégager un consensus au sujet de « la collectivité que l'on veut » et des mesures à prendre pour bâtir cette collectivité. Un tel processus de planification contribue lui-même à la guérison en établissant des lignes de communication et en donnant aux gens le sentiment qu'ils poursuivent un objectif commun. Un plan bien conçu fera état d'une vision de ce que devrait être une collectivité saine sur les plans personnel, culturel, social, économique, politique, etc.

Il contiendra aussi des éléments tels que :

Un plan exhaustif (visant une période de 5 à 10 ans) est un outil essentiel dont les dirigeants communautaires auront besoin pour mettre au point une stratégie efficace d'amélioration de la collectivité. Ce plan précisera des solutions, décrira des interactions créatives entre les divers programmes et fera état du processus de création de capacités et de l'appui technique requis pour aider la collectivité à se rendre là où elle veut aller.

Nous recommandons que chaque collectivité en phase de rétablissement élabore un plan exhaustif de développement et de guérison (visant une période de 5 à 10 ans). Plusieurs outils et cadres de travail peuvent être utilisés à cette fin (tels que l'évaluation rapide participative [ERP]. Le cadre que nous recommandons est le cadre d'établissement de l'histoire de la collectivité (Community Story Framework), qui s'inspire du cercle d'influences. Ce cadre a été utilisé pour de nombreux processus de planification communautaire partout en Amérique du Nord et dans le reste du monde et s'est révélé extrêmement efficace dans le contexte autochtone.

(Note : Le Community Story Framework peut être obtenu auprès du Four Worlds Centre for Development Learning, P.O. Box 395, Cochrane (Alberta) T4C 1A6. Ce cadre de travail est reproduit dans Recreating the World: a practical guide to building sustainable communities, Four Worlds Press, 2001, ISBN 0-9688233-0-0.)

Recommandation 4 - Fiche de déclaration sur le mieux-être de la collectivité

La fiche de déclaration sur le mieux-être de la collectivité est un moyen efficace d'obtenir un instantané de la collectivité de façon régulière (tous les trimestres, par exemple) en ce qui concerne son mieux-être, les problèmes de guérison et les progrès accomplis.

Si les analyses effectuées aux fins de la préparation de chaque fiche de déclaration sont réalisées par un groupe central de membres de la collectivité qui collaborent étroitement avec ceux qui mettent en oeuvre le processus visant à assurer le mieux-être de la collectivité, elles pourront servir d'évaluation continue des travaux en cours et de stratégie de sensibilisation de la collectivité. En maintenant l'intérêt de cette collectivité, par ailleurs, on se trouvera à appuyer la réalisation des travaux en cours.

Un rapport type contiendra des renseignements pour une période de trois mois (voir exemple plus loin).

Cet exemple de fiche de déclaration n'est qu'une des façons de procéder possibles. Les choses importantes à déclarer sont les problèmes que la collectivité tente ou qu'elle devrait tenter de régler. Si la violence chez les jeunes ou l'intimidation est un problème que l'on essaie de régler, une question devrait s'y rapporter.

Plutôt que d'employer des chiffres, il pourrait être intéressant d'établir un diagramme montrant les creux et les sommets des niveaux.

Nous savons fort bien, du reste, qu'il n'existe pas à l'heure actuelle d'outil adéquat pouvant aider les collectivités à mesurer et à déclarer les indicateurs qu'ils décideront peut-être de soumettre à leurs membres. Nous reconnaissons également qu'il est difficile d'obtenir un résultat précis pour chaque question.

Quoi qu'il en soit, nous croyons qu'il est extrêmement important que les collectivités commencent à se porter garantes de la progression des efforts de guérison communautaire. Autrement, comment pourrons-nous déterminer si nos programmes fonctionnent? Et pourquoi continuer à appliquer des mesures qui ne donnent pas les résultats escomptés? Il ne suffit pas de décrire nos activités (comme nous l'avons fait dans le cadre d'un si grand nombre de réunions, d'ateliers, de cercles de guérison de séances de counselling, etc.) : il faut aussi que nous mesurions les résultats obtenus grâce à nos activités, faute de quoi nous ne pourrons pas améliorer nos programmes et nous ne pourrons pas demander à nos collectivités de s'engager à faire leur part du travail de guérison.

Nous recommandons :

Exemple de fiche de déclaration sur le mieux-être dans la collectivité

PROBLÈME

DERNIÈRE DÉCLARATION

PRÉSENTE DÉCLARATION

COMMENTAIRES

1. % de ménages aux prises avec des problèmes persistants de dépendance à l'alcool et aux drogues

79 %

62 %

Les projets estivaux ont fourni une nouvelle occupation à certains adultes.

2. % de jeunes à risque et ne bénéficiant pas d'un soutien adéquat

84 %

51 %

Les camps en milieu sauvage et les activités culturelles ont fourni de l'emploi à beaucoup de jeunes.

3. % de familles vivant dans des logements beaucoup trop petits et insalubres

45 %

45 %

Pas de changement.

4. % d'adultes en âge de travailler qui sont en chômage et touchent des prestations d'aide sociale

88 %

82 %

Les projets estivaux ont fourni de l'emploi à certaines personnes mais on ne s'est toujours pas occupé du problème de base.

5. nombre de cas d'abus sexuels divulgués et d'agressions sexuelles signalées

0

0

On n'a toujours par reconnu que des abus sexuels avaient cours au sein de la collectivité bien qu'il en soit souvent question lors de séances de counselling.

6. nombre de tentatives de suicides (connues)

4

0

Les ateliers de prévention du suicde et de nouveaux systèmes de jumelage pour les jeunes ont donné de bons résultats.

7. nombre de cas de violence conjugale signalés

6

2

Il y a moins d'alcoolisme et plus de travail, ce qui réduit le stress au sein des familles.

8. nombre de gens participant de cercles de guérison

21

56

Grâce à notre recrutement de juin, les cercles ont accueilli de 30 à 40 nouveaux participants.

9. % de résidents de la communauté engagés dans un parcours de guérison personnel

15 %

26 %

De nouvelles personnes se sont inscrites aux ateliers de gurésion du printemps et de nouveaux cercles de guérison ont attiré certaines personnes.

10. nombre de bénévoles prêts à accomplir tout travail nécessaire

81

126

Les rassemblements estivaux sont toujours populaires auprès des bénévoles mais les résultats annuels globaux sont les mêmes.

Recommandation 5 - Évaluer les progrès accomplis et en faire part aux « parties intéressées»

Nous recommandons que les collectivités en phase de rétablissement et offrant des programmes de mieux-être tiennent de trois à quatre assemblées communautaires tous les ans, à l'occasion desquelles on pourrait réfléchir sérieusement à la question de savoir si le processus d'atteinte du mieux-être progresse, et aussi discuter de nouvelles idées et des prochaines étapes. Ces rencontres régulières rempliraient plusieurs fonctions importantes, à savoir :

  1. Donner l'occasion aux intervenants en mieux-être les plus actifs de remettre le problème de la guérison communautaire entre les mains des membres de la collectivité (en insistant sur le fait que le mieux-être est l'affaire de tout le monde et non pas de seulement quelques travailleurs de première ligne et bénévoles).
  2. Offrir une tribune à ceux qui appuient les processus de développement de la collectivité et du mieux-être pour qu'ils puissent les alimenter avec leurs pensées et leur énergie spirituelle et participer à l'établissement de nouvelles orientations pour des projets futurs.
  3. Fournir aux intervenants en mieux-être un mécanisme à l'aide duquel leurs efforts pourront être examinés et qui leur permettra de profiter de l'appui soutenu de la collectivité.
  4. Fournir un mécanisme à l'aide duquel on pourra assurer une surveillance formelle ou informelle et effectuer des évaluations.

Ce temps d'arrêt consacré à la réflexion est un élément fondamental et nécessaire du travail communautaire. Sans cette réflexion, les programmes communautaires s'apparentent à un rhinocéros qui charge : dès que la bête baisse la tête et commence à courir, elle ne voit plus la cible visée et si celle-ci bouge, c'est foutu! De nombreux travailleurs de première ligne oeuvrant pour le compte de programmes de guérison se sentent épuisés et ont l'impression de manquer cruellement de temps. « Quand trouverai-je donc le temps de m'arrêter et de faire le point? » se demandent certains d'entre eux.

Nous recommandons que les équipes oeuvrant au mieux-être de la collectivité prennent le temps (en le prévoyant à leur horaire) de s'accorder au moins une journée par mois ainsi qu'une retraite annuelle, et d'effectuer quatre consultations communautaires par année.

Recommandation 6 - Positionner la guérison dans d'autres cadres d'élaboration de programmes

La « guérison » peut être financée ou mise en oeuvre sous l'égide d'un programme de « guérison » ou de « mieux-être ». Mais elle peut aussi être intégrée à de nombreux autres types de programmes. Par exemple, la « formation professionnelle » consiste souvent à préparer les gens à bien fonctionner en milieu de travail. Divers problèmes (ne pas venir travailler, arriver en retard, ne pas accomplir les tâches prévues aux accords, entretenir des conflits avec des collègues ou des supérieurs, colporter des ragots ou faire de la médisance et nuire du même coup au moral et à l'unité du personnel) révèlent tous la nécessité d'opérer en soi une guérison.

Nous recommandons que des activités de guérison soient intégrées à plusieurs programmes (perfectionnement des jeunes, santé des Aînés, justice communautaire, programmes scolaires, éducation et formation des adultes, etc.), car il devient ainsi possible d'accroître fortement le nombre de gens que rejoint un projet visant à favoriser le mieux-être de la collectivité ainsi que l'impact du financement destiné à ce genre de projet. Certaines personnes rejettent complètement l'idée voulant qu'elles aient besoin de se soumettre à un processus de guérison et elles évitent méthodiquement tout ce qui est associé à un tel processus. Mais ces mêmes personnes sont souvent prêtes à acquérir une formation en communications, en préparation à l'emploi ou en préparation à la vie active. Le fait de réaliser une opération de maintien de paix dans une école constitue une forme de guérison, tout comme le fait de contribuer au développement de sa famille ou d'éduquer des enfants (tout en adoptant un nouveau mode de vie plus sain). Toutes ces actions comportent un travail de guérison.

Recommandation 7 - Créer des programmes spéciaux visant à répondre aux besoins des enfants et des jeunes en crise

Il est très troublant pour les collectivités qui réussissent depuis longtemps à traiter les problèmes de guérison communautaire de découvrir qu'une forte majorité des membres de la prochaine génération de jeunes Autochtones vivent une crise et donnent très fortement l'impression qu'ils devront répéter bon nombre des erreurs que leurs parents espéraient avoir enfouies dans le passé (pour qu'elles ne soient pas répétées).

Nous craignons que cette situation ne soit que la pointe d'un iceberg imposant et dangereux et que plusieurs des percées réalisées par les collectivités autochtones en matière de guérison durant les années 80 et 90 n'auront vraisemblablement plus d'impact d'ici 10 ans, à moins que des mesures soient prises pour répondre sans tarder aux besoins des enfants et des jeunes en matière de guérison.

Si l'on tient compte du fait que les enfants et les jeunes (de moins de 25 ans) forment entre 50 et 65 p. cent de la population de la plupart des collectivités autochtones; que bon nombre de ces jeunes montrent des signes d'état de crise; et qu'au sein de la plupart des collectivités (exception faite des écoles gravement sous-financées), seule une très petite partie des ressources communautaires (argent, disponibilité de professionnels, immobilisations, etc.) sert à combler les besoins des enfants et des jeunes en matière de développement, si l'on tient compte de tout cela, donc, on se rend compte que les mesures à prendre s'imposent pratiquement d'elles-mêmes.

Nous recommandons donc que les collectivités en phase de rétablissement et les organismes qui appuient et financent les projets visant à favoriser le mieux-être prennent immédiatement des mesures pour élaborer des programmes complets de guérison et de mieux-être destinés aux enfants et aux jeunes des collectivités autochtones. Ces programmes fonctionneront seulement s'ils sont offerts à l'année longue et à long terme (durant une période de cinq ans ou plus) et s'ils sont suffisamment financés pour permettre que chaque enfant et que chaque jeune soit « enveloppé dans une couverture » d'amour, de guérison, d'apprentissage et de soutien. À cet égard, on ne saurait prendre aucun raccourci ni aucune demi-mesure si nous avons vraiment à coeur l'avenir de nos Nations. (Note : Merci au centre de gestion des crises de la nation Squamish pour cette métaphore.)

Recommandation 8 - Mettre sur pied des organismes communautaires légaux non lucratifs

Dans l'ensemble des six collectivités visitées dans le cadre de la présente étude et dans une dizaine d'autres avec lesquelles nous avons récemment collaboré, le système de gouvernance (qui est conforme aux modalités découlant de la Loi sur les Indiens) est perçu comme une sérieuse entrave à la guérison communautaire. Il est très préoccupant, entre autres, de savoir que de nombreuses collectivités tiennent encore des élections tous les deux ans. Le fait de passer d'un groupe de dirigeants favorable à la guérison à un groupe qui s'y oppose pourrait nuire à certains programmes de guérison ou même entraîner leur disparition.

Nous reconnaissons que la guérison de systèmes de gouvernance communautaire sera en partie le résultat naturel d'une situation dans laquelle le mieux-être personnel atteindrait un niveau suffisamment important pour que les gens en santé soient capables d'influencer le processus de gouvernance. Qui plus est, il est maintenant devenu clair que les systèmes de gouvernance dont les collectivités autochtones ont hérité sont essentiellement déficients. De vrais changements seraient nécessaires et les collectivités doivent expérimenter de nouveaux modèles et explorer de nouvelles façons de faire les choses.

En plus des obstacles d'ordre politique, plusieurs contraintes financières ont un impact sur le processus de guérison. Il n'y a jamais assez de financement et les fonds disponibles sont souvent réservés à certaines initiatives à court terme privilégiées par le gouvernement en poste.

Pour ces motifs, nous recommandons que les collectivités autochtones en phase de rétablissement édifient une « cloison anti-intrusion » entre la politique et les programmes courants de développement et de guérison communautaires, et trouvent des façons de financer la guérison et le développement social à même les recettes des entreprises communautaires.

Pour atteindre ces deux objectifs, on pourrait mettre en application une stratégie consistant à créer un ou plusieurs organismes communautaires à but non lucratif et de les enregistrer conformément à la Loi sur les sociétés (les organismes de ce genre peuvent être constituées en société par une province ou par le fédéral, mais il est plus simple de les enregistrer auprès d'une province). Une société de développement communautaire ou une « société de mieux-être et de guérison communautaire » peut recevoir du financement et réaliser des programmes sans avoir de lien de dépendance avec le chef ou le conseil. Certains chefs politiques jugeront peut-être qu'une telle restructuration pourra gruger l'emprise complète qu'ils exercent sur les initiatives communautaires. Quoi qu'il en soit, les collectivités reconnaissent de plus en plus, au fur et à mesure qu'elles guérissent, qu'une nation forte et en santé est formée de nombreuses institutions et organisations (et certainement pas d'une seule) oeuvrant ensemble à la promotion de l'intérêt commun.

Une société de développement communautaire est un type spécial de société à but non lucratif ayant comme mandat de créer des entreprises profitables et d'affecter au moins une partie des profits qu'elles font à la réalisation des objectifs globaux de développement de la collectivité (qui peuvent évidemment englober la mise en oeuvre d'un processus de guérison).

Nous croyons que la mise sur pied et le développement d'institutions de la société civile au sein de collectivités autochtones aura pour effet d'accroître grandement leur capacité de prendre en charge d'importants processus de développement social et économique et de garder ceux-ci actifs en dépit du contexte politique changeant et des sources de financement non fiables et instables.

Dans le meilleur des mondes qu'il soit possible d'imaginer, nous verrions des conseils de bandes créer des institutions de la société civile sans lien de dépendance et collaborer étroitement avec elles, en tant que partenaires, à la réalisation du processus d'édification de nations.

Recommandation 9 - Mettre au point une structure et un processus formels de collaboration inter-organismes

Dans de nombreuses collectivités, des organismes de première ligne ayant comme mandat de servir la collectivité ne travaillent pas ensemble. Cela représente une entrave majeure à l'avancement du processus de guérison communautaire dans la mesure où le traitement des problèmes relatifs à la guérison et au mieux-être fait partie du travail quotidien de la plupart des organismes de services sociaux implantés dans des collectivités autochtones.

Parmi les facteurs expliquant le fait que les professionnels de première ligne et les organismes auxquels ils sont rattachés refusent de collaborer, citons une volonté de marquer son territoire et la concurrence entre les chefs de programmes, les fixations du genre « Ça fait partie de mon mandat! » (par opposition au mandat de quelqu'un d'autre), une tendance à tenir surtout compte des objectifs du bailleur de fonds plutôt que des besoins et de la réalité de la collectivité, et un manque de volonté et de leadership politique se manifestant quand vient le moment d'exiger des organismes communautaires qu'ils intègrent la mise en oeuvre des programmes en un ensemble de soins et de services cohérent.

Comme le processus de guérison communautaire est rattaché à presque toutes les activités des programmes communautaires (jeunes, aînés, services sociaux, éducation, justice, développement économique, etc.), les besoins de la collectivité sont le mieux comblés lorsque les organismes concernés collaborent et s'entraident en vue d'offrir à la collectivité la meilleure gamme de services possible.

Nous recommandons qu'une structure et des processus formels soient mis au point afin de favoriser la collaboration inter-organismes. Voici quelques suggestions concernant la façon dont cela pourrait être fait :

  1. Une structure formelle devrait être créée et prévoir la tenue régulière de rencontres à des moments établis et la désignation d'une personne qui agirait comme agent de liaison et convocateur. Sans l'intervention d'un « intermédiaire », les organismes tendent à rester chacun dans leur coin.
  2. Il n'est pas vraiment possible d'établir une approche commune en matière de collaboration inter-organismes; pour établir une telle approche, il faut que les parties concernées ne partagent une vision et un plan. L'élaboration d'un plan exhaustif de développement communautaire (voir la recommandation 3 plus haut) est un prérequis essentiel. Mais on peut aussi lancer le processus de manière simple en établissant un « plan d'intervention et de services intégrés ». La plupart des organismes professionnels répondent à des besoins et à des crises (c'est à peu près tout ce que font de nombreux organismes). Lorsqu'on planifie le soutien que les organismes s'apporteront entre eux, l'échange de renseignements vitaux et les consultations relatives aux besoins de « clients » servis par plus d'un organisme, et que l'on travaille afin d'éliminer les disparités importantes entre les interventions et les services, il en résulte un éventail de programmes communautaires beaucoup plus cohérent et efficace.
  3. Une collaboration inter-organismes efficace, ça n'arrive pas tout seul! Il suffit qu'une réunion de représentants d'organismes soit convoquée pour que quelqu'un déclare que c'est du « temps perdu » que l'on ferait mieux de consacrer à « notre travail ». Le leadership peut faire une grande différence. Si le chef et le conseil, ou la direction de quelques-uns des plus gros organismes, convoquent tous les organismes et les mettent au défi (ou les somment) de travailler ensemble afin de maximiser l'impact du financement, de partager des occasions de formation et d'améliorer la qualité et l'étendue des services, la plupart des professionnels vont saisir l'occasion de poser des gestes qui feront une différence.
  4. Si le chef et le conseil prenaient une fraction de 30 % du budget de tout le monde et la déposaient dans un fonds commun qui serait géré collectivement par le biais d'une collaboration inter-organismes fondée sur un plan commun (que le « collectif », ou l'équipe inter-organismes, avait été tenu d'élaborer), la possibilité que des organismes de première ligne participeraient de façon significative et soutenue augmenterait considérablement.

Recommandation 10 - Gérer l'aide extérieure

De nombreuses collectivités autochtones ne disposent pas des ressources humaines nécessaires à l'exécution de tous les éléments du travail de guérison et d'accroissement du mieux-être qui doit être effectué. Il arrive donc fréquemment que l'on cherche de l'aide à l'extérieur de la collectivité. Malheureusement, les conditions dans lesquelles la plupart des communautés tentent de recruter cette aide varient énormément et il n'est pas du tout rare que l'on embauche des consultants ou des employés qui n'ont tout simplement pas la formation, la vocation et l'expérience pour faire ce que l'on attend d'eux. De fait, il arrive souvent qu'une collectivité s'attache les services d'un employé ou d'un consultant à qui elle versera un salaire beaucoup trop élevé au regard de son budget et qu'elle se rende compte ensuite que cette personne cause plus de problèmes qu'elle n'en règle.

Certaines pratiques peuvent aider les collectivités à s'acquitter de l'importante tâche que représente la gestion de l'aide extérieure. Nous recommandons aux collectivités de déterminer quelles pratiques parmi les suivantes répondront le mieux à leurs besoins :

  1. Il est bon de consulter un ami fiable au sein de la collectivité pour établir une description écrite du travail à effectuer, les compétences minimums requises et les coûts raisonnables que la collectivité est prête à assumer. (Note : Certains organismes pourront peut-être offrir une aide à cette fin, dont la Fondation autochtone de guérison, Santé Canada, Four Worlds et le Nechi Training Institute.)
  2. Il est essentiel de faire une présélection de candidats. Examiner les c.v. Demander des références et prenez le temps de parler aux personnes les ayant fournies afin de leur demander si elles recommanderaient le candidat pour le poste à combler. Si vous n'arrivez pas à trouver une personne fiable à qui parler à ce sujet, communiquez avec le candidat et demandez-lui d'autres noms. Si vous n'êtes toujours pas sûr, demandez de l'aide (comme en 1. ci-dessus). N'engagez jamais de candidat que vous ne connaissez pas sans d'abord consulter les personnes pouvant fournir des références à son égard.
  3. Préparez un protocole d'entente écrit qui devra être signé par votre organisme et tout candidat que vous décideriez d'embaucher. Ce protocole devrait énoncer en détail le travail à effectuer, les échéances prévues, les attentes en ce qui concerne le mode d'exécution du travail (étapes, produits devant résulter du travail), les prévisions financières (y compris les coûts qui seront absorbés et ceux qui ne le seront pas), une description de ce qui surviendra si l'une des parties ne respecte pas les dispositions du protocole, et des mesures précises qui devront être prises par l'une ou l'autre des parties pour annuler le protocole en cas de mésentente.
  4. Les principes suivants devraient être pris en considération de manière attentive aux fins de la planification d'accords visant à obtenir de l'aide extérieure :
    1. Penser à long terme - La guérison n'est pas un événement ponctuel mais plutôt un processus à long terme. Les efforts consentis continueront-ils à porter fruit après que ce processus à long terme aura été réalisé?
    2. Accroître la capacité - Les aides de l'extérieur fournissent à la collectivité des capacités qu'elle n'a pas. Comment (au moins une partie de) ces capacités pourraient-elles être transférées à la collectivité dans le cadre de cette relation de travail avec des aides de l'extérieur?
    3. Élaborer un cadre de travail - Les aides de l'extérieur sont mis à contribution de façon optimale lorsque la collectivité a un plan, un processus défini et des objectifs clairs qui pourront être réalisés avec le concours de ces aides. Il est difficile de gérer des aides de l'extérieur si leur rôle n'est pas clairement défini dans le plan.
    4. Assurer la continuité - Il faut planifier à l'avance le mode de fonctionnement qui sera mis en application lorsque les ressources de l'extérieur cesseront d'être disponibles. Quels progrès la collectivité aura-t-elle accomplis et sera-t-elle davantage en mesure de continuer à assurer le processus de guérison?

PARTIE DOUZE: RECOMMANDATIONS À L'INTENTION DES PARTISANS ET DES BAILLEURS DE FONDS DE LA GUÉRISON COMMUNAUTAIRE

Recommandation 11 - Fournir un soutien aux équipes d'assistance technique mobiles

Il y a des centaines de collectivités en phase de rétablissement à l'échelle du Canada qui ne peuvent compter sur des ressources humaines ayant la compétence requise pour orienter ces collectivités et leurs programmes durant les étapes cruciales du processus de guérison communautaire. Par-dessus tout, les équipes de travailleurs de première ligne ont besoin d'encouragements réguliers, de capacités accrues et de soutien technique pour être en mesure de répondre à la demande énorme à laquelle ils font face jour après jour.

La présente étude a permis de confirmer à nouveau ce que d'autres personnes avaient observé à de nombreuses reprises et sur des périodes de plusieurs années, à savoir qu'une brève visite de la part d'une équipe technique attentionnée et désireuse d'aider les fournisseurs locaux à améliorer leurs pratiques, peut contribuer à remonter le moral des gens, à consolider les efforts consentis dans le cadre de la prestation des programmes et à accroître les capacités des équipes locales. Ce genre de visite peut aussi aider des équipes qui stagnent à surmonter certains obstacles puis à poursuivre leurs activités afin de bien servir leur collectivité.

De plus, il est clair que même les meilleures équipes locales semblent perdre de vue leur mandat et deviennent désespérées et de plus en plus inefficaces si elles ne reçoivent pas la visite d'une équipe technique de temps à autre. Elles ressentent aussi le besoin, en de telles circonstances, de renouer avec une vision à long terme et de soumettre leur pratique à une analyse réfléchie et axée sur des principes.

Nous recommandons donc que ceux qui appuient et financent la guérison communautaire collaborent à la mise sur pied d'équipes régionales d'assistance technique et de soutien à la direction. Ces équipes devraient être de taille modeste, mobiles et suffisamment financées pour être en mesure de fournir des services à des programmes de guérison communautaire selon le principe de la récupération des coûts (les honoraires et les salaires des consultants seraient payés par les bailleurs de fonds mais les frais de déplacement et d'hébergement seraient assumés par la collectivité hôte).

Recommandation 12 - Former des leaders qui faciliteront la guérison et le développement communautaires

Comme nous l'avons mentionné dans la recommandation qui précède, il y a un manque criant de ressources humaines compétentes ayant la capacité de diriger les processus de guérison et de développement communautaires de manière à favoriser leur réussite. De nombreux postes de cadres (coordonnateurs du mieux-être communautaire, etc.) ne sont pas comblés, particulièrement dans les collectivités autochtones éloignées, tout simplement parce qu'on n'arrive pas, même si l'on recourt abondamment à des publicités, à trouver des candidats pour ces postes. Souvent, les collectivités finissent par sélectionner un candidat n'ayant qu'une partie des compétences requises pour le poste. Dans la plupart des cas, le candidat retenu a la compétence pour donner des consultations individuelles mais n'a ni connaissances ni expérience en ce qui concerne le développement de collectivités autochtones. Et trop souvent, les personnes engagées finissent par devenir un problème de plus plutôt qu'une solution aux besoins de la collectivité.

Nous recommandons ce qui suit :

Un service central d'échange national devrait être mis sur pied afin d'aider les collectivités à trouver et à mobiliser des ressources humaines qui oeuvreront pour le compte de programmes de guérison et de développement de la collectivité.

On devrait aider un consortium de collèges et d'universités à élaborer et à offrir des programmes de formation de calibre mondial qui pourraient être mis en oeuvre régulièrement partout au Canada et qui seraient destinés à des chefs de programmes et des dirigeants communautaires appelés à travailler dans le domaine de la guérison et du développement communautaires. Cette formation devra être prodiguée, pour l'essentiel, dans la collectivité, et elle devra aussi être axée sur la pratique (par opposition à une approche axée sur la théorie) et intégrée aux projets de guérison et de développement en cours.

Le fondement de la recommandation figurant en 2. ci-dessus est le suivant : il n'y aura jamais assez de professionnels provenant de l'extérieur des collectivités autochtones pour accomplir tout le travail nécessaire dans le domaine de la guérison communautaire. Le moment est maintenant venu de se concentrer sur la création de ressources humaines au sein de ces collectivités et il faudra à cette fin que le monde des études supérieures s'adapte à la réalité des collectivités (plutôt que le contraire).

Recommandation 13 - Créer un réseau d'entraide et faire connaître les innovations qui donnent de bons résultats

De nombreux programmes de guérison innovateurs et efficaces sont offerts partout au Canada mais la plupart d'entre eux ne sont connus que d'un petit cercle de professionnels et de collectivités avoisinantes. Il y a par ailleurs des centaines de programmes de guérison qui font face à des difficultés et qui ont désespérément besoin qu'on leur fournisse un système qui fonctionne vraiment. Les responsables de ces programmes aimeraient bien aussi pouvoir parler à quelqu'un qui a affronté les mêmes difficultés qu'eux.

L'utilisation de réseaux inter- collectivités et l'échange d'innovations qui marchent sont des processus puissants et relativement peu onéreux permettant d'accroître grandement l'efficacité des programmes de guérison offerts partout au Canada.

Nous recommandons que ceux qui appuient et financent la guérisoncommunautaire collaborent avec des collectivités hôtes sélectionnées afin de faciliter la tenue régulière de conférences d'échange et d'entraide aux niveaux régional et national.

Ces rencontres devraient surtout donner l'occasion aux représentants des programmes communautaires d'échanger entre eux plutôt que de consister essentiellement (comme cela est habituellement le cas) en des exposés donnés par des professionnels.

En plus des conférences, d'autres possibilités (établissements offrant des cours d'été, groupes de réflexion sur un problème donné, rencontres régionales et nationales où les gens réfléchissent à de nouvelles initiatives en matière de recherche et de programmes) peuvent être exploitées à des fins comparables.

Recommandation 14 - Fournir du financement de base aux programmes établis

L'une des principales entraves à la progression du travail de guérison au sein de plusieurs collectivités réside dans le caractère à la fois imprévisible, instable et irrégulier du financement. La plupart du temps, le financement que les collectivités parviennent à obtenir pour des projets de guérison est destiné à un problème en particulier (toxicomanie, violence familiale, violence sexuelle, etc.) et est censé servir à défrayer l'application d'une solution à court terme (par exemple, former six personnes, organiser deux ateliers communautaires, rédiger un manuel de formation, etc.). Ces projets durent rarement plus d'une année ou deux.

Il serait nécessaire d'attribuer du financement de base aux organismes voués à la réalisation de l'opération à long terme qui consiste à amener leur collectivité à affronter l'éventail complet des problèmes de guérison et à mettre en oeuvre les processus requis à cette fin. Pour l'instant, ces organismes acceptent le « financement de projet spécial » et accomplissent le « travail spécial » tout en tentant d'entretenir la dynamique du travail de guérison à long terme qui doit être effectué.

Ce processus est constamment interrompu en raison des exigences (souvent onéreuses) engendrées par la structure du financement actuel, laquelle comprend des activités telles que la production de nombreux rapports, la réalisation d'évaluations administratives, la recherche de nouvelles sources de fonds, la préparation de nouvelles demandes de subventions, etc. Tout cela mobilise beaucoup d'énergie humaine ainsi que des employés clés qui doivent cesser de se consacrer à la guérison de la collectivité durant une partie considérable de leur temps de travail. De plus, même les meilleurs programmes n'obtiennent qu'assez peu souvent de nouvelles subventions et s'exposent donc constamment à perdre des membres clés de leur personnel, ce qui entraîne parfois l'interruption de travaux importants.

Nous recommandons que de nouvelles modalités de financement soient élaborées par un réseau national de bailleurs de fonds et d'entités qui appuient le processus de guérison des collectivités autochtones, qui aurait comme mandat premier d'offrir des programmes communautaires bénéficiant d'un financement de base assuré pour des périodes de trois à cinq ans et ayant la possibilité de renouveler ce financement grâce à l'excellence des services offerts.

Cette approche devrait mettre l'accent, entre autres, sur l'investissement de ressources dans des programmes modèles qui peuvent non seulement obtenir du succès au sein de leur collectivité mais aussi offrir de la formation et du soutien technique à d'autres programmes communautaires.

Recommandation 15 - Investir dans le développement de la capacité des groupes d'Aînés d'agir comme leaders dans le domaine de la guérison communautaire

Le cercle des Aînés de la nation squamish illustre bien le principe voulant que de belles choses peuvent survenir lorsqu'un groupe d'Aînés établis dans la collectivité, dont plusieurs sont des survivants de première génération du système d'écoles résidentielles, travaillent ensemble à leur propre guérison puis font ensuite profiter leur collectivité du processus de guérison qu'ils ont mis en application. Presque toutes les nations autochtones du Canada nourrissent un profond respect pour leurs Aînés mais peu de collectivités investissent dans des programmes spéciaux destinés à les aider à se guérir, à apprendre et à acquérir la capacité d'assumer les rôles de leaders qui leur sont légués par la tradition.

Il est utile de noter que d'importants obstacles empêchent les Aînés de participer au processus de guérison et de développement de leur collectivité, dont de graves problèmes de santé (dont certains pourraient être plus efficacement gérés ou prévenus si ces gens acceptaient de changer leur mode de vie), le manque de ressources accessibles (transport, communications, information) et le fardeau que représente les responsabilités familiales avec lesquelles de nombreux Aînés (en particulier les femmes) doivent composer. De plus, plusieurs Aînés affirment que la vie qu'ils ont menée ne les a pas toujours préparés à assumer le rôle de leader que leur collectivité veut leur confier et qu'on se trouve à les pousser à remplir un rôle leur offrant peu d'occasions d'apprendre et de se perfectionner, et qui leur demandera aussi d'offrir un soutien spirituel, émotif et culturel dont ils ont eux-mêmes besoin. Ces exigences constituent de vraies entraves à la participation au processus de guérison et il faudra s'en occuper de façon systématique si l'on veut aider les Aînés à développer leurs capacités.

Nous recommandons que ceux qui appuient et financent la guérison des collectivités autochtones collaborent avec des collectivités sélectionnées à l'élaboration et à la mise à l'essai de mécanismes qui aideront les groupes d'Aînés locaux à se transformer en catalyseurs du processus de guérison de leur propre collectivité. (Note : Le Elder Health Manual [Four Worlds Press, 1994] est un outil pratique qu'il est utile de consulter lorsqu'on doit réaliser de telles tâches.)

Recommandation 16 - Créer une nouvelle catégorie de professionnels de première ligne

L'effectif actuel de professionnels d'agences oeuvrant en première ligne au sein de la plupart des collectivités autochtones comprend un large éventail de spécialistes (conseillers spécialisés en toxicomanies (alcool et drogues), thérapeutes oeuvrant auprès des victimes d'agressions sexuelles, travailleurs oeuvrant auprès des jeunes, travailleurs du domaine judiciaire, travailleurs spécialisés dans la protection des enfants, etc.). Chacun de ces travailleurs contribue au résultat d'ensemble et chaque organisme a une spécialité correspondant à l'un des éléments du problème communautaire global.

Il serait bien de pouvoir aussi compter sur les services d'un généraliste qui intégrerait tous ces éléments ainsi que d'un animateur intermédiaire qui s'occuperait principalement de réunir ces éléments en un tout complet.

Une collectivité en santé s'apparente à un corps sain. Tous les membres, organes et systèmes doivent bien fonctionner et aussi fonctionner ensemble. Si l'une des parties du corps cesse de coopérer avec le reste (si, par exemple, le sang arrête de circuler ou la digestion ne se fait plus), c'est tout le corps qui sera peut-être très malade.

Les modes de fonctionnement actuels des organismes de services sociaux et des gouvernements de bandes ont été largement empruntés au monde non autochtone. Les modèles culturels européens font intervenir une tendance à compartimenter les choses (dans des boîtes) plutôt qu'à les voir comme des touts interconnectés (c'est-à-dire des cercles). Chaque programme est donc assorti d'un mandat et d'un système de financement distincts et bien que chacun soit censé servir « la collectivité », il n'existe généralement pas de vision ou de plan commun pour faire le pont entre les divers éléments d'un programme. En règle générale, les travailleurs de première ligne se sentent complètement dépassés par leur volume de travail actuel et n'arrivent pas à s'imaginer comment ils pourraient trouver le temps et l'énergie pour faire le travail de va-et-vient et de création de liens qui est nécessaire à l'établissement de partenariats inter-organismes vraiment efficaces.

Il faudrait pouvoir compter sur les services d'un animateur du développement communautaire qui travaillerait de concert avec les dirigeants de la collectivité et de tous les programmes afin d'en arriver à intégrer les programmes de manière qu'ils se complètent entre eux.

Ce nouveau type de professionnel devrait notamment aider les organismes de première ligne à amener les membres de collectivité à participer aux processus de guérison et de développement. À l'heure actuelle, ce sont les professionnels de première ligne qui tentent d'élaborer les solutions dont la collectivité a besoin, même si la plupart d'entre eux sont convaincus que ces solutions doivent provenir de cette collectivité elle-même.

Nous recommandons ce qui suit :

  1. Ceux qui financent ou appuient le processus de guérison et de développement des collectivités autochtones devraient appuyer la création d'un nouveau poste de professionnel au sein de ces collectivités, à savoir un poste d'« animateur du développement communautaire » (ou quelque chose du genre).

  2. Ce programme devrait faire l'objet d'essais pilotes dans quelques régions de conseils tribaux, ce qui permettrait aux travailleurs de première ligne de mettre sur pied un cercle de soutien à l'action et à l'apprentissage;

  3. Des modules de formation et d'encadrement nationaux devraient être créés afin qu'une formation théorique et pratique en guérison et en développement des collectivités et un soutien permanent à la formation et de type technique puissent être offerts.

Ces professionnels travailleraient à deux niveaux. Il y aurait les praticiens de première ligne et les spécialistes régionaux et nationaux de l'encadrement. Il faudrait offrir de la formation pour l'un et l'autre de ces postes.

Recommandation 17 - Mettre au point des outils et des processus qui serviront à mesurer les résultats des projets de guérison et de développement

Dans la section intitulée « Recommandations à l'intention des collectivités en phase de rétablissement » (partie onze), il est recommandé que l'on élabore et utilise des « fiches de déclaration sur le mieux-être » et des stratégies qui amèneront les collectivités et les programmes de guérison à rendre compte de l'efficacité des initiatives en cours visant à aider la collectivité à accomplir son parcours de guérison.

Fondamentalement, il importe d'établir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et de déterminer pourquoi (voir la recommandation 4). Il est par ailleurs essentiel pour les collectivités en phase de rétablissement de pouvoir compter sur des systèmes de rétroaction qui leur permettront de rajuster leurs stratégies à l'occasion.

Les programmes de « guérison » sont souvent critiqués en raison de l'absence d'un processus rigoureux d'évaluation des résultats, ce qui rend le contrôle de la qualité très difficile (voir Hodgsen et coll., 1997). Cette étude confirme qu'il est possible de mettre au point des indicateurs fiables de la progression et de la réussite. De fait, de nombreux programmes communautaires ont déjà réalisé d'importants progrès dans ce domaine.

Four Worlds a été en mesure de colliger et de valider des données communautaires en ce qui concerne le taux d'occurrence d'abus d'alcool et de drogues, le nombre de jeunes à risque, le nombre de tentatives de suicides et le nombre de suicides, et l'impact des programmes de traitement mobile. Ce que nous avons ainsi appris, c'est que les collectivités ont besoin d'assistance et d'outils techniques qui les aideraient à apprendre ce qu'il faut observer; comment obtenir, enregistrer et sauvegarder des données fiables; et comment recourir à de méthodes et des sources multiples pour accéder à la même information.

Nous recommandons que les bailleurs de fonds et ceux qui appuient le processus de guérison des collectivités entreprennent de réaliser, de concert avec des collectivités en phase de rétablissement sélectionnées, un projet de recherche et de développement de méthodes d'« évaluation des résultats obtenus en matière de guérison ».

Ce projet devrait viser à mettre au point des indicateurs, des stratégies et des outils de mesure fiables dont les collectivités pourraient se servir pour juger de la progression du processus de guérison de collectivités en général ainsi que des résultats précis obtenus grâce aux stratégies, méthodes et initiatives en matière de guérison en particulier. Nous ne sommes cependant pas sans savoir que l'approche de la « taille universelle » ne convient pas vraiment, de fait, à tout le monde : la situation de chaque collectivité et les types d'interventions qui y sont réalisées lui sont propres et il y aura toujours des différences d'une collectivité à l'autre. C'est pourquoi il faudra, chaque fois que l'on crée une initiative, penser à la doter de mesures et d'outils qui peuvent être adaptés à toutes sortes de situations, et cet objectif pourrait être atteint grâce à l'adoption d'une approche participative en matière de recherche.

Nous estimons que l'introduction graduelle de mesures d'évaluation des résultats, de procédés de contrôle de la qualité (au moins au sein des programmes) et de stratégies qui permettront de fournir une rétroaction aux collectivités, aura pour effet d'accroître grandement l'efficacité des initiatives en matière de guérison de collectivités autochtones qui ont cours partout au Canada.

Recommandation 18 - Créer un réseau de relations afin d'être en mesure d'offrir un « soutien »

Ceux qui essaient d'appuyer la mise en oeuvre des processus de guérison communautaire tout en appliquant le point de vue d'organismes de financement ou de soutien technique tendent à associer le mot « soutien » aux ressources et aux services que leur organisme fournit. Mais la présente étude a permis d'établir que l'on peut accroître grandement l'efficacité du soutien extérieur aux processus de guérison et de développement des collectivités par l'entremise de certaines personnes que l'on connaît.

Cela signifie, pour l'essentiel, que les membres du personnel professionnel des programmes doivent aller au-delà de l'orientation du programme (qui a tendance à renvoyer, tel un miroir, la pensée et le cadre de travail qui la forment) et agir comme des êtres humains entretenant des relations avec d'autres êtres humains qui s'intéressent à des questions qui les concernent collectivement.

Pour ce faire, habituellement, il faut se rendre dans la collectivité, passer du temps avec les gens, se faire des amis et écouter beaucoup. Pour soutenir les gens, il faut être là à leurs côtés pendant qu'ils se battent pour faire progresser les processus de guérison et de développement. En pratique, cela signifie qu'il faut entretenir des rapports à un niveau personnel en téléphonant, par exemple, à des travailleurs communautaires pour leur demander si les choses se passent bien. Chose certaine, il ne faut surtout pas limiter les interactions aux « affaires » concernant les objectifs, les rapports et les activités liés aux programmes.

Ce que nous disons ici, essentiellement, c'est que la qualité des interactions entre les professionnels et les établissement, d'une part, et les programmes de guérison communautaire, d'autre part, augmente considérablement lorsque ces interactions se fondent sur des contacts personnels directs et des relations personnelles soutenues.

Nous recommandons que les bailleurs de fonds et ceux qui fournissent une aide extérieure aux processus de guérison trouvent le temps et l'argent nécessaires à l'établissement des relations personnelles sans lesquelles tout « soutien » ne saurait être réel et efficace. Un tel investissement aurait pour effet d'accroître grandement la qualité des services que les professionnels et leurs organismes sont en mesure d'offrir.

Recommandation 19 - Investir dans les intervenants clés (et non seulement dans les programmes)

La majeure partie du financement sert à appuyer la prestation de programmes dont la réussite dépend vraiment des gens qui les offrent. Ces gens sont les héros obscurs du mouvement de guérison autochtone. Leur engagement persiste souvent durant des années voire des décennies. Ils s'exposent habituellement à l'épuisement professionnel et à la misère financière ainsi qu'à une marginalisation croissante, à cause de l'ampleur du travail qu'ils accomplissent et de l'instabilité des modalités qui le régissent, sans parler des reproches et des attaques verbales qui leur sont constamment adressés par ceux qui s'opposent au travail de guérison.

Et pourtant, sans eux, le mouvement de guérison communautaire n'existerait même pas. Des années de travail seraient gaspillées et mises en péril. Et même les programmes les mieux conçus n'auraient aucune chance de réussir.

C'est pourquoi nous recommandons que les bailleurs de fonds et ceux qui appuient le mouvement de guérison des collectivités autochtones élaborent des trains de mesures qui appuieront directement les efforts d'intervenants clés qui sont les meneurs et les innovateurs reconnus du mouvement de guérison communautaire.

Voici quelques exemples de personnes qui devraient jouir d'un tel appui :

Les gens qui sont à l'oeuvre à long terme, c'est-à-dire qui font du travail de guérison depuis plusieurs années et qui vont vraisemblablement continuer à oeuvrer dans ce domaine.

Les gens ayant démontré leur capacité de mobiliser leur collectivité.

Les gens qui veulent continuer à apprendre et à se perfectionner d'un point de vue professionnel.

On pourrait par exemple, dans le cadre d'un cycle d'investissement, offrir de bons salaires à ces personnes ainsi que des avantages sociaux pour des périodes de trois à cinq ans, et le tout serait renouvelable tant et aussi longtemps que ces personnes demeurent efficaces. Ces investissements seraient fondés sur la prémisse voulant que de bons employés font bouger les choses de façon positive.

Divers autres types de soutien pourraient être offerts aux personnes sélectionnés pour ce type de programme, dont les suivants :

Assistance technique aux fins de l'obtention de financement pour des programmes et de l'amélioration des pratiques mises en oeuvre dans le cadre de ces mêmes programmes.

Activités annuelles de revitalisation et de rajeunissement de l'effectif.

Éducation permanente/création de capacités.

Participation à un réseau d'entraide national.

Voyages (ceux-ci permettraient aux employés d'apprendre et d'élargir leur vision).

Cet investissement recommandé dans les capacités des employés clés ne vise pas à remplacer le financement des programmes mais servirait plutôt à fournir des employés efficaces aux programmes établis, dans la mesure où le recours à de tels employés permet de trouver des solutions et que cela représente une stratégie clé pour assurer la réussite des programmes communautaires.

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