Comprendre le rôle de la guérison dans les collectivités autochtones
par Marcia B. Krawll
CA 10 APC (1994)
Juillet 1994
Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l'auteur et des participants et n'engagent pas nécessairement le ministère du Solliciteur général Canada.
Table des matières
- RÉSUMÉ
- CHAPITRE I. INTRODUCTION L'OBJECTIF DU RAPPORT :
- CHAPITRE II. MÉTHODE
- CHAPITRE III. QU'EST‑CE QU'UNE COLLECTIVITÉ SAINE?
- CHAPITRE IV. LE PROCESSUS DE GUÉRISON UN PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE
- CHAPITRE V. QUAND UNE COLLECTIVITÉ EST‑ELLE PRÊTE À AMORCER UN PROCESSUS DE GUÉRISON? QUI LE DÉTERMINE ET DE QUELLE FAÇON?
- Déterminer si une collectivité est prête
- Conscience des problèmes
- Motivation au changement
- Volonté de prendre des responsabilités
- Qui détermine qu'une collectivité est prête?
- Rôle du «groupe central» de la collectivité
- Le rôle des gouvernements extérieurs
- Mise en garde à propos de l'évaluation de l'état de préparation de la collectivité
- Conclusion
- CHAPITRE VI. PROCÉDER AU CHANGEMENT : COMMENT S'AMORCE LE PROCESSUS DE GUÉRISON?
- CHAPITRE VII. LA GUÉRISON COMMUNAUTAIRE : VICTIMES ET DÉLINQUANTS
- Travailler auprès des victimes et des délinquants
- Questions relatives aux programmes
- Traitement du délinquant
- Trouver le juste milieu entre l'indulgence et la sévérité
- Protection des victimes
- Assumer ses responsabilités ... Prendre les choses en mains
- Soutien communautaire pour les victimes et les délinquants
- Restaurer l'équilibre et donner à la collectivité le pouvoir de décider
- CHAPITRE VIII. DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE ET PROCESSUS DE GUÉRISON
- CHAPITRE IX. QUEL RÔLE LE GOUVERNEMENT DOIT-IL JOUER ET DE QUELLE MANIÈRE?
- Nécessité de reconnaître les différences dans les perceptions fondamentales
- Comment doit s'effectuer le travail des gouvernements auprès des collectivités autochtones?
- Écouter et observer
- Établir le dialogue
- Remettre en question les attitudes
- Apporter du soutien sans s'imposer
- Souplesse accrue dans l'exercice des mandats
- Nouvelles façons de voir les «résultats» ... Nouvelles façons De communiquer les résultats
- Nécessité d'augmenter les compétences
- Retenir dans la collectivité les gens possédant des compétences
- Étapes du processus gouvernemental
- Financement gouvernemental
- Rôle suggéré pour le ministère du solliciteur général et d'autres organismes du secteur de la justice
- Préparation des collectivités : questions que les Gouvernements pourraient se poser
- Développement communautaire : autres questions que Les gouvernements pourraient se poser
- CHAPTER X. CONCLUSION
RÉSUMÉ
Dans le présent rapport, nous tentons d'établir une définition du terme «guérison» à laquelle puissent se rallier à la fois les membres des collectivités autochtones et les représentants non autochtones des gouvernements. Ce terme est utilisé fréquemment, mais peut‑être n'est‑il pas bien compris. On l'emploie pour désigner certains événements positifs qui se déroulent dans les collectivités autochtones du Canada et d'ailleurs.
Voici les trois objectifs de notre projet :
- Établir une définition de base de ce qu'est la guérison dans les collectivités autochtones;
- Décrire les démarches de guérison qui sont en cours ou en train d'être conçues et qui intègrent les délinquants dans le processus;
- Formuler des recommandations quant au rôle que pourraient jouer et aux stratégies que pourraient adopter les gouvernements pour appuyer le processus de guérison dans les collectivités autochtones.
Le chapitre II décrit la façon dont l'étude a été effectuée. Le rapport est fondé sur des entrevues en profondeur qui ont été réalisées auprès des membres de cinq collectivités autochtones du Canada et auprès de représentants des gouvernements provinciaux et fédéral. En tout, 121 entrevues en personne ont été menées. En outre, des contacts ont été établis par téléphone et par courrier avec des membres de trois autres collectivités autochtones. Pour rendre l'analyse plus vivante, nous avons reproduit de nombreux passages des réponses recueillies auprès des personnes interrogées.
Le chapitre III décrit ce qu'est une collectivité saine ou en voie de guérison. Plusieurs aspects du processus de guérison se retrouvent dans un concept qui est probablement mieux connu des non‑Autochtones sous le nom de développement communautaire. L'auteur suggère que le langage et le processus du développement communautaire peuvent aider les gouvernements à comprendre ce que les Autochtones veulent dire lorsqu'ils parlent de «guérison».
Les participants autochtones et non autochtones ont souvent mentionné les mêmes aspects d'une collectivité saine ou d'une collectivité qui a amorcé un processus de guérison, à savoir : la participation aux activités communautaires; la confiance, la sollicitude et le partage parmi les membres de la collectivité; les bons exemples donnés aux enfants et la transmission de la sagesse entre les générations; l'ouverture d'esprit et la communication entre les membres de la collectivité, sans reproches et sans honte; les attentes claires à propos des rôles de chacun et l'acceptation de responsabilités par tous; le sentiment d'appartenance et la sensibilité aux autres qui favorise des partenariats sains et une action collective.
Le chapitre IV examine le processus de guérison. Tous reconnaissent que la guérison est un phénomène très complexe qui est difficile à définir. Il n'en existe pas de définition unique. Toutefois, les participants laissent entendre que le processus de guérison comporte trois aspects clés : il commence à l'intérieur et se poursuit à l'extérieur, s'amorçant souvent à l'intérieur de l'individu et se poursuivant au niveau de la famille, puis de la collectivité; pour être réussi, il doit s'adresser à tous les aspects de la vie simultanément et les maintenir en équilibre; il peut commencer par une série de programmes comme des activités de counseling en matière de toxicomanie, mais il doit se transformer en un processus holistique auquel participe toute la collectivité et qui représente plus que la somme des parties.
Dans le chapitre V, on examine à quel moment la collectivité est prête à guérir. Il est important de pouvoir reconnaître le moment où une collectivité est prête, car c'est à ce moment-là qu'il est essentiel de lui apporter un soutien et d'éliminer les obstacles inutiles au développement. Voici les signes qui peuvent nous renseigner à ce propos : les gens reconnaissent les problèmes, sont motivés à changer et sont disposés à prendre des responsabilités. Dans ce chapitre, on se demande aussi qui devrait déterminer le moment où une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison. C'est la collectivité elle‑même qui devrait le faire, mais il n'est pas réaliste de croire que tous les membres d'une collectivité seront d'accord sur le moment où la collectivité sera prête. Souvent c'est un groupe central de la collectivité qui reconnaît que la collectivité est prête et qui entreprend des activités amorçant le processus de guérison.
Le chapitre VI présente certaines des activités qui permettent d'amorcer le processus de guérison. La vision de la collectivité se cristallise, les gens passent de la conviction qu'un changement peut survenir à un processus d'action; il y a auto‑examen, soutien de la collectivité et débuts d'un voyage spirituel; un groupe de personnes entreprennent des activités pour favoriser le changement et les gens reconnaissent la valeur de ce qui est déjà en place dans la collectivité et commencent à bâtir sur ces acquis d'une façon naturelle.
Le chapitre VII présente les façons dont une approche de guérison peut s'appliquer dans le cas des victimes de crimes et des délinquants. De nombreux membres des collectivités ont suggéré qu'une approche de ce genre peut répondre efficacement à certaines préoccupations au sujet du système de justice pénale et constituer une réponse idéale de la collectivité au crime :
- on s'attaque aux problèmes de la victime et du délinquant, sans concentrer ses efforts sur les uns en oubliant les autres;
- les victimes et leurs familles, souvent considérées comme les «oubliés» du système de justice pénale, sont soutenues et protégées dans un modèle de guérison qui considère tous les membres de la collectivité comme des éléments essentiels et interreliés d'un tout;
- en fait, l'approche de guérison cherche à réparer les dommages causés par l'infraction et à s'attaquer aux causes profondes de celle-ci, dans l'ensemble de la collectivité et pour tous les membres de la collectivité qui sont touchés;
- l'approche de guérison peut aussi agir beaucoup plus rapidement que le système de justice pénale, dont la lenteur peut «déchirer les familles»;
- la guérison peut modifier plus directement et plus efficacement le comportement du délinquant que, par exemple, l'imposition d'une peine d'emprisonnement, qui n'est souvent rien de plus qu'une punition;
- par ailleurs, la guérison peut s'avérer une expérience difficile et pénible pour les délinquants, qui doivent faire face à leurs responsabilités et à leurs problèmes;
- une approche de guérison aide aussi le délinquant à réintégrer la collectivité avec succès, ce qui est rendu plus difficile par l'approche traditionnelle du système de justice pénale;
- la guérison des victimes et des délinquants peut avoir des avantages pour l'ensemble de la collectivité, en rétablissant l'équilibre de la collectivité et en montrant à celle‑ci qu'elle peut élaborer ses propres solutions et les mettre en oeuvre.
Le chapitre VIII examine certains aspects sous lesquels la «guérison» peut être considérée comme un processus de développement communautaire. On suggère des façons dont les intervenants de l'extérieur peuvent apporter leur soutien au processus, tout en soulignant que la collectivité doit garder le contrôle de la situation. On suggère aussi de nouveaux moyens d'évaluer les répercussions de la guérison; ces répercussions ne se font pas sentir rapidement, elles sont complexes et profondes et ne peuvent donc être saisies par certaines des mesures du changement couramment utilisées. Le facteur de guérison qui est peut‑être le plus important est que les gens prennent la responsabilité de leur collectivité.
Le chapitre IX présente certaines des façons dont les programmes et méthodes des gouvernements non autochtones pourraient être mieux adaptés au processus de guérison des collectivités et l'appuyer davantage. L'un des plus gros obstacles est que les limites étroites de nombreux programmes gouvernementaux nuisent aux approches holistiques qui visent à traiter l'ensemble de la personne, l'ensemble de la famille et l'ensemble de la collectivité. Certains des actes les plus utiles, de la part des gouvernements, consistent à reconnaître les similitudes et les différences au moyen d'un dialogue ouvert, à donner du soutien plutôt qu'à être directifs, et à fournir de la formation. Avant tout, l'aide des gouvernements devrait viser à appuyer les efforts soutenus et intégrés de la collectivité et à augmenter les compétences et les ressources des membres de la collectivité de sorte qu'ils puissent poursuivre le processus de façon autonome une fois que le financement gouvernemental aura pris fin.
CHAPITRE I. INTRODUCTION : L'OBJECTIF DU RAPPORT : ÉTABLIR UNE DÉFINITION COMMUNE DU MOT «GUÉRISON »
Il y a plusieurs années, lorsque j'habitais dans le Nord, j'ai dû aller consulter un médecin à l'hôpital. J'en suis ressorti avec un grand sac rempli de médicaments. J'avais dit au médecin que j'avais mal à la tête. Il m'a prescrit des pilules. J'ai ajouté que j'avais des problèmes avec mes sinus; il m'a prescrit d'autres pilules. Lorsque je lui ai dit que j'avais mal à la gorge, il m'a prescrit des pastilles. Quand il m'a entendu tousser, il m'a prescrit encore d'autres médicaments. Enfin, lorsque je lui ai dit que j'avais mal au ventre, il m'a prescrit un liquide qui ressemblait à du lait, mais qui avait très mauvais goût. Heureusement que je n'ai pas eu à payer tous ces médicaments!
Ce n'est pas là ce que j'appelle guérir quelqu'un. S'il m'avait demandé pourquoi j'étais si mal en point, je lui aurais probablement répondu que j'avais bu chez un ami et que je m'étais promené dans le village sans mettre de manteau. Nous étions alors en février. Je crois que le médecin aurait été un meilleur guérisseur s'il m'avait convaincu de ne plus boire ou, du moins, de ne pas me promener à moitié habillé en plein hiver. Il avait peut‑être réglé mes problèmes de santé à ce moment‑là, mais ceux‑ci sont réapparus régulièrement jusqu'au jour où je me suis assagi et où j'ai changé de comportement.
Je constate que les gouvernements agissent souvent comme mon médecin. Quand ils voient un problème dans nos collectivités, ils essaient de le régler au moyen d'un programme ou d'un service qui vise uniquement ce problème. Quelques années plus tard, nos collectivités ressemblent au malade que j'étais. Elles ont un grand sac rempli de programmes et de services qui ont été conçus pour répondre à des problèmes précis, mais qui ne sont pas nécessairement coordonnés et qui ne s'attaquent pas aux causes profondes des problèmes.
Dans bien des cas, nos collectivités ont approuvé cette façon de faire dans le passé. Lorsqu'une collectivité a de nombreux besoins, toute solution semble meilleure que le statu quo. Très souvent, les gouvernements nous laissent entendre que «c'est à prendre ou à laisser», de sorte que nos collectivités n'ont pas la possibilité d'adapter les services à leurs besoins particuliers.
Je crois que les choses sont en train de changer dans de nombreuses collectivités, où l'on s'est aperçu que, même si l'on a un sac plein de programmes, le taux de suicide continue d'augmenter, de même que les agressions sexuelles, et personne n'y peut rien. Ces collectivités commencent à prendre leur avenir en main et à dire que nous devons trouver les causes de nos maladies, en tant qu'individus et en tant que collectivités, et guérir ces maladies avec les moyens que nous jugeons appropriés. Ainsi, elles secouent leur sac de médicaments et s'assurent que ceux-ci donnent les effets désirés et qu'ils vont bien ensemble. Les gouvernements ont été invités à participer à cette nouvelle démarche, mais les collectivités ont bien précisé que si les gouvernements ne veulent pas ou ne peuvent pas participer au processus de guérison, il serait préférable qu'ils s'écartent et laissent la voie libre.
Le terme «guérison» est souvent utilisé aujourd'hui lorsqu'on parle des Autochtones et de leurs collectivités. Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, ce terme n'est pas compris par tous de la même façon. Néanmoins, il est important d'essayer de clarifier cette notion afin d'en arriver à établir une définition commune. Les Autochtones et les gouvernements (autochtones et non autochtones) qui travaillent avec eux ont tous un rôle à jouer dans le processus de guérison.
Nous tenterons donc de donner au lecteur un aperçu de ce que les Autochtones entendent par «guérison», d'établir une définition de ce terme et de jeter les bases d'un langage commun qui permettrait aux gouvernements et aux collectivités autochtones de discuter utilement de la guérison. Nous encourageons le lecteur à réfléchir à sa propre définition de la «guérison». Les perceptions et attitudes varient selon les personnes, d'où la nécessité de respecter les interprétations et l'expérience des autres si l'on veut accroître les possibilités de créer des partenariats durables entre les gouvernements et les Autochtones.
Voici donc les trois objectifs de notre projet :
- Établir une définition de base de ce qu'est la guérison dans les collectivités autochtones et examiner les différentes façons dont les collectivités comprennent cette notion.
- Décrire les démarches de guérison qui sont actuellement en cours ou en train d'être conçues et qui intègrent les délinquants dans le processus.
- À la lumière de ce double examen, formuler des recommandations quant au rôle que pourraient jouer et aux stratégies que pourraient adopter les gouvernements, et en particulier le ministère du Solliciteur général du Canada dans le cadre des services correctionnels, pour appuyer le processus de guérison dans les collectivités autochtones.
Nous avons soulevé des questions fondamentales dans l'espoir que soient entreprises des études plus détaillées sur le processus de guérison et sur le rôle possible des gouvernements dans ce processus, et afin de favoriser le dialogue sur ces sujets. Il s'agissait aussi de faire ressortir la complexité de la notion de guérison en montrant qu'il n'est pas facile de définir ce terme et de déterminer les facteurs qui sont liés au processus de guérison.
Durant toute la série d'entrevues, les collectivités qui avaient été choisies pour le projet ont fait preuve d'empressement à collaborer et ont manifesté leur intérêt à l'égard des objectifs poursuivis. Les commentaires et les énoncés des répondants mettent en lumière leur désir de guérir leurs collectivités et leur volonté de participer ouvertement à une nouvelle étude du gouvernement.
Notre tâche, qui consistait à rallier les membres des collectivités autochtones et les non-Autochtones à une définition commune de la guérison, n'était pas facile. La rédaction du rapport présentait aussi une difficulté : prendre une information qui avait été souvent communiquée sous forme de contes et de paraboles et la présenter sous une forme plus linéaire et analytique qui serait comprise par les non‑Autochtones. Nous avons donc tenté de combiner ces deux styles de communication tout au long du rapport.
La coordonnatrice du projet tient à remercier ceux qui y ont participé dans un esprit de collaboration, avec pour but commun des collectivités saines et responsables.
CHAPITRE II. MÉTHODE
Pour la présente étude, nous avons interrogé des membres de collectivités autochtones, ainsi qu'un petit groupe de fonctionnaires, sur la question de la guérison. Les collectivités autochtones qui ont été choisies pour l'étude avaient déjà entrepris une démarche concrète de guérison. Nous n'avons pas essayé de présenter le point de vue ou l'expérience de toutes les collectivités autochtones ou de tous leurs membres, mais plutôt de déterminer certains modèles ou notions philosophiques communs à ces collectivités en ce qui concerne la guérison et le processus de guérison.
Des visites ont été effectuées dans cinq collectivités autochtones au cours d'une période de quatre mois. Parmi ces collectivités, la Première nation de Nuxalk (Colombie‑Britannique), la Première nation deHollow Water (Manitoba) et la Nation des Nisga'a (Colombie‑Britannique) ont été désignées comme participantes principales à l'étude. Par conséquent, des entrevues y ont été menées lors de deux visites distinctes. Dans les collectivités de la Première nation de Grassy Narrows (Ontario) et de la Nation des Gitksan Wet'suwet'en (Colombie‑Britannique), les entrevues ont été effectuées au cours d'une seule visite. Enfin, nous avons communiqué par téléphone et par courrier avec la collectivité d'Iqaluit (Nunavut) et la Première nation de Conne River (Terre‑Neuve), ainsi qu'avec une collectivité qui a demandé à ne pas être nommée.
La collectivité qui a demandé à ne pas être identifiée a fait cette demande parce qu'elle estimait que les réponses données par ses membres pourraient être «jugées d'avance» par le lecteur, étant donné que cette collectivité a fait l'objet d'une couverture médiatique importante dernièrement. Si elle restait anonyme, le lecteur pourrait aborder l'information plus objectivement.
LE PROCESSUS D'ENTREVUE
Toutes les collectivités choisies pour l'étude étaient connues de la coordonnatrice du projet. Cependant, il fallait absolument que le projet soit officiellement présenté et accepté selon les voies de communication établies par la collectivité. La coordonnatrice a donc communiqué avec des membres de chaque collectivité pour demander de quelle façon elle devrait procéder. Une fois les voies de communication identifiées, une lettre décrivant le projet a été envoyée aux huit collectivités. Toutes ont accepté de participer à l'étude. Cependant, en raison de contraintes budgétaires, les membres de trois de ces collectivités ont dû être interrogés par la coordonnatrice du projet par téléphone ou par courrier. La participation limitée de ces trois collectivités montre qu'il serait nécessaire, dans tout projet de cette nature, de disposer de ressources suffisantes pour que les membres de chaque collectivité soient interrogés sur place lors d'au moins deux visites de quatre jours. Même si ces collectivités acceptaient de mener un processus d'entrevue interne, il s'est avéré difficile pour elles de trouver sur place des personnes qualifiées et disposées à effectuer des entrevues sans compensation financière puisque, dans chaque cas, les personnes en vue avaient d'autres obligations dans la collectivité.
Au cours du projet, deux visites, d'une durée totale de dix jours, ont été effectuées auprès de la Nation Nuxalk (Bella Coola), de la Première nation de Hollow Water et de la Nation des Nisga'a. Le fait de retourner une deuxième fois dans la collectivité offrait plusieurs avantages : on montrait aux gens que l'on prenait un intérêt sincère à écouter ce qu'ils avaient à dire; d'autres personnes ont offert de répondre aux questions de la coordonnatrice, une fois la confiance établie; la coordonnatrice du projet a apporté des modifications au questionnaire entre les deux visites dans le but d'obtenir des répondants des informations plus précises sur le processus de guérison; enfin, les répondants ont pu ajouter des détails à ce qu'ils avaient déjà dit, ce qui a favorisé une plus grande participation et un échange plus fructueux.
Le principe de cette approche était que les collectivités devaient participer pleinement au processus si on voulait que l'information nécessaire à l'étude émane de la «compétence» des membres de la collectivité. Pour que les collectivités soient effectivement des partenaires à part entière, il fallait qu'elles puissent participer à toutes les étapes du projet. On leur a donc demandé de décider si elles voulaient participer à l'étude et de quelle façon, et comment le processus d'entrevue devrait être mené. On a aussi invité les membres des collectivités à commenter les ébauches successives du rapport final.
Il fallait aussi être conscient que, du fait même de la nature gouvernementale du projet, il existerait des barrières invisibles qui auraient des répercussions sur l'information donnée à la coordonnatrice du projet. Sans l'accord total des chefs héréditaires, des chefs élus et des personnes importantes de chaque collectivité, il aurait été impossible d'obtenir la participation d'autant de membres des bandes. Il était donc essentiel de créer une atmosphère dans laquelle toutes les parties se sentiraient directement concernées par le processus et l'issue du projet.
Nous avons demandé à chacune des cinq collectivités choisies pour les entrevues sur place de jouer un rôle actif dans le choix des personnes qui allaient être interrogées et de désigner un membre de la collectivité pour aider la coordonnatrice du projet à mener les entrevues. Cette façon de procéder devait faciliter tout suivi qui serait nécessaire auprès des personnes ayant été interrogées et mettre l'information échangée au cours des entrevues immédiatement à la disposition de la collectivité pour la planification future.
Nous avons interrogé des Aînés, des jeunes, des parents, des leaders politiques, des victimes, des délinquants et des fonctionnaires, 121 personnes au total. La participation à toutes les entrevues était volontaire; cependant, on avait demandé aux collectivités de désigner certaines personnes à la coordonnatrice du projet afin que l'échantillon soit représentatif de la collectivité et que l'on puisse obtenir un large éventail de réponses. Les entrevues ont été menées auprès d'une seule personne ou d'un groupe, selon la disponibilité des répondants, la préférence exprimée quant à l'intimité et le temps dont on disposait. Comme les participants avaient leur mot à dire sur le moment, le lieu et le déroulement de l'entrevue, ils se sont sentis plus à l'aise durant l'entrevue.
DÉROULEMENT DES ENTREVUES
La responsabilité de la coordonnatrice du projet, en tant qu'intervieweuse principale, était d'établir une atmosphère rassurante durant les entrevues en s'assurant que les répondants comprenaient :
- qui était la coordonnatrice du projet;
- l'objectif du projet;
- les règles suivies en matière de confidentialité;
- ce qu'on attendait de l'entrevue;
- le rôle des participants dans le projet.
Au fur et à mesure du déroulement du projet, d'autres membres des collectivités se sont offerts pour participer à une entrevue, ce qui témoignait de leur enthousiasme et de leur volonté de parler de la guérison dans leur collectivité. Chaque répondant a accepté que l'entrevue soit enregistrée sur bande sonore. Toutefois, en raison de la taille ou, à une occasion particulière, de l'âge du groupe interrogé, un certain nombre d'entrevues ont été effectuées sous la forme d'ateliers dans lesquels les questions étaient discutées en petits groupes et les réponses consignées. Dans tous les cas, l'autorisation d'utiliser les réponses dans le présent rapport a été donnée par écrit.
Les entrevues menées avec des jeunes ont présenté des difficultés qui n'avaient pas été rencontrées avec les adultes. Les jeunes hésitent souvent à se confier à des adultes, surtout quand il s'agit de sujets qui peuvent faire naître un sentiment de vulnérabilité ou mettre au jour des questions qui autrement seraient restées confidentielles. Ainsi, des jeunes ont d'abord été interrogés dans le contexte d'un grand groupe et quelques‑uns seulement ont donné des réponses. Pour encourager un plus grand nombre de ces jeunes à exprimer leurs opinions et à se sentir directement concernés par l'étude, on leur a donné le choix entre continuer l'entrevue au sein du grand groupe, diviser le grand groupe en groupes plus petits ou annuler la séance. Les jeunes ont choisi la deuxième solution. On a donc formé des groupes plus petits et les jeunes ont exprimé leurs opinions sur des tableaux à feuilles, par des mots ou des dessins, ce qui a permis de recueillir une grande quantité d'information pour le projet.
La durée et le lieu des entrevues n'étaient pas toujours les mêmes. Conformément aux objectifs du projet, la coordonnatrice voulait trouver des moyens d'obtenir l'entière collaboration de la collectivité. La durée et le lieu des entrevues se sont avérés d'importance capitale pour un dialogue ouvert et honnête. Tout au long du projet, il a été reconnu que la coordonnatrice était l'hôte de la collectivité et que cette dernière était la mieux placée pour assurer le succès du projet. Par conséquent, la durée et le lieu des entrevues ont été déterminés par l'assistant du projet dans la collectivité ou par ceux qui ont été interrogés. Les entrevues ont eu lieu dans les bureaux des bandes, des écoles, des maisons et des salles communautaires, et elles ont duré d'environ cinquante minutes à trois heures.
CONCEPTION DES QUESTIONNAIRES
Deux questionnaires ont été conçus pour les membres des collectivités et les fonctionnaires respectivement. Le questionnaire destiné aux collectivités a été modifié au cours du projet afin de stimuler la discussion, de clarifier des réponses et d'obtenir la meilleure information possible. Au cours des entrevues, l'intervieweuse avait la liberté d'adapter les questions à la langue et au niveau d'instruction du répondant. Les questionnaires étaient remis aux participants avant l'entrevue; on voulait ainsi créer une atmosphère plus amicale et souligner que le projet ne constituait pas une évaluation ou une recherche scientifique.
Les questionnaires portaient sur les cinq objectifs de l'étude. Tous les répondants ont été invités à :
- définir le terme «guérison»;
- préciser les facteurs qui font qu'une collectivité est prête à s'engager dans un processus de guérison;
- nommer certaines activités de guérison;
- définir les rôles dans le processus de guérison;
- déterminer des stratégies de développement communautaire.
Les questions étaient conçues pour encourager les répondants à émettre leurs opinions sur la guérison et sur les activités de guérison qui avaient lieu dans leur collectivité. On leur a aussi demandé de parler des activités de guérison qui avaient été élaborées pour les délinquants et les victimes ou qui leur étaient offertes.
CONFIDENTIALITÉ DE L'INFORMATION
Nous avons respecté deux niveaux de confidentialité dans l'étude : confidentialité au niveau des personnes et au niveau des collectivités. Toutes les entrevues étaient confidentielles; on n'a demandé à aucun répondant de s'identifier, que ce soit dans le questionnaire ou sur la bande sonore. Nous estimions que le contenu des réponses était plus important que l'identité des répondants. Certains participants ont été identifiés dans le présent document en fonction du groupe auquel ils appartiennent (p. ex. Aînés, jeunes, délinquants, fonctionnaires). Cependant, la coordonnatrice du projet a essayé de maintenir l'anonymat des participants.
Pour ce qui est de l'anonymat des collectivités, celles‑ci ont elles‑mêmes souligné qu'il est essentiel au succès d'une étude de cette nature et que le degré d'anonymat doit être établi dès le début du projet par la collectivité et par ceux qui effectuent l'étude. Les collectivités ont expliqué que les personnes de l'extérieur ne sont peut‑être pas en mesure de rester objectives à propos de la guérison, vu l'information diffusée par la presse et les autres médias au sujet de leurs collectivités. Elles estiment aussi que leur participation à ce genre d'étude a eu par le passé des répercussions politiques et qu'elle pourrait avoir des conséquences négatives pour les négociations qui se préparent. Si les collectivités ont demandé à rester anonymes dans le cadre de l'étude, ce n'est pas parce qu'elles veulent «cacher» de l'information; c'est plutôt en réaction aux mauvaises expériences qu'elles ont eues avec les médias ou dans d'autres études et initiatives gouvernementales.
Pour rendre l'essentiel des opinions qui ont été émises par les répondants, nous avons cité tout au long du rapport des commentaires formulés par les membres des collectivités et les fonctionnaires. Certains commentaires sont cités textuellement (traduction de commentaires formulés en anglais); d'autres, non accompagnés de guillemets, sont paraphrasés. La confidentialité étant considérée comme un aspect très important, aucune information pouvant permettre d'identifier une personne ou une collectivité n'a été consignée dans le rapport. Les informations sur les pratiques culturelles ou les traditions ne concernant pas les personnes extérieures ont aussi été retranchées du texte, sauf dans les cas où les répondants ont demandé expressément qu'elles y figurent.
Par exemple, deux membres de collectivités, au cours des entrevues, ont mentionné que les informations qu'ils avaient déjà données à propos d'activités ou de pratiques traditionnelles à des personnes n'appartenant pas à la collectivité n'avaient pas été bien interprétées. Ils ont demandé que leur expérience et leurs préoccupations soient présentées ici afin d'illustrer pourquoi tant de collectivités autochtones hésitent à donner de l'information.
- « Je veux que les gens comprennent que lorsque nous élevons un totem, c'est pour rendre hommage à nos parents qui sont partis et à ceux qui ont aidé à construire ce village. C'est une période de festivités et non un rituel non chrétien comme beaucoup de gens de l'extérieur le croient. Je ne dis pas que les pratiques rituelles n'ont plus cours. Je sais qu'il y en a encore, mais pas dans ce contexte. Je vois bien qu'il y a aujourd'hui de nouvelles pratiques rituelles et cela me fait peur parce que les gens risquent de se faire avoir. Tout comme les Blancs avec le «nouvel âge» et les autres modes. C'est la même chose pour les Indiens. Mais ce n'est pas seulement les Indiens qui ont tous ces problèmes. Nous sommes tous semblables, malgré nos origines. Nous sommes tous les mêmes. Je le sais parce que je lis sur ce qui se passe dans le monde. Lorsque la guérison viendra, nous serons là. Nous sommes capables de nous surpasser.» (un Aîné)
- « La cérémonie de purification traditionnelle ne fait pas partie de l'ancien rituel, mais nous avons conservé les traditions positives de nos cultures. La cérémonie purificatoire a de grands pouvoirs et il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'un rituel traditionnel ou d'un élément de la culture traditionnelle, parce que les gens de l'extérieur ont toujours eu tendance à nous considérer comme des primitifs et des non‑Chrétiens. La culture de notre village est une culture chrétienne et nous sommes une nation chrétienne, nous n'avons pas de rituels indiens. Je le sais pertinemment parce que nous avons banni les rites indiens lorsque l'Église est entrée au village. Nous avons nos danses, nos repas et nos chansons, mais nous n'appelons pas cela des rites, nous appelons cela des loisirs. J'ai lu des comptes rendus qui ne m'ont pas fait tellement plaisir parce qu'on nous décrivait comme primitifs et démoniaques. Nous ne sommes pas vraiment ritualistes. Nous n'avons pas de cérémonies rituelles.» (une jeune mère)
ENTREVUES AVEC LES FONCTIONNAIRES
Des fonctionnaires ont aussi fourni de l'information pour notre rapport. La plupart de leurs réponses ont été obtenues par courrier. Cependant, six entrevues ont été effectuées en personne, dont deux dans la collectivité dans laquelle les répondants travaillaient. Nous avons décidé d'intégrer les opinions des fonctionnaires fédéraux et provinciaux dans le corps du texte plutôt que de les présenter dans une section distincte du rapport, étant donné que leurs opinions sont très semblables à celles des membres des collectivités autochtones.
COMMUNICATION DE L'INFORMATION
Bien que l'unité des services correctionnels pour les Autochtones du ministère du Solliciteur général du Canada soit à l'origine du projet, le plan du projet prévoyait que les collectivités participeraient pleinement au processus et bénéficieraient pleinement des retombées du projet. C'est pourquoi chaque collectivité participante a pu examiner toutes les ébauches du rapport et recevra toute l'information recueillie auprès de la collectivité, soit par écrit soit sur bande sonore. La coordonnatrice du projet a aussi obtenu des répondants la permission de transmettre l'information reçue aux membres de la collectivité avant de quitter les lieux. Les collectivités ont donc reçu de l'information qui pourra leur être utile pour poursuivre leurs efforts en matière de guérison et pour établir des contacts avec d'autres collectivités engagées dans des activités similaires.
Il est à espérer que ce rapport ne dormira pas dans un tiroir et qu'il sera utiliser tant par les gouvernements que par les collectivités. Il arrive malheureusement trop souvent que peu soit fait pour s'assurer qu'un document parvient aux personnes qui peuvent le plus en tirer parti. On a demandé à chaque collectivité qui a participé à l'étude de recommander un mode de distribution du rapport et d'ajouter des noms à la liste de distribution. On estimait que cela favoriserait, chez ces collectivités, l'esprit de collaboration et le sentiment d'avoir contribué à la production d'un document qui leur appartient.
REMARQUE À PROPOS DES RÉPONSES DES PARTICIPANTS
Il est essentiel de se rappeler que les commentaires des personnes ou des groupes ne traduisent pas nécessairement les opinions ou les croyances de l'ensemble de la collectivité ou de tous les Autochtones de l'Amérique du Nord. On constate toutefois, qu'il y a une certaine communauté de vues quant à la guérison et à la notion plus générale de développement communautaire.
Afin d'en arriver à établir une définition commune de la guérison, nous avons présenté les commentaires des répondants dans le style ou la manière dont ils ont été reçus des personnes ou des groupes interrogés. La diversité des styles de communication correspond à des différences individuelles que l'on retrouve dans chaque collectivité. Certaines personnes sont concises, et leurs réponses ne comportent souvent qu'une seule phrase; d'autres préfèrent raconter de longues histoires. Nous avons présenté certaines des réponses sous des rubriques thématiques afin de faire ressortir des idées ou des perceptions qui autrement auraient pu passer inaperçues en raison de la longueur de certaines citations.
En présentant une grande variété de citations textuelles, nous permettons au rapport de toucher un plus grand éventail de lecteurs. Nous soulignons aussi le fait que la réussite du développement communautaire repose sur la capacité d'écouter ce que les gens ont à dire et de reconnaître que leurs perceptions et leurs idées constituent la trame d'une collectivité. Les commentaires cités nous fournissent les thèmes et les fils conducteurs qui peuvent unir les membres d'une collectivité.
Nous décrirons donc les efforts déployés par les collectivités pour mettre en oeuvre un processus de guérison afin de résoudre leurs problèmes. Dans toute la mesure du possible, nous laisserons parler les répondants, en reproduisant textuellement leurs commentaires.
ORGANISATION DU RAPPORT
Les répondants ont exprimé de nombreuses opinions à propos du processus de guérison et de son résultat. Dans une certaine mesure, les commentaires exprimés diffèrent les uns des autres, mais c'est leur similarité qui frappe le plus, ainsi que la façon dont les divers aspects sont interreliés.
Dans les pages qui suivent, nous examinerons séparément différents aspects ou significations que les participants rattachent au terme «guérison». Il est essentiel de souligner que ces aspects ne sont pas considérés comme séparés par les répondants. Lorsqu'on leur a demandé de définir la guérison et de dire en quoi consiste le processus de guérison, les fonctionnaires et les autres répondants ont spontanément énuméré un grand nombre de facteurs. Pour eux, comme pour la coordonnatrice du projet, il est clair que ces différents facteurs ou aspects sont interreliés et interdépendants. Néanmoins, pour les besoins de notre étude, nous avons tenté d'examiner tour à tour chacun des aspects les plus souvent mentionnés afin que le lecteur se familiarise davantage avec chacun de ces aspects.
Cette méthode ne donne toutefois pas une bonne idée de la façon complexe dont les gens comprennent et expriment les questions en cause. Chacun à sa façon, les participants ont décrit un processus complexe de développement communautaire. Nous verrons dans les chapitres qui suivent que ce processus ne peut se dérouler à un seul niveau ou sous un seul aspect de l'individu ou de la collectivité.
CHAPITRE III. QU'EST CE QU'UNE COLLECTIVITÉ SAINE?
Une collectivité saine est formée de personnes qui sont capables de travailler ensemble et de s'amuser ensemble. Actuellement, il y a toujours de petits conflits entre les gens; certains veulent se placer au-dessus des autres en achetant des objets que leurs voisins s'empressent d'aller acheter aussi. Beaucoup de gens dans la collectivité, y compris moi‑même, ne sont pas au courant de ce qui s'y passe parce qu'ils ont l'impression que ça ne les concerne pas, et c'est malheureux. Si la collectivité allait bien, on pourrait parler de ces choses et les gens se sentiraient à l'aise pour faire appel aux autres.
Lorsqu'on entreprend une démarche de guérison, il est essentiel non seulement de comprendre les raisons ou les problèmes qui ont motivé cette démarche, mais aussi de savoir où l'on veut aboutir. On pourrait soutenir que le résultat devrait être un changement substantiel, soutenu et positif par rapport à la situation actuelle ou encore constituer une solution à un problème ou une préoccupation.
Imaginer le résultat d'une telle démarche nous fournira une toile de fond pour définir ce qu'est la guérison dans une collectivité. Les personnes qui ont participé à l'étude nous ont confié leurs rêves, leurs visions de ce qu'elles croient être une collectivité saine ou en voie de guérison. En examinant ce qu'elles nous ont dit, nous franchirons une première étape dans l'établissement d'une définition commune de la guérison.
« PARTICIPATION DES GENS AUX ACTIVITÉS COMMUNAUTAIRES »
- « Les gens participeraient à tous les aspects de la vie communautaire qui les touchent, que ce soit l'éducation, la santé, l'économie ou la politique. La collectivité serait très animée, chacun étant respectueux des autres. Il y aurait beaucoup d'activités et tous les gens y prendraient part. »
- « Que tous se comprennent, que tous commencent à se préoccuper de leurs voisins et à s'intéresser à l'avenir de notre village et à la situation actuelle de notre peuple. »
- « Que les parents ne soient pas sur la défensive face à leurs voisins et que les familles mettent leurs enfants en garde contre les dangers collectivement. »
- « Que tous s'entendent bien, que les familles partagent leurs joies et leurs peines et que toute la collectivité travaille en collaboration. »
- « La guérison est une démarche continue et tous les membres de la collectivité unissent leurs efforts. »
- « Les femmes ont un rôle important à jouer, car ce sont elles qui donnent le jour à nos enfants. La démarche est déjà commencée, mais beaucoup de nos femmes ont été rabaissées et réduites au silence. Alors, je crois que nous avons encore beaucoup de chemin à faire. »
La participation des gens aux activités communautaires dépend en partie de l'exemple donné par les chefs. Si un gouvernement, élu ou héréditaire, soutient les membres de la collectivité et est résolu à assurer le fonctionnement efficace des services, il crée un climat qui favorise la participation des gens.
- « Un gouvernement réceptif et dynamique. »
- « Des décisions cohérentes prises par l'ensemble de la collectivité, en cercle, et non seulement par ou dans certains groupes. »
- « Pour moi, la question essentielle est l'éducation. Notre peuple doit s'affirmer un peu plus. Il faut faire les choses avec le coeur, et non seulement avec le corps. L'éducation est la question clé et certaines personnes ne savent où commencer. Ceux d'entre nous qui sont instruits savent comment établir des contacts. »
« CONFIANCE, SOLLICITUDE ET PARTAGE »
Un autre signe qu'une collectivité est saine ou en voie de guérison est que ses membres entretiennent des relations les uns avec les autres et avec l'ensemble de la collectivité et qu'ils ont réussi à établir un climat de confiance, de respect et de sollicitude qui rend la participation à la vie communautaire naturelle et spontanée.
- « La confiance, nous devons absolument en arriver à nous faire confiance les uns aux autres. Actuellement, il y a beaucoup de coups bas. »
- « Avoir confiance dans les autres et pouvoir faire confiance aux voisins chez qui nos enfants vont s'amuser. »
- « Se donner des preuves d'amour, avoir confiance les uns dans les autres, ne pas cacher des choses, mais être honnêtes. »
- « Ici, je constate que les gens s'intéressent aux autres, et pas seulement les chefs élus. Je constate qu'on désire apprendre et voir ce qui se passe dans les autres collectivités. Cela me prouve que la collectivité est plus confiante et qu'elle est en train de grandir. Un délinquant est venu me voir récemment pour me dire qu'il se sentait prêt à aller dans une autre collectivité pour les aider à travailler auprès des délinquants. »
- « Des gens qui s'entendent bien. Des gens qui se reconnaissent et qui se saluent dans la rue. »
Cette notion de «bien s'entendre et participer aux activités communautaires» pourrait s'appliquer à presque toutes les collectivités du Canada, autochtones ou non. La création d'un milieu sûr et sain est une préoccupation qui n'est pas étrangère à ceux qui achètent leur journal quotidien ou regardent les nouvelles à la télévision le soir. Tous les habitants du Canada voudraient que la vie soit différente de ce qu'elle est. Nous voudrions tous que chacun aide les autres ou travaille à améliorer les conditions de vie de nos enfants, indépendamment de notre nationalité, de l'endroit où nous vivons et du système politique en place. Le respect est au coeur même de cette notion.
« BONS EXEMPLES POUR LES ENFANTS »
De nombreux répondants ont souligné l'importance de la jeunesse et ont dit qu'une collectivité en voie de guérison est une collectivité qui a mis les jeunes sur le droit chemin en leur donnant de bons exemples dans la famille et en leur enseignant les choses importantes.
- « La vie de famille, les rapports parents‑enfants positifs et la bonne entente entre voisins. »
- « On peut espérer que la consommation de drogue et d'alcool sera minimale, plutôt que d'être prédominante comme c'est le cas actuellement chez nos enfants, même ceux de onze et douze ans. Il semble que les enfants vieillissent beaucoup plus vite aujourd'hui; je crois que c'est parce que les parents les laissent trop à eux‑mêmes. Ils doivent donc se débrouiller; ils apprennent beaucoup plus tôt la notion de survie et ils survivent en se tenant en groupe. Il faut espérer que les parents pourront s'occuper des enfants d'autres personnes, comme par le passé. »
- « Je constate que nos enfants sont laissés de côté. Les gens parlent des jeunes, mais c'est tout ce qu'ils font. Je soulève parfois cette question dans des assemblées publiques, mais certaines personnes m'en veulent. Il nous faut commencer à communiquer avec nos jeunes. Nous devons aussi parler à nos Aînés, et beaucoup de gens ne les consultent pas. »
- « Apprendre à connaître le système des Blancs pour survivre, mais conserver le système traditionnel pour être qui nous sommes. »
« OUVERTURE D'ESPRIT, COMMUNICATION »
Un autre élément de la vision d'une collectivité saine ou en voie de guérison a trait au mode de communication : les individus y sont capables de parler ouvertement tout en étant écoutés. Etre écouté signifie que l'écoute se fait à tous les niveaux de la collectivité et des gouvernements. Un participant a souligné cet élément en fournissant des exemples tirés de sa collectivité.
- « La communication. La communication entre les gens et l'entraide. C'est la seule façon dont je conçois une collectivité guérie. J'ai déjà constaté qu'il y avait une bonne communication à d'autres endroits, mais pas ici. Il n'y a pas de communication. Nous avons beaucoup de chemin à faire. Dans une collectivité saine, les gens doivent être capables de s'entraider plutôt que de rivaliser entre eux. Nous avons l'expérience de la rivalité lorsque l'argent entre en jeu; nous devons donc mettre les questions d'argent de côté pour que notre collectivité guérisse. Les gens ne voient souvent que les signes de dollars. »
- « Des gens qui sont capables de se parler raisonnablement, sans crier ou s'emporter. Des gens capables de dire les choses beaucoup plus calmement. »
- « J'imagine qu'une collectivité saine serait plus fonctionnelle. Tant que nous ne pourrons pas, en tant que famille, régler les questions qui causent des frictions et des dysfonctions, nous ne serons pas fonctionnels. Une collectivité guérie serait capable de mettre les problèmes sur la table et de dire : c'est assez! Nous devons faire quelque chose pour en finir avec ces problèmes! »
- « Plus d'instruction et plus d'affirmation de soi; des gens qui parlent à coeur ouvert. »
- « Se donner des preuves d'amour, avoir confiance les uns dans les autres, ne pas cacher des choses, mais être honnêtes. »
- « Une collectivité fonctionnelle, une collectivité qui met tous les problèmes sur la table. »
« NE PAS AVOIR HONTE »
Cet élément est aussi lié à l'aspect de la communication. De nombreux Autochtones ont appris à ne pas s'exprimer verbalement ou à ne pas soulever en public des questions qui pourraient causer des conflits. Une partie de la guérison consiste souvent à aider les individus à rompre la chaîne du silence et à parler ouvertement et librement de ce qu'ils ressentent et de ce qui les préoccupe. Cela peut s'avérer une expérience libératoire qui, lorsqu'elle est partagée avec d'autres, fait sentir à tous que les problèmes sont examinés ouvertement et non derrière des portes closes.
- « S'attaquer de front aux choses qui nous affligent, accepter la douleur, décider quoi faire pour s'en sortir, puis ne pas ressasser les vieux souvenirs. »
- « Que les gens agissent de façon positive les uns envers les autres. Pouvoir se promener la tête haute sans avoir honte des erreurs qu'on a commises. Se préoccuper de sa collectivité, la garder propre et pouvoir se tourner vers les autres pour demander de l'aide. »
- « Lorsque je pense à une collectivité saine, je pense à un groupe d'entraide dans lequel tous se sentent à l'aise avec les autres, sont ouverts et honnêtes. Ces groupes offrent beaucoup d'avantages à long terme. Les gens peuvent y communiquer avec les autres sans craindre que leurs paroles soient répétées. »
« PRENDRE SES RESPONSABILITÉS ET AVOIR DES ATTENTES CLAIRES »
Dans une collectivité saine ou en voie de guérison, les gens assument des responsabilités, non seulement pour eux‑mêmes, mais aussi pour l'ensemble de la collectivité. Dans une collectivité saine, la confiance est maintenue et les normes qu'elle valorise sont claires; par conséquent, ses habitants peuvent faire chacun leur part pour préserver ces valeurs.
- « La collectivité assume ses responsabilités. »
- « Imaginons l'organisation de la collectivité, non comme un groupe, mais comme un ensemble de maisons [...] qu'elles soient gardées en bon état et que tout soit bien entretenu. »
- « Les gens qui disent aux ivrognes de circuler. »
- « Si notre collectivité était guérie, nous aurions la joie au coeur. Tous les membres de ma famille sont morts avant que je les aie connus, sauf un de mes frères et ma mère. Je réfléchissais à cela un jour en buvant; je me disais que je pouvais aussi bien gâcher ma vie. Je ne pouvais croire que je disais cela, mais je savais aussi que l'alcool fait remonter à la surface la partie la moins belle de notre vie, que lorsqu'on boit, on dit des choses que l'on ne devrait pas dire. C'est pourquoi nous ne pouvons guérir; parce que nous avons tendance à nous laisser aller et à nous apitoyer sur nous‑mêmes. Si nous étions guéris, nous serions heureux et nous aurions l'esprit propre. Nous avons perdu ainsi presque une génération entière. Si nous avions une collectivité saine, nous pourrions accomplir tout ce que nous voudrions, par exemple nous instruire. »
Les perceptions des membres des collectivités autochtones et des représentants non autochtones des gouvernements sont remarquablement semblables. Comme l'a décrit un fonctionnaire,
- « La guérison n'est pas un état statique, mais un processus. Pour guérir, une collectivité doit s'être donnée une structure, c'est‑à‑dire qu'elle doit connaître les rôles que les individus ont à jouer et l'infrastructure communautaire qui soutient ces rôles, elle doit avoir des attentes plus claires à l'égard des personnes, se préoccuper moins des problèmes sociaux et davantage des questions de croissance. Quant aux familles, elles doivent avoir entrepris un processus de redécouverte et réglé les problèmes du passé. Tout doit avoir été dit et fait, et on peut alors se remettre en route et travailler productivement ensemble. Tous sont plus sensibilisés aux interactions efficaces. Il y a un sentiment profond d'appartenance à la collectivité. »
Dans la même veine, un membre d'une collectivité fait remarquer :
- « Une collectivité qui se développe sur le plan économique, une collectivité qui est indépendante, une collectivité où les gens ont du travail, parce qu'ils sont suffisamment responsables pour conserver leur emploi. Une collectivité qui subvient elle-même à ses besoins, qui s'attaque à ses problèmes et s'occupe de trouver des solutions. Une collectivité où les gens doivent répondre de leurs actes et où ils s'attendent à ce que les autres répondent de leurs actes, qu'il s'agisse des chefs élus, du personnel ou des habitants. Je commence à voir cela ici. Les gens sont d'accord pour répondre de leurs actes et apporter une contribution à leur collectivité. Une collectivité saine est une collectivité qui veut en apprendre davantage et savoir ce qui se passe dans les autres collectivités autochtones du Canada, qu'il s'agisse du sport ou d'autres activités. »
Bien que les termes employés par ces deux personnes pour décrire leur vision soient différents, le message sous‑jacent est le même. Toutes deux parlent d'une structure ou d'une infrastructure qui favorise la sensibilisation, la responsabilité et les occasions de croissance. Toutes deux tracent un portrait d'une collectivité autonome et pleine d'assurance qui est prête à s'attaquer à ses problèmes en tirant le meilleur parti possible de ses ressources internes.
Il est fort probable que tous les commentaires cités dans le présent chapitre traduisent les vues de la plupart des habitants du Canada quant à ce qui constitue une collectivité saine ou en voie de guérison. Il s'agit d'une vision commune dans laquelle entrent divers éléments dont aucun ne semble indépendant des autres.
Que nous apporte le fait de reconnaître qu'il existe une vision commune de la guérison des collectivités? C'est la possibilité de sensibiliser chacun de nous aux autres, ce qui constitue une première étape vers une meilleure compréhension du rôle que chaque individu, groupe, organisme ou gouvernement peut jouer dans la guérison des collectivités autochtones. Lorsqu'on peut établir des éléments communs et que chacun est plus réceptif aux autres, on augmente les possibilités de créer des partenariats productifs. En résumé, les gens de différentes collectivités, cultures ou races peuvent se rapprocher les uns des autres en reconnaissant leurs similitudes et leurs buts communs.
Chaque individu, chaque famille et chaque collectivité rêve d'une collectivité saine ou en voie de guérison. Comme l'a résumé un des participants, «cette vision émane de l'esprit d'une collectivité qui cultive l'amitié et la sollicitude».
CHAPITRE IV. LE PROCESSUS DE GUÉRISON UN PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE
Lorsqu'on entend le mot guérison, on se sent bien et on voit qu'il y a de l'espoir pour nous et notre peuple. J'ai l'impression que la guérison n'est parfois qu'un mot. Nous en parlons et nous avons vécu pas mal de choses, mais il n'y a pas eu beaucoup de réaction et nous revenons au point de départ. La seule façon dont je peux définir la guérison, c'est de dire qu'il y a de l'espoir pour nous. Lorsqu'on parle de guérison, on oublie de parler de pardon. Nous devons vider notre esprit et laisser le passé derrière. Le mot clé pour moi est espoir.
(un Aîné)
Il y a deux façons de définir la guérison. Les Anglo‑Saxons la voient comme la guérison d'une blessure, la réparation d'un dommage fait au corps. Ils ont tendance à considérer la guérison comme un phénomène de surface. Du point de vue des Autochtones, c'est une notion beaucoup plus profonde. Pour eux, la guérison, n'est pas seulement la guérison du corps, mais aussi la guérison de l'esprit, la guérison psychologique qui englobe tout l'être et non pas seulement la surface. Lorsque j'entends le terme guérison maintenant, j'ai tendance à considérer cette notion d'une façon holistique qui, au lieu d'isoler les différentes parties du corps ou les différents domaines de l'esprit qui ont besoin de guérison, s'intéresse à la fois au physique et au psychologique. Lorsque j'emploie ou que j'entends le terme guérison, je le considère d'une façon holistique qui englobe l'esprit et le corps.
(un membre de la GRC non autochtone)
Dans le chapitre précédent, nous avons examiné quelques aspects ou facteurs tangibles que les répondants ont associés à une «collectivité en voie de guérison». Nous considérerons à présent la guérison comme un processus. Comment ce processus se déroule‑t‑il? Y a‑t‑il des modèles communs dans le déroulement de ce processus? Quels mécanismes entrent en jeu?
Les entrevues réalisées pour la présente étude révèlent qu'en tentant de mieux comprendre le processus de guérison dans les collectivités autochtones, nous pourrons aider les fonctionnaires à tourner leur attention vers le concept du développement communautaire, selon lequel les étapes fondamentales menant à la résolution des problèmes consistent à s'attaquer aux causes sous‑jacentes plutôt que de se limiter aux symptômes.
Le développement communautaire peut se définir comme un processus d'action communautaire dans lequel les gens :
- s'organisent pour la planification et l'action;
- définissent clairement leurs besoins et leurs problèmes communs;
- font des plans collectifs pour répondre à leurs besoins et régler leurs problèmes;
- mettent ces plans à exécution en faisant surtout appel aux ressources de la collectivité (leurs propres ressources);
- ont recours à des ressources extérieures à la collectivité seulement lorsque cela s'avère nécessaire.
Le principe qui sous‑tend le développement communautaire est que les gens eux‑mêmes peuvent améliorer leur collectivité en :
- se réunissant pour parler de ce qu'ils peuvent faire pour régler les problèmes de leur collectivité;
- tirant profit des choses que les membres de la collectivité peuvent faire;
- découvrant quelle expérience et quelles habiletés peuvent apporter le travail en commun.
Le développement communautaire, c'est l'organisation en vue de l'action. Il s'agit d'un processus selon lequel les gens apprennent à s'entraider. En théorie, le développement communautaire est un processus qui est mis en branle par toute collectivité qui décide de prendre des mesures pour régler un problème. Le premier fruit du développement communautaire est l'évolution des gens qui travaillent ensemble à résoudre leurs propres problèmes.
Pour les membres d'une collectivité qui s'engage dans ce processus, la guérison se produit de façon naturelle. Lorsqu'un langage commun s'établit entre les cultures, les termes utilisés pour définir le développement communautaire peuvent devenir synonymes du concept de guérison, tel qu'il est défini ou décrit par les collectivités autochtones.
« LA GUÉRISON, C'EST ... »
Le mot «guérison» a été beaucoup utilisé pour décrire les changements qui doivent se produire dans notre société, et en particulier dans les collectivités autochtones. Pour chacun de nous, la guérison semble être fondée sur la culture et elle est définie de plusieurs façons dans différentes langues. C'est un mot employé fréquemment, mais nous ne disposons pas d'une définition commune qui nous permettrait d'augmenter notre capacité de travailler davantage en collaboration pour atteindre le but.
Bien que les membres des collectivités aient des visions très similaires de ce que devrait être une collectivité saine, ce qui ressort le plus nettement des entrevues est qu'il n'existe pas de définition unique de la «guérison». La réponse que nous avons obtenue le plus souvent est qu'il est très difficile de répondre à cette question.
Même s'il n'y a pas de définition unique du terme guérison, on constate que le consensus se fait de plus en plus sur la vision et le processus de guérison. Ainsi, la plupart des répondants estiment que la guérison commence «à l'intérieur de l'individu». Pour guérir une collectivité, il faut d'abord se guérir soi‑même et guérir sa famille. Les répondants étaient aussi d'accord sur le fait que guérir signifie parvenir à un sentiment d'«équilibre» ou de «globalité» en s'occupant de toutes les parties de sa vie simultanément plutôt que séparément.
Tout au long du rapport, l'accent est mis sur l'approche holistique. La spiritualité fait partie de cette approche; elle n'est donc pas considérée comme quelque chose de distinct. Chez les collectivités autochtones, comme pour beaucoup d'autres cultures de par le monde, la spiritualité est le fondement même de la société et des liens que leurs membres entretiennent les uns avec les autres. Les notions touchant la spiritualité ne sont toutefois pas faciles à transposer en mots.
« ... UN PROCESSUS »
Conformément à la terminologie du développement communautaire, de nombreux participants ont mentionné que la guérison n'est pas un état statique, mais plutôt un processus. Dans le prochain chapitre, nous examinerons comment ce processus se déroule. Examinons d'abord certaines des notions qui entrent en jeu dans le processus.
TROIS ASPECTS DU PROCESSUS DE GUÉRISON
Les éléments suivants sont parmi les facteurs les plus souvent mentionnés par les participants. Au moins trois aspects du processus de guérison ressortent des entrevues.
LE PROCESSUS COMMENCE À L'INTÉRIEUR DE SOI
Un consensus s'est dégagé des réponses des membres des collectivités à propos de la façon dont se déroule la guérison : la guérison commence à l'intérieur de l'individu; le processus s'étend ensuite à la famille, et enfin à la collectivité.
Le développement communautaire est entre les mains de personnes qui se réunissent pour prendre des mesures afin d'améliorer la situation de leur collectivité. Toutefois, avant que les problèmes de la collectivité puissent être résolus, les individus et les familles doivent être capables de s'attaquer à leurs propres problèmes et de commencer à les résoudre.
- « Pour comprendre comment la guérison peut se produire, pensons à une chaise. Imaginons que les individus et leurs familles sont les pattes de la chaise, qui est la collectivité qui essaie de guérir. Si la chaise n'a qu'une ou deux pattes, elle ne tiendra pas debout. Si elle a trois pattes, elle tiendra debout, mais on pourra la renverser facilement. Il faut au moins quatre pattes pour que la chaise soit stable. Je ne dis pas qu'il faut quatre personnes ou quatre familles pour commencer à guérir une collectivité, mais plus on est nombreux, meilleures sont les chances. »
Bien que la guérison prenne racine dans l'individu, l'exemple qui précède fait ressortir l'importance du soutien qui doit venir de l'extérieur. Plus nombreux sont les individus qui participent au processus de guérison, meilleures sont les possibilités de créer une atmosphère d'unité et de croissance. La guérison est un processus d'interdépendance; plus nombreux sont les participants, meilleures sont les chances de succès.
Pour que commence le processus de guérison, les individus doivent reconnaître les causes de leurs problèmes, qui, dans une large mesure, sont aussi les causes des problèmes de la collectivité. Il faut chercher à l'intérieur de soi avant de regarder vers l'extérieur. Il faut apprendre à assumer ses responsabilités avant de rejeter le blâme sur les autres, ce qui arrive facilement si l'on se tourne vers l'extérieur pour expliquer les choses avant de regarder en soi. Les commentaires qui suivent décrivent cette notion :
- « La guérison s'amorce lorsque nous commençons à nous examiner, pas seulement physiquement, mais aussi psychologiquement. Lorsque nous commençons à regarder ce qui se passe dans notre esprit, notre corps, nos émotions. Lorsque que nous commençons à nous attaquer à des questions qui sont restées sans réponse pendant des années. Cela peut être pénible mais, si nous ne le faisons pas dans notre vie de tous les jours, nous continuons à souffrir pendant des années. »
- « La guérison commence à l'intérieur de soi, et elle peut commencer à n'importe quel moment. Tous les jours, des gens guérissent parce qu'ils extériorisent leur colère ou font ce que nous sommes en train de faire dans l'entrevue, c'est‑à‑dire qu'ils parlent de la guérison qu'ils ont connue. C'est difficile à décrire. »
- « L'individu, la famille et la collectivité. »
- « Retrouver son coeur, s'ouvrir aux autres et affronter sa douleur. »
- « Croissance personnelle. »
- « La guérison, c'est lorsqu'on se rétablit d'une perte ou d'une maladie et qu'on se maintient en bonne santé à l'intérieur. »
- « Se sentir mieux à l'intérieur et s'échapper d'un problème qui est à l'intérieur de soi. »
- « Travailler à se libérer des souffrances que nous avons en nous et à l'extérieur de nous. »
- « Cela vient de nous‑même avant de venir des autres. »
- « Cela commence en nous. »
Un élément important de cet aspect du processus, selon le point de vue des Autochtones, est que, pour être efficace, le processus de guérison d'une collectivité ne peut commencer à l'extérieur de la collectivité. Un programme qui est importé dans une collectivité dans l'espoir qu'il y prendra racine est presque certainement voué à l'échec. Le programme doit au moins être adapté à la réalité de la collectivité et des gens qui la composent. Idéalement, toutefois, les programmes devraient être conçus par la collectivité elle‑même et en fonction des mécanismes qui y sont déjà en action.
ÉQUILIBRE ET GLOBALITÉ
Le deuxième aspect du processus de guérison est l'équilibre. On convient que pour guérir, il faut en arriver à un «équilibre» en s'occupant de toutes les parties de sa vie simultanément et non séparément. Le processus de guérison dans les collectivités autochtones est un processus qui englobe tous les aspects de la vie : physique, affectif, psychologique et spirituel.
Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, l'équilibre et la globalité sont aussi de rigueur au niveau de la collectivité. Les aspects essentiels de la guérison d'une collectivité, comme nous l'avons mentionné, comprennent la participation, la confiance, la responsabilité, les exemples donnés par les parents, l'ouverture d'esprit, la communication et les attentes bien définies. Chacun de ces éléments doit être rétabli et être en harmonie avec les autres si l'on veut que l'ensemble de la collectivité guérisse et trouve son équilibre.
Certains participants des collectivités ont décrit l'«équilibre» de la façon suivante :
- « L'interrelation entre l'esprit, le corps et l'âme : tous sont égaux. »
- « Essayer de relier l'esprit, le corps et l'âme. »
- « Un esprit sain dans un corps sain. »
Le processus qui consiste à atteindre l'«équilibre» a souvent été décrit par les membres des collectivités comme un processus spirituel ou un processus dans lequel le retour aux croyances et aux pratiques spirituelles traditionnelles fait partie intégrante de la guérison. La reprise des pratiques traditionnelles a incité de nombreux observateurs extérieurs, comme les médias et les gouvernements, à étudier la signification de ces rites dans le but de mieux comprendre les peuples autochtones. Comme nous l'avons déjà mentionné, de nombreux membres des collectivités estiment que, dans certaines circonstances, la révélation de croyances et de pratiques sacrées a mené à un malentendu encore plus profond et a créé un éloignement encore plus grand entre les deux cultures.
Dans le cadre de notre projet, nous avons demandé aux personnes interrogées de ne pas révéler de détails à propos des pratiques traditionnelles, mais de décrire ce que les expériences vécues dans le processus de guérison ont signifié pour elles. Dans cet esprit, un membre de la collectivité nous a parlé de l'expérience qu'il fait de la guérison en atteignant un équilibre grâce à des pratiques empruntées aux deux systèmes :
- « Dans notre culture, le Créateur nous a donné quatre lois, que l'on retrouve chez tous les peuples autochtones du Canada. La «bonté» est difficile à mettre en pratique, surtout quand il s'agit d'être bon envers soi‑même. La pratique de la bonté et de l'honnêteté est difficile dans la vie quotidienne. Pour ce qui est de l'honnêteté, il faut d'abord être honnête avec soi‑même. Dans des situations de violence, il arrive souvent que l'on se cache la vérité. En respectant ces deux lois, on commence à faire attention à la façon dont on parle aux autres, dont on communique avec eux. À mon avis, le fondement de la guérison se trouve dans les quatre lois : bonté, honnêteté, sollicitude et partage. Ce sont là les quatre principes qui guident ma vie. Toutes les composantes de notre être ‑ physique, affective, spirituelle et psychologique ‑ doivent être en équilibre. L'expérience que j'ai eue en thérapie m'a fait prendre conscience que les thérapies ne s'adressent qu'à deux parties de notre être, alors que nous devrions nous occuper de toutes afin de les mettre en équilibre. Vous pouvez vérifier [...] Je n'ai qu'à sauter sur le pèse‑personne afin de constater que je ne prends pas soin de ma personne physique! La spiritualité est une chose très personnelle. Ces deux éléments ont un lien avec la bonté et l'honnêteté parce que lorsqu'on est en communication avec le Créateur, on sait quoi faire. Les deux autres éléments importants pour moi sont ma famille et ma collectivité. Commencer par moi‑même et déterminer comment je mets ces lois en pratique pour apporter un certain équilibre à ma vie. Ces lois sont fondamentales et concrètes. On peut voir comment on change, comment notre famille change, comment notre collectivité change. Lorsque je regarde ma collectivité d'un point de vue physique, je vois l'alcoolisme, la toxicomanie, la violence familiale et la violence sexuelle. »
Ce commentaire et ceux d'autres membres des collectivités soulignent que le moteur de la guérison de l'individu gît au fond de lui-même, le processus étant stimulé et nourri de l'extérieur. Il s'agit d'une expérience globale qui ne peut être abordée de façon partielle et qui peut s'appliquer à la famille ou à la collectivité.
PASSAGE DES «PROGRAMMES» AU «PROCESSUS »
Les participants ont insisté sur le fait que l'expérience de la guérison doit être considérée d'une façon holistique, qu'on ne peut s'attaquer à une seule partie du problème. Dans le même ordre d'idées, les répondants ont affirmé que, pour que le processus de guérison soit efficace, il faut cesser de mettre l'accent sur des «programmes» comme les programmes de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie ou les programmes de counseling en matière de violence sexuelle.
Nous avons souligné précédemment, lorsque nous avons dit que la guérison devait venir de l'intérieur de nous, que les programmes importés de l'extérieur de la collectivité et qui ne sont pas du tout adaptés à la réalité de celle-ci risquent d'échouer. Le thème du «passage des programmes au processus» semble aller plus loin et suggère que l'approche la plus efficace est une démarche de développement communautaire qui commence à l'intérieur de la collectivité.
La nécessité de considérer la guérison d'une manière holistique est bien exprimée par un membre d'une collectivité qui, lorsqu'on lui a demandé si les programmes devraient être axés sur des groupes précis, a répondu ceci :
- « Oui et non. Oui, les programmes sont axés sur des groupes particuliers comme les victimes ou les agresseurs. Mais les victimes ‑ tout comme les agresseurs ‑ sont tellement différentes. Il y a des enfants qui sont victimes, alors nous travaillons avec les enfants. Et il y a des adultes qui sont victimes, alors nous travaillons avec les adultes. Je ne crois pas qu'on cible des groupes particuliers. Peut‑être qu'au début, les programmes étaient axés sur les enfants, ce qui est conforme à nos lois naturelles. Il est naturel de protéger d'abord les enfants. Nous sommes une société holistique, nous guérissons collectivement, la famille entière guérit. C'est notre principe et la base de tout ce que nous faisons. Nous ne pouvons donc jamais séparer les éléments. Nous ne pouvons séparer l'enfant de la famille. «Voyez‑vous, c'est là le problème avec la société d'aujourd'hui, les institutions qui séparent les enfants de la famille. Bien sûr, nous guérissons cet enfant, nous travaillons avec lui, nous lui donnons tous les outils dont il a besoin et nous le renvoyons dans sa famille. Il est dangereux de retirer ainsi l'enfant de sa famille, parce que lorsqu'il a vu ce qu'est une vie meilleure et qu'il revient dans sa famille, il constate que ce n'est pas là une bonne vie, il constate que sa famille n'a pas changé, que sa mère boit encore, que son père le bat encore. On lui a montré une vie meilleure, alors il ne sait pas comment s'en sortir. On l'a gardé dans un milieu très protégé. Rien ne peut être pire que ce qu'il vit dans sa famille, alors il peut aussi bien mourir. Le taux de suicide augmente. J'aimerais qu'on fasse une étude sur ce sujet. Pendant que le gouvernement et le conseil de bande discutent de la question, nos enfants meurent. Dans notre collectivité, nous ne voulons plus de cela et nous ne séparons plus l'enfant de sa famille.«Il faut guérir toute la famille. Il n'y a pas d'organisme au Canada qui guérisse toute la famille. Certains s'occupent des enfants, d'autres des adultes, des malades mentaux, des criminels, mais il n'y a rien pour la famille. Et nous nous demandons pourquoi tous ces programmes ne marchent pas. Peut‑être que si nous les réunissions, ils marcheraient. Parce que tout ce que je fais touche l'ensemble de la famille. Il faut coordonner les programmes. Nous avons nous aussi des groupes individuels pour les enfants, les hommes et les femmes, parce que nous utilisons un peu la même approche. Cependant, nous changeons lentement. »
Souvent, les gens ne voient pas ce qui est évident et cherchent des façons nouvelles et innovatrices de s'attaquer aux problèmes de leur collectivité. Souvent, les collectivités ne s'attribuent pas le mérite, ou on ne leur attribue pas le mérite, de ce qu'elles ont ou de ce qu'elles ont fait, et elles croient qu'elles doivent trouver de nouvelles façons d'aborder les problèmes. Pourtant, ces problèmes peuvent souvent être réglés simplement ou en renforçant les ressources qui existent déjà dans la collectivité. Les décideurs doivent reconnaître que le processus de guérison comporte un grand éventail d'activités et qu'il faudra aussi bien renforcer les ressources qui existent déjà dans la collectivité que courir des risques en utilisant de nouvelles approches lorsque cela s'avérera nécessaire. Le processus même qui consiste à évaluer les choix qui s'offrent à la collectivité et à prendre des décisions est essentiel et très utile.
La formation peut être un autre moyen d'assurer le passage «des programmes au processus» et d'abolir les barrières qui existent actuellement entre les gouvernements et les collectivités au sujet de la conception et de la prestation des services. La formation en commun peut être particulièrement utile, car elle réunit, à la même séance de formation, des gens provenant de différents milieux et organismes, mais qui ont tous - ou pourraient avoir - un rôle à jouer dans la guérison de la collectivité. Ce type de formation, lorsqu'on y recourt pour favoriser l'action communautaire, met l'accent sur les stratégies (et non sur les programmes), sur la coopération et sur une gamme de services. Les gens ont besoin de services différents à des moments différents de leur vie. Pour répondre efficacement à ces besoins, il importe de concerter les efforts de nombreux intervenants, organismes et niveaux de gouvernement. Il est temps de mettre au point des moyens de créer des services et des programmes axés sur le client plutôt que sur le financement.
Les commentaires qui suivent portent sur les enseignements d'Aînés, qui suggèrent que les solutions ou la croissance reposent sur l'expérience. Sans l'expérience, sans la souffrance, il est plus difficile de reconnaître le bonheur ou même peut‑être l'expérience elle‑même. Changer un événement négatif en une expérience positive est un don qui nous permet de bâtir une vie saine et productive, puisque ces expériences nous permettent de reconnaître ce que nous voulons faire et nous donnent des indices sur la façon d'y parvenir.
- « Il faut examiner son être intérieur, réfléchir à ce qui s'est passé lorsque nous étions enfant, adolescent puis adulte. Ces sentiments intérieurs nous disent qui nous sommes, si nous sommes positifs ou négatifs. La souffrance dans les collectivités autochtones a été grande. Lorsque je vois une personne qui regarde cette souffrance et qui essaie de la réduire et d'apprendre à utiliser cette souffrance de façon positive, alors c'est le début de la guérison. Pour moi, la guérison, c'est de se regarder soi‑même, puis de regarder la collectivité. La guérison est quelque chose de très large; c'est la guérison de l'individu et la guérison par les traditions, par exemple. Tous ces éléments jouent un rôle holistique dans la guérison. »
- « Nous avons tous reçu des outils pour nous guérir. Chacun d'entre nous utilise des outils différents dans le but d'en arriver à un même résultat. »
- « Prenons les mots «guérison», «cercle» et «holistique» et appliquons‑les à la personne, à la famille, puis à la collectivité. Par ce processus, on comprend mieux où on veut aller, mais il n'est pas nécessaire que tous s'entendent sur une définition commune. «Il n'y a pas une seule définition ou perception de la guérison. Il s'agit plutôt d'un modèle que chacun doit concevoir pour soi‑même. Une personne doit définir sa propre démarche de guérison, tout comme une famille et une collectivité. Chacun de nous a une collectivité à l'intérieur de lui et nous devons l'identifier en nous demandant : «Quelle est ma collectivité?» La guérison commence, mais elle n'a pas de fin. La guérison englobe les quatre domaines de notre vie. Cela ne signifie pas que les gens doivent tous guérir de la même façon, mais nous pouvons nous entraider. Pour nous, la guérison signifie tant de choses différentes. La guérison me permet de croître, et elle peut se modifier de jour en jour. Si vous me posez la même question à propos de la guérison la semaine prochaine, je répondrai peut‑être différemment, d'une façon qui traduira ma croissance. C'est la même chose pour la famille et la collectivité. Si une collectivité donne une définition de la guérison aujourd'hui, elle en donnera peut‑être une définition différente l'année prochaine à cause de la croissance qu'il y aura eue dans la collectivité.«Je crois que l'on ne peut pas «guérir» les gens, mais qu'on peut leur apprendre certaines choses et leur fournir les outils qui les aideront à faire des changements. Nous sommes devant deux systèmes différents : dans l'un, les gens voient un médecin pour les guérir; dans l'autre, on estime que la guérison se produit à l'intérieur de soi et qu'on peut seulement aider quelqu'un à croître. La croyance selon laquelle les outils se trouvent à l'intérieur des personnes, des familles et des collectivités est fondamentale à cette philosophie. Le mot guérison est tellement holistique qu'il peut englober beaucoup de choses et qu'il n'y a pas de définition établie. »
- « La guérison est un processus d'apprentissage. »
Ces commentaires ont été formulés par des jeunes et des personnes plus âgées, des parents, des prestataires de soins et des dirigeants. Le thème récurrent est que la guérison vient de l'intérieur pour se poursuivre vers l'extérieur; elle commence par l'individu, puis se continue dans la famille et enfin dans la collectivité.
Dans cet effort pour définir le processus complexe de la guérison, certains participants en ont donné une description frappante par des images visuelles. C'est peut‑être dans la réponse qui suit, qui a été donnée par un jeune, que la guérison a été exprimée de la façon la plus vivante.
« La guérison, c'est un aigle qui s'envole en laissant tout derrière lui».
CHAPITRE V. QUAND UNE COLLECTIVITÉ EST ELLE PRÊTE À AMORCER UN PROCESSUS DE GUÉRISON? QUI LE DÉTERMINE ET DE QUELLE FAÇON?
Le processus de guérison commence à l'intérieur de chaque individu avant de gagner l'ensemble de la collectivité. C'est ainsi que le processus s'amorce.
Pour les gouvernements autochtones comme pour les autres gouvernements, déterminer le moment où une collectivité est prête à guérir ou à s'engager dans un processus de guérison constitue une première étape qui est essentielle à tout changement. Dans le présent chapitre, nous étudierons certains des signes auxquels on reconnaît que ce moment est venu. En outre, nous chercherons à savoir qui détermine quand ou si une collectivité est prête à amorcer le processus de guérison et, peut‑être, à recevoir de l'aide. Au chapitre suivant, étroitement lié à celui‑ci, nous nous pencherons sur les différentes façons dont le processus de guérison a commencé dans certaines collectivités.
L'«état de préparation» est l'étalon auquel on mesure si un individu ou une collectivité est apte à faire face à ses problèmes. Il suppose qu'on assume la responsabilité de ses problèmes et qu'on prend les moyens de changer les choses. Ajoutons que pour déterminer qu'une personne, une famille ou une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison, il faut tenir compte des possibilités qu'elle a de changer.
DÉTERMINER SI UNE COLLECTIVITÉ EST PRÊTE
Les opinions varient d'un répondant à l'autre sur le moment où une collectivité est prête à s'engager dans un processus de guérison. Toutefois, on s'entend sur les critères essentiels permettant d'évaluer cet état de préparation, à savoir dans quelle mesure les membres de la collectivité sont conscients des problèmes, motivés à changer les choses et prêts à prendre des responsabilités pour les changer. Il appartient à la collectivité elle-même, et non à des intervenants de l'extérieur, de déterminer si elle est prête.
CONSCIENCE DES PROBLÈMES
Les répondants des collectivités ont insisté sur le fait qu'une collectivité est prête à prendre des mesures en vue de la guérison lorsque ses membres ont pris conscience qu'il existe des problèmes et reconnaissent que la situation ou le mode de vie de la collectivité ne sont plus acceptables ni tolérables.
- « À mon avis, le processus s'amorce lorsque les gens commencent à sentir qu'un changement est indispensable et qu'il doit sûrement y avoir quelque chose de mieux. Lorsque les gens sont capables de s'asseoir et de parler à quelqu'un, c'est à ce moment que la guérison commence. Je ne sais pas si une collectivité est jamais prête ou s'il existe un état de préparation. Je pense que les membres de la collectivité qui avaient expérimenté ou vécu une foule de situations déplorables savaient tout simplement qu'il devait y avoir quelque chose de mieux, une meilleure façon de vivre pour notre collectivité. »
- « Le processus de guérison s'amorce lorsqu'on commence à réfléchir à ce qu'on a fait. Lorsqu'il s'agit d'une collectivité, le processus s'amorce lorsqu'un groupe de personnes se réunissent et reconnaissent qu'il y a beaucoup de problèmes dans la collectivité. La guérison commence même avant, mais ce n'est que lorsque les gens se mettent à se poser des questions sur la façon de mettre un frein au cycle de destruction que le cycle commence à se rompre. »
- « J'ai vu tellement de souffrance chez les personnes auprès desquelles je travaillais que je savais que la collectivité était prête. J'ai vu des gens souffrir et d'autres qui ne savaient même pas qu'ils souffraient, cherchant à accepter ce qui leur était arrivé dans la vie. Il existe diverses façons d'aborder les problèmes de violence sexuelle, de violence familiale et autres, mais en ce qui me concerne, la seule façon de trouver des solutions à ces problèmes était d'agir au niveau de la collectivité. »
- « Sur le plan individuel, le processus s'amorce lorsqu'on commence à se demander ce qu'on a fait de mal et ce qu'on peut faire pour changer les choses. J'ai découvert que je ne pouvais changer le passé, mais que je pouvais sûrement faire quelque chose pour les personnes que j'avais blessées et qui sont encore vivantes. Je pourrais aller vers elles et leur dire : écoutez‑moi, je sais que j'ai mal agi et je le regrette; si jamais vous avez besoin d'aide, je vous aiderai, ou bien si vous voulez parler à quelqu'un, je vous écouterai. J'ai commencé à réfléchir à mon passé et j'ai pris conscience du nombre de gens que j'avais blessés; une partie de mon processus de guérison passe par cette voie et ce qui m'y a conduit; je vous explique cela pour que d'autres membres de notre collectivité puissent trouver la même voie. Ainsi, lorsque j'ai réfléchi à la vie que j'avais menée, je me suis dit que c'était affreux! J'ai blessé tant de femmes et d'hommes et maintenant le temps est venu pour moi de me racheter. Ce n'est pas toujours possible. C'est le Créateur qui nous dit quand le moment est venu d'aller vers les autres. »
MOTIVATION AU CHANGEMENT
Lorsqu'on a pris conscience des problèmes, des modifications des modes de comportement commencent à témoigner des mesures positives prises par la collectivité pour prendre ses affaires en mains.
- « L'affaiblissement de l'Esprit était tel dans les années quatre-vingt que nous avons touché le fond, et c'est ce qui nous a forcés à changer. L'Esprit s'est renforcé à mesure que nous avons pris conscience du travail des églises et du fait que les Aînés étaient envoyés dans des maisons de retraite. Les enfants, les Aînés et l'affaiblissement de l'Esprit ont commencé à nous ouvrir les yeux. Il y avait tant de choses à régler et tant de choses qu'il fallait essayer de faire. Quant à ceux d'entre nous qui avaient cessé de boire, la «vision» constituait le quatrième facteur; nous nous sommes donc entendus sur une vision de notre collectivité. Nous devrons réviser cette vision à mesure que les choses évolueront. Cette vision n'a pas encore changé. »
- « Lorsqu'on est engagé dans un processus de guérison, on continue de nier certaines choses, mais on finit par reconnaître ces choses parce qu'il est moins difficile de le faire lorsqu'on participe à des groupes de soutien. Maintenant, ça m'est égal lorsque les gens parlent de moi parce que je considère que c'est leur problème s'ils ne veulent pas faire face à leurs propres erreurs. »
- « Le processus commence lorsque les gens se décident à agir, même si cette décision prend simplement la forme d'une demande de financement. Voilà un bon indice qui montre qu'ils sont prêts à amorcer le processus. Cela peut prendre du temps avant de commencer ce processus, mais une fois qu'il est enclenché, les gens vont chercher de l'aide partout où ils peuvent en trouver et, le plus souvent, ils s'adressent au gouvernement. Lorsque nous avons entamé notre processus de guérison, nous nous sommes adressés au chef et au Conseil et nous leur avons demandé de négocier du financement. Ces demandes n'ont pas été entendues du premier coup, mais nous avons persévéré. Les négociations avec le gouvernement ont pris presque deux ans. Lorsque nous obtenons une réponse, on dirait que nos collectivités doivent recommencer à zéro avant d'entamer le processus de guérison. Il faut beaucoup de courage pour se mettre debout et parler du processus de guérison; simplement écrire une lettre ou présenter une demande au chef et au Conseil pour leur demander de s'occuper de la question exige beaucoup d'efforts. Toutes les demandes devraient être prises très au sérieux. »
Un jeune participant a touché le thème central de la motivation en déclarant ce qui suit :
- « Pour moi, ça a commencé lorsque je me suis mis à penser à mon avenir, à mes études. Je ne voulais pas être un décrocheur. Je ne voulais pas ressembler aux autres membres de ma famille. Je voulais qu'ils soient fiers de moi : terminer mon secondaire, poursuivre mes études et atteindre mes buts. J'ai encore beaucoup de choses à régler. J'ai observé comment ma mère se comportait et j'ai décidé que je ne voulais pas lui ressembler. Je m'imaginais glissant sur la même pente et c'est alors que j'ai décidé de demander de l'aide. »
De même, un autre membre de la collectivité a souligné qu'une collectivité est motivée et prête lorsque ses membres reconnaissent que l'avenir dépend de changements qui doivent se faire aujourd'hui.
- « À mon avis, ce qui s'est passé ici, c'est que des membres de la collectivité ont finalement dit : ça suffit! Nous devons régler ce problème si nous voulons être en mesure de régler les autres questions. C'est alors que l'ensemble de la collectivité a emboîté le pas. L'expérience vient de la collectivité, et non de personnes de l'extérieur décidant que le moment est venu de faire quelque chose. C'est la collectivité qui décide qu'elle veut préparer un avenir pour les enfants. »
VOLONTÉ DE PRENDRE DES RESPONSABILITÉS
Ainsi, les gens commencent à prendre des responsabilités pour la collectivité et à influencer le comportement des autres à mesure que leur sensibilisation augmente.
- « Je pense que la guérison peut commencer lorsque les gens commencent à en parler ouvertement. Parfois, nous commençons à en parler, mais ensuite nous avons tendance à nous retirer parce qu'il est difficile de nommer des gens. J'ai commencé à parler à mes petits‑enfants, à les mettre en garde contre la drogue, l'alcool, le SIDA, le sexe, et à leur parler de leur avenir. Je vais les voir et je leur dis ce que je ressens. Ils n'ont encore rien fait qui puisse gâcher leur vie. À mon avis, s'il faut entamer un processus de guérison, il faut le commencer à la maison. Lorsqu'un incident survient, il faut oublier que la personne en cause est notre ami ou un parent, nous devons réparer le tort. »
- « Je n'étais pas tout à fait prêt lorsque les gens ont décidé que le temps était venu pour moi de mettre de l'ordre dans ma vie et de changer ma façon d'être. »
- « Lorsque la collectivité commence à prendre ses responsabilités et à exprimer ses points de vue, sans compter uniquement sur les dirigeants. »
- « À mon avis, notre collectivité a entamé son processus de guérison lorsque nous avons eu une importante réunion dans la grande salle afin de décider si l'on servirait ou non de l'alcool à la soirée dansante qui allait avoir lieu. Quelqu'un s'est levé et a commencé à montrer du doigt d'autres personnes, disant se souvenir que l'une avait fait ceci, l'autre cela, etc. Pourquoi donc reprochions‑nous aux jeunes de vouloir faire la même chose? Après un vote public, on a décidé que l'on servirait des boissons alcoolisées. Je ne sais pas pourquoi cette personne a changé d'idée, mais elle et un certain nombre d'autres ont commencé à s'opposer aux soirées dansantes où l'on consommait des boissons alcoolisées et des drogues; c'est à ce moment-là, je crois, que notre collectivité a amorcé son processus de guérison. Nous n'en étions pas conscients, mais cela faisait partie du processus. Cette année, le conseil de bande a adopté une position sévère à l'égard des trafiquants de drogue de la collectivité en leur expliquant qu'ils seront chassés s'ils continuent à vendre de la drogue. »
Bon nombre des jeunes qui ont été interrogés ont exprimé des opinions semblables. Malgré la brièveté de leurs commentaires, ils nous ont laissé des mots et des phrases clés qui peuvent être utilisés par tous pour évaluer le degré ou l'état de préparation d'une collectivité.
Bien que ces commentaires aient été faits séparément, le message commun sous-jacent se trouve formulé dans la première citation qui parle de l'importance d'obtenir et de préserver la confiance.
- « Lorsque les gens commencent à se faire confiance mutuellement. »
- « Lorsque les gens commencent à travailler ensemble. »
- « Lorsqu'on a la volonté de commencer un processus de guérison. »
- « Lorsqu'on collabore avec les autres. »
- « Lorsque les gens commencent à écouter les autres et à parler de leurs problèmes. »
Un autre groupe de jeunes issus de la même collectivité ont eu une approche différente de la même question. Leurs commentaires laissent entendre que les collectivités sont en constante évolution et qu'un des indicateurs de changement peut être soit de savoir ce qu'on veut pour sa collectivité soit de savoir ce qu'on ne veut pas!
- « Les gens ont commencé à se désintéresser de leur culture. »
- « Lorsque la collectivité a cessé ses activités. »
- « Les gens ont cessé de participer à certaines occasions spéciales ou de s'intéresser à certaines questions. »
- « Les gens ont commencé à boire beaucoup et à prendre de la drogue. »
Chacune de ces approches permet de déterminer l'état de préparation de la collectivité en mettant en lumière des facteurs essentiels qui incitent au changement. Ces facteurs, qui sont souvent ressentis ou vécus sur le plan individuel, se généralisent et s'étendent à toute la collectivité.
QUI DÉTERMINE QU'UNE COLLECTIVITÉ EST PRÊTE?
Même si ces thèmes fournissent un cadre qui permet d'évaluer la préparation de la collectivité, il reste à établir qui détermine qu'une collectivité est prête. Là encore, il s'agit de savoir si la collectivité le détermine elle‑même ou si ce sont des intervenants de l'extérieur qui doivent le faire.
RÔLE DU «GROUPE CENTRAL» DE LA COLLECTIVITÉ
Les «groupes centraux» sont aussi variés que les collectivités. Dans certains cas, ces groupes sont formés de personnes appartenant à une même classe d'âge ou du même sexe, tandis que d'autres sont mixtes et que leurs membres sont unis par des compétences, des besoins ou un mandat communs. L'élément principal qui distingue ces groupes des autres groupes de la collectivité est le fait qu'ils ont d'une certaine manière cerné et défini un problème ou un ensemble de problèmes auxquels ils voudraient apporter des solutions. En outre, ces groupes sont prêts à prendre des risques et à adopter une nouvelle méthode ou approche pour régler les problèmes. Ainsi, c'est parfois le groupe central qui, en fait, détermine le moment où la collectivité est prête.
Par exemple, une des collectivités a entamé son processus de guérison à la suite d'une initiative prise par un adulte travaillant auprès de jeunes en vue de former un groupe de jeunes. Il s'agissait, entre autres, d'offrir aux jeunes la possibilité de recevoir une formation sur la manière de coordonner des activités et de les mettre en oeuvre. C'est dans ce contexte que les adultes et les Aînés ont été invités avec insistance à mettre un terme à l'alcoolisme et à la toxicomanie, au suicide, à la violence familiale, à la violence sexuelle et à toute autre forme de victimisation dans la collectivité. Les jeunes leur ont demandé d'offrir des exemples positifs aux enfants de la collectivité et aux enfants qui naîtraient plus tard. Depuis, les problèmes sociaux ont diminué de façon spectaculaire. Même si tous les problèmes n'ont pas été éliminés, la consommation d'alcool et de drogue a diminué, tout comme le nombre de suicides et d'actes de violence.
Une autre collectivité qui connaissait un taux élevé d'actes de violence avec armes à feu a mis en place un programme de contrôle des armes à feu qui a été appuyé par les dirigeants élus et par un petit groupe de membres de la collectivité. Bien que l'adoption de cette politique ait rencontré une forte résistance, la persévérance et la détermination de ces quelques personnes ont permis à la population de commencer à se sentir en sécurité dans la collectivité et de cerner les causes de la violence. Comme on pouvait s'y attendre, cette initiative en a engendré d'autres ayant pour but des améliorations qui contribueront à créer un milieu communautaire plus sain.
Les expériences d'Alkali Lake, largement relatées par les médias, ont permis tant aux collectivités autochtones qu'aux autres collectivités de constater l'influence que peut avoir un individu sur l'ensemble de la collectivité.
Une autre approche plus récente, qui a été expérimentée par un certain nombre de collectivités, consiste en un processus lancé par une personne ou un petit groupe de personnes qui désirent renforcer les compétences et les ressources existant déjà au sein de la collectivité. Le succès de toute initiative de développement communautaire réside dans une utilisation optimale des ressources de la collectivité. Les personnes qui participent à ces initiatives sont des membres du personnel de la bande et des membres de la collectivité qui ont suivi une formation les préparant à une approche d'équipe pour trouver des solutions aux préoccupations et aux problèmes de leur collectivité.
Un point essentiel se dégage de chacun de ces exemples : c'est le plus souvent une personne ou un groupe de personnes de la collectivité qui décident qu'un changement est nécessaire et que des mesures doivent être prises pour amorcer le processus de guérison. Cette notion remet en question l'idée voulant que la collectivité tout entière doit d'une manière ou d'une autre montrer qu'elle est prête et qu'il faut arriver à un consensus pour procéder à un changement.
Un autre membre de la collectivité a souligné que ce sont les enfants qui constituent le groupe central ou la force de motivation d'une collectivité et que, même si la prise de conscience initiale du problème se fait chez une seule personne, ce sont les enfants collectivement qui guident la collectivité vers la solution.
- « Ce qui m'a fait voir ou penser que ma collectivité était prête, c'est que j'ai travaillé auprès d'enfants et que j'ai pris conscience que les parents peuvent créer des problèmes qui se répercutent sur leurs enfants. J'ai pris conscience de la destruction que le silence engendrait; nos Aînés ne transmettaient plus les enseignements et tout le monde gardait des secrets. Nous n'abordions pas les questions de responsabilité ou de cycles de vie, et je savais que cette situation devait changer pour que nous puissions changer. Nous devions travailler sur ces deux points : les parents devaient aider les enfants et briser le silence. Lors d'ateliers organisés dans la collectivité, on a fourni de l'information sur les indicateurs et on a donné aux enfants l'occasion de s'exprimer. Certains enfants ont dénoncé ouvertement la violence dont ils étaient victimes. Je savais que les enfants étaient prêts. Les enfants m'ont permis de savoir que la collectivité était prête! »
Tous ces exemples servent à illustrer et à confirmer les réponses qui ont été recueillies auprès des membres de la collectivité au cours de la présente étude et qui laissent penser qu'une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison lorsqu'une ou plusieurs personnes veulent changer les choses ou guérir. C'est cet élan collectif qui détermine si la collectivité est prête. De cette façon, l'existence d'un groupe central devient un autre moyen de déterminer si une collectivité est prête.
Un fonctionnaire interrogé dans le cadre de l'étude a fait la déclaration suivante :
- « La collectivité est prête à entamer un processus de guérison lorsqu'il y a en son sein un groupe qui prend conscience d'un problème commun ou d'un certain nombre de problèmes communs qui touchent certains segments de la collectivité. Aussitôt que ce groupe central est prêt à s'attaquer à un ou plusieurs problèmes, il est très intéressant de se tenir à l'écart et d'observer l'évolution de ce groupe qui grossit à partir d'un noyau de quelques personnes éclairées. Ainsi, un groupe qui était formé au départ d'une douzaine de personnes peut en réunir plus tard de vingt‑cinq à trente. »
C'est la présence d'un groupe central qui permet de déterminer qu'une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison. Autrement dit, les réponses aux questions «comment déterminer qu'une collectivité est prête?» et «qui détermine qu'une collectivité est prête?» résident dans l'évaluation de la motivation de quelques personnes et des responsabilités prises par ces personnes.
LE RÔLE DES GOUVERNEMENTS EXTÉRIEURS
Les gouvernements extérieurs doivent, bien entendu, évaluer si une collectivité est prête lorsqu'ils ont à prendre des décisions quant à l'affectation de ressources à cette collectivité. Les gouvernements ont‑ils d'autres rôles à jouer dans ce domaine?
Un fonctionnaire répond en ces termes :
- « Ce que peut faire le gouvernement, c'est aider les collectivités à voir ce qu'elles ont fait par leurs propres moyens pour réduire ou commencer à réduire le problème. Leurs conseillers sont-ils efficaces? Combien d'ateliers ont été organisés? Autrement dit, évaluer ce que la collectivité en question a fait pour régler ses problèmes. Pour cela, il suffit d'un peu de recherche; il ne s'agit pas d'effectuer une étude exhaustive de la collectivité! Normalement, un porte‑parole explique le problème aux fonctionnaires ou, dans le meilleur des cas, propose une solution. Pour obtenir un autre point de vue, quelqu'un de l'extérieur ou du gouvernement peut s'adresser aux organismes locaux desservant la collectivité, que ce soit la police, les services de santé ou les services sociaux. Au bout de quelques heures, si on a reçu les mêmes réponses ou des réponses semblables de sources internes et externes, et qu'un certain nombre de gens convergent vers le même but, on sait que c'est là que les fonds doivent être alloués. Les sources de renseignements ne doivent pas nécessairement être extérieures à la collectivité. Elles peuvent aussi bien être intérieures, puisque si tout le monde vous dit la même chose, c'est que la demande est légitime, à mon avis. »
MISE EN GARDE À PROPOS DE L'ÉVALUATION DE L'ÉTAT DE PRÉPARATION DE LA COLLECTIVITÉ
Lorsqu'on doit déterminer si une collectivité est prête, il est essentiel de savoir au jugement de qui on peut se fier. Un certain nombre de variables peuvent avoir une influence sur la manière dont on détermine ou évalue si la collectivité est prête. Non seulement les attitudes et les valeurs de ceux qui évaluent cette collectivité deviennent des variables dans ce processus, mais aussi la façon dont les questions sont posées ou présentées aux membres de la collectivité ou à d'autres échantillons importants.
Dans la présente section, nous donnons des exemples tirés de notre étude pour montrer à quel point il est important de tenir compte de la manière de poser les questions lorsqu'on veut déterminer si une collectivité est prête. Les exemples qui suivent illustrent comment le fait de poser une question de différentes façons peut permettre de mieux comprendre la réponse et la perception d'une personne. Cette technique peut également servir à déceler une uniformité parmi les réponses données par différents membres de la collectivité, qui autrement n'aurait pu être perçue.
Dans un certain nombre d'occasions, au cours de l'étude, on a pu constater que les répondants avaient des perceptions différentes de «l'état de préparation» de la collectivité.
Un de nos exemples est tiré d'une entrevue de groupe réalisée auprès de personnes qui avaient grandi dans la même collectivité au cours de la même période, étaient amis ou parents et avaient suivi une voie semblable dans leur participation aux activités communautaires. On aurait pu s'attendre à ce qu'elles donnent des réponses semblables; or, leurs réponses à la même question sont en fait curieusement différentes.
- « Je ne pense pas que la guérison a commencé. Je n'ai encore vu aucun changement. Quant à moi, je me bats encore pour trouver des solutions à mes problèmes personnels. »
- « Je pense que ça a commencé. Les gens parlent actuellement de choses dont ils n'auraient pas parlé auparavant. Je constate que beaucoup de gens travaillent à leur croissance personnelle. Avant, on n'aurait jamais entendu quelqu'un parler de «violence» ou de «violence familiale», mais aujourd'hui, les gens utilisent ces mots et parlent du problème. »
À la lumière de ces exemples, nous constatons que les réponses individuelles dépendent d'un certain nombre de facteurs ou de variables qu'une personne de l'extérieur se doit de prendre en considération pour déterminer si une collectivité se sent prête à entreprendre un processus de guérison. En dernière analyse, il faut tenir compte de variables telles que l'âge, le statut ou la position dans la collectivité, le sexe, la période, la situation ou les priorités du répondant au moment de l'enquête. En outre, il faut savoir que certaines personnes estiment qu'elles doivent répondre à la question en la reliant directement à leur propre vécu, tandis que d'autres la rattachent au vécu collectif.
La question elle‑même et la façon dont elle est posée peuvent influencer la réponse. Par exemple, à la question «Quand pensez‑vous que commence le processus de guérison?», un des répondants a répondu ceci :
- « Lorsque chaque personne prend conscience de l'existence d'un problème. En ce moment, il y a dans la collectivité beaucoup de gens qui n'ont pas conscience de la réalité. Ils pensent que des problèmes comme la toxicomanie et l'alcoolisme sont normaux; il faut donc leur ouvrir les yeux. La difficulté, c'est qu'ils croient que les problèmes ne les touchent pas, ni leur famille. Ainsi, avant de commencer un processus de guérison, il faut sensibiliser les gens aux problèmes, leur montrer tout ce qui ne va pas et leur faire comprendre que nous devons nous unir pour résoudre les problèmes communs. »
Quelqu'un qui entend ou lit cette réponse peut en tirer toutes sortes de conclusions, entre autres que son auteur ne considère pas que la collectivité est prête à commencer un processus de guérison. Or, les collectivités choisies pour le projet l'ont été en raison de leur progrès ou de leur mouvement vers le changement. On a donc posé la question d'une façon différente à la même personne afin de clarifier sa perception. On lui a cette fois demandé : «Quand la collectivité a-t-elle commencé à guérir? »
- « Lorsqu'on a lancé le programme de lutte contre la toxicomanie et l'alcoolisme dans la réserve. Le Conseil a mis en place ce programme lorsqu'il s'est rendu compte qu'une foule de gens buvaient. Le programme a rencontré des obstacles; certains l'ont considéré comme une réussite, d'autres comme un échec, parce qu'un grand nombre de personnes ont plutôt tendance à condamner qu'à soutenir. Le programme a survécu et bien des gens ont cessé de consommer de l'alcool. »
Cette deuxième réponse commence à montrer un portrait différent de la collectivité. On aurait pu présenter la question d'une autre façon qui aurait influencé la réponse, en suggérant que la collectivité avait entrepris un processus de guérison. Toutefois, le répondant fondait sa réponse sur son vécu dans la même collectivité que celle à laquelle on a faisait allusion dans la première question. Afin d'expliquer cette différence dans les réponses, on a posé une troisième question qui est celle‑ci : «Comment déterminer qu'une collectivité est prête à amorcer un processus de guérison? »
- « Quoi de mieux que d'avoir un groupe de survivants? Ils ont survécu à l'enfer dans lequel ils se trouvaient, qu'est‑ce qui peut les arrêter maintenant? Les conditions qu'ils ont connues, les situations de stress qu'ils ont vécues et ainsi de suite... Qui doit déterminer à quel moment ils sont prêts? Comment le déterminer? Décide‑t‑on qu'ils sont prêts lorsque chacun met son nom dans un chapeau pour signifier qu'il est prêt? Ou bien commence‑t‑on par certaines personnes en espérant que d'autres se joindront au groupe? »
En étant attentif aux modifications subtiles que l'on peut apporter à la formulation d'une question, l'enquêteur peut s'assurer que les réponses données traduisent parfaitement le message que le répondant essaie de transmettre. Lorsque l'anglais est la langue seconde du répondant, il importe aussi d'être conscient que le sens rattaché à divers mots peut varier.
CONCLUSION
L'état de préparation d'une collectivité est une notion complexe, qui est pourtant capitale. Il est nécessaire de déterminer si la collectivité est prête ou si elle a des possibilités de changement, mais il importe d'être conscient des variables en cause. Ainsi, si l'évaluation de l'état de préparation est axée sur un programme ou un projet qui n'a pas de précédent ou qui est nouveau dans le domaine social, il peut être difficile de déterminer si la collectivité est prête, faute de point de comparaison.
Les questions posées à ce sujet devraient servir à obtenir de l'information sur la capacité d'une personne ou d'une collectivité d'entreprendre des activités ou des projets. De plus, elles peuvent aider à clarifier les buts du projet ou de l'activité et les mesures à prendre pour élaborer un plan d'action en vue d'effectuer le processus de guérison. Bref, en soulevant la question de la préparation, on peut inciter les collectivités à prendre l'initiative de trouver des solutions à leurs problèmes.
Dans le présent chapitre, nous avons tenté de déterminer le moment où une collectivité est prête et de créer un cadre d'évaluation qui peut aider les collectivités elles‑mêmes et les organismes extérieurs. Ce cadre est un outil qui doit permettre de susciter des occasions de dialogue entre les parties responsables de l'élaboration et de la mise en oeuvre des programmes et des projets.
CHAPITRE VI. PROCÉDER AU CHANGEMENT : COMMENT S'AMORCE LE PROCESSUS DE GUÉRISON?
Le but ultime de notre vie réside dans la vision que nous avons à offrir à notre peuple. Il nous faut présenter une vision globale que tous voudront adopter, qu'ils soient Autochtones ou non. Nous devons prendre conscience que tous les problèmes que nous rencontrons en tant que peuple ont une portée universelle. Nous devons commencer à nous dégager des critères d'aujourd'hui, car ils restreignent ou limitent qui nous sommes et ne nous donnent qu'une vision étroite. Nous devons redéfinir notre mode de vie actuel. Une fois que nous aurons retrouvé notre identité en tant que peuple, nous pourrons faire face à n'importe quelles épreuves. Aujourd'hui, nous sommes un peuple fort; lorsque nous aurons réglé nos problèmes, nous deviendrons un peuple très puissant.
Dans le chapitre précédent, nous avons examiné les signes auxquels on reconnaît qu'une collectivité est prête à procéder à des changements et nous nous sommes demandé qui détermine qu'une collectivité est prête à entreprendre un processus de guérison. Dans le présent chapitre, nous examinerons certaines évolutions qui semblent être associées à l'amorce positive d'un changement.
CLARIFIER LA VISION
La vision dont il est question dans la citation ci‑dessus correspond à l'opinion exprimée par de nombreux répondants, selon lesquels le processus de guérison s'amorce lorsqu'un individu ou la collectivité entière passe de la réflexion (niveau «cérébral») à la motivation profonde (niveau «viscéral»). Autrement dit, après avoir cerné et reconnu les problèmes, il faut déterminer comment changer les choses ou résoudre les problèmes.
La plupart des répondants croient que, si l'on veut effectuer un changement, l'impulsion doit venir de l'intérieur de l'individu ou de la collectivité. Cela ne veut pas dire que les collectivités n'ont pas besoin de ressources externes pour concevoir et mettre en oeuvre des activités de guérison, mais plutôt qu'il revient à l'individu ou à la collectivité de déterminer les activités ou le plan qui seront élaborés et mis en oeuvre et la priorité qui sera accordée à ces activités. Le plan doit être fondé sur la vision.
PASSER D'UNE CONVICTION À UN PROCESSUS
Une fois que la vision et la conviction qu'il faut agir se sont cristallisées dans l'esprit des membres de la collectivité, les collectivités qui semblent réussir à faire progresser leur processus de guérison connaissent le début d'un processus de développement communautaire, lequel consiste à apprendre à travailler en collaboration afin de faire le meilleur usage possible de toutes les ressources disponibles.
COMME L'A DÉCLARÉ UN MEMBRE D'UNE COLLECTIVITÉ :
- « Il nous appartient de bâtir de nouvelles fondations pour l'avenir de notre peuple, d'élaborer des programmes de guérison qui permettront de remédier aux tristes conditions sociales qui sont le lot de l'ensemble de notre collectivité et qui ont des répercussions sur notre éducation, notre travail, nos familles, ainsi que sur chacun d'entre nous. »
L'objectif, selon le même répondant, est de créer un climat qui favorise la guérison de façon à :
- Aider ceux qui ont le plus besoin de guérison;
- Aider ceux qui ne peuvent demander de l'aide à cause de la société opprimante dans laquelle ils vivent. Ceux qui ne savent pas à qui s'adresser. Ceux qui ne possèdent pas cette force intérieure qui pousse à faire le premier pas pour obtenir de l'aide;
- Aider ceux qui ne demandent pas d'aide à moins qu'on leur fasse voir qu'il existe quelque
chose de mieux pour eux ou qu'il y a des personnes désireuses de les sortir du bourbier dans
lequel ils se trouvent; - Aider ceux qui considèrent leur situation comme normale et ne voient pas la réalité. Nous vivons dans une société qui réglemente chaque aspect de nos vies personnelles et dans laquelle une foule de choses peuvent être considérées comme normales, même si cela n'est pas nécessairement le cas;
- Faire tomber les barrières qui maintiennent notre peuple dans la peur, cette peur qui prend ses racines dans toute l'oppression qui vient de la société non autochtone.
Bref, selon ce répondant et de nombreux autres, les Autochtones doivent commencer à apprendre à travailler ensemble afin d'abattre les barrières qui les isolent les uns des autres. Les groupes de l'extérieur, comme les gouvernements, ne peuvent diriger ce processus, puisque les attitudes, les valeurs et les convictions doivent être examinées à partir de l'intérieur de la collectivité ou des individus. Comme l'a dit un fonctionnaire :
« C'est le passage d'une conviction à un processus. »
ACTIVITÉS FAVORISANT LE PROCESSUS
D'après les réponses obtenues, la guérison ou le processus de guérison commence lorsqu'il se déroule des activités ou des événements qui sont reconnus comme favorisant le rétablissement ou la guérison. Ces activités sont aussi diverses que le sont les problèmes et les collectivités. Toutefois, la plupart comprennent la découverte de soi, le soutien communautaire et un voyage spirituel.
- « La guérison a commencé en partie lorsque nous avons rouvert notre école, parce que notre identité culturelle avait en quelque sorte été mise en veilleuse quand nos enfants avaient été intégrés à la société dominante, perdant leur langue, oubliant leur origine et leurs racines. Une partie de la guérison consiste à se découvrir, à connaître ses origines, à retrouver et consolider ses racines. »
- « Lorsque les gens ont commencé à venir au centre de traitement. »
- « Lorsque quelqu'un est venu nous voir parce qu'il s'est rendu compte qu'il était sur le point de répéter le cycle de la violence, cette fois en tant que délinquant. »
- « En ce qui me concerne, j'ai eu une expérience révélatrice lorsque j'étais administrateur d'un bureau d'aide sociale. Depuis des années, les gens pensaient qu'ils avaient droit à l'aide sociale en vertu d'un traité, qu'ils en aient ou non besoin. Certains travailleurs pensaient qu'ils pourraient toucher de l'aide sociale en guise de salaire rétroactif pour toute la période au cours de laquelle ils n'en avaient pas reçu. Beaucoup étaient réellement furieux contre moi et je savais qu'il me fallait régler ce problème; la seule façon de le faire était d'être honnête avec eux. J'ai donc eu à les renseigner et à faire des mises au point. Même si les gens étaient furieux contre moi, ils ont commencé à me demander de me présenter au Conseil. C'est alors que j'ai compris qu'ils voulaient du changement. Et ça continue ainsi depuis ce jour. »
- « Le processus a démarré lorsque nous avons invité une personne-ressource de l'extérieur à venir animer un atelier dans la collectivité. Cela nous a donné beaucoup à réfléchir. L'atelier était ouvert à tous, mais ce sont principalement les membres de la collectivité qui y ont participé. On pouvait réellement sentir la force qui émanait de la collectivité. Les gens sont venus participer à l'atelier parce qu'ils voulaient des changements dans leur vie. Ça ne fait que commencer, et c'est un bon départ. Toutefois, à mon avis, le processus avait réellement commencé à la suite d'une tragédie qui était survenue dans la collectivité. La guérison comme telle a commencé lorsque nous avons organisé cet atelier et invité les gens; ils sont venus parce qu'ils voulaient y être et nombre d'entre eux attendent avec impatience le prochain atelier. »
- « Lorsque le Conseil a essayé de libérer les gens de leur dépendance à l'égard de l'aide sociale; c'est ce qui a permis de libérer des fonds pour faire des choses créatives. »
Un membre d'une collectivité a donné un exemple frappant de la façon dont une activité peut se dérouler autrement ou avec plus d'intensité que prévu. Cet exemple montre comment une activité peut nous aider à déceler ou à mieux comprendre des problèmes et à parvenir finalement à des solutions. Il résume comment ce genre d'activités favorise le processus de guérison. Par ailleurs, il montre que lorsqu'on reconnaît ou comprend mieux les problèmes, on s'efforce de satisfaire les besoins de la collectivité et on prend des décisions qui ne font pas toujours l'unanimité.
- « Nous nous efforcions de comprendre pourquoi nous nous trouvions dans cette situation. Nous savions qu'il y avait une cause profonde. Nous pensions que la perte de nos enseignements y était pour quelque chose, tout comme la perte de notre identité et de notre spiritualité et le démembrement de nos familles. Nous avons organisé un atelier avec une personne-ressource de l'extérieur dans le but de comprendre pourquoi nous avions un grave problème d'alcoolisme. L'animateur a appelé cet atelier «Alimentation et sexualité». Je me demandais ce que cela pouvait bien avoir à faire avec l'alcoolisme. Je savais que lorsqu'on boit beaucoup, on a souvent des activités sexuelles dysfonctionnelles et qu'on mange beaucoup... Peut‑être était‑ce là le lien. Durant l'atelier, nous nous sommes finalement rendu compte que tous les prestataires de soins avaient été victimes de violence sexuelle. C'était difficile à entendre, mais à présent tout s'éclaircissait. Il devenait important pour nous de comprendre les fonctions saines de la sexualité, que la sexualité est à l'origine de la vie et qu'elle est sacrée; c'est parce que toutes ces notions étaient confuses qu'il y avait eu tant de cas de violence sexuelle. Il était évident, après la tenue de l'atelier, que nous avions besoin de «faire peau neuve»! Nous avons commencé à travailler auprès des jeunes et nous avons encore un long chemin à faire. Il y a des gens qui pensent que l'éducation sexuelle ne devrait pas se faire à l'école, mais plutôt à la maison, mais malheureusement ce n'est pas encore le cas. »
Les réponses données par les membres des collectivités laissent voir que, selon eux, la guérison commence lorsqu'une ou plusieurs personnes reconnaissent l'existence d'un problème et prennent des mesures pour changer l'aspect de leur vie qui les a fait souffrir ainsi que leur collectivité. Ces répondants ont décelé certains facteurs qui préparent une collectivité au changement et ils commencent à concevoir des activités qui favorisent ce changement.
Parmi ces facteurs, on retrouve l'expérience, la conscience d'avoir perdu l'estime de soi et le sentiment de sa valeur personnelle, «l'affaiblissement de l'esprit», la perte de son identité culturelle ou de ses racines, l'absence de vision ou d'objectifs, le fait de ne pas comprendre le fonctionnement des systèmes et la façon d'utiliser les ressources pour satisfaire plus efficacement ses besoins. Même si cette liste n'est pas exhaustive, elle constitue un point de référence pour les personnes qui veulent concevoir des activités liées directement au problème ou visant à susciter des changements.
Les réponses obtenues montrent la diversité des événements qui ont provoqué l'enclenchement du processus de guérison. Ici encore, on constate que les personnes résidant dans la même collectivité ne sont pas toutes d'accord sur le moment où la collectivité a commencé sa guérison, non plus que sur la façon dont cela s'est amorcé.
Dans une des collectivités, le changement est survenu lorsqu'on a obtenu du financement pour établir un programme communautaire de prévention de la toxicomanie dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les autochtones (PNLAADA), une initiative de Santé Canada. Comme l'a souligné un membre de cette collectivité :
- « Le PNLAADA a aidé beaucoup de collectivités à amorcer un processus de guérison. Pas tant les gens d'Ottawa que les personnes que nous avons embauchées localement. Pendant quelques années, nous avons recueilli des fonds pour la formation en organisant des soirées bavaroises. Nous exploitions la faiblesse des gens à notre avantage! À ce moment-là, plusieurs d'entre nous qui faisaient partie du personnel buvaient également. Il a fallu la grande détermination de certains membres de notre collectivité pour amorcer le changement. Aujourd'hui, il n'y a plus de soirées bavaroises; elles ont été remplacées par des activités familiales. »
On a invité les répondants à mentionner les types d'activités ou de programmes qui, à leur avis, avaient contribué à la guérison dans leur collectivité. Lorsqu'on leur a demandé si ces programmes visaient un groupe ou un segment particulier de la collectivité, la plupart d'entre eux ont répondu qu'ils s'adressaient à tous, bien que certains visaient plus particulièrement les hommes ou les femmes ou un certain groupe d'âge. Cependant, les participants ont précisé que la plupart des programmes ou activités visant un groupe particulier rejoignaient aussi d'autres groupes, directement ou indirectement.
ACTIVITÉS FAVORISANT LE CHANGEMENT
Voici quelques‑unes des activités de guérison décrites par les participants :
- « On a nettoyé les lieux. »
- « La bande continuait à verser des salaires à ceux qui se trouvaient dans un centre de traitement. »
- « Les groupes de femmes où l'on règle une foule de problèmes personnels, et les cercles que nous avons. J'ai hâte de suivre les séances sur la maîtrise de la colère et de participer à l'autre groupe de femmes que nous avons mis sur pied et qui est plus axé sur les traditions. J'ai hâte parce je n'ai jamais reçu ce genre de conseils ou d'enseignement. J'ai hâte d'apprendre afin de transmettre cet enseignement à mes enfants un jour. »
- « Les intervenants organisent entre eux des séances de guérison avant de commencer à aider les autres. »
- « Je pense que c'est en participant au système d'éducation et en entamant des discussions avec le système de justice que les gens en arrivent à s'intéresser à tous les domaines de la vie, comme la santé, l'éducation et l'économie. J'ai l'impression que ça a commencé d'abord chez les membres de la collectivité et qu'ensuite, les chefs ont suivi. Je crois que ça commence généralement au niveau de la collectivité, où il doit y avoir consensus. Un grand nombre de gens siègent à des comités. »
- « Les rassemblements communautaires à Noël, où l'on offre des cadeaux aux Aînés. »
- « Les programmes culturels sont plus nombreux, l'école est en place, le programme de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie s'est poursuivi pendant toutes ces années, les parents retournent à l'école, une foule de gens parlent ouvertement de ce qui leur est arrivé, des femmes comme des hommes, beaucoup de gens vont dans les centres de traitement pour régler leurs problèmes d'alcool ou de drogue. À mon avis, plus de jeunes s'intéressent réellement à ce qui se passe dans le village aujourd'hui. »
BÂTIR À PARTIR DE CE QUI EXISTE DÉJÀ
Un des répondants a révélé comment les membres de la collectivité et les personnes de l'extérieur peuvent se rendre compte qu'une collectivité a besoin de suivre un processus de guérison et où ce processus devrait commencer :
« Quelles que soient les conditions qui existent au sein d'une collectivité, ce sont les enfants qui les expriment le mieux; ainsi lorsqu'on va dans une collectivité, on n'a qu'à observer les enfants. »
Souvent, on ne tient pas compte des idées des jeunes parce qu'on considère qu'ils sont égocentriques, qu'ils s'apitoient sur eux-mêmes et qu'ils sont la cause de bien des problèmes dans la collectivité. Or, les jeunes font partie de la collectivité et ils perçoivent souvent les mêmes problèmes que les adultes. Ils arrivent souvent aux mêmes approches ou à des approches semblables pour s'attaquer à ces problèmes. Si on examine les listes d'activités de guérison proposées par les jeunes qui ont été interrogés dans le cadre de la présente étude, il semble clair qu'ils partagent souvent les opinions des adultes sur les moyens d'améliorer l'esprit communautaire. Voici certaines des activités qu'ils ont proposées :
- Potlatchs et danses indiennes
- Soirées récréatives structurées et salles de jeux électroniques
- Groupes de soutien : Alcooliques anonymes Personnes victimes de violence sexuelle
Parents
Jeunes
Enfants de parents alcooliques
Alateen (programme pour adolescents dont la vie a été affectée par la consommation d'alcool d'une autre personne
Aînés
Cercles de guérison pour les femmes - Programmes de sport (base‑ball, basket‑ball)
- Pompiers volontaires et agents de sécurité
- Bingo
- Un groupe dénommé «Rush» qui organise une série d'activités sportives, des marches et excursions, le visionnement de films.
Lorsqu'on a demandé aux jeunes de nommer des groupes qui pourraient favoriser le processus de guérison, un groupe de jeunes a mentionné que les groupes suivants étaient essentiels à l'amélioration ou au maintien de la guérison au sein de leur collectivité :
- Parents d'adolescents,
- Femmes ou hommes victimes de violence,
- Groupes formés d'Aînés et de jeunes (communications entre deux générations),
- Groupes pour les sueries,
- Surveillance communautaire,
- Parents-secours,
- Groupe de soutien familial.
Comme on l'a mentionné dans le chapitre précédent, bien souvent les gens ne voient pas les solutions évidentes et recherchent des façons innovatrices de résoudre les problèmes de leur collectivité. Voici par exemple ce qu'a déclaré un des jeunes répondants :
- « Il y a des cercles où les jeunes se réunissent pour la soirée. Je ne sais pas si on peut les considérer comme des groupes de guérison, mais une chose est certaine, ils empêchent une foule de jeunes de boire ou de commettre des bêtises. »
Des initiatives de «guérison» de ce genre existent dans les collectivités depuis assez longtemps. Les programmes comme les cercles pour les jeunes sont des activités récréatives structurées qui visent à affiner les aptitudes de socialisation des jeunes, à développer leur coordination, à leur faire découvrir leurs valeurs et leurs croyances et à leur donner un sentiment d'appartenance en leur laissant le choix de participer. En pratique, ces programmes transmettent les valeurs et les normes fixées par les collectivités, par exemple en insistant sur le fait que consommer de l'alcool n'est ni acceptable ni «cool» et en leur montrant une autre forme de divertissement qui est acceptable.
Bien des collectivités ne s'attribuent pas le mérite de ce qu'elles ont ou de ce qu'elle ont accompli. Elles pensent ‑ ou on leur a dit ‑ qu'elles doivent trouver de nouvelles façons d'aborder les problèmes, alors qu'il suffit souvent d'utiliser des moyens simples et pratiques ou de renforcer les ressources qui existent déjà dans la collectivité.
Un autre élément intéressant du projet, c'est qu'on a demandé aux collectivités de mentionner ce qu'elles possèdent et ce qu'elles ont accompli. Les répondants ont donc pu réfléchir aux programmes qui marchent bien et aux réalisations déjà accomplies.
Toutes les activités qui sont mentionnées dans le présent chapitre favorisent le processus de guérison au sein des collectivités. Lorsqu'une collectivité amorce un processus de guérison et constate les résultats positifs des activités qu'elle a entreprises, elle peut ‑ et elle le désire ‑ organiser d'autres activités. Il s'agit là d'une étape très importante. Une fois qu'une collectivité s'engage dans un processus de guérison, au rythme qu'elle a déterminé elle‑même, il est capital qu'elle ne rencontre pas d'obstacles inutiles qui pourraient nuire à la poursuite du processus.
CHAPITRE VII. LA GUÉRISON COMMUNAUTAIRE : VICTIMES ET DÉLINQUANTS
S'ils sont intégrés au processus de guérison communautaire, les délinquants éprouvent une forte envie de changer de comportement, et les victimes triomphent de leur peur des autres et passent plus de temps au sein de la collectivité.
Jeune autochtone
Nous avons vu que la guérison touche pratiquement tous les aspects des collectivités autochtones. Toutefois, elle présente un intérêt particulier en ce qui concerne les activités criminelles et la façon dont la société fait face à la criminalité.
Les Autochtones, tout comme les autres Canadiens, ont exprimé des préoccupations quant au fonctionnement du système de justice pénale. Les critiques les plus fréquemment exprimées sont qu'il ne réussit pas à prévenir la criminalité ou la récidive, qu'il est trop lent, qu'il est trop clément (ou trop sévère!) et qu'il prend tout en charge, empêchant ainsi la victime de s'exprimer, le délinquant d'accepter la responsabilité de ses actes, et la collectivité de s'occuper de ses propres problèmes. On dit aussi qu'il est trop axé sur le délinquant (ou trop axé sur la victime!) et, enfin, qu'il punit l'acte criminel, mais qu'il ne traite pas le délinquant, ne s'attaque pas aux causes sous-jacentes du problème et ne prévoit pas de réparation.
Lorsqu'on a demandé aux participants à l'étude d'expliquer comment la «guérison» est liée aux victimes et aux délinquants, ils ont décrit une forme de justice communautaire qui, à leur avis, permettrait de corriger, en partie du moins, les défauts du système de justice pénale. Pour les participants, la «guérison» est un concept qui correspond à une réponse idéale de la collectivité face au crime. Dans le présent chapitre, nous examinerons comment un modèle de justice communautaire fondé sur la guérison pourrait fonctionner et comment ce modèle est déjà utilisé dans certaines collectivités.
Pour notre étude, nous avons demandé aux participants d'exprimer leur opinion sur les victimes et les auteurs d'infractions criminelles contre la personne ou contre les biens. Étant donné que, dans la plupart des collectivités, l'attention se concentre actuellement sur les victimes de violence sexuelle et les délinquants sexuels, de nombreux commentaires portent sur ce genre de problèmes. Toutefois, ils pourraient s'appliquer à la plupart des activités criminelles.
TRAVAILLER AUPRÈS DES VICTIMES ET DES DÉLINQUANTS
Ce qui est peut-être le plus important, c'est que la plupart des personnes interrogées estiment que, lorsque l'activité criminelle constitue l'une des principales causes de souffrance, le processus de guérison communautaire doit s'adresser à la fois à la victime et au délinquant. Dans tout modèle de justice communautaire fondé sur la guérison, il faut d'abord et avant tout reconnaître que le délinquant et la victime font tous deux partie de la même collectivité. Chacun fait également partie d'une famille. Tout ce qui touche le délinquant et la victime touche aussi leur famille ainsi que l'ensemble de la collectivité. Les collectivités engagées dans un processus de guérison considèrent que le délinquant fait partie intégrante de la collectivité, quels que soient les actes qu'on lui reproche. On estime qu'il incombe à la collectivité de se pencher sur les actes commis par le délinquant et de s'attaquer aux causes profondes de son comportement criminel.
Lorsqu'il est utilisé par les peuples autochtones, le terme «collectivité» est très large. Quand on dit que la collectivité offre au délinquant une solution de rechange à l'incarcération, la collectivité par définition peut souvent inclure la victime et le délinquant et leurs familles respectives, ainsi que tous ceux qui estiment avoir un rôle à jouer dans le processus.
Les collectivités autochtones reconnaissent que la victime et le délinquant ressentent de la souffrance et que, sans minimiser l'importance de la protection et des besoins spéciaux de la victime, il faut tenir compte de la souffrance vécue par les deux parties.
Le traitement de la personne ne constitue donc qu'une partie du processus, même si la guérison doit commencer à l'intérieur de l'individu. La guérison doit s'effectuer de façon holistique, qu'elle soit individuelle ou collective. Autrement dit, la guérison peut se faire chez l'individu, au sein de la famille ou de la collectivité ou aux trois niveaux simultanément. L'objectif ultime de la guérison consiste à apporter des changements au sein de la famille, étendue ou immédiate, et de toute la collectivité.
- « À mon avis, il ne faut pas oublier qu'un délinquant appartient à une famille et à une collectivité. »
- « Il est très difficile de travailler à la fois avec la victime et avec le délinquant, mais c'est efficace. »
- Dans nos collectivités, beaucoup d'entre nous ont été victimes de violence ou ont commis des actes de violence liés à la drogue, à la sexualité ou à d'autres facteurs. La liste est interminable. Lorsque j'évoque cette situation, j'ai un pincement au coeur parce que je me rends compte que ce genre de ravage s'est produit dans ma collectivité et se poursuit encore aujourd'hui. Environ quatre-vingt-dix pour cent d'entre nous ont été touchés. C'est un taux élevé, et je suis très prudent lorsque je dis quatre-vingt-dix. Nous devons d'abord nous examiner nous-mêmes avant d'aider les autres. Lorsqu'on s'occupe d'une forme de violence, une autre surgit; ainsi, comme l'a dit l'Aîné, il faut toute une vie pour apprendre à fonctionner et être en mesure d'aider quelqu'un d'autre. Nous travaillons ensemble, c'est un réveil de l'esprit. Certains d'entre nous ont été des délinquants et d'autres des victimes et nous faisons partie de cette situation désastreuse, que nous le voulions ou pas. »
- « À mon avis, il doit y avoir des programmes pour les délinquants comme pour les victimes; dans une collectivité aussi petite que celle-ci, on ne peut pas demander à quelqu'un de s'en aller à jamais; pour cette raison, une partie du processus de guérison doit permettre aux délinquants de trouver un moyen de réintégrer la collectivité. »
Les membres des collectivités ont souligné qu'il est essentiel de dispenser des soins et des traitements de qualité aux victimes, aux délinquants et à leurs familles, si l'on veut briser le cycle de la violence. L'entrevue la plus éprouvante a été réalisée auprès d'une adolescente de quinze ans qui a révélé qu'elle était à la fois victime et délinquante. C'est à cause d'expériences comme la sienne qu'on constate qu'il est nécessaire d'inclure à la fois les victimes et les délinquants dans le processus de guérison si on veut rompre le cycle et réduire le nombre d'agressions ou de viols.
- « Les victimes et les délinquants devraient absolument participer au processus de guérison. Je suis une victime et une délinquante et, en tant que jeune, ça me donne le frisson d'avoir à parler de ce qui m'est arrivé dans mon enfance. J'avais peur d'en parler parce que je ne voulais pas qu'elles (les autorités) fassent du mal à ma mère. En grandissant, j'ai commencé à faire subir à d'autres ce que ma mère m'avait fait subir. Récemment, j'ai pris conscience de ce que je faisais. C'est drôle que mon père et moi ne nous soyons jamais entendus; toutefois, depuis qu'il a suivi le programme en vue de sa propre guérison, nous avons d'excellentes relations. Il a été le premier à m'accepter et à me soutenir pendant cette période. Ça lui a fait mal de savoir que j'étais une délinquante, mais il m'a réellement aidée. Lorsque mon père a commencé son programme et que j'ai vu les changements, j'ai commencé à penser que s'il pouvait changer, moi aussi je le pouvais. S'il pouvait changer, toute la collectivité pouvait le faire et devenir une grande famille heureuse! J'ai remarqué que les membres de la collectivité ont commencé à s'entraider, sans se décourager, sans relâche. Il faut beaucoup de force et une attitude positive pour effectuer ce genre de travail. »
QUESTIONS RELATIVES AUX PROGRAMMES
Les commentaires qui suivent reflètent les idées et les opinions qui ont été émises sur la façon dont fonctionne le processus de guérison communautaire et expliquent pourquoi cette option présente tant de chances de succès. Comme dans les autres parties du rapport, nous avons regroupé les commentaires sous des rubriques «thématiques» pour aider le lecteur à comprendre les points essentiels de cette approche.
TRAITEMENT DU DÉLINQUANT
Pour la plupart des gens, la prison n'est pas un milieu propice à la guérison, puisque rien n'y est fait pour recréer un équilibre entre la victime et le délinquant. Cette opinion est partagée par les membres de toutes les collectivités qui ont pris part à l'étude et pourrait bien refléter non seulement une valeur culturelle profonde, mais aussi le fait que la plupart des délinquants ont été ou sont encore des victimes.
Les activités de guérison, en tant que solutions de rechange à l'incarcération et à d'autres aspects du système de justice de la société dominante, sont jugées plus efficaces, puisqu'elles permettent de s'attaquer aux causes du comportement du délinquant et d'agir plus rapidement et plus directement.
- « À mon avis, il y a des solutions de rechange à l'incarcération. Je trouve que la prison n'offre rien de positif; je crois que c'est plutôt négatif pour le délinquant. Je pense qu'il y a eu des solutions de rechange intéressantes : la responsabilité d'une maison, être membre d'un clan. Si on est membre d'une maison ou d'un clan, on est responsable. Cependant, la nature humaine est très compliquée. Je constate en tout cas qu'il existe des possibilités et que des gens ont pris des initiatives et je pense que c'est bien. »
- « Il faut reconnaître au départ qu'il y a des conflits entre notre façon de faire les choses et les méthodes utilisées par la société dominante. En ce qui me concerne, l'exemple le plus frappant est l'affaire dans laquelle mon fils est impliqué. Ça a été un supplice pour nous d'avoir à subir le processus judiciaire pendant une si longue période, d'autant plus que la victime et le délinquant habitaient la même collectivité. Le processus de guérison pour la victime a été pour le moins compliqué. Ce n'est pas facile pour la victime de voir le délinquant aller et venir librement sans avoir payé pour le crime qu'il a commis. Comment expliquer à un enfant ou à une victime une notion comme «hors de tout doute raisonnable» et les questions de preuve? Dans le système que je connais, les familles et les chefs interviennent directement. L'accusé participe à une réunion publique où les deux familles touchées sont témoins de la peine imposée ou déterminent ce que doit faire le délinquant pour se racheter. C'est beaucoup plus efficace, plus immédiat et plus positif pour les deux parties. Le système actuel est fondé sur le châtiment : on enferme les délinquants, puis on cherche des moyens de les réintégrer dans la société. »
Lorsqu'on a demandé aux répondants s'ils préféraient les programmes de traitement offerts aux délinquants dans la collectivité ou la solution de l'incarcération, ils ont opté pour les programmes élaborés par les collectivités et dispensés au sein des collectivités. L'incarcération est considérée comme une option, mais, dans la plupart des cas, comme une solution de dernier recours. Voici ce qu'a dit un des jeunes à ce propos :
- « Il faut s'occuper tout d'abord des délinquants. La collectivité doit les soutenir afin de les motiver à changer leur comportement. Il est préférable d'avoir notre propre système. Toutefois, certaines personnes ne peuvent être traitées et doivent être incarcérées. »
D'autres participants ont exprimé la même opinion, à savoir que les programmes de guérison communautaires sont plus efficaces pour traiter les délinquants :
- « Le cercle représente un élément important de notre culture, et la prison n'est pas un endroit propice à la guérison. J'ai eu l'occasion d'aider quelqu'un qui a connu les mêmes difficultés que moi en tant que délinquant, et de lui faire savoir qu'il n'est pas seul et qu'il peut changer. C'est bien d'avoir un programme communautaire comme option; même si j'ai eu de la difficulté à faire face à mes sentiments, je me sens beaucoup mieux. Lorsqu'on est incarcéré, on purge sa peine et c'est tout. Les programmes communautaires constituent la meilleure façon de suivre un processus de guérison. Il vaudrait mieux affecter de l'argent à ce genre de programmes plutôt que de mettre les gens en prison. Si on cherche vraiment à guérir, on y parvient. »
- « Lorsque j'ai été libéré de prison, c'était parfait pendant quelques minutes, tout semblait normal; ensuite, plus rien, tout m'était étranger. Alors j'ai recommencé à boire. L'un des problèmes que je n'ai pas réglés, c'est ma colère. À présent que je participe à ce programme, je peux apprendre et pratiquer de nouvelles façons de l'exprimer. »
- « Dans le cadre de notre programme, les victimes, les délinquants et les chefs de maison se rencontrent un certain nombre de fois. Le programme marche très bien. L'incarcération aggrave souvent le problème. J'ai des opinions différentes à propos du meurtre, un crime totalement différent; mais en ce qui concerne les infractions de nature sexuelle ou les infractions mineures, je crois qu'il est préférable de ne pas incarcérer les délinquants. »
- « J'aimerais qu'il y ait plus de counseling en prison. À mon avis, la guérison devrait se produire davantage au sein de la collectivité. Même si je n'ai pas été en prison, j'ai quitté la collectivité, mais j'ai dû y revenir pour guérir! »
- « Au début, j'ai été incarcéré pendant un certain temps. Ce que j'ai appris en prison, c'est la loi fondamentale des détenus. Rien d'autre ne m'a aidé. On n'a même pas effleuré les problèmes profonds qui sont ancrés en nous. Lorsque j'ai commencé à suivre la voie traditionnelle, j'ai demandé au Créateur ce que j'étais censé apprendre. J'ai demandé à certains détenus pourquoi ils étaient là. Ils m'ont répondu que ce serait bientôt l'hiver et qu'au moins, ici, ils auraient un endroit pour dormir et trois repas par jour. Je ne me suis rendu compte de l'impact de cette expérience que sept ans plus tard, au cours de ma propre guérison. «Ces établissements n'aident pas les délinquants; il y a une foule de récidivistes. Lorsque j'ai été admis à l'établissement, des détenus m'ont dit que je leur appartenais et qu'ils avaient le contrôle sur moi maintenant; mais ils avaient tort parce que personne ne peut contrôler les prières que je fais au dedans de moi. Un conseiller, qui était d'ailleurs plein de bonne volonté, m'a demandé si je savais ce que j'avais fait et pourquoi j'étais là. Je n'avais pas besoin d'être envoyé en prison pour m'en rendre compte! Il m'a demandé ce que je comptais faire. J'ai dit que je ferais mes excuses lorsque je rentrerais à la maison. »
TROUVER LE JUSTE MILIEU ENTRE L'INDULGENCE ET LA SÉVÉRITÉ
Nous avons mentionné précédemment que de nombreux Canadiens estiment que le système de justice pénale est soit «trop clément» soit «trop sévère». Certains pensent qu'il est à la fois trop clément et trop sévère en ce sens qu'il punit sévèrement certains délinquants et ne fait rien du tout pour prévenir le crime ou pour obliger la majorité des délinquants à trouver des solutions à leurs problèmes ou à reconnaître les torts qu'ils ont causés à leurs victimes. Selon les participants à l'étude, une approche fondée sur la guérison a des chances de restaurer un bon équilibre chez tous ceux qui sont touchés - le délinquant, la victime et la collectivité.
- « Lorsqu'une personne est reconnue comme délinquante ou victime, on lui offre la possibilité d'entreprendre un programme de guérison; dans le passé, ces personnes étaient cachées et la situation était prise en charge par la famille. Je pense qu'on est davantage à l'écoute des victimes aujourd'hui. Les délinquants ont besoin d'aide, mais il faut aussi transmettre un message aux autres délinquants. Si on est trop indulgent avec les délinquants, la criminalité ne cessera pas. Quoi qu'on fasse, on est critiqué dans une petite collectivité comme celle‑ci. Parfois on a de la sympathie pour le délinquant parce qu'on est au courant de ce qui lui est arrivé dans le passé, mais la plupart du temps, malheureusement, les victimes sont jeunes et commencent à penser que le monde est fait ainsi. »
PROTECTION DES VICTIMES
Dans l'esprit des Autochtones, les questions parfois conflictuelles de la protection et du soutien à assurer aux victimes demeurent de première importance dans le processus de guérison. La question qui se pose tant aux collectivités autochtones qu'aux autres collectivités est celle-ci : Comment une collectivité peut‑elle protéger physiquement les victimes, particulièrement si on opte pour un programme de traitement communautaire, tout en accordant une place importante à la réconciliation des victimes et des délinquants?
- « Nous incitons tout le monde à parler de sa souffrance, les victimes comme les délinquants. La plupart des gens sont engagés dans un processus de guérison; ils reçoivent donc du soutien et les gens comprennent ce qui leur arrive. Beaucoup de gens, de la collectivité et de l'extérieur, nous ont reproché d'être trop axés sur les délinquants; cependant, nous croyons que si nous pouvons mettre un terme à leur comportement violent, il n'y aura plus de victimes. D'après mon expérience, la plupart des délinquants ont été des victimes; il y a beaucoup de soutien pour les victimes, mais, à ma connaissance, pas beaucoup pour les délinquants. C'est pourquoi nous avons ressenti le besoin de mettre sur pied un programme visant à modifier les schèmes de pensée et de comportement des délinquants. D'après mon expérience, il est plus difficile d'amener une victime à se joindre à un groupe de soutien pour parler de ce qu'elle a vécu. Quant au délinquant, une fois qu'on l'a accusé, il est si soulagé et si désireux de changer son comportement qu'il accepte aisément de se joindre à un groupe pour obtenir du soutien et se sentir accepté. »
Durant les entrevues, la question de la protection des victimes a été soulevée. Même si les commentaires formulés par les membres des collectivités ne portaient pas particulièrement sur la façon dont une collectivité protège physiquement les victimes, ils appuyaient l'idée que le maintien des gens dans la collectivité favorise la participation des familles et permet aux victimes et aux délinquants de se sentir soutenus.
Comme on pouvait s'y attendre, les répondants ont également fait remarquer que le système de justice pénale ne réussit pas souvent à soutenir et à protéger les victimes et leur famille. Les comptes rendus donnés par deux victimes, bien que témoignant de perceptions différentes, rappelleront au lecteur que la responsabilité de la protection des victimes et de leur famille incombe à la société, y compris au système de justice pénale et aux systèmes ou programmes qui sont créés pour le compléter.
- « Après avoir divulgué les actes de violence qu'elles ont subis, bien des victimes ont l'impression que tout le monde va les juger, même si elles n'avaient aucun contrôle sur la situation; les gens penseront probablement qu'elles se sont attiré ce qui leur est arrivé. Ce genre de pensées m'a poussée à faire face à mon agresseur. Rien n'a été rendu public; tout a été fait en secret. Les choses sont en voie de changer avec les nouvelles affaires portées devant les tribunaux. Le système de justice est trop lent. Il déchire les familles. »
- « Les délinquants sexuels sont totalement rejetés. Mieux vaut ne pas les avoir dans les parages que d'avoir à s'inquiéter à leur propos. Ce sont plutôt les victimes qui ont été mises à l'écart jusqu'à présent, mais il faut trouver des moyens de régler les choses autrement. Certaines victimes apprennent à surmonter leur victimisation, mais elles ne se sentent pas réellement mieux. Les victimes sont invitées à se joindre à un groupe de soutien, mais il est parfois difficile de les amener à y participer. »
ASSUMER SES RESPONSABILITÉS ... PRENDRE LES CHOSES EN MAINS
De nombreux participants ont exprimé l'opinion que l'approche de la guérison communautaire est en fait «plus dure» pour les délinquants que ne l'est l'incarcération parce qu'il est difficile et pénible de reconnaître publiquement sa culpabilité. L'incarcération peut simplement inciter le délinquant à extérioriser ses sentiments et à fixer son attention sur l'injustice du système correctionnel :
- « Mon séjour en prison est devenu pour moi un moyen de parler avec d'autres qui ont vécu cette injustice. On a essayé de se rendre maître de mon esprit, mais cela m'a rendu plus fort. Quand on est en prison, on n'a qu'à prendre soin de soi et survivre. Lorsque ma nièce, que j'avais agressée, m'a menacé de m'envoyer en prison, je lui ai répondu que la prison ne me faisait pas peur. Ce qui me faisait peur, c'est qu'elle en parle à son père. J'avais peur du jugement qu'il porterait sur moi et j'avais peur de voir sa peine, que je ressentirais moi aussi. Je peux tout affronter, mais pas ça. «On a essayé de me forcer à suivre ce programme de guérison communautaire et j'ai répondu que je suivais la méthode traditionnelle et que tout allait bien; je ne voulais pas m'enliser dans un programme parce que j'ai toujours eu un esprit indépendant; alors, on m'a dit qu'on m'enverrait devant le tribunal. J'ai répliqué que je suivais un processus de guérison depuis sept ans sans leur aide et que je n'avais pas bu, ni commis aucun crime; il ne fallait donc pas me menacer avec ce programme. Puis j'ai réfléchi et je me suis dit qu'ils devaient avoir une raison de vouloir me faire suivre ce programme. Et je me suis aperçu que c'était à cause de l'aspect traditionnel qu'ils voulaient me faire participer à ce programme. »
L'approche de la guérison communautaire vise souvent à inciter le délinquant à reconnaître ouvertement sa responsabilité devant la collectivité :
- « Lorsque nous avons été accusés il y a deux ans, ils ont réellement essayé de nous conseiller, mais comme nous étions têtus et que nous refusions de reconnaître nos torts, cela a pris onze mois. Ils ont presque renoncé. Mais ils ont fait pression, et nous avons fini par avouer nos torts. Nous savons à présent que nous pouvons être de meilleurs parents pour nos enfants. «Quand j'ai été accusée d'agression sexuelle, je ne savais même pas de quoi il s'agissait; ce n'est que maintenant que je comprends. Dans le groupe d'hommes, on parle des différents types d'accusations pour agression sexuelle et je veux qu'on en parle davantage dans le groupe de femmes et apprendre par moi‑même à la maison. Nous avons pris conscience que dans nos deux familles on a fait usage de drogue pendant des années. Je me suis rendu compte de tout le temps que j'ai perdu et je ne veux pas que mes enfants vivent la même chose. Nous avons demandé aux travailleurs de continuer à conseiller nos enfants, même après qu'ils seront revenus vivre avec nous. »
Nous avons dit que la collectivité doit prendre la responsabilité de sa guérison, mais l'individu doit aussi assumer la responsabilité de ses actes et de ses sentiments, comme l'exprime un participant qui parle de l'expérience entre une victime et un délinquant, lui‑même victimisé durant l'enfance :
- « Le processus de guérison commence lorsqu'une personne, délinquant ou victime, prend ses problèmes en main. Accepter la responsabilité de ses actes et ne pas attendre que quelqu'un d'autre règle nos problèmes. Il faut faire face à nos problèmes et trouver des solutions. Sinon, on perd l'estime de soi et il est difficile de la retrouver. Si on ne s'occupe pas tout de suite de ses problèmes, on risque de se détruire. Quand j'ai été capable de faire face à ceux qui m'avaient blessé et d'assumer mes sentiments, mon processus de guérison a commencé. »
Cette personne, en parlant d'assumer la responsabilité de ses actes, ne veut pas dire que les victimes doivent se sentir responsables de l'agression qu'elles ont subie. Prendre la responsabilité, pour une victime ou un délinquant, signifie plutôt devenir maître de ses sentiments. Le fait de décider comment elle veut gérer ses sentiments peut faire qu'une personne reprendra sa vie en main, ce qui la protégera contre toute nouvelle victimisation. Voici deux commentaires à ce propos :
- « Nous pouvons nous victimiser de nouveau en tenant un discours négatif à notre égard, en pensant que les gens ne nous aiment pas ou nous rejettent à cause de ce qui est arrivé. »
- « À mon avis, chacun de nous est une victime ou un délinquant; donc, cela nous concerne tous, même si nous avons un rôle différent. La décision appartient à l'individu. Pour un délinquant, c'est différent parce qu'il doit gagner la confiance des autres. Quant à la victime, elle doit apprendre à ne pas trop compter sur les autres. Cependant, j'imagine que cela dépend de la volonté de guérir d'une personne. »
SOUTIEN COMMUNAUTAIRE POUR LES VICTIMES ET LES DÉLINQUANTS
Le personnel des services correctionnels sait qu'un des plus grands obstacles au succès de la réintégration des délinquants est l'isolement social et le manque de soutien pro‑social dans la collectivité. Ironiquement, il est fréquent que les victimes se sentent isolées, tout d'abord à cause de la victimisation et ensuite à cause des méthodes du système de justice pénale. Les personnes qui ont participé à notre étude considèrent qu'il est essentiel que la collectivité aide à la fois le délinquant et la victime, selon un modèle fondé sur la guérison.
- « À mon avis, lorsqu'un délinquant admet qu'il a commis une infraction, c'est une des premières étapes de la reconnaissance du problème. Cette personne, en avouant sa faute, nous indique qu'elle est peut-être prête à recevoir de l'aide. Il reste à déterminer quelle sera cette aide. »
- « Je pense qu'on a fait du chemin dans la réconciliation des délinquants et des victimes. À mon avis, on a généralement plus d'empathie pour les victimes et on leur offre du soutien, tandis que les délinquants ne sont pas souvent bien accueillis. Toutefois, je sais qu'on s'occupe de tout cela à la salle des fêtes. C'est probablement ce qu'on continuera à faire dans la collectivité. »
- « Voici donc les points importants : changer leur comportement, les informer et les aider à parler de ce qu'ils ressentent, car ils sont nombreux à ne pouvoir exprimer leurs sentiments. C'est bon de les entendre dire ce qu'ils ressentent; bien souvent, ils ont dit qu'ils se sentaient tristes et malheureux et à la fois fâchés; c'était très confus pour eux. Alors, c'est bien de les entendre décrire leurs sentiments, même s'ils ont de la difficulté, particulièrement les hommes. Quand je regarde mon propre vécu en tant qu'homme et victime, je constate qu'il m'était difficile de parler de mes sentiments, de pleurer quand j'étais blessé ou triste. J'avais l'habitude de taquiner ma grand‑tante qui pleurait quand elle avait mal ou que d'autres personnes avaient mal; mais maintenant je sais que ça fait du bien de pleurer. Aujourd'hui, ce sont les autres qui me taquinent et me disent que je pleure trop! Mais ça va, je n'ai pas honte. »
- « Il semble que les gens d'ici aient des trésors d'indulgence. Au début, il y a beaucoup de colère et de haine, comme on peut s'y attendre. Mais avec le temps, on donne à tous la chance de se ressaisir et de changer. Nous avons peu de délinquants au village. La collectivité les soutient s'ils demeurent dans la voie de la guérison et aussi longtemps qu'ils obéissent aux lois et aux tribunaux. »
- « Dans le village, les familles de victimes se réunissent et toutes s'entraident. Cette méthode s'est révélée très positive. À mon avis, cela les aide à se pencher sur le problème sans avoir à tout divulguer. Cette façon de procéder est utile également dans le cas des délinquants. Il y a des fêtes traditionnelles au cours desquelles le processus de guérison des victimes et des délinquants se poursuit, mais le système juridique prolonge ce processus. »
RESTAURER L'ÉQUILIBRE ET DONNER À LA COLLECTIVITÉ LE POUVOIR DE DÉCIDER
Enfin, on considère qu'une approche fondée sur la guérison est bénéfique à l'ensemble de la collectivité. Restaurer l'équilibre entre la victime et le délinquant permet de restaurer l'équilibre dans toute la collectivité. Ce qui est plus important encore, peut‑être, c'est que le processus dans son intégralité démontre à la collectivité qu'elle peut élaborer et mettre en oeuvre ses propres solutions.
- « Dans la collectivité, nous réunissons les victimes et les délinquants pour qu'ils trouvent ensemble des solutions. Nous veillons à ce que les gens demeurent dans leur foyer et se penchent ensemble sur les différents problèmes afin de réparer les torts causés. La collectivité a pris conscience que cela prend beaucoup de temps. Le fait de régler les problèmes de violence au sein de la collectivité est devenu un des meilleurs moyens pour changer les attitudes des gens. »
Au cours des entrevues, les participants ont dit que les Autochtones pensent généralement que tout le monde est foncièrement bon. Le système de justice occidental, fondé sur le châtiment, n'offre pas aux délinquants la possibilité d'apprendre comment se comporter et ne permet pas de rétablir l'équilibre des choses. Dans le cadre de l'enseignement traditionnel autochtone, les gens ont appris comment se comporter avec leur famille pour y faire régner l'harmonie et l'équilibre. Une personne fait toujours partie d'une collectivité. Comme on l'a déjà dit, bien souvent la guérison dans la collectivité suppose un retour aux enseignements et aux valeurs qui mettent en lumière les bons côtés de l'être humain et mettent l'accent sur la nécessité de préserver l'harmonie chez les personnes, au sein de la famille et de la collectivité. La réaffirmation de ces valeurs permet tant aux victimes qu'aux délinquants de trouver des solutions à leurs problèmes et d'être soutenus dans les changements qu'ils veulent faire. Une partie de ce soutien s'appuie sur les pratiques culturelles et sur la suppression des plaisanteries et des remarques désobligeantes.
Dans la collectivité, il est plus facile d'insister sur la résolution et le dédommagement. On accroît ainsi l'estime de soi et le sentiment de valeur personnelle de la victime et du délinquant, qui se sentent de nouveau membres de la collectivité. Comme l'ont dit deux délinquants de la même collectivité :
- « Lorsque la collectivité a le sentiment que vous essayez de trouver des solutions aux problèmes que vous avez causés, même si elle n'approuve pas vos actes, elle se sent généralement bien et elle vous accueille lorsque vous revenez. »
Lorsqu'on lui a posé la question au sujet de la manière dont une collectivité traite les victimes et les délinquants dans le contexte de la guérison, un Aîné a fait la déclaration suivante, en demandant qu'elle figure textuellement dans le rapport :
- « Notre peuple a un système. Si vous avez un accident, la collectivité organise une fête et rassemble la population pour qu'elle rende grâce de qu'il n'y a pas eu de perte de vie. Des cadeaux sont distribués et tout le monde en est heureux. Si vous avez commis une faute dans votre vie, il y a une autre fête, la cérémonie purificatoire, même si des accusations ont été portées contre vous. Cette cérémonie a lieu lorsqu'une personne a commis une faute, par exemple sous l'effet de l'alcool, et qu'une foule de gens sont au courant. Si vous ne participez pas à la cérémonie purificatoire, les gens vont continuellement se moquer de vous; si vous y participez, vous devez vous présenter devant la population et vous rabaisser. Un parent du côté paternel vous lave le visage. On remet des cadeaux aux personnes qui se sont occupées de vous. C'est une grande fête où tous les participants reçoivent des souvenirs. À partir de ce moment, on n'a plus le droit de revenir sur ce que vous avez fait.«Nous avions un cousin qui occupait un bon emploi; lorsqu'il était jeune, il avait eu certains gestes à l'égard de deux filles et elles ont commencé à en parler. Il n'a jamais nié ses actes et il a purgé sa peine; quand il est revenu à la maison, nous avons organisé une grande fête : il a dû se présenter devant tout le monde et dire aux victimes qu'il était désolé. Il leur a remis des cadeaux et il a dû s'excuser auprès de sa femme. Ce système n'est pas si facile à suivre parce que nous vivons très éloignés les uns des autres. Mais c'est notre façon de procéder à l'égard des délinquants; ensuite ils peuvent marcher la tête haute parce que leur faute leur a été pardonnée.«La victime est également présente. C'est le processus de guérison. Parfois, certaines victimes vivent dans la honte et ne savent pas qui connaît leur histoire. Après cette fête, elles aussi peuvent marcher la tête haute. Les chefs vous demandent de ne plus mentionner cette affaire et vous assurent que plus personne n'en parlera. Voilà qui met fin à tous les bavardages et les coups bas. Les victimes également se sentent acceptées par la collectivité, au lieu de demeurer des victimes et de se penser rejetées. »
CHAPITRE VIII. DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE ET PROCESSUS DE GUÉRISON
Notre guérison dépend en grande partie de la reconnaissance de nos forces et de la reprise en main de notre destinée grâce au développement de nos collectivités.
Un peu plus tôt dans le présent rapport, nous nous sommes demandé si la guérison, dans un contexte autochtone, peut être considérée comme une conséquence normale du développement communautaire. D'après les tendances et les orientations qui ont été décrites dans le rapport, il semblerait que oui. Cela dit, on peut se demander si le processus de développement communautaire est le concept auquel les collectivités autochtones et le gouvernement font allusion lorsqu'ils parlent de guérison.
Dans le présent chapitre, on cherchera à examiner en détail les aspects communs à la guérison et au développement communautaire; en outre, on verra qu'il deviendra peut‑être nécessaire de trouver de nouvelles façons d'évaluer ou de mesurer l'incidence d'une approche plus holistique et évolutive.
DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE ET GUÉRISON : LANGAGE COMMUN, ÉLÉMENTS COMMUNS
Le développement communautaire est un processus d'action communautaire. Il repose sur la capacité de la collectivité de s'organiser, de se fixer des priorités, de planifier et de mettre en oeuvre des mesures pour régler une question ou faire face à un problème qui a été soulevé par ses membres. En vertu de cette approche, on accorde plus d'importance aux gens qu'aux projets. Autrement dit, pour qu'on ait des collectivités saines, il faut que les gens aient la capacité et la possibilité de travailler ensemble pour prendre des décisions et des mesures à propos de problèmes ou de questions qui sont importants pour eux.
Selon l'approche du développement communautaire, les membres de la collectivité ont à trouver les ressources nécessaires pour régler leurs problèmes. Ils sont motivés à agir, à apprendre à résoudre les problèmes et à travailler en collaboration. Le développement communautaire offre des choix à une collectivité en supprimant les obstacles qui nuisent à l'expression de la volonté et de la valeur personnelle. De même, les activités de guérison ouvrent la porte à un certain nombre de choix en raison des différents problèmes ou questions qui sont associés à la nécessité de guérir. Dans toutes les définitions de la «guérison», on retrouve un élément commun : «améliorer quelque chose» ou «résoudre un problème». Si quelqu'un est en déséquilibre ou que quelque chose ne fonctionne pas bien, la confiance et l'estime de soi sont compromises.
RÔLE DE LA COLLECTIVITÉ ET RÔLE DES INTERVENANTS DE L'EXTÉRIEUR
Des personnes venant de l'extérieur d'une collectivité peuvent jouer un rôle non négligeable dans le processus de développement communautaire; toutefois, pour obtenir des résultats satisfaisants, la collectivité doit conserver le contrôle de la situation. Les organismes ou groupes d'intérêt extérieurs qui veulent soutenir les initiatives de développement communautaire doivent essentiellement :
- aider la collectivité à progresser dans la direction qu'elle a choisie;
- reconnaître que la collectivité a le droit d'échouer;
- privilégier les projets ou les approches choisis par la collectivité;
- comprendre et respecter les droits, les traditions et les désirs de la collectivité;
- aider la collectivité en lui faisant prendre conscience des malaises, tout en la laissant décider elle-même de l'orientation qu'elle prendra, en la guidant et non en la dirigeant.
Comme l'a déclaré un participant :
- « Nous ne pouvons nous attaquer aux problèmes sociaux dans le contexte de la guérison à moins que nos collectivités utilisent des moyens conçus spécialement par elles. Dans le contexte actuel, les collectivités ne peuvent concevoir leurs propres programmes. En tant que collectivités, nous devons prendre des initiatives et nous aider mutuellement à apprendre à dire non à certains programmes et services subventionnés. »
Tout au long du présent rapport, nous avons laissé entendre que le processus de résolution des problèmes s'amorce à l'intérieur de la collectivité et que les dirigeants de la collectivité doivent jouer un rôle primordial en faisant la promotion des initiatives de guérison auprès des gouvernements et des autres ressources extérieures et en leur faisant comprendre la nécessité d'agir de façon holistique.
Comme l'a fait remarquer un employé du gouvernement :
- « Ce n'est pas aussi facile que ça en a l'air. Au Canada, les pouvoirs sont partagés entre le gouvernement fédéral et les dix provinces. Au fil des années, les deux paliers de gouvernement ont défini et délimité leurs pouvoirs en adoptant des lois et des politiques qui ont souvent engendré des dissensions ‑ ou à tout le moins des incohérences ‑ dans les collectivités que ces gouvernements sont censés servir. »
Ainsi, les collectivités autochtones qui s'attaquent aux problèmes de l'alcoolisme et de la toxicomanie considèrent que la solution à ces problèmes se rattache à de nombreux aspects de la collectivité, dont l'éducation, la santé, l'économie, les services sociaux, la justice, la langue et la culture, la spiritualité. Ces aspects, sauf la spiritualité, sont la responsabilité de différents ministères des gouvernements fédéral ou provinciaux ou des deux paliers de gouvernement. Par conséquent, les collectivités qui veulent lutter contre ces problèmes doivent souvent s'y attaquer de façon fragmentée si elles veulent obtenir des subventions gouvernementales. Cette façon de procéder s'est malheureusement révélée inefficace. Les collectivités n'ont pas vraiment la possibilité de réunir tous ces éléments et de régler le problème selon une approche holistique en fonction des besoins de la collectivité.
Un membre d'une collectivité a résumé les répercussions de ces politiques et mandats des gouvernements en ces termes :
- « En raison de nos ressources très limitées, nous avons perdu notre indépendance et nous dépendons totalement du gouvernement dans tous les domaines. Nous avons été conditionnés à vivre dans la crainte, avec l'idée que nous ne sommes rien sans le gouvernement. Nous vivons dans la crainte que les ressources limitées et assorties de restrictions qu'on nous octroie ne soient supprimées si nous ne nous plions pas aux règlements et aux formalités administratives. Nous avons été conditionnés à être à la merci des subventions gouvernementales et à tendre sans cesse la main, suppliant le gouvernement de nous donner plus d'argent, à accepter la pauvreté dans laquelle nous vivons. Nous avons été conditionnés à considérer l'aide sociale comme un mode de vie. Nous sommes les plus grands bénéficiaires de ressources externes! »
MESURE DU CHANGEMENT
Le développement communautaire et la guérison, lorsqu'ils sont réussis, sont des processus profonds et complexes dont les répercussions sont difficiles à «mesurer» en termes concrets, surtout au début. Néanmoins, il est nécessaire et souhaitable de les mesurer de temps en temps; il est donc important d'aborder la question de la mesure des changements. On peut bien entendu espérer que le processus qui consiste à mesurer les changements et à évaluer la façon dont ils s'opèrent aidera chacun à mieux comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Afin de déterminer les effets du développement communautaire, par rapport aux aspects associés au processus de guérison, nous avons demandé aux participants de préciser comment leur collectivité avait été touchée par les activités de guérison entreprises. L'élément commun à toutes les réponses était qu'un changement positif s'était opéré dans chaque collectivité grâce aux initiatives communautaires qui avaient été organisées et dirigées par la collectivité.
Un des participants a décrit comment le changement a eu lieu et comment on peut le mesurer :
- « Laissez-moi vous raconter une histoire. Quand nous étions adolescents, nous récoltions des fonds pour l'école et notre moyen favori était la collecte de bouteilles. Nous recueillions toutes sortes de bouteilles, mais une grande partie de notre collecte était composée de bouteilles de bière. Nous remplissions deux camions à ras bord. Récemment, j'ai essayé de faire la même chose et je n'ai même pas réussi à remplir dix caisses. Pour moi, cet incident est très révélateur. Je suis très reconnaissant envers ceux qui ont aidé à apporter ces changements et je remercie le Créateur de me permettre d'être témoin de ce changement. Souvent, les gens veulent mesurer combien une personne a changé grâce à un programme comme celui‑ci, ou au moyen de nos pratiques traditionnelles. Je me demande comment on peut mesurer la guérison. Si vous m'aviez dit, il y a sept ans, que j'avais besoin de guérir, je vous aurais giflé. Aujourd'hui, je suis ici en train de vous parler. Je ne me serais pas assis dans le Cercle. Donc, si vous voulez mesurer le changement, faites-le, mais faites-le correctement. Aujourd'hui, nous reconnaissons que nos Aînés font partie de ce programme et qu'ils sont des conseillers. Voilà où nous en sommes en tant que collectivité. »
Lorsqu'on mesure le changement par «le chemin parcouru», il faut reconnaître l'importance ou la signification des petites étapes du cheminement, et non uniquement des grandes étapes. Nous avons tous tendance à chercher les changements importants ou les événements marquants, et nous négligeons les événements ou les changements plus subtils qui peuvent avoir un effet plus permanent et durable. Comprendre et reconnaître ce qu'a été le passé d'un individu, d'une famille ou d'une collectivité sont des éléments déterminants qui permettent d'évaluer les changements qui se sont opérés par la suite. La clé pour mesurer l'ampleur du changement ou le succès de la guérison dans une collectivité, c'est de reconnaître et de prendre en considération tous les progrès, grands et petits, réalisés par les individus, les familles et la collectivité.
Certains participants ont mesuré les retombées des initiatives de développement communautaire en évaluant les changements qui se sont opérés dans les individus et dans leurs relations avec les autres au sein de la collectivité. On peut constater ces changements quand on regarde les progrès accomplis par les individus sur le plan de la croissance personnelle et l'influence que les membres de la collectivité ont commencé à exercer les uns sur les autres grâce à une plus grande participation aux ateliers et aux activités communautaires :
- « Je vois des gens qui essaient de changer en faisant les choses différemment. À mon avis, grâce à certains ateliers de guérison, ils ont appris des choses, ils ont appris à maîtriser leur colère et à gérer les situations de crise. Ces ateliers vous aident à jeter un regard sur vous‑même et à apprendre à maîtriser votre colère. Je vois des gens changer et des miracles s'opérer. Une personne m'a dit qu'elle n'avait jamais pensé qu'elle réussirait à perdre l'habitude de prendre de la drogue, mais elle y est parvenue. Elle pensait qu'elle resterait toxicomane pour le reste de ses jours. Le changement est parfois minime, mais il touche tous les aspects d'une personne. »
- « Lorsqu'on organise des ateliers dans la collectivité, il se peut qu'il n'y ait que quinze personnes le premier jour, mais ensuite chacun en parle à d'autres, et il peut y avoir jusqu'à trente personnes la deuxième journée. C'est comme le programme de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie, qui offre des séances de counseling individuel. Il est bénéfique pour la collectivité parce que la population reconnaît la valeur de ce programme et peut voir que de nombreuses personnes ont cessé de boire et qu'elles se débrouillent très bien sans consommer ni alcool ni drogue. Chaque membre de la collectivité peut exercer une grande influence sur un autre membre, et il semble que les ateliers donnent aux gens cette volonté. »
- « Certaines personnes ont suivi un traitement et n'ont pas recommencé à boire; elles se sont tournées vers les enfants pour leur apprendre le soccer et le basket‑ball. Cette activité les occupe et, en même temps, les enfants en bénéficient. Jusqu'ici, c'est le seul changement que j'ai constaté, mais c'est un changement important. »
Il est bien naturel que les gens désirent voir s'opérer des changements rapidement. Pourtant, comme dans l'exemple de la perte de poids, il a été prouvé que les effets durent plus longtemps si le processus est graduel et se déroule au prix de gros efforts. Autrement dit, si on perd du poids rapidement, on le reprend en général rapidement.
Tel est souvent le cas pour les changements dans la collectivité. Comme on obtient les résultats les plus durables lorsque le processus est intentionnel et réfléchi, les changements apparents sont souvent très subtils au début. En fait, on ne les reconnaît parfois qu'à un stade avancé du processus, au moment où ils apparaissent comme des changements soudains. Les Autochtones et les gouvernements doivent donc résister à la tentation de se déclarer vaincus ou d'abandonner lorsque aucun résultat immédiat n'est apparent ou ne peut être mesuré par les moyens habituels.
Les participants à la présente étude ont reconnu que, parfois, ils ne «voient» pas les répercussions de ce genre d'initiatives, mais qu'ils ont plutôt l'impression que les choses progressent trop lentement. En général, on ne fait pas le bilan des choses qui ont changé à moins qu'on ne nous le demande. Certains participants ont été capables de décrire le changement facilement. D'autres ont dû y réfléchir un peu avant de donner une réponse. D'autres enfin ont été inspirés par les exemples que leur a donnés la coordonnatrice du projet, qui leur a cité des événements perçus comme des facteurs contribuant au changement au sein d'une collectivité.
- « Parfois, il faut une personne de l'extérieur pour nous faire prendre conscience de ce qui a changé; nous mettons parfois beaucoup d'énergie à effectuer des changements et personne ne nous aide. Alors nous nous demandons à quoi bon. Si on peut obtenir l'aide de seulement une ou deux personnes, c'est un début. À mon avis, nos collectivités ont peur du changement. Lorsque le changement commence ou lorsqu'on en parle, cela fait peur. Il nous faut donc continuer à apprendre aux gens à accepter le changement et leur expliquer qu'il doit y avoir des changements. »
- « Le changement s'est fait sentir de l'extérieur. Au sein de notre nation, il semble que les gens n'ont pas le temps de s'intéresser au programme; pourtant, les gens de l'extérieur nous invitent à le présenter un peu partout. Peu importe l'endroit où l'on est, la maison prend toujours soin de ses membres. »
Au cours des nombreuses visites qu'elle a rendues à ces collectivités dans les dix dernières années, la coordonnatrice du projet a été en mesure de constater l'importance des changements qui ont eu lieu. Dans les collectivités et les environs, on sent une fierté et une confiance qui n'étaient pas évidentes auparavant.
Comme on l'a déjà mentionné, le changement est souvent subtil. Cependant, on peut le mesurer, comme l'a suggéré un participant, en observant le comportement des chiens qui vivent dans la collectivité. Dans une des collectivités où on a vécu le processus de guérison, les chiens se promènent en agitant la queue, la tête haute, et ils sont en général très gentils les uns envers les autres. Bien que cet exemple ne semble pas significatif, certains le considèrent comme une mesure très exacte du changement positif qui s'est opéré au sein des collectivités, en particulier certaines personnes qui ont participé à l'étude.
Nous avions observé au cours de visites précédentes dans cette même collectivité, avant le début du processus de guérison, que les chiens passaient leur temps à se battre les uns contre les autres et à se voler de la nourriture. Même leur apparence laissait à désirer. En fait, les membres de la collectivité et les visiteurs hésitaient souvent à sortir de leur voiture de peur de se faire attaquer par les chiens.
La guérison n'a pas lieu en même temps ni au même rythme pour tous les membres d'une collectivité. Il ne faut pas attendre d'observer le même processus ou le même rythme de changement chez tous les individus pour dire qu'il y a effectivement des changements qui se déroulent dans la collectivité. Il est important de reconnaître le mouvement vers le changement, ainsi que le changement réel, qu'il soit minime ou important.
- « Un des effets du processus de guérison est que certaines personnes ont pris peur; un jour, elles se sentiront plus à l'aise. Mais si on les attend, le processus de guérison risque d'être long. Nous devons cependant les englober dans le processus. Il pourrait s'agir d'un progrès spirituel plutôt que d'une protection spirituelle. Certains cherchent la perfection à l'extérieur d'eux-mêmes au lieu de prier Dieu ou le Créateur de leur faire trouver la perfection à l'intérieur d'eux‑mêmes. Le fait est qu'une fois que le processus a commencé, tout le monde voudrait que ça aille plus vite. Chacun a son opinion sur le temps que ça prendra : «vous allez trop lentement», «vous imposez trop de règles». À mon avis, si on arrive à satisfaire tout le monde, on obtiendra certainement un résultat en bout de ligne, mais, actuellement, chacun se trouve à une étape différente. »
- « Pour revenir à la guérison, je crois que la taille de la collectivité est un facteur important, tout comme les interrelations entre les gens. Certaines collectivités mettent plus de temps à guérir. La spiritualité est une force importante qui nous permet de nous concentrer sur ce que nous vivons. Lorsque ça va mal, on se tourne vers la spiritualité. C'est la clé de l'ensemble du processus. »
Mesurer les effets du processus de guérison dans les collectivités n'est pas chose facile, ce qui confirme que le changement et la guérison sont avant tout des expériences très personnalisées. Ils se produisent à divers moments et peuvent être décrits ou perçus de bien des façons.
Le processus holistique de guérison nous oblige à remettre en question l'efficacité de nombreux outils normalisés qui sont conçus pour mesurer ou évaluer les programmes ou les projets; on se demande comment interpréter de l'information subjective par l'utilisation de moyens objectifs. En outre, on s'interroge sur l'efficacité de ces outils pour mesurer le changement dans les collectivités où les pratiques traditionnelles font partie intégrante du processus.
Un fonctionnaire a formulé le commentaire suivant :
- « On aurait peut‑être besoin d'un nouveau type de recherche et d'évaluation qui respecte les principes essentiels et éprouvés de la recherche en sciences sociales, tout en étant inclusif, et qui intègre les prises de décision collectives sur le processus. Nous devons également utiliser de nouveaux modèles de négociation (les anciens modèles de relations de travail ne fonctionnent pas ici) et de formation. »
D'autres participants ont proposé leurs propres mesures d'évaluation du processus de guérison dans un style lapidaire :
- « Les gens soutiennent ceux qui suivent un traitement. »
- « Les gens veulent du travail, et non de l'aide sociale. »
- « Les gens ont leur propre idée de leur vie et de la bande. »
- « Les gens ont confiance en eux-mêmes. »
- « Les gens sont capables de s'exprimer. »
LES JEUNES ET LEURS OUTILS DE MESURE
Comme on l'a mentionné plus tôt, les commentaires formulés par les jeunes sont souvent les plus rigoureux; pourtant, très souvent, on leur accorde moins de crédibilité qu'à ceux qui sont exprimés par les adultes. Cependant, lorsqu'on écoute les jeunes, on constate qu'ils peuvent être aussi structurés à leur manière que les adultes et les Aînés, et qu'ils peuvent faire montre de profondeur dans leur compréhension du processus de guérison. Cela est probablement dû au fait que les jeunes vivent les mêmes souffrances que les adultes lorsqu'ils amorcent finalement le processus de guérison. Non seulement ils souffrent, mais le rythme auquel le changement s'opère dans leur vie et la complexité de leur vie sont sans commune mesure avec ce que vivent les personnes des autres générations.
- « Auparavant, je n'aurais pas pu m'asseoir avec vous et vous parler. J'étais méchant, vraiment méchant, mais j'ai changé. Maintenant, je réussis bien à l'école. Je n'ai jamais été capable de parler ainsi, de m'exprimer et de dire ce que je ressentais. Je suis ici depuis quatre ou cinq ans et je sens que j'ai beaucoup changé et que j'ai guéri. J'avais honte de moi et je me demandais pourquoi je faisais de telles choses. J'ai pris conscience que pour mener une bonne vie, je devais devenir plus fort pour moi et pour les autres. Lorsqu'on m'a placé devant mes actes pour la première fois, je n'ai pas pu le supporter. Une nuit, j'ai essayé de me suicider, mais comme vous voyez, je n'ai pas réussi. À présent, j'ai peur de mourir, parce que tout va bien pour moi et qu'il me reste beaucoup de choses à voir dans le monde. »
- « Indescriptible! Des foules de changements ont eu lieu. Les gens s'expriment davantage, boivent moins et se battent moins. »
- « L'existence de notre propre école, où on parle notre langue et où on utilise des façons de faire autochtones, comme la danse. »
PRENDRE LE PROBLÈME EN MAIN ... TROUVER LA SOLUTION
La prise de conscience de sa valeur personnelle tient une place essentielle parmi les éléments qui contribuent au changement dans une collectivité. Un des effets qui en découle est que les individus, les familles et les collectivités commencent à prendre la responsabilité de leurs actes. Ils se sentent plus concernés et plus responsables de leurs actes envers eux‑mêmes et envers les autres. Une façon de renforcer le sentiment qu'ils sont les artisans de leur propre changement est d'amener des membres de la collectivité «élargie» à participer au processus de consultation. Cela a pour effet d'étendre le réseau et de trouver de meilleures occasions de trouver des solutions. En résumé, la collectivité demeure ainsi responsable de son développement. Les réponses de trois participants corroborent ce raisonnement :
- « C'est ce dont je suis témoin ici. Quand j'avais quinze ans, tous les vendredis et tous les samedis, il y avait une fête dans une maison sur deux. Je passe dans cette même rue aujourd'hui et il n'y a des fêtes que dans deux maisons. Cette situation en dit long sur ma collectivité et sur ce que je constate. Auparavant, nous étions comme les autres collectivités; nous envoyions nos gens à l'extérieur pour leur guérison. Nous les envoyions dans des centres, comme des centres de lutte contre la toxicomanie, ou dans les établissements correctionnels. À présent, je suis fier de dire que ma collectivité n'envoie aucun enfant à l'extérieur, bien que certains de nos adultes doivent y être envoyés, car un changement de décor est parfois nécessaire. Toutefois, lorsqu'ils reviennent dans la collectivité pour entreprendre le processus de guérison, ils ont des systèmes de soutien. Le processus de guérison consiste à comprendre qui on est; il est fondé sur nos enseignements traditionnels. Aujourd'hui, je suis fier de dire d'où je viens. C'est ce que je considère comme une collectivité idéale. Cela ne signifie pas que nous n'ayons pas nos problèmes, mais au moins, à présent, ma collectivité s'occupe de ses membres et d'autres collectivités nous envoient leurs membres pour qu'on les aide. «Nous prévoyons construire un établissement. Nous avons déjà le centre, c'est la collectivité. Les gens se parlent, se font mutuellement confiance et travaillent les uns avec les autres. Nous progressons sans cesse dans notre guérison, le chemin est long. La guérison n'est jamais terminée, elle se poursuit toujours; une fois que vous avez compris cela, c'est que vous êtes dans la bonne voie. Mes enfants ne m'ont jamais vu boire à la maison; ils ne connaissent pas le sens du mot «saoul». Ma collectivité me permet de rester sobre en m'apportant son soutien. »
- « À mon avis, l'incidence que cela a eue sur les gens est qu'ils comprennent plus clairement ce que signifie la responsabilité pour eux. Le fait qu'ils se sentent maintenant responsables explique qu'ils voient mieux leur rôle. Je ne sais comment l'exprimer, mais on le sent quand on voit le nombre de gens qui s'engagent et se prennent en mains. Je pense également que les effets ne se font pas sentir seulement dans notre collectivité; prenons, par exemple, le système de justice, qui cherche davantage à se pencher sur nos façons d'aborder différentes questions. Nous avons la chance de bien nous entendre avec la GRC et avec le juge sur la façon de considérer ceux qui ont des démêlés avec la justice. Du côté du système d'éducation, on constate également plus d'intérêt pour ce que nous faisons. Les gens s'engagent davantage et parlent plus franchement des questions qui les touchent; ils jettent un nouveau regard, et les gouvernements aussi. »
- À mon avis, on s'attend davantage à ce que les gens, particulièrement ceux qui occupent des postes politiques et de responsabilité, rendent compte à la population de ce qui se passe à l'échelle de la collectivité, à l'échelle régionale et nationale. La population veut savoir et veut participer. Notre prochaine génération de dirigeants aura des gens pour la guider, car beaucoup d'entre nous ont assumé des responsabilités de premier plan pendant longtemps. Nous n'avions personne pour nous guider au moment où nous avons débuté, car nos Aînés avaient tant perdu. Bon nombre d'entre nous espèrent acquérir leur indépendance financière pour ne plus avoir à compter sur la bande pour les soutenir durant toute leur vie. Il est donc bien de savoir que les gens veulent participer et progresser dans la bonne direction. Les gens veulent travailler ensemble pour évaluer comment utiliser à notre avantage les systèmes dont nous disposons.«Les Aînés dont je parle ne nous ont peut‑être pas aidés à utiliser le système à notre avantage, mais ils nous ont apporté quelque chose : ils nous ont appris à survivre, à être courageux et à nous amuser malgré notre misère. Nous avions l'habitude d'inviter des gens de tous les coins du Canada et des États‑Unis à venir nous enseigner nos valeurs, mais pourquoi nous adresser ailleurs? Avant, je ne voyais pas les gens parler ouvertement, surtout les personnes âgées. Aujourd'hui, les gens veulent se recycler, acquérir des connaissances pratiques. Je ne me suis jamais rendu compte à quel point il était facile d'amorcer un processus de guérison; parfois, il suffit simplement de demander de l'aide, car les gens sont prêts à coopérer et à aider. Les choses évoluent, il se passe des choses, et c'est réellement bien. »
Dans le présent chapitre, nous avons tenté d'examiner certains des aspects sous lesquels la guérison peut être considérée comme un processus de développement communautaire. Pour élaborer un langage commun et définir le rôle du gouvernement dans la guérison des collectivités autochtones, notre plus grande force réside peut‑être dans notre capacité de reconnaître nos ressemblances plutôt que nos différences.
Une récente déclaration faite par le chef Leonard George de la bande indienne de Burrard lors de l'assermentation de «néo‑Canadiens» permet de mieux saisir ce concept :
- « Nous pouvons bâtir cette nation en sachant qu'en tant que peuple, nous avons mené une lutte commune pour améliorer notre sort, pour assurer le bonheur et la santé de nos enfants ainsi que la sécurité de nos collectivités. Nous formulons les mêmes souhaits pour notre avenir, pour l'avenir de nos enfants et de nos petits‑enfants. »
CHAPITRE IX. QUEL RÔLE LE GOUVERNEMENT DOIT-IL JOUER ET DE QUELLE MANIÈRE?
La guérison a toujours eu lieu, mais ce n'est que récemment qu'elle est devenue visible. Aujourd'hui, on voudrait pouvoir dire exactement comment la guérison a commencé. Or, elle a commencé il y a bien longtemps, lorsque nos Aînés nous ont prédit l'avenir en s'inspirant de nos prophéties. Le processus de guérison a donc toujours été présent, mais il n'était pas apparent chez nombre d'entre nous qui étions enlisés dans nos problèmes, en train de nous détruire, rongés par la souffrance et l'apitoiement sur nous‑mêmes. Ce n'est que maintenant que la guérison commence à être vraiment visible.
Dans le présent chapitre, nous examinerons de plus près le rôle que peuvent jouer les gouvernements non autochtones dans la guérison et le développement des collectivités autochtones. On peut se poser la question suivante : «Comment les ministères peuvent‑ils donner des mandats ou élaborer des politiques souples qui permettraient d'appuyer les initiatives de guérison de façon plus complète, holistique, tout en maintenant une certaine forme d'organisation pour s'attaquer à chacun des problèmes à l'échelle nationale ou provinciale? »
Il est probablement justifié de supposer que l'absence actuelle de cohérence entre les mandats du gouvernement et les besoins des collectivités n'entrait pas dans les objectifs originaux des politiques gouvernementales. Qu'est-ce qui empêche le gouvernement de traduire ses intentions dans des actions concrètes? Quels sont les obstacles qui empêchent d'atteindre des objectifs qui visent à rendre les collectivités plus saines et plus sûres?
Pour que les gouvernements puissent satisfaire leur désir d'aider les collectivités dans leur processus de guérison, il faut que les initiatives gouvernementales reprennent les principes et les éléments sur lesquels repose le succès du développement communautaire. C'est une condition essentielle qui permettra aux gouvernements d'être plus attentifs aux efforts déployés par les collectivités, et, ce faisant, de bien remplir ses propres mandats.
Dans les pages qui vont suivre, on verra que les Autochtones, tout comme les fonctionnaires, envisagent un certain nombre de rôles que peut jouer le gouvernement. Ces divers rôles concernent la défense des droits, le partenariat, le soutien, l'assistance technique et ainsi de suite. Indépendamment du rôle que les gouvernements joueront en fin de compte dans les processus de guérison communautaire il y a un protocole ou un ensemble de principes qu'ils devraient reconnaître et auxquels ils devraient adhérer dans toute relation avec les collectivités, et particulièrement en ce qui a trait au développement communautaire. Voici ces principes :
- Les gouvernements doivent apprendre à connaître et à apprécier à sa juste valeur la culture des collectivités avec lesquelles ils établissent des partenariats.
- Le développement communautaire doit se faire à l'initiative de la population elle-même.
- Un processus de guérison doit être fondé sur le principe de l'effort personnel, mais les gouvernements doivent offrir des services de consultation et d'aide technique.
- L'aide offerte par le gouvernement doit être substantielle et de durée suffisante pour qu'ensuite les collectivités puissent poursuivre l'effort de façon indépendante.
- Le processus doit se dérouler librement sans que des limites artificielles viennent empêcher le personnel de répondre aux attentes de la collectivité à propos du processus ou du projet.
- Les gouvernements doivent être au courant de la composition interne de la collectivité, particulièrement en ce qui concerne les questions de protocole et de consultation.
- Les gouvernements doivent comprendre clairement le rôle qu'ils doivent jouer et ce rôle doit être compris par la collectivité.
- Les gouvernements ne doivent pas se comporter comme des «vendeurs» qui essaient de persuader une collectivité d'accepter des idées préconçues sur la manière de procéder.
- Les gouvernements ne doivent pas se considérer comme des spécialistes qui possèdent toutes les réponses.
Selon ces principes, les gouvernements pourraient jouer un rôle qui s'apparente à celui d'un défenseur des droits; ils travailleraient avec la collectivité pour l'encourager, l'appuyer et mettre à sa disposition l'assistance technique et l'information dont elle a besoin. Cela suppose donc que les intervenants de l'extérieur donnent l'exemple en faisant montre d'un style de leadership qui appuie l'approche fondamentale du développement communautaire.
NÉCESSITÉ DE RECONNAÎTRE LES DIFFÉRENCES DANS LES PERCEPTIONS FONDAMENTALES
Dans son ouvrage God Is Red, Vine Deloria Jr. soutient que le facteur fondamental qui empêche souvent les Autochtones et les non‑Autochtones de communiquer entre eux est qu'ils ont deux perceptions entièrement différentes du monde. La différence fondamentale réside dans la perception de ce qui est objectif et de ce qui est subjectif.
Dans ses études comparatives sur les peuples autochtones et la société occidentale, Carl Jung soutient que les deux peuples vivent sur la même planète et connaissent, à bien des égards, des expériences semblables dans leur vie quotidienne, qu'ils parlent des mêmes événements ou réalités externes; ce qui les distingue fondamentalement, c'est que les Autochtones ne font pas de différence entre ce qui est subjectif et ce qui est objectif, ni entre l'aspect spirituel et l'aspect matériel. À titre d'exemple, les Autochtones considèrent la terre comme un «sujet», et non comme un «objet».
L'identité sociale des peuples autochtones - leur économie, leur structure sociale, leur culture politique et leur religion ‑ est liée à la terre. Ainsi, les Autochtones conçoivent l'existence ou la vie comme un processus holistique; pour eux, il s'agit de «ne faire qu'un» avec la terre. Pour eux encore, l'amélioration de la qualité de vie passe nécessairement par l'épanouissement de l'être humain, tandis que pour les non‑Autochtones, l'amélioration de la qualité de vie est généralement liée à la croissance économique, qui équivaut le plus souvent à l'exploitation des ressources naturelles.
Les différences entre les collectivités autochtones et les organismes gouvernementaux dans leur approche ou leur définition du processus de guérison trouvent leurs racines dans les explications qui ont été données dans les chapitres précédents. Une bonne illustration de ces différences a été présentée au chapitre III par un membre non autochtone de la GRC. Selon cette personne, la société occidentale décrit la guérison comme la réparation d'un dommage physique, ce qui constitue une vision «objective» du processus de guérison. En revanche, selon cette même personne, les Autochtones considèrent que le processus de guérison englobe les éléments spirituel, physique, psychologique et émotif de la vie humaine; c'est une notion qu'on ne peut qualifier de «subjective» ni d'«objective». En fait, tout au long de l'étude, les réponses données par les participants ont continuellement illustré ce phénomène.
Une autre caractéristique qui différencie souvent les Autochtones de la société occidentale est l'importance que les premiers attachent à l'apprentissage par la pratique. Cette forme d'apprentissage repose sur l'acquisition de la sagesse plutôt que sur l'acquisition de connaissances et sur l'imitation d'un modèle plutôt que sur le «façonnage». Bref, la nature est le grand maître en qui s'incarne le code de la bonne conduite, tandis que la vie de tous les jours donne à chaque individu un enseignement de base.
En outre, il y a le principe fondamental de l'organisation sur laquelle sont fondées les valeurs traditionnelles autochtones. En termes simples, disons que la survie est le but principal, qu'une personne peut atteindre en vivant en harmonie avec l'univers et qui, sur le plan collectif, est la responsabilité de tous les membres d'un groupe. Cette responsabilité collective se traduit par les interactions de tous les membres du groupe qui sont fondées sur le principe de la mise en commun des habiletés, des talents et des ressources au profit du groupe.
On estime que ce concept de vie des Autochtones n'est pas totalement étranger à la société occidentale si les principes fondamentaux du développement communautaire sont mis en application. Le processus de développement communautaire a été élaboré par des auteurs occidentaux à la lumière des principes utilisés par les sociétés autochtones. Ces principes, qui consistent à travailler en collaboration, à maximiser l'utilisation des ressources personnelles et à prendre la responsabilité en tant que collectivité de reconnaître les problèmes et de les résoudre, s'appliquent tous au principe de l'organisation des sociétés autochtones.
COMMENT DOIT S'EFFECTUER LE TRAVAIL DES GOUVERNEMENTS AUPRÈS DES COLLECTIVITÉS AUTOCHTONES?
Est-il possible de créer une langue de communication entre les collectivités autochtones et les gouvernements qui pourrait être utilisée pour définir les rôles et les responsabilités des deux parties dans le processus de guérison? Est-il possible d'en arriver à une entente sur les facteurs qui sont liés à la préparation des collectivités et sur les stratégies et les activités propres au processus de guérison?
À cet égard, nous avons demandé aux participants de décrire le rôle que jouent les gouvernements dans le processus de guérison des collectivités autochtones. Nous nous attendions à ce que les gens nous parlent le plus souvent de financement, mais ils ont plutôt fait des suggestions quant au rôle que le gouvernement pourrait jouer à l'avenir.
Fait intéressant, nous avons recueilli au moins autant de suggestions sur la façon dont le gouvernement devrait procéder et sur les choses qu'il ne devrait pas faire que sur les initiatives qu'il devrait entreprendre. Ces réponses laissent supposer que la plus importante contribution gouvernementale ne devrait peut‑être pas consister à injecter de grosses sommes d'argent, mais plutôt à accomplir quelque chose de plus complexe et de plus subtil. Comme l'a déclaré un membre d'une collectivité :
- « Je ne pense pas que l'argent soit toujours la réponse. Ça peut être une partie de la réponse, mais non la totalité! Je pense que la compréhension mutuelle est plus importante. »
Ces réponses fournissent un cadre pour l'examen des diverses stratégies possibles, que nous allons passer en revue, et peuvent s'appliquer tant à la définition des rôles du gouvernement qu'à l'élaboration de politiques.
ÉCOUTER ET OBSERVER
Les participants ont tous mentionné que les gouvernements devraient apprendre à mieux comprendre les Autochtones, une bonne compréhension étant le gage de meilleures relations de travail. Pour ce faire, les représentants des gouvernements doivent écouter plus attentivement et venir se rendre compte sur place de ce qui se passe :
- « Être à l'écoute! Que des représentants du gouvernement viennent assister aux ateliers qui se tiennent dans la collectivité. Que le gouvernement soit plus actif au niveau local et qu'il recueille de l'information pour mieux comprendre quel rôle il devrait jouer. »
- « Tout d'abord, j'espère qu'ils nous entendront. Depuis longtemps, ils se bouchent les oreilles, ferment les yeux, et nous oublient. Espérons qu'ils s'ouvriront, qu'ils nous écouteront, nous regarderont et ressentiront ce que nous ressentons. Ce sont eux qui nous ont confinés dans des réserves. Lorsqu'on confine des gens dans des endroits exigus, on s'attire des problèmes. Lorsqu'on isole un groupe du reste du monde, cet isolement engendre des problèmes. Mais nous ne cherchons pas non plus à obtenir des subventions. Depuis des années, ils nous donnent des subventions, et seulement cela. Nous avons besoin de leur aide et de leur compréhension, et notre gouvernement autochtone doit leur transmettre ce message. Les Autochtones doivent avoir un but commun et mettre un terme à leurs querelles, parce que la méthode qui consiste à «diviser pour mieux régner» a été une façon pour le gouvernement de nous garder dans la situation où nous sommes aujourd'hui. À un moment donné, nos collectivités en auront assez. S'il y a quelque chose qui unit notre peuple, c'est bien le processus de guérison. On le retrouve dans toutes les collectivités. Pas de subventions! La compréhension, le soutien... ils doivent constater cela et non le nier. Je pense que le gouvernement local (le chef et le conseil) doit appuyer cette idée, pas simplement la reconnaître. La souffrance précède toujours la guérison, et certains ont peur que les gens souffrent de nouveau. »
- Venir nous voir et nous écouter, organiser des cercles de guérison. Je pense que des représentants du gouvernement devraient rendre visite à chaque collectivité pour se rendre compte des préoccupations des gens. »
- « Le gouvernement doit réellement comprendre les Autochtones. Il parle de nous, mais il ne comprend pas réellement qui nous sommes. Je ne sais pas si le gouvernement peut faire quelque chose au sujet de notre guérison, à part peut‑être nous accorder des subventions, parce qu'il ne nous comprend pas. Pour nous comprendre, il faut vivre parmi nous pour voir qui nous sommes et ce que nous pensons de la guérison. Je n'ai confiance en aucun gouvernement à cause de la façon dont ils se sont servis de notre peuple dans le passé pour prendre le pouvoir. Ils peuvent bien nous donner des logements et d'autres genres de bâtiments, mais ces bâtiments n'ont aucun rôle dans le processus de guérison; ils peuvent bien distribuer de l'argent, mais je pense qu'ils devraient plutôt demander à nos collectivités ce qu'elles veulent réellement. »
- « Les décideurs de première ligne devraient rendre visite à nos collectivités pour voir par eux‑mêmes ce que c'est que de vivre loin des services, particulièrement des services professionnels, et pour constater nos problèmes. »
Écouter signifie clarifier ce qu'on lit ou entend, et non se reporter tout simplement à ce qu'on connaît ou à ce qu'on croit connaître. Les possibilités d'établir un partenariat se traduiront par la volonté d'examiner les différences qui existent dans la terminologie ou les concepts. Voici un exemple à propos du terme «pardon» :
- Je pense que l'idée que quelqu'un vienne nous parler de la guérison est bonne. Il n'y a pas beaucoup de gens qui viennent en parler. Les gens n'en parlent pas de peur d'avoir à agir. Beaucoup de gens n'ont pas encore voulu pardonner; «apprendre à pardonner» fait partie du processus de guérison. Il ne s'agit pas tant d'oublier que de pardonner. Certains confondent ces deux termes. S'ils apprennent à simplement pardonner, c'est‑à‑dire à tourner la page, le pardon deviendra un moyen d'améliorer leur vie. On ressent parfois de la colère ou de la haine, et si on ne peut l'exprimer, on sombre dans la dépression. Et c'est un éternel recommencement. »
Cet état ou ce sentiment de pardon devient un moyen de retrouver l'équilibre ou la plénitude. Il ne s'agit pas de minimiser l'expérience vécue, mais plutôt de s'en libérer pour aller de l'avant.
En ce qui concerne les activités du système de justice pénale, un autre membre d'une collectivité souligne que les termes utilisés par la société occidentale sont différents de ceux qu'utilisent les collectivités autochtones. Dans les langues autochtones, il n'existe pas de mots pour désigner le «châtiment»; en revanche, il y a des mots qui expriment le respect et la responsabilité. Une des différences fondamentales entre les deux groupes réside dans le fait qu'on ne parle pas de culpabilité chez les Autochtones. Dans la plupart des langues autochtones, la notion de culpabilité, comme on l'entend dans le système juridique canadien, n'existe tout simplement pas.
- « Il faut examiner le système de justice, il faut apporter des modifications qui le rendront compatible avec notre propre système, du moins en grande partie. Ces modifications apportées, je pense que les gens respecteront davantage la loi, car présentement la plupart des dispositions ne s'appliquent pas à nous. Il faudrait au moins revoir la notion de culpabilité. Autre différence : un système inflige une punition et l'autre guide les gens sur le droit chemin de sorte qu'ils puissent s'améliorer en tant que membres de la collectivité, au lieu de les punir pour ce qu'ils ont fait. Nous organisons des fêtes pour permettre à ceux qui ont commis des fautes de s'excuser publiquement auprès de ceux qu'ils ont blessés; c'est plus efficace que de les enfermer dans une cellule où ils n'ont plus aucun contact avec les autres. Voilà les différences fondamentales sur lesquelles il faut se pencher. »
ÉTABLIR LE DIALOGUE
Écouter et observer directement vont de pair avec l'obligation de parler directement et ouvertement aux collectivités autochtones.
- « Il est nécessaire d'établir un dialogue «direct»; le plus souvent, les communications se font par l'intermédiaire d'une tierce personne [un consultant]. Nous recommençons toujours à zéro parce que les relations sont établies par cette tierce personne et ne sont pas suivies. Nous comprenons qu'ils ont un pays tout entier sous leur responsabilité, nous sommes donc comme un pivot et notre rôle est peut‑être de garder la porte ouverte et d'accueillir tout le monde. Si leur responsabilité consiste réellement à s'occuper des collectivités, alors ils doivent venir ici parce qu'il est difficile pour nous de maintenir le contact avec eux; il y a trop de monde à contacter au sein du gouvernement. »
- « J'aimerais que le gouvernement utilise davantage l'approche du «cercle» où les gens peuvent s'exprimer et se faire entendre en étant sur le même pied d'égalité. »
- « Ça ne me dérange pas qu'ils envoient des gens chercher des renseignements auprès des collectivités afin d'examiner nos structures et nos politiques. Le gouvernement possède toutes sortes de ressources qui peuvent aider les collectivités. Nous devons de notre côté faire tout notre possible pour leur fournir ce qu'ils ont besoin d'apprendre et de comprendre au sujet de nos collectivités. Un échange d'information qui favorise une compréhension mutuelle, sans laquelle on ne peut rien faire. »
Un participant a proposé une stratégie précise que le gouvernement pourrait mettre en oeuvre pour établir un dialogue franc et cohérent avec les collectivités. Cette stratégie tient compte de la contrainte naturelle à laquelle sont soumis les gouvernements qui doivent s'occuper d'un pays tout entier ou de grands segments de la population.
- « Maintenir la communication au moyen d'un dialogue ouvert, mené par l'intermédiaire d'une tierce personne [un consultant] si nécessaire. Passer par une tierce personne, si la collectivité se sent à l'aise avec cette méthode, et maintenir cette personne dans ce rôle d'agent de liaison pendant une longue période. Il est nécessaire d'établir des relations, de la confiance et des styles de communication qui permettront à nos collectivités et aux gouvernements de travailler ensemble plus efficacement en tant que partenaires. »
REMETTRE EN QUESTION LES ATTITUDES
Pour améliorer la communication et la compréhension, il faut se pencher sur les attitudes et les valeurs. Nombreux sont les participants qui ont évoqué la discrimination vécue dans le passé, lorsque les collectivités autochtones sont devenues «saines» ou semblaient «trop organisées». Là encore, l'opinion et l'attitude des gouvernements à l'égard de ces initiatives auront une influence directe sur la définition et la conception des rôles et des responsabilités.
De nombreux participants ont suggéré que les fonctionnaires s'examinent personnellement afin de voir s'ils ont des craintes qui pourraient entraver le progrès.
- « Ne pas avoir peur de nos propositions, particulièrement si elles sont bonnes et que nous sommes en bonne voie de guérison. Mais il se peut que nos conceptions de la «guérison» soient complètement différentes; il s'agit donc qu'ils trouvent quelqu'un qui n'a pas peur de nos propositions, quelqu'un qui les comprend. Il faut beaucoup de compréhension. Il faut que tout le monde apprenne et mette en pratique ce que nous avons appris sur la guérison. En tant qu'aides, nous nous devons d'être patients nous aussi. »
- « Je sais qu'un grand nombre de nos gens désirent guérir, mais ils ne savent pas comment s'y prendre. C'est encore la peur. À bien y penser, je crois que c'est la même chose pour le gouvernement, il a réellement peur de nous. Il sait ce qu'il nous a fait et il a peur que nous lui rendions la pareille si nous guérissons. En tout cas, c'est mon point de vue. »
- « Il semble que, pour le gouvernement, une collectivité guérie soit une menace. Le gouvernement sait que la collectivité n'est pas ignorante. Alors, quand il doit composer avec une collectivité guérie, il n'aime pas ça, car il sait qu'elle commencera à contester le gouvernement et à lui demander de l'écouter. »
Voici les conseils formulés par les jeunes d'une collectivité :
- « Le gouvernement doit se mettre un peu à l'écart et relâcher son contrôle. La collectivité doit être responsable de la guérison de sa population. »
- « La politique constitue un obstacle. »
- « Chaque collectivité est unique et il n'est pas possible d'élaborer un plan global pour guérir toutes les collectivités. Il faut donc donner le pouvoir à chaque collectivité. »
- « Aider à mettre un frein au racisme. »
- « Hâter le processus d'autonomie gouvernementale. »
- « Chaque fois que nous essayons de guérir, quelqu'un veut nous en empêcher. »
- « Les employés du gouvernement sont ceux qui peuvent nous aider. »
- « Le gouvernement local [le chef et le conseil] devrait veiller à ce que les gens sachent qui peut les aider. »
- « Je sens qu'ils ont un rôle à jouer, mais je ne suis pas sûr de pouvoir l'exprimer. »
- « Aider à faire de ce monde un endroit plus agréable; non seulement pour nous aujourd'hui, mais pour nos enfants et nos petits‑enfants. »
Un des participants a fait une introspection et a examiné ses propres attitudes. Grâce à cette expérience, il a pu constater comment les attitudes contribuent au succès ou à l'échec de nos entreprises.
- « Ce que le gouvernement n'a pas compris, c'est que la société rejetait notre peuple. Il existe beaucoup de racisme, de préjugés et d'intolérance. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet, mais on ne peut pas parler de guérison sans toucher à ce point. Je dois être capable de savoir à quel moment la souffrance et la destruction ont commencé et de reconnaître mes comportements racistes. Un aîné m'a dit que je devais dépasser le stade des reproches si je voulais guérir. C'est pourquoi je ne fais pas autant de reproches qu'avant. Je constate tout simplement qu'il s'est passé des choses. Je sais maintenant que nous devons oublier et aller de l'avant. »
Ces commentaires expriment la nécessité d'un dialogue plus fréquent qu'il ne l'est actuellement, qu'il s'agisse d'un dialogue direct ou mené par l'intermédiaire d'une tierce personne. Tous les paliers de gouvernement, y compris le chef et le conseil, doivent montrer qu'ils souhaitent et appuient la guérison, et ils doivent tous examiner leurs attitudes et leurs préoccupations face aux collectivités qui entreprennent un cheminement positif vers la guérison.
Fait intéressant, les réponses données par des membres adultes de la collectivité correspondaient aux réponses des jeunes. Un point important qui a été soulevé par un jeune est qu'il n'est pas possible de créer «un plan global».
Dans ses commentaires, un Aîné a évoqué une des nombreuses difficultés auxquelles font face les Autochtones de nos jours. Dans sa description de la situation, on constate que le respect demeure au coeur du processus de guérison. Cette description montre également jusqu'où s'étendent les partenariats entre les collectivités et les divers ministères gouvernementaux.
- « À mon avis, à partir du moment où le gouvernement nous reconnaîtra en tant que peuple, nous guérirons. On ne nous enlèvera rien et nous ne voulons rien enlever à la population canadienne. Nous voulons tout simplement être reconnus. Je pense que c'est là la clé de la guérison, car nous n'aurons pas à nous battre pour défendre nos droits. Je pense que le gouvernement dépensera moins d'argent qu'il n'en dépense actuellement. Je me demande combien de millions le gouvernement a dépensé rien que pour envoyer nos gens aux quatre coins du pays pour aller chercher ce qu'ils désiraient, et pourtant, ça n'a servi à rien. »
APPORTER DU SOUTIEN SANS S'IMPOSER
Les membres des collectivités et les fonctionnaires qui ont été interrogés s'accordent à dire que les collectivités autochtones doivent prendre en main leur propre destinée et que toutes les parties, y compris les ministres et les cadres supérieurs des gouvernements, devraient s'engager à les aider dans cette voie. Les réponses montrent à quel point le changement ne peut s'effectuer réellement que si toutes les ressources de la collectivité, particulièrement les ressources humaines, sont utilisées à leur maximum. En effet, le succès ne peut être obtenu que si la responsabilité du changement est partagée par toute la collectivité et que les efforts de tous sont respectés.
- « À mon avis, le rôle du gouvernement consistait jusqu'à présent à déterminer notre avenir; or, les choses ont changé et nos collectivités commencent à définir ce qui leur est nécessaire; je pense que les gouvernements doivent être conscients de ce que nous vivons depuis des siècles. Aujourd'hui, ils découvrent que ce qu'ils nous imposé ne marche pas; je pense qu'étant donné que les Autochtones sont en train de prendre en mains les questions qui les touchent, leur vie sera meilleure et plus saine. »
- « Le conseil de bande doit nous faire part des fonds qu'il reçoit, sinon nous avons l'impression qu'il ne fait pas grand‑chose. Nous voulons faire tant de choses, mais nous sommes limités par le manque d'argent et d'espace. On ne nous consulte pas assez. »
- « La création de partenariats est essentielle à ce processus. On ne peut y arriver sans l'aide de l'autre partie. Le comité de justice dont je fais partie est une de ces initiatives; dans les collectivités, il en existe d'autres qui sont également valables et qu'on devrait soutenir. Le gouvernement devrait être attentif aux besoins réels et voir comment la situation évolue. Il ne s'agit pas de prendre le contrôle du processus, mais d'élaborer des lignes directrices. »
- « Commencer par faire comprendre au gouvernement local (chef et conseil) le fonctionnement de ces initiatives; il pourrait ainsi leur donner un meilleur soutien. »
- « En notre qualité d'Autochtones, nous avons obtenu la responsabilité de gérer nos forêts. J'aimerais que le gouvernement devienne notre partenaire. Les réserves étaient des prisons pour mon peuple. Lorsqu'il y a un partenariat véritable, il y a un développement réel dans la collectivité; il n'appartient qu'à nous de créer ce genre de partenariat. Nous avons survécu et nous continuerons de survivre, et la future génération sera mieux équipée pour faire face aux problèmes. J'espère sincèrement que le gouvernement veillera à ce que nous continuions notre guérison et ne ralentira pas le processus en nous imposant des politiques et des restrictions budgétaires. »
SOUPLESSE ACCRUE DANS L'EXERCICE DES MANDATS
Les participants ont insisté sur la nécessité pour les gouvernements d'être à l'écoute des collectivités autochtones et de leur accorder du soutien. On peut se demander : «comment peut‑il y arriver?» ou bien «comment peut‑il faire montre de ces qualités? »
Comme nous l'avons fait remarquer dans le chapitre précédent, les participants estiment que les gouvernements doivent se rendre compte que la façon dont leurs mandats et leurs structures de financement sont organisés peut poser un problème et entraver l'efficacité des approches de développement communautaire.
- « Ils doivent cesser de prendre des décisions à notre place. Ils doivent se comporter en quelque sorte comme des enfants. Les gouvernements sont devenus si compartimentés et rigides. Ils doivent apprendre à devenir plus humains et trouver le courage d'apprendre à être à l'écoute des collectivités. »
- « Pourquoi est-ce que les programmes qui marchent bien ne sont pas mis en oeuvre dans d'autres collectivités? D'après le gouvernement, c'est une question d'argent. Il ne faut pas oublier que le gouvernement cherche toujours à assimiler mon peuple et que cela représente une menace pour notre identité. Tout dans notre environnement nous touche. Le gouvernement s'en tient au «Livre blanc»; pour cette raison, il n'a pu se rendre compte à quel point ses politiques ont été désastreuses pour nos collectivités. Il s'en tient donc à ces politiques et il ne veut pas que nos collectivités guérissent. Nous devons l'empêcher d'entraver notre guérison en invoquant les questions monétaires. »
- « Je pense que les réponses se trouvent à l'intérieur de la collectivité. Il existe tant de souffrance et il y a tant de programmes dont les mandats ne sont pas adaptés à nos collectivités. À mon avis, lorsque des personnes‑ressources, dans une collectivité, s'occupent d'une quinzaine de programmes régis par des politiques et des règlements différents sur la façon d'intervenir auprès de la population, il y a beaucoup de confusion. Je pense que le gouvernement peut apporter son aide en permettant aux collectivités d'élaborer leurs propres mandats; j'en compte quatre : la justice, l'éducation, l'aide à l'enfance et la santé. »
- « Lorsqu'ils répartissent les fonds là où il existe réellement des besoins. Prenons l'exemple des fonds consacrés à la lutte contre la violence familiale qui ont été répartis entre cinq ministères; la collectivité n'a touché finalement que 8 000 $ pour une année. Que peut‑on faire avec une somme pareille?« Nous aurions pu prendre le montant global et créer un centre de lutte contre la violence familiale, et établir le type de programme que nous voulons mettre en oeuvre. Utiliser l'argent pour déployer des efforts réalistes en vue de régler le problème et cesser de dire à nos dirigeants que les subventions qu'on nous accorde sont des «occasions» et qu'ils nous font une faveur. »
En plus de réclamer une approche plus holistique à l'égard des programmes et des subventions, les participants ont suggéré d'autres façons dont le gouvernement pourrait agir différemment.
- « Plus d'argent pour la construction d'établissements pour les enfants. Se manifester autrement que pendant la période des élections. Le gouvernement a une foule de programmes, de subventions, et autres, mais il y a des gens qui ne sont pas au courant. Il doit donner plus d'information sur ce qui peut être profitable aux collectivités. »
- « Ils nous prescrivent des choses, des choses dont nous sommes censés avoir besoin... Si ça se passe comme ça ici, ça doit être comme ça là‑bas! Ils doivent être sensibles aux approches différentes de notre collectivité. Le financement est calculé en fonction de la taille de la collectivité plutôt qu'en fonction de sa préparation ou de ses besoins! Ils veulent que les collectivités se développent, mais ils ne leur donnent pas l'espace voulu. »
- « Cela fait partie de notre plan de dire au gouvernement qu'on ne peut utiliser efficacement les programmes qu'il conçoit. Il nous faut élaborer nos propres programmes. Lorsque je vois dans tout le pays le nombre d'Autochtones qui sont incarcérés, j'estime que les fonds seraient mieux employés si on laissait à nos gens le soin de s'entraider. Parfois, on dirait qu'on nous traite comme de la marchandise. Surtout lorsqu'on voit qu'un ministère est prêt à donner 130 $ l'heure à un professionnel de l'extérieur pour dispenser des services dans notre collectivité, mais que ce ministère n'est pas prêt à payer des gens de la collectivité pour administrer le programme. On pourrait engager environ huit personnes pendant un an et demi ou deux ans avec le salaire de ce professionnel de l'extérieur. »
- « Les politiques doivent viser à diminuer la souffrance et prévoir une stratégie à court et à long terme sous forme de directives à suivre. Tout le monde ne travaille pas de la même façon. Si on veut régler un problème, il ne faut pas qu'il y ait une foule d'obstacles [formalités administratives]. Pour tout ce qu'on a à faire, il y a tant de travail, beaucoup d'obstacles à franchir, beaucoup de paperasserie, beaucoup de documents à fournir. Faut-il que nous nous mettions à porter des accusations contre une foule de délinquants pour leur ouvrir les yeux? »
- « Nous aider à comprendre à qui nous devrions nous adresser en cas de besoin. C'est plus difficile pour nous de les rejoindre parce que les bureaux du gouvernement sont si dispersés. »
Un fonctionnaire a expliqué comment les qualifications du personnel et les politiques ministérielles devraient refléter la volonté de travailler avec les collectivités et de les aider à se développer, si on veut que le rôle des gouvernements soit efficace. En ce qui concerne les qualifications du personnel, un participant a fait la remarque suivante :
- « À moins que les employés du gouvernement parviennent à s'intégrer à la collectivité dans laquelle ils travaillent et à être capables de traiter les personnes et les familles de façon holistique, ils ne pourront accomplir efficacement leur travail auprès de la collectivité. Ces personnes doivent donner d'elles‑mêmes et vouloir faire partie de la collectivité, sinon elles ne devraient pas occuper ces postes. C'est une composante du développement communautaire, une composante de la guérison communautaire; cela fait partie d'un tout. Les employés du gouvernement et la collectivité doivent être soutenus par les bureaux régionaux. »
Dans la même veine, les politiques des ministères doivent soutenir davantage le personnel si l'on veut que son travail soit réellement efficace et bénéfique.
- « Le personnel doit avoir le pouvoir de décider de la façon dont il peut et devrait participer à la collectivité. Autrement dit, une collectivité devrait pouvoir aborder un employé et lui demander de concentrer ses efforts dans un tel secteur. De nombreux programmes et subventions du gouvernement étaient axés sur des domaines précis (p. ex. la santé mentale), ce qui a fragmenté le processus de guérison communautaire. Ça ne marche pas, à moins de procéder de façon holistique. Voilà encore une politique à adopter.Si la collectivité précise ce qu'elle attend d'un employé donné, il faudrait en tenir compte. Les ministères doivent écouter les collectivités et donner à leur personnel la possibilité de servir la collectivité. Je m'aperçois que cette politique n'est pas appliquée dans toutes les collectivités du pays. »
NOUVELLES FAÇONS DE VOIR LES «RÉSULTATS» ... NOUVELLES FAÇONS DE COMMUNIQUER LES RÉSULTATS
Nous avons laissé entendre dans le chapitre précédent que les gouvernements devront réviser la façon dont ils mesurent et évaluent les programmes et les processus. Un thème qui est revenu souvent est qu'il faut être patient et attendre les résultats à long terme des initiatives complexes.
- « Le gouvernement devrait comprendre que tous ne sont pas prêts en même temps. Lorsqu'on pense à la souffrance qu'ont connue les collectivités autochtones depuis des années, je pense que le gouvernement devrait se rendre compte, lorsqu'une collectivité est en train de lutter pour guérir, que ce ne sont peut‑être pas tous les secteurs de la collectivité qui veulent le programme. Le gouvernement devrait accepter cela parce que ceux d'entre nous qui travaillent dans la collectivité doivent respecter les opinions et les sentiments de chaque membre de la collectivité à propos de ces questions. En tant qu'intervenant extérieur, je crois que ce sont les Autochtones qui nous montreront à retrouver l'équilibre. »
Les commentaires formulés par des fonctionnaires qui travaillent avec ou dans des collectivités autochtones laissent voir que :
- « Malheureusement, nous n'en savons pas assez sur ce qui marche et ce qui ne marche pas pour être catégoriques. »
Cependant, une fois qu'il est évident qu'une certaine stratégie fonctionne bien ou s'est avérée utile, il est important de le faire savoir. Un participant a suggéré que les méthodes de communication et de sensibilisation du public dont nous avons parlé plus tôt devraient être utilisées par les gouvernements.
- « Je trouve que souvent les organismes gouvernementaux font de bonnes choses, comme l'initiative que Santé et Bien‑être social Canada a lancée à propos de la violence familiale. Mais je crois qu'on aurait dû faire plus de promotion afin de faire connaître davantage ce programme. On avait beaucoup de bonnes choses à dire. J'ai obtenu quelques exemplaires de la documentation que j'ai distribués dans la collectivité. Et je disais aux gens que nous reprochons souvent au gouvernement de ne rien faire, mais que cette fois il aborde les vraies questions. Ou que du moins, certains fonctionnaires le font. En effet, on parlait dans ces documents des différents problèmes de violence. On avait annoncé qu'on affectait plusieurs millions de dollars à cette initiative de lutte contre la violence familiale, mais le programme n'a jamais vraiment été apprécié à sa juste valeur. J'ai lu la documentation et tous les travailleurs ici l'ont lue et j'ai invité d'autres collectivités à en prendre connaissance parce qu'encore une fois, nous accusons toujours le gouvernement de ne pas parler de ces questions. Mais voici qu'il nous livre ses idées et ses opinions. Quelles sont nos idées et nos opinions à nous? Je crois pourtant que si le gouvernement désire réellement accomplir quelque chose d'important, il doit mieux faire connaître ses programmes et agir plus rapidement. »
NÉCESSITÉ D'AUGMENTER LES COMPÉTENCES
Les participants estimaient que de nombreux membres des collectivités avaient encore besoin de recevoir une formation pour acquérir les compétences nécessaires pour favoriser la guérison et le développement communautaire. On considère comme particulièrement important de former les membres des collectivités à mettre en oeuvre des initiatives plutôt que d'aller chercher des spécialistes de l'extérieur qui donneront le programme puis quitteront la collectivité en emportant avec eux toutes leurs compétences. Lorsque des spécialistes de l'extérieur viennent dans une collectivité, l'une de leurs responsabilités devrait être de transmettre certaines de leurs connaissances et compétences à la collectivité. Idéalement, ces spécialistes devraient rester dans la collectivité le moins longtemps possible.
La formation est l'occasion tout indiquée d'établir des partenariats entre le gouvernement et la collectivité et de travailler en équipe. C'est aussi l'occasion, en ce qui concerne la prestation de services et de programmes, de s'écarter d'une façon de penser compartimentée et d'adopter une approche holistique.
- « Je crois que le gouvernement peut jouer un rôle important dans la guérison des Autochtones. Il peut fournir les compétences que nous avons perdues, sur les plans de la langue, du rôle parental, de l'autonomie. Et je parle ici de compétences dans le cadre d'une approche holistique. Je crois vraiment que si on les conseille bien, les collectivités peuvent se débrouiller elles‑mêmes. Il suffit de leur faire acquérir certaines compétences et de leur donner une certaine formation, au sein même de la collectivité. Et je pense réellement que dès le début du processus, ce sera moins coûteux que maintenant. »
- « Je crois que le gouvernement peut nous aider s'il reconnaît qu'il doit octroyer des fonds pour que plus de professionnels viennent au village au lieu d'attendre que nous trouvions des gens qui ont été des victimes. Je sais que parfois on n'a pas les fonds nécessaires. Si le gouvernement pouvait reconnaître que cette mesure est nécessaire pendant quelques années. »
- « Étant donné qu'une seule personne ne peut faire tout le travail, il faut qu'un groupe de personnes de la collectivité prenne la responsabilité. Suivre une formation, recevoir la formation dans la collectivité afin de mettre en pratique les connaissances apprises, concevoir notre propre approche ou programme. L'acquisition de compétences à l'extérieur de la collectivité n'est pas aussi efficace : vous pouvez recevoir une formation avec un groupe de personnes, mais vous ne pourrez les ramener avec vous à la maison. Alors, ce que nous avons fait, c'est que nous avons trouvé un moyen d'acquérir ces compétences dans la collectivité et, dans un nouveau cycle, de transmettre ces compétences à d'autres personnes. Pour moi, il s'agissait de la chose la plus importante, ce transfert des connaissances à la collectivité qui permet de travailler ensemble et de guérir ensemble. C'est ainsi que cela devait commencer. »
RETENIR DANS LA COLLECTIVITÉ LES GENS POSSÉDANT DES COMPÉTENCES
Une fois que les gens ont acquis des compétences, il s'agit de les garder dans la collectivité. Le fait de ne pas envoyer les gens à l'extérieur de la collectivité pour la formation et la guérison peut favoriser grandement le développement communautaire global.
- « Lorsque des gens reviennent dans la collectivité après un traitement ou une période d'emprisonnement, ils se retrouvent au même endroit. Le traitement doit se faire dans la collectivité, il doit se dérouler ici même. Quand on envoie quelqu'un à l'extérieur de la collectivité, on accorde de l'importance uniquement à l'individu, et on laisse la famille de côté; c'est pourtant dans la famille que la guérison doit s'effectuer. »
- « Nous devions trouver un moyen d'augmenter nos compétences. Pas nécessairement d'avoir plus d'information, puisque l'information, nous l'avions déjà ici. Nous avons cherché à augmenter nos compétences dans différents domaines : rédaction de projets, négociations, travail auprès des tribunaux, interactions avec les juges et les avocats. C'étaient là les compétences que nous devions acquérir au lieu d'embaucher des consultants de l'extérieur pour faire le travail à notre place, car cela a toujours été le cas au Canada. »
ÉTAPES DU PROCESSUS GOUVERNEMENTAL
Un représentant du gouvernement, qui a travaillé auprès de nombreuses collectivités autochtones, a déclaré qu'il y a plusieurs étapes importantes dans le processus que les gouvernements doivent suivre lorsque les collectivités leur demandent de les aider dans leurs initiatives de guérison.
- « Le gouvernement doit d'abord déterminer s'il y a consensus au sein de la collectivité. C'est là la première étape. Ensuite, le gouvernement et la collectivité doivent s'entendre sur la façon dont le processus peut être géré, car il est rare qu'un processus puisse être amorcé si cet aspect n'est pas réglé. Ensuite, il est essentiel de clarifier les «hypothèses», ce qui permet d'établir les aspects qui sont significatifs pour les gens. Les critères clés dans la prise des décisions relatives au soutien gouvernemental qui sera accordé aux projets sont les besoins, la préparation de la collectivité et les ressources financières disponibles. Les deux parties doivent comprendre l'importance de la responsabilité et du partenariat, et il doit y avoir un investissement égal de la part du gouvernement et de la collectivité. Il ne faut pas seulement se fier aux membres de la collectivité qui viennent vous parler, il faut aussi vérifier ce qu'en pensent les autres membres de la collectivité et les collectivités plus effacées. Pour déterminer si on peut se permettre de financer le projet, il faut d'abord évaluer les besoins réels et voir si on est en mesure, financièrement, de les combler. »
FINANCEMENT GOUVERNEMENTAL
Comme nous l'avons déjà mentionné, les participants ont été peu nombreux à déclarer que le gouvernement devrait accorder plus de fonds. Cependant, beaucoup ont dit qu'on pourrait obtenir davantage avec les fonds investis. L'idée essentielle est que, si les gouvernements investissaient dans une approche préventive actuellement, on n'aurait pas besoin de dépenser de l'argent plus tard pour réparer les dommages. En outre, on exhorte les gouvernements à adopter des solutions à long terme, plutôt que de procéder rapidement et de façon fragmentée.
- « La planification à long terme, les accords et le financement à long terme. Ce n'est que dernièrement que nous avons utilisé l'argent du gouvernement. Les gouvernements doivent laisser nos collectivités s'occuper de leurs membres. Les méthodes actuelles ne fonctionnent pas. »
- « L'argent vient d'eux; alors, il faut qu'ils nous apportent une aide financière. Ils n'ont pas à avoir si peur des compressions dans leurs ministères. Lorsqu'il y a des compressions, ils doivent s'assurer qu'elles ne touchent pas les secteurs qui font partie du processus de guérison. Les compressions dans l'éducation et la santé ont une incidence sur le processus de guérison. Ils doivent réévaluer leur façon de comprendre la guérison et voir comment ils favorisent ce processus en nous accordant du financement et comment ils l'entravent dans le cas contraire. Et lorsqu'ils établissent des politiques, ils doivent tenir compte du processus de guérison. Si leurs politiques visent à exercer des compressions dans l'éducation ou la santé, cela va à l'encontre du processus de guérison. Les programmes qui fonctionnent bien au niveau de la bande ne devraient pas être touchés. Les politiques doivent aider nos collectivités à se guérir et à repartir de l'avant. »
- « Je pense aussi que le gouvernement doit écouter les collectivités. S'il continue de penser aux dollars et aux cents, il empêchera les collectivités de prendre des initiatives. Ce programme a permis de réduire les coûts, puisque l'emprisonnement entraîne des coûts élevés et que nous n'envoyons pas les délinquants en prison. Les collectivités qui ont montré leur bonne volonté méritent de recevoir l'argent. Il est clair que, même si nous ne recevons pas l'argent, nous n'abandonnerons pas le programme. Mais regardez! les juges envoient des délinquants dans notre collectivité. Cela devrait être pris en considération. L'essentiel est de restaurer l'équilibre dans nos collectivités. Alors, nous ne compterions pas sur le gouvernement autant que nous l'avons fait dans le passé. »
- « J'ai l'impression que l'argent qui est octroyé aux collectivités autochtones aujourd'hui ne leur parvient jamais. Nous pourrions probablement nous débrouiller avec le quart des sommes qu'ils dépensent actuellement si cet argent allait directement aux collectivités et permettait aux membres d'acquérir les compétences qui faciliteraient l'amorce du processus de guérison. Je ne crois pas que nous ayons besoin de tout un système bureaucratique pour faire cela. »
- « Lorsque je vois ce qu'il en coûte pour envoyer 50 enfants à l'extérieur de la collectivité, je constate que le coût de la guérison dans la collectivité est pratiquement nul par rapport au coût des traitements à l'extérieur. »
Certains participants ont une vue plus cynique de l'établissement de partenariats et de la définition des rôles. Un Autochtone travaillant dans un ministère ne pense pas, contrairement aux autres fonctionnaires qui ont été interrogés, que les initiatives de son employeur soutiennent et encouragent les Autochtones.
- « Les gouvernements devraient rester à l'écart, ils ne devraient pas nous dire ce que nous avons à faire. Ils devraient nous laisser faire; tout va bien, la collectivité fait des progrès, tous poursuivent le chemin de leur guérison. L'attitude de mon ministère a été qu'on ne devrait pas avoir d'emploi si on n'est pas allé à l'école. Bien que je ne puisse pas toujours reprocher à mes collègues non autochtones d'avoir cette attitude. Il est difficile de nous respecter mutuellement. Je crois qu'ils se fichent de ce qui se passe dans la collectivité; tout ce qu'ils veulent, c'est qu'on respecte leurs règles, et leurs règles seulement. Mon ministère n'est pas un de ceux qui nous encouragent. Pour que notre collectivité guérisse, nous devons pardonner à certains de ceux qui nous ont fait du mal. »
Un autre membre d'une collectivité nous a fait part d'une expérience similaire. Le programme dont il est question est administré par le gouvernement fédéral directement, bien que le porte‑parole soit employé par la bande :
- « Ils ne peuvent même pas nous redonner un peu de ce que nous avons perdu, car nous avons tant perdu. Les gens de ma génération ne savent même pas parler notre langue. Ils ont fait un génocide culturel, ce qui a beaucoup à voir avec la guérison quand on y réfléchit. Chaque jour, je dis à mes enfants qui ils sont et je leur explique que nous n'avons pas tout abandonné délibérément. Je ne peux imaginer tout ce que nos ancêtres ont vécu quand ils ont été dépouillés de leur culture et de leur nation. Je crois que le seul rôle que le gouvernement peut jouer est un rôle de financement. Nous ne devons pas nous tourner vers lui pour tout ce dont nous avons besoin; pour ce qui est des programmes comme le programme de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie, ils devraient être inclus dans un budget et nous ne devrions pas avoir à demander de nouvelles subventions au gouvernement tous les ans. »
RÔLE SUGGÉRÉ POUR LE MINISTÈRE DU SOLLICITEUR GÉNÉRAL ET D'AUTRES ORGANISMES DU SECTEUR DE LA JUSTICE
Des commentaires ont été faits par les employés du gouvernement sur le rôle ou le mandat du ministère du Solliciteur général du Canada, du ministère fédéral de la Justice et des ministères provinciaux du Procureur général. Chaque commentaire présente diverses façons dont ces ministères peuvent participer au processus :
- « Je ne pense pas que le ministère du Solliciteur général du Canada puisse jouer un rôle ici dans la collectivité. En effet, durant mon séjour ici, il n'y a jamais eu d'infraction à une loi fédérale ni aucun Autochtone qui ait été incarcéré dans un pénitencier fédéral. Il y a seulement une personne qui est en liberté conditionnelle. Et je ne crois pas que la situation va changer dans un avenir rapproché. Au niveau provincial, oui, nous avons beaucoup de personnes qui ont des démêlés avec la justice et qui pourraient se retrouver en prison. « Cependant, je ne voudrais pas commettre une indiscrétion ici, mais si le comité de justice de la collectivité prend racine et commence à bien fonctionner, je crois qu'il ne faudra pas longtemps avant que des sommes d'argent soient rattachées à ce concept de justice. Les gens plaident coupables après avoir été informés de leurs droits et avoir consulté un avocat, mais aussi en fonction de la loi traditionnelle en vertu de laquelle on est responsable de ses actes. Je crois que ce ne sera pas long avant que les gens rassemblent des statistiques et se rendent au bureau du Procureur général pour leur dire que les cas dont ils se sont occupés ont fait épargner à l'administration de la justice des milliers et des milliers de dollars de frais de cour, de frais de procureurs et de frais d'incarcération. J'espère que quelqu'un de la collectivité ou du bureau du Procureur général se rendra compte de la valeur du programme. Il serait justifié que nous remettions de l'argent à cette collectivité et qu'elle s'en serve pour les initiatives du comité de justice.« Je crois que les avantages sont doubles. Le gouvernement bénéficiera financièrement du concept et la collectivité bénéficiera des résultats de ses propres initiatives. Lorsqu'on élabore des politiques, il est essentiel d'accorder une grande place aux solutions de rechange à l'incarcération, à la surveillance, etc. Les énoncés de politique doivent contenir le plus de solutions possible. »
Un autre participant a mentionné que le ministère du Solliciteur général pourrait jouer un rôle d'éducation en rapprochant les diverses parties :
- « Pour ce qui est du ministère du Solliciteur général, que tous les avocats de la Couronne soient informés du programme qui est appliqué ici, ainsi que tous les juges du circuit. De cette façon, nous n'aurons pas à renseigner les gens chaque fois qu'il y aura un changement dans le circuit. Il faut renseigner en détail les procureurs de la Couronne sur le programme, de même que le groupe qui fait des présentations à leur intention et les juges. On pourrait même aller à l'université parler du programme aux étudiants en droit. Le problème, c'est la façon dont nous enseignons aux avocats que les victimes et les délinquants doivent guérir. On incarcère les délinquants, d'accord! Mais ensuite ils reviennent dans la collectivité. Dans les autres provinces, on pourrait désigner des collectivités qui iraient rencontrer les étudiants des écoles de droit. »
PRÉPARATION DES COLLECTIVITÉS : QUESTIONS QUE LES GOUVERNEMENTS POURRAIENT SE POSER
La question de «l'état de préparation», bien qu'elle soit d'une très grande importance pour l'élaboration des stratégies de changement, représente dans certains cercles l'essence même de ce qui empêche ou retarde le progrès. Comme certains participants l'ont souligné, les formalités administratives qui sont devenues les principes directeurs de l'établissement de partenariats entre le gouvernement et les collectivités, ou simplement les outils pouvant aider une collectivité à aller de l'avant, sont en fait aujourd'hui les principaux obstacles au progrès.
Les conclusions qu'on peut tirer des réponses des participants sont que les organismes de l'extérieur et les ministères peuvent jouer un rôle, en ce sens qu'ils peuvent être des agents de changement. Les gouvernements peuvent aider les collectivités en examinant comment elles veulent régler les problèmes et en appuyant les approches communautaires qui se sont avérées efficaces dans le passé. Pour leur part, les collectivités peuvent aider les gouvernements en évaluant si elles sont prêtes puisque les membres de la collectivité sont en mesure de reconnaître l'existence et l'orientation des changements dans la collectivité, soit par l'observation des faits, soit d'expérience. Le processus qui consiste à évaluer si une collectivité est prête n'a pas à être long et exhaustif.
Comme l'a dit un membre d'une collectivité à propos des systèmes interne et externe :
- « Si une collectivité permet au système extérieur d'entrer dans la collectivité, c'est qu'elle est prête et qu'elle s'attend à ce que ces programmes, ces gens et ces dirigeants apportent du changement. Si elle ne voulait pas de changement ou qu'elle n'était pas prête, elle n'accepterait pas ces programmes. »
Ce commentaire laisse entendre, cependant, qu'il incombe aux ressources extérieures et aux ministères d'examiner la situation à l'aide d'une série de questions qui concernent directement l'élaboration de mandats et le financement de protocoles. Il pourrait notamment s'agir des questions suivantes :
- Comment évaluer l'état de préparation ou les capacités des collectivités de façon uniforme?
- Comment tenir compte des différences entre les collectivités urbaines, les collectivités rurales et les collectivités vivant dans des réserves sur les plans des structures de soutien, de la stabilité économique, de l'ampleur des problèmes sociaux et de l'accès aux ressources?
- Comment «démontrer» qu'une collectivité est prête si elle ne s'est jamais attaquée à la question auparavant?
- Les mandats ou les évaluations de besoins sont‑ils établis pour «prouver» qu'une collectivité est prête ou sont‑ils des outils qui peuvent aider les collectivités à déterminer si elles sont prêtes?
- Comment utiliser l'information générée par les études ou les évaluations de besoins? Y a‑t‑il des normes? Quelles sont-elles? Sont‑elles uniformes?
- Les questions liées à la préparation qui sont posées aux collectivités autochtones sont‑elles les mêmes que celles qui sont posées aux collectivités non autochtones?
DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE : AUTRES QUESTIONS QUE LES GOUVERNEMENTS POURRAIENT SE POSER
Le présent rapport a été rédigé à partir des commentaires et des observations dont les participants nous ont fait part au cours des entrevues. Ces commentaires semblent souvent contradictoires au premier abord. Il faut se rappeler que les perceptions individuelles sont aussi variées que les collectivités.
Le processus de collecte d'information permet de recueillir les opinions qu'ont les gens de la guérison selon la manière dont les questions sont posées ou selon le niveau de précision des questions. L'avantage d'une entrevue en groupe est qu'elle offre aux membres d'une collectivité l'occasion de discuter de questions dont ils n'auraient peut‑être pas autrement discuté parce que l'occasion ne se présentait pas ou parce que, lorsqu'ils se rencontrent, ils parlent d'autres choses.
Nous en avons donné des exemples dans le rapport. Au cours de l'étude, il y a eu une entrevue de groupe au cours de laquelle les personnes interrogées ont parlé de leur perception de la guérison. Dans cette entrevue, une personne a dit que la guérison avait commencé dans la collectivité parce que les gens étaient maintenant capables de parler de «violence sexuelle» et de «violence familiale», des mots qui n'étaient même pas prononcés auparavant. Après ce commentaire, d'autres personnes du groupe qui avaient dit au départ qu'il n'y avait pas eu de guérison dans leur collectivité ont modifié leurs réponses. Elles étaient maintenant d'accord que la guérison avait commencé, disant qu'elles n'avaient pas envisagé la question sous cet angle lorsqu'elles avaient donné leur première réponse. Elles avaient répondu en fonction de leur situation personnelle et non en fonction de l'ensemble de la collectivité.
Le gouvernement et les organismes extérieurs peuvent offrir de telles occasions aux collectivités. L'essentiel est que les partenariats entre les ressources extérieures et les collectivités aient un certain degré de stabilité. Les gouvernements devraient essayer d'affecter le même personnel ou les mêmes entrepreneurs dans les collectivités pour une longue période. Cela permet d'établir la confiance et de développer un style de communication et de dialogue qui est compris par toutes les parties intéressées.
Pour commencer ce processus, il faut se demander : «Comment est‑ce que je vois moi-même le développement des collectivités?» Un examen de nos propres attitudes et valeurs à propos du développement des collectivités nous aidera à définir ou clarifier comment nous pouvons participer à ce processus. La contribution ou le rôle que nous déterminons pour nous‑mêmes devient une image de nos convictions et de nos valeurs.
Dans cet esprit, nous proposons les questions suivantes :
- Qu'est‑ce qu'une collectivité autochtone «en voie de guérison» ou «saine» peut apporter au Canada?
- Quels problèmes la guérison peut‑elle soulever sur les plans économique, social, juridique et politique?
- Que signifie relâcher ou changer le rôle que les gouvernements jouent présentement?
- Quel est l'engagement du Canada à l'égard de ce processus? Comment pouvons‑nous participer à ce processus pour faire en sorte que la vision soit actualisée?
Chapitre X. Conclusion
Notre étude a été une expérience enrichissante et stimulante, car elle nous a donné l'occasion de reprendre contact avec les collectivités, de constater les changements et les progrès réalisés et de tirer profit de la compétence de personnes qui ne sont pas souvent entendues à l'extérieur de leur collectivité. La difficulté, évidemment, a été de mettre leurs pensées, leurs sentiments et leurs idées par écrit.
Il y a beaucoup à gagner à écouter les personnes qui ont participé au projet; cependant, il y a certains points qui ressortent de leurs déclarations et que nous reprenons ici en guise de conclusion.
Un point essentiel qui ressort du rapport est la confirmation que les Autochtones ne sont pas si différents des non‑Autochtones quant aux priorités qu'ils établissent dans le but de guérir leurs collectivités afin de les rendre saines et sûres. Tous ont insisté sur le fait que la guérison prend sa source à l'intérieur. Elle a la spiritualité pour fondement. Ce n'est pas tant la définition de la spiritualité qui importe que le fait de reconnaître qu'elle joue un rôle vital dans la façon dont les gens et les collectivités se développent et s'épanouissent.
Les secteurs que les participants de l'étude ont décrits comme prioritaires dans leurs collectivités, à savoir l'éducation, la santé, le développement économique, le logement et la prévention de la criminalité ou de la victimisation, sont en fait les priorités de toutes les villes et collectivités du Canada. Un élément central du rapport est qu'il faut donner à toutes les collectivités l'occasion d'élaborer des stratégies et de mettre en place des activités qui les aideront à fixer leurs priorités et à atteindre leurs buts.
L'objectif du présent rapport était de faire comprendre le processus de guérison dans les collectivités autochtones et de faire des recommandations au gouvernement quant aux rôles qu'il pourrait jouer et aux stratégies qu'il pourrait adopter pour soutenir ce processus. Une de ces stratégies découle du fait que l'approche autochtone de la guérison, qui est holistique par nature, peut être transférée à d'autres régions du Canada. C'est peut‑être cette approche holistique qui manque aux collectivités non autochtones pour bâtir des collectivités plus saines et plus sûres.
Autrement dit, les collectivités autochtones ne veulent pas de programmes fragmentés, mais plutôt un processus de développement holistique. L'importance de cette idée de relier les programmes de façon holistique a été portée à notre attention par les collectivités non autochtones et par la reconnaissance récente par les gouvernements de la nécessité de créer pour les consommateurs des points de service uniques pour l'accès aux programmes gouvernementaux.
Le projet a aussi permis de confirmer une fois de plus que les collectivités autochtones sont heureuses de l'occasion qui leur est donnée de partager leurs connaissances à propos de la guérison des collectivités au Canada. Les différences culturelles ne doivent pas devenir des obstacles à la communication entre les collectivités autochtones et les autres et à la mise en commun des compétences des différents groupes culturels.
Cela ne signifie pas que les gens doivent oublier leurs différences et tous devenir semblables pour apprendre les uns des autres. Au contraire, le développement de collectivités saines et sûres repose en partie sur la capacité de reconnaître que chaque individu a quelque chose à apporter à ce processus; ainsi, les différences culturelles, raciales et religieuses ne doivent pas empêcher les gens de profiter des expériences et de la sagesse des autres.
Le processus de guérison, tel qu'il est présenté ici, est un processus qui «commence à l'intérieur et se poursuit à l'extérieur». Un autre point qui a été soulevé par les participants est l'importance de la guérison pour l'amélioration de la qualité de vie. Pour améliorer notre qualité de vie, nous devons faire un inventaire personnel de nos attitudes à l'égard de certaines questions et de nos sentiments à propos des individus et des groupes qui sont différents de nous. Le défi que nous devons tous relever est de mettre ces attitudes et ces valeurs en équilibre afin de former des partenariats efficaces dans le but de construire un avenir plus solide pour tous nos enfants.
Nous espérons avoir su capter l'«esprit» de ceux qui nous ont fait généreusement part de leurs expériences et qui nous ont montré comment nous pouvons parvenir à mieux nous comprendre mutuellement en poursuivant notre but commun, à savoir sauvegarder et améliorer notre qualité de vie.
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