Les délinquants réhabilités au Canada : Une analyse statistique 2000-02

par Suzanne Wallace-Capretta, M.A.
Ministère du Solliciteur général du Canada

Mars 2000

Les opinions exprimées n'engagent que les auteurs et ne sont pas nécessairement celles du ministère du Solliciteur général du Canada.

Remerciements

La rédaction du présent rapport n'aurait jamais été possible sans l'aide de nombreux collaborateurs et collaboratrices. Nous pensons, entre autres, à Tanya Rugge qui a recueilli les données pour l'étude pilote et coordonné la collecte des renseignements utilisés dans la présente évaluation. Nous remercions également les consultants Ian Broom, Malorie Lapointe, Kevin Nunes et Paul Verbrugge qui ont toujours communiqué les données en temps voulu et Amy Yuile qui nous a aidés pour la recherche bibliographique. Nous voulons aussi souligner la collaboration d'Eleanor King et le précieux appui de George Sieniecky et Daniel Quesnel qui nous ont aidés à retracer les dossiers nécessaires. Nous désirons en outre remercier Mia Dauvergne, Robert Cormier, Mary Campbell, Karl Hanson, Cliff Yumansky, Ghislaine Charlebois, Pierre Couturier, Sheila Ouellette et Colette Galipeau pour leurs commentaires sur une des premières ébauches du rapport. En dernier lieu, nous désirons remercier Jim Bonta et Richard Zubrycki pour leurs précieux conseils et leur appui.

Résumé

En tout, 234 779 réhabilitations ont été octroyées entre 1970 et 1998, mais nous possédons peu de données sur les particularités des délinquants qui ont été réhabilités. Pendant cette même période, 6 046 réhabilitations ont été révoquées ou frappées de nullité, et 2 333 demandes de réhabilitation ont été refusées. Donc, dans le but d'en savoir plus sur les délinquants réhabilités, nous avons mené trois études. Dans la première, nous avons comparé les particularités d'un échantillon de délinquants réhabilités (n = 1 128) à celles des délinquants déboutés de leur demande (n = 330). Cette étude nous a appris que les délinquants déboutés avaient un passé criminel plus long et plus grave que ceux dont la demande avait été accueillie. Dans la deuxième étude, nous nous sommes occupés uniquement de délinquants réhabilités. Nous avons examiné deux échantillons : un de réhabilitations réussies(n = 603) et un de réhabilitations révoquées ou annulées (n = 552). Cette étude a démontré que les délinquants dont la réhabilitation a été révoquée avaient commis plus d'infractions menant à plus de condamnations que ceux dont la réhabilitation ne l'a pas été. Elle nous a également appris que les révocations étaient surtout attribuables aux infractions contre les biens et les infractions liées à l'alcool ou aux règlements de la circulation. Dans la troisième, nous avons étudié un sous-échantillon de délinquants sexuels dont la réhabilitation a été révoquée ou annulée. Grâce à celle-ci, nous avons appris qu'environ six pour cent des réhabilitations ont été révoquées suite à une infraction sexuelle. Nous avons extrapolé les résultats de ces études pour arriver à des estimations relatives à la délinquance sexuelle chez la population de délinquants réhabilités.

Introduction

Les concepts de clémence et de réhabilitation existent depuis qu'il y a des lois. Dans l'antiquité, on croyait que la clémence et la réhabilitation (autrefois appelée « pardon ») octroyées par le roi ou le chef d'État représentaient l'absolution des dieux. Au fil des siècles, l'Église et le roi ont, tantôt l'un tantôt l'autre, été les dispensateurs de la clémence et de la réhabilitation. En Angleterre, la prérogative royale de clémence a toujours eu pour but de « compenser la rigueur du droit pénal » (Couillard, 1985). Malgré le fait que la clémence et la réhabilitation cherchaient avant tout à ce que justice soit faite tout en faisant place à la miséricorde, elles ont à certains moments fait l'objet d'abus puisqu'elles étaient occasionnellement offertes contre compensation financière ou pour recruter des travailleurs pour les plantations ou la marine du roi.

Avant la création des instances d'appel et l'arrivée de la réduction des peines, la clémence et la réhabilitation étaient les seules mesures de grâce, et c'est pourquoi on y a greffé plusieurs autres fins. En premier lieu, la clémence et la réhabilitation visaient à annuler un tort. À titre d'exemple, tout système de justice n'étant pas parfait, le roi ou l'État aurait pu accorder une réhabilitation à une personne condamnée à tort. La réhabilitation pouvait également être une manifestation de miséricorde. C'est-à-dire que la condamnation était justifiée, mais que la peine était réduite en raison de la grande sévérité du châtiment, d'une iniquité ou d'une injustice excessive. La réhabilitation pouvait aussi être une mesure d'amnistie. En effet, après avoir purgé sa peine, le délinquant affrontait des difficultés inutiles (Smith, 1983) et s'il pouvait démontrer qu'il était maintenant un citoyen responsable, les autorités pouvaient sceller ou épurer son dossier et lui conférer à nouveau ses libertés et droits civils. Sous cette forme, la réhabilitation venait effacer la tache laissée par la condamnation. Ces objectifs se retrouvent sous différents noms dans le système de justice pénale de plusieurs pays (Burton, Travis et Cullen, 1988; Couillard, 1985; Smith 1983; Solliciteur général Canada, 1981).

Au Canada, les deux premiers objectifs de la clémence et de la réhabilitation se retrouvent dans la Prérogative royale de clémence, et le troisième trouve son application dans la Loi sur le casier judiciaire (LCS). C'est en s'inspirant du fait qu'au Royaume-Uni, le monarque exerce la prérogative royale de clémence que l'on a donnée au gouverneur général du Canada le pouvoir d'accorder la clémence et la réhabilitation au moyen de lettres patentes. Le gouverneur général en conseil peut également exercer ses pouvoirs de clémence et de réhabilitation de la façon indiquée aux articles 748 et 749 du Code criminel. Le gouverneur général ou le gouverneur général en conseil peut utiliser ses pouvoirs discrétionnaires devant une injustice ou un préjudice flagrant lorsque d'autres recours sont impossibles. Dans ces cas, il a plusieurs choix. Il peut accorder un pardon absolu à la personne victime d'une erreur judiciaire. Il peut également accorder un pardon conditionnel avant même que la personne ne soit admissible à la réhabilitation en vertu de la LCS ou de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). Il peut aussi réduire une peine, ordonner la remise d'une amende, lever certaines interdictions ou accorder un sursis. Le pouvoir de redresser un tort ou d'accorder la clémence est exercé uniquement dans des circonstances exceptionnelles, c'est pourquoi on y fait rarement appel. Depuis 1980, la prérogative royale de clémence n'a été exercée que dans 159 cas, en comptant les cas de pardon absolu ou conditionnel, de réduction de peine ou de sursis. (Commission nationale des libérations conditionnelles, 1999).

La prérogative royale de clémence est un pouvoir discrétionnaire guidé par des principes généraux qu'on fait intervenir dans des cas exceptionnels. Cela n'est pas le cas avec l'octroi de la réhabilitation dans le but de pardonner des infractions aux lois et aux règlements fédéraux qui est régi par des lois particulières. Adoptée en 1970, la LCS conférait à un individu le droit de demander une réhabilitation une fois satisfaites les conditions de sa peine, s'il s'était « bien conduit » pendant la période prescrite. Pour les besoins de la LCS, la période de « bonne conduite » est une période sans condamnation pendant laquelle le délinquant ne fait l'objet d'aucun soupçon ou allégation de comportement criminel (Commission nationale des libérations conditionnelles, 1999). La réhabilitation accordée en vertu de la LCS adoucit les restrictions juridiques, économiques et sociales auxquelles fait face un délinquant qui a réintégré avec succès la société. La réhabilitation a pour effet de sceller le casier judiciaire en exigeant qu'il soit classé à part; elle ne le détruit ni ne l'élimine de façon permanente. Le dossier d'un réhabilité, qui est gardé sous responsabilité fédérale, ne peut être communiqué sans l'approbation du Solliciteur général du Canada. La Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) peut toutefois révoquer une réhabilitation si l'individu est reconnu coupable d'infractions subséquentes, s'il n'a pas eu une « bonne conduite » ou s'il a falsifié des renseignements dans le but d'obtenir sa réhabilitation.

Sous le régime de la LCS de 1970, les demandes de réhabilitation étaient transmises au Solliciteur général du Canada qui les soumettait à l'examen de la CNLC. La Commission faisait alors enquête sur le comportement du candidat depuis sa condamnation. Dans la plupart des cas, la Gendarmerie royale du Canada menait une enquête sur le terrain et rencontrait le demandeur, ses voisins, ses employeurs actuel et anciens et toute personne pouvant donner des renseignements sur le comportement de l'intéressé. La CNLC faisait ensuite rapport au solliciteur général et recommandait d'accorder ou de refuser la réhabilitation. Le solliciteur général soumettait ensuite toute recommandation favorable de la CNLC au gouverneur général en conseil. Cette démarche compliquée exigeait de fortes ressources et donnait souvent lieu à de longs retards.

En juillet 1992, la LCS a été modifiée afin de rationaliser le processus et de le rendre plus efficace et plus efficient en réduisant la charge de travail. La CNLC avait désormais le pouvoir d'octroyer ou de révoquer une réhabilitation, ce qui éliminait la démarche longue et compliquée suivie auparavant. Le tableau 1 décrit certains des plus importants changements. À titre d'exemple, avant 1992, l'absolution inconditionnelle ou conditionnelle devait obligatoirement s'accompagner d'une réhabilitation. Depuis, la réhabilitation n'est pas nécessaire parce que, même s'il y a culpabilité, aucune condamnation n'est portée au dossier judiciaire. En fait, l'absolution est radiée du dossier après le délai prescrit. De plus, depuis les modifications de 1992, on peut délivrer une réhabilitation pour une infraction punissable par voie de déclaration sommaire à un délinquant qui a purgé sa peine et qui n'a pas fait l'objet d'une condamnation pendant la période prescrite. On a également modifié le processus de révocation. En effet, un verdict de culpabilité pour un nouvel acte criminel annulait automatiquement la réhabilitation. Dans les cas de culpabilité d'une infraction subséquente punissable par voie de déclaration sommaire, la CNLC a conservé son pouvoir discrétionnaire de révocation.

Suite à l'adoption des modifications en 1992, la CNLC a refondu en 1996 ses politiques dans le cadre de l'examen des programmes fédéraux visant la rationalisation des services gouvernementaux. Après avoir consulté plusieurs autres partenaires du système de justice pénale, la CNLC a apporté certaines modifications à ses politiques en vue d'améliorer les étapes de la demande de réhabilitation (Solliciteur général Canada, 1997). Ces changements sont les suivants :

  1. les enquêtes sur le terrain de la GRC ne sont plus nécessaires;
  2. le candidat est tenu de présenter une copie de son casier judiciaire et une attestation de vérification des dossiers de la police locale portant sur les cinq dernières années et faite au cours des six derniers mois;
  3. si la période écoulée entre la fin de la peine et la date de la demande est inférieur à 5 ans, une confirmation que l'infraction a fait l'objet d'une procédure sommaire et que le candidat s'est acquitté des amendes, des suramendes compensatoires, restitutions et autres formes de dédommagement qui lui ont été imposées;
  4. des frais de 50 $ sont exigibles pour chaque demande.
Tableau 1. Admissibilité à la réhabilitation selon le délai prescrit exempt de condamnation
Type d'infraction/décision LCS (1970) LCS (1992)
Acte criminel    
Condamnation 5 ans - octroi
(après avoir purgé la peine)
Aucun changement - octroi
Absolution sous condition 3 ans - octroi
(après avoir satisfait aux conditions)
Réhabilitation non nécessaire (éliminée automatiquement 3 ans après la décision du tribunal)
Absolution inconditionnelle 3 ans - octroi
(à compter de la date du procès)
Réhabilitation non nécessaire (éliminée automatiquement 1 an après la décision du tribunal)
Procédure sommaire    
Condamnation 2 ans - octroi
(après avoir purgé la peine)
3 ans - délivrance
(après avoir purgé la peine)
Absolution sous condition 1 an - octroi
(après avoir satisfait aux conditions)
Réhabilitation non nécessaire (éliminée automatiquement 3 ans après la décision du tribunal)
Absolution inconditionnelle 1 an - octroi
(à compter de la date du procès)
Réhabilitation non nécessaire (éliminée automatiquement 1 an après la décision du tribunal)

Nota : Dans le cas d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire, la LCS modifiée précise que la réhabilitation peut être octroyée après la période exempte de condamnation prescrite si aucune autre infraction criminelle n'a été commise.

Les différences marquées dans le nombre de réhabilitations octroyées et délivrées sont dans une grande mesure attribuables à la modification de la LCS (1992), et dans une moindre mesure,aux nouvelles politiques de la Commission nationale des libérations conditionnelles. La figure 1 fait voir le nombre de réhabilitations octroyées et délivrées de 1987-1988 à 1997-1998. En tout, 5 748 réhabilitations ont été délivrées (réhabilitations non discrétionnaires) pour la première fois en 1992-1993, mais le nombre des réhabilitations octroyées était le double de ce qu'il était dans les années précédentes. On a relevé un fléchissement dans le nombre de réhabilitations octroyées et délivrées après que la CNLC a modifié ses politiques en 1996. Cette diminution peut être attribuable à l'obligation de communiquer avec la police locale et aux frais administratifs de 50 $.

Figure 1: Réhabilitations octroyées et délivrées (1987-1988 - 1997-1998)
Description de l'image

La figure 1 affiche un histogramme des grâces accordées et émises pour chaque exercice financier à partir de 1987/88 à 1997/98. Les cinq premières années ont fluctué entre 8,374 et 11,360 de grâces accordées. Pour l'année financière de 1992/1993 il avait eu un pic de 29 205 de grâces accordées et émises. Les quatre années suivantes, le nombre de grâces accordées et remises variait entre 15 401 et 23 895 et par la suite chuté à 7 633 en 97/98.

Les révocations font voir la même tendance. En effet, elles accusent une hausse soutenue à compter de 1992 et ensuite elles fléchissent après la modification des politiques en 1996. Comme le fait voir la figure 2, les annulations de réhabilitation ont suivi la même tendance depuis 1993-1994 - leur nombre a augmenté chaque année jusqu'à la modification des politiques, après quoi il a diminué. Cependant, le nombre de demandes refusées est demeuré sensiblement le même au cours de ces dix années, ce qui porte à croire qu'il a moins été influencé par les effets des modifications à la LCS ou aux politiques.

Plus de 234 779 réhabilitations ont été octroyées ou délivrées entre 1970 et 1998. Cela dit, on en sait très peu sur les particularités des délinquants auxquels la réhabilitation a été octroyée, délivrée ou refusée, ou encore révoquée ou annulée. Pendant cette période, 6 046 réhabilitations ont été révoquées ou annulées, ce qui représente 2,6 % du total. Les refus représentent un pourcentage encore plus faible. Dans les faits, très peu de demandes sont refusées si on les compare au nombre de réhabilitations octroyées (de 68 à 228; CNLC, 1998).

Figure 2: Révocations, nullités et refus (1987-1988 - 1997-1998)
Description de l'image

La figure 2 est une représentation graphique des révocations, les cessations, le total des révocations et des cessations, et les dénégations pour chaque exercice financier à partir de 1987/88 à 1997/98. Le nombre de dénégations est resté stable pour toutes les années au-dessous de 200. Le nombre total de révocations ont montré une augmentation de 200 en 1992/93 à près de 800 en 1993/94 et ces chiffres ont continué d'augmenter à plus de 1 200 en 1997/97 avant de chuter à environ 700 dans la dernière année enregistrée. Les cessations et les révocations ont également reflété cette tendance, mais à un nombre inférieur.

Les études

Des données comparatives étaient nécessaires pour appuyer l'élaboration d'une politique d'accès aux dossiers des délinquants sexuels réhabilités à des fins de filtrage. Les dossiers criminels actifs étaient déjà disponibles grâce au Système national de filtrage (1996), mais on a examiné la possibilité de donner accès aux dossiers de certains délinquants réhabilités aux mêmes fins.Note de bas de page 1 Notre analyse documentaire ne nous a permis de trouver que très peu d'études sur des décisions de réhabilitation et sur les délinquants touchés par ces décisions. Afin de combler cette lacune, nous avons mené trois études. Dans la première, nous avons comparé 1 128 délinquants réhabilités à 330 délinquants dont la demande de réhabilitation avait été refusée. Nous avons pu ainsi évaluer la pertinence de la décision d'octroyer la réhabilitation. Dans la deuxième étude, qui portait sur les résultats à long terme de la réhabilitation, nous avons réuni deux échantillons, le premier comprenant 603 délinquants pour lesquels aucune activité criminelle subséquente n'avait été enregistrée et le deuxième, 525 délinquants dont la réhabilitation avait été révoquée ou annulée. Nous avons comparé les antécédents criminels des deux groupes et examiné les types d'infraction qui ont mené à la révocation ou à l'annulation. Dans la troisième étude, nous avons étudié un sous-échantillon de délinquants sexuels dont la réhabilitation avait été révoquée ou annulée. Le public s'inquiète beaucoup des graves conséquences des infractions sexuelles et nous voulions déterminer le taux de récidive des délinquants sexuels réhabilités. Les données de ces trois études découlent d'examens des dossiers de la CNLC effectués en février 1999.

Étude 1 : L'octroi de la réhabilitation

Dans la première étude, nous décrivons certains des facteurs qui entrent en cause dans l'octroi d'une réhabilitation. Nous avons recueilli un échantillon comprenant 1 128 demandes acceptées et 330 demandes refusées. Nous avons choisi les dossiers de 1988 à 1992 pour diverses raisons. D'abord, parce que toutes les décisions ont été prises avant l'adoption des modifications à la LCS, ce qui exclut toutes les réhabilitations délivrées à l'égard d'infractions punissables par voie de déclaration sommaire. Nous pouvions ainsi étudier les décisions de la CNLC d'octroyer ou de refuser une réhabilitation pour les actes criminels et les infractions sommaires tout en ne tenant pas compte des réhabilitations non discrétionnaires (réhabilitations délivrées). En second lieu, en prévision de la seconde étude, nous avons choisi un échantillon qui nous offrait une période se suivi suffisamment longue pour nous permettre d'étudier les résultats.

Nous étions cependant soumis à une contrainte dans l'échantillonnage au hasard des demandes de pardon. En effet, nous avons procédé par année civile alors que la CNLC classe ses dossiers par année financière. La CNLC a refusé 446 demandes entre le 1er avril 1988 et le 31 mars 1993. Le nombre de refus étant faible, nous avons tenté de trouver le plus grand nombre possible de dossiers de refus entre 1988 et 1992. En raison du grand nombre de demandes approuvées, nous avons réuni des échantillons au hasard pour chaque année. De plus, les dossiers contenaient souvent peu de renseignements. Nous y trouvions les données démographiques habituelles - sexe, emploi, date de naissance, province de résidence - ainsi que les antécédents criminels tirés des dossiers de la Section des empreintes digitales de la GRC. Nous trouvions également dans bien des cas le rapport d'enquête de la GRC et un compte rendu de la décision de la CNLC.

Résultats

Nous avons pu dégager d'importantes différences lorsque nous avons examiné les données démographiques des délinquants dont la demande avait été approuvée et ceux dont elle avait été rejetée. Nous avons remarqué que les femmes sont plus souvent réhabilitées que les hommes (89 % contre 76 %, X Note de bas de page 2 = 16, 6, p < . 001) et qu'il n'existe aucune différence statistiquement significative en ce qui concerne l'emploi (71 % contre 67 %) ou l'âge au moment de la demande (âge moyen de 34 ans dans les deux cas). La plupart des demandes (90 %) proviennent, comme nous nous y attendions, des quatre provinces les plus populeuses - dans l'ordre, le Québec (29, 8 %), l'Ontario (26,1 %), la Colombie-Britannique (18, 2 %) et l'Alberta (16, 1 %). Nous avons relevé deux différences notables lorsque nous avons examiné les taux d'octroi et de refus des demandes pour ces quatre provinces. Premièrement, plus de demandes provenant de la Colombie-Britannique ont été refusées (39, 1% c. 14, 6 %, X = 85, 5, p < . 001) que dans les trois autres provinces réunies. Deuxièmement, l'inverse s'est produit en ce qui concerne le Québec, moins de demandes ayant été refusées que pour les trois autres provinces (18, 5 % c. 37, 3 %, X = 36, 6, p < . 001). Pour ce qui est du délai de décision, la moyenne était de 738 jours (étendue de 716 à 783 jours) pour les refus et de 457 jours (étendue de 426 à 478 jours) pour les acceptations (t = 15, 3, dl = 1,456, p < . 001). Cet écart était important, mais sensiblement le même dans les quatre provinces.

Les deux groupes présentaient des antécédents criminels sensiblement différents. Les candidats refusés avaient été condamnés pour la première fois alors qu'ils étaient plus jeunes, l'âge moyen étant de 22 ans comparativement à 24 ans pour les demandes approuvées (t= 4, 9, dl = 1,452, p < . 001). Nous avons constaté que ceux dont la demande avait été rejetée étaient plus de trois fois susceptibles d'avoir déjà essuyé un refus que les candidats acceptés (10, 3% c. 3,1%, X = 29. 4, p < . 001). De plus, nous avons noté des différences en ce qui a trait à l'infraction la plus grave avant l'envoi de la demande. Nous avons établi cette gravité en fonction de la rigueur de la sanction et de la gravité de l'infraction commise. Présumant que la solution la moins restrictive avait été appliquée au moment de la détermination de la peine, nous avons établi que l'incarcération serait la sanction la plus sévère et l'absolution, la moins sévère. Lorsque nous avions une sanction sévère pour plus d'une infraction, entre autres six mois pour voies de fait et six mois pour introduction par effraction, nous avons retenu l'infraction la plus grave. À titre d'exemple, pour les besoins de notre étude, les crimes contre la personne allaient du meurtre, le crime le plus grave, aux menaces, le crime le moins grave. Nous avons également établi que les crimes contre la personne étaient plus graves que les infractions liées à la drogue, à l'alcool ou aux règlements de la circulation, par exemple la conduite avec facultés affaiblies, et que les infractions contre les biens, dans cet ordre. Règle générale, ceux dont la demande avait été rejetée avaient été plus souvent reconnus coupables de crimes contre la personne et moins souvent de crimes contre les biens que les candidats acceptés. (Tableau 2). Comme nous nous y attendions, les demandeurs déboutés s'étaient vu imposer des peines plus sévères. En tout, 61,2 % avaient été emprisonnés comparativement à 27,9 % des candidats acceptés. Après avoir étudié l'ensemble des antécédents criminels, et non seulement les crimes les plus graves, nous avons remarqué que les demandeurs refusés étaient ceux qui ont habituellement été condamnés pour infraction sexuelle ou infraction non sexuelle avec violence.

Tableau 2. Antécédents des candidats à la réhabilitation acceptés et refusés
Variable Octroi Refus t/X p
  (n = 1128) (n = 330)    
Nbre de condamnations antérieures (moyenne) 2,2 4,1 10 ***
Nbre d'infractions antérieures (moyenne) 3,2 6,2 7 ***
Infractions sexuelles antérieures (%) 3,8 8,8 13,5 ***
Infractions non sexuelles avec violence (%) 16 33,3 47,8 ***
Infraction la plus grave (%)
 Biens 42 33,9 6,9 **
 Alcool/circulation 24,6 20,0 3,1 ns.
 Stupéfiants 15,3 18,8 2,5 ns
 Personnes 9,0 14,5 8,4 **
 À caractère sexuel 2,5 6,4 11,8 ***
 Autre 6,5 6,4 0 ns

Nota : *** = p < .001, ** = p < .01, ns = non significatif

Chaque dossier expliquait les motifs du refus. Nous en avons relevé plusieurs, mais la plupart se résumaient, dans plus de 36 % des cas (121/330), à un manquement à l'exigence de « bonne conduite ». D'autres motifs plus précis comprenaient les relations avec des criminels, un avertissement suite à un incident avec la police, une arrestation et une accusation sans condamnation et des soupçons d'activités illicites faisant l'objet d'une enquête. Notre examen plus approfondi des décisions a démontré que la toxicomanie était un des motifs dans 87,4 % des cas. (180/206).

Discussion

Dans notre première étude, nous avons analysé sommairement certains des facteurs qui sous-tendent l'octroi d'une réhabilitation. Nos connaissances sur les corrélats du comportement criminel (Gendreau, Little et Goggin, 1996) nous mènent à la conclusion que les facteurs de récidive sont moins présents chez les délinquants à qui une réhabilitation est accordée. Malgré le peu de renseignements à notre disposition, nous avons pu établir que les demandeurs déboutés présentaient plusieurs facteurs de risque connus. Règle générale, il s'agissait d'hommes qui avaient trempé dans la criminalité à un âge précoce, qui avaient plus de condamnations à leur dossier et qui étaient plus susceptibles d'avoir déjà été incarcérés. Nous ne sommes pas en mesure d'affirmer avec certitude que les délinquants réhabilités sont moins portés à récidiver que d'autres, cependant, nos constatations relatives aux quelques facteurs de risque à notre disposition pour notre étude nous amènent à penser que les demandeurs déboutés sont les plus susceptibles de récidiver.

Les données démographiques des candidats nous apprennent que la plupart des demandes provenaient de seulement quelques provinces et que des différences existaient entre le nombre de demandes acceptées et refusées en Colombie-Britannique et au Québec. Ces différences sont peut-être attribuables aux connaissances qu'a la population de chaque province des critères et des modalités de réhabilitation. De plus, l'octroi du pardon prend beaucoup moins de temps que le refus, et cela dans toutes les provinces. Cette différence peut s'expliquer par le fait que la CNLC informe les candidats dont la demande ne semble pas satisfaire aux critères d'octroi et leur donne plus de temps pour étoffer leur présentation orale ou écrite avant de rendre une décision finale. Étant donné que le casier judiciaire des individus réhabilités présente moins de facteurs représentatifs d'un comportement criminel que celui des demandeurs déboutés, il semble donc que les critères établis pour l'octroi d'une réhabilitation rejoignent les résultats de la recherche sur la probabilité de récidive. Dans le second volet de notre examen sur les décisions d'octroyer ou de refuser une réhabilitation, nous nous sommes penchés sur les résultats à long terme caractérisant les demandeurs à qui la réhabilitation a été octroyée.

Étude 2 : Les résultats de la réhabilitation

La seconde étude a porté sur les résultats de la réhabilitation. Idéalement, nous aurions dû faire appel à une étude longitudinale pour étudier les résultats à long terme, ce qui a été impossible en raison des méthodes de classement des dossiers. Les dossiers des réhabilitations réussies et des révocations étaient conservés à des endroits différents et nous n'avons pu choisir au hasard un échantillon regroupant les deux. Nous avons donc réuni deux échantillons indépendants. Dans la première étude, 603 délinquants sur 1 128 n'avaient pas récidivé entre 1989 et 1996. Pendant la même période, les 525 autres délinquants avaient vu leur réhabilitation révoquée (55,2 %) ou annulée (44, 8 %). Ceux-ci constituaient un suréchantillonnage des réhabilitations révoquées. Étant donné que les révocations constituent 2,6 % (6 046/234 779) des réhabilitations octroyées ou délivrées, nous avons dû faire un tel échantillonnage afin d'avoir un échantillon se prêtant à l'analyse statistique.

Résultats

Les caractéristiques des délinquants faisant partie des échantillons des réhabilitations révoquées et non révoquées étaient essentiellement les mêmes. Ils avaient à peu près le même âge au moment de leur première condamnation et de leur demande de réhabilitation. Ils avaient également été déboutés presque le même nombre de fois. Nous n'avons relevé que deux différences. D'abord, une bonne partie des délinquants dont la réhabilitation a été révoquée étaient sans emploi (70,7 % c. 55,6 %, X = 27, 3, p < . 001), ensuite, ce groupe était surtout formé d'hommes (19,6 % contre 10, 5 %, X = 17, 9, p < . 001).

Le tableau 3 compare les échantillons des réhabilitations révoquées et non révoquées et quelques caractéristiques des antécédents criminels. Contrairement aux antécédents des délinquants dont la réhabilitation n'a pas été révoquée, ceux dont la réhabilitation l'a été ont des antécédents plus chargés. À titre d'exemple, le délinquant dont la réhabilitation a été révoquée avait plus souvent été condamné pour infraction sexuelle et pour infraction non sexuelle avec violence que le délinquant de l'autre échantillon. Cependant, lorsque nous avons examiné l'infraction la plus grave commise avant la réhabilitation, nous n'avons relevé aucune différence entre les deux groupes en ce qui a trait aux crimes violents contre la personne ou aux infractions sexuelles. Après avoir examiné les infractions à l'origine de la révocation, nous avons constaté que celle-ci résultait le plus souvent d'infractions relatives à l'alcool et aux règlements de la circulation (35,8 %). De plus, 20,4 % des révocations étaient attribuables à des crimes contre les biens et 18,9 % à des crimes contre la personne, sans compter les infractions sexuelles. La période moyenne entre l'octroi et la révocation était de 4,2 ans (écart-type 1,7 an).

Tableau 3. Antécédents criminels des délinquants dont la réhabilitation a été révoquée et ceux dont la réhabilitation n'a pas été révoquée
Variable Non révoquée Révoquée t/X p
  (n = 603) (n = 525)    
Nbre de condamnations antérieures (moyenne) 1,8 2,8 7,9 ***
Nbre d'infractions antérieures (moyenne) 2,6 3,9 4,1 ***
Infractions sexuelles antérieurs (%) 2,7 5,1 4,7 *
Infractions avec violence non sexuelles antérieures (%) 12,9 19,6 9,3 **
Infraction antérieure la plus grave (%)
 Biens 45,4 38,1 6,2 *
 Alcool/circulation 21,9 27,8 5,3 *
 Stupéfiants 16,6 13,9 1,6 ns
 Personnes 7,8 10,5 2,5 ns
 À caractère sexuel 2 3 1,3 ns
 Autres 6,3 6,7 0,1 ns

Nota: *** = p < . 001, ** = p < . 01, * = p < . 05, ns = non significatif

Discussion

Nous avons relevé peu de différences au chapitre des caractéristiques personnelles et démographiques. La personne dont la réhabilitation avait été révoquée était plus souvent un homme sans emploi. Ces deux facteurs sont des corrélats de la récidive (Gendreau et coll., 1996). Nous avons également dégagé certains facteurs de risque découlant des antécédents criminels. Tout comme dans la première étude, nous avons constaté que les délinquants dont la réhabilitation a été révoquée avaient commis sensiblement plus d'infractions qui ont mené à plus de condamnations que ceux dont la réhabilitation ne l'avait pas été. Les cas de révocation étaient plus susceptibles d'avoir des antécédents de violence, sexuelle ou non, mais nous n'avons constaté aucune différence au chapitre des crimes contre la personne constituant l'infraction la plus grave. Il est à noter que les infractions liées à l'alcool et aux règlements de la circulation ainsi que les crimes contre les biens représentaient 56,2 % des condamnations menant à la révocation de la réhabilitation.

Nous avons relevé une différence en ce qui concerne le nombre des infractions sexuelles antérieures entre les délinquants des deux échantillons, mais aucune en ce qui a trait à l'infraction sexuelle en tant qu'infraction antérieure la plus grave. Étant donnée que les crimes à caractère sexuel sont les plus troublants en raison de leur nature et du tort causé aux victimes, nous avons mené une troisième étude sur la délinquance sexuelle chez les personnes bénéficiant d'une réhabilitation.

Étude 3 : Les délinquants sexuels bénéficiant d'une réhabilitation

En tant que société, la protection des enfants et des autres groupes vulnérables contre les crimes sexuels nous préoccupe énormément. Dans cette optique, les chercheurs ont étudié les facteurs qui sous-tendent les causes des infractions sexuelles et le traitement des auteurs de ces crimes. Les recherches nous ont appris que le taux de récidive chez les délinquants sexuels est relativement bas, mais que ces délinquants sont plus susceptibles de commettre à nouveau une infraction sexuelle que les délinquants coupables d'infractions non sexuelles (Hanson, Scott et Steffy, 1995). Il est difficile de savoir si un réhabilité s'est déjà rendu coupable d'une infraction sexuelle étant donné que son casier judiciaire est scellé. Ce renseignement peut être d'une grande utilité surtout à un organisme qui engage une personne pour s'occuper d'enfants ou d'adultes vulnérables. Le système de filtrage actuel ne permet pas d'éliminer les postulants ou les bénévoles qui ont été reconnus coupables d'une infraction sexuelle et à qui une réhabilitation a été accordée. Donc, les critères d'octroi de la réhabilitation doivent départager les délinquants sexuels et autres qui ont été respectueux des lois et réussi leur réinsertion dans la société et ceux qui ont échoué.

Nous ne connaissons pas le nombre exact de délinquants sexuels bénéficiant d'une réhabilitation, mais nous pouvons arriver à des estimations au moyen des bases de données sur les délinquants. La Gendarmerie royale du Canada a compilé plus de deux millions de dossiers d'empreintes digitales entre le 1er avril 1970 et le 31 mars 1999 et, en tout, 5,5 % de ceux-ci (130 385) l'ont été pour des infractions sexuelles. La GRC conserve également depuis 1992 une base de données distinctes sur les adultes réhabilités. Celle-ci contient plus de 90 000 dossiers actifs dont 4 456 (4,9 %) contiennent des accusations d'infractions sexuelles (communication personnelle avec la GRC en septembre 1999). Nous devons souligner ici que ces pourcentages (5,5 % de la population totale de délinquants et 4,9 % des réhabilitations depuis 1992) représentent non seulement les condamnations pour des infractions sexuelles, mais également les accusations pour ce type de crimes qui ont été retirées ou suspendues. Nous avons analysé les caractéristiques, avant et après la réhabilitation, des délinquants sexuels dont la réhabilitation a été révoquée (n = 525) dans le but d'arriver à une estimation plus précise du nombre des délinquants sexuels bénéficiant d'une réhabilitation et de leur taux de récidive à caractère sexuel. Dans le calcul de la récidive, nous avons retranché les infractions de prostitution chez les adultes (18 ans et plus), ce qui a mené à l'exclusion de quatre cas.

Résultats

Le tableau 4 présente la fréquence de la délinquance sexuelle chez les personnes dont la réhabilitation a été révoquée. Comme nous l'avons constaté dans notre deuxième étude, 5,1 % des délinquants (27/525) dont la réhabilitation a été révoquée avaient commis un crime sexuel avant d'obtenir leur réhabilitation. De plus, 32 des 525 (6,1 %) révocations ont été imposées pour récidive à caractère sexuel. Le taux d'infractions sexuelles post-réhabilitation chez les délinquants autres que les délinquants sexuels était de 4,4 % (22/498). Chez les délinquants sexuels, le taux était de 37 % (10/27; X = 47, 61, dl = 1, p > . 001). Cependant, il faut se rappeler que 63% (17/27) des délinquants sexuels dont la réhabilitation a été révoquée ont commis un crime qui n'était pas de nature sexuelle. Les pourcentages que nous avons établis dans l'échantillon des révocations, c'est-à-dire 5,1 % de délinquants sexuels pré-réhabilitation et 6,1 % de délinquants sexuels post-réhabilitation, correspondent à ceux contenus dans les bases de données de la GRC. Cette correspondance vient renforcer le caractère généralisable de notre échantillon.

Tableau 4. Infractions sexuelles commises par des individus dont la réhabilitation a été révoquée (n)
  Infraction sexuelle après réhabilitation
Infraction sexuelle antérieure Oui Non Total
Oui 10 17 27
Non 22 476 498
Total 32 493 525

Nous pouvons, grâce à ces résultats, établir les taux de délinquance sexuelle chez les délinquants réhabilités. De 1970 à 1998, 234 779 réhabilitations ont été octroyées ou délivrées et 2,6 % (6 046) de celles-ci ont été par la suite révoquées, ce qui donne un taux de réussite (réhabilitation non révoquée) de 97,4 % (228 773). Nous avons établi, dans la seconde étude, que très peu de délinquants sexuels (2,7 % ou 16/603) se trouvaient dans l'échantillon des non-révocations. Si nous excluons les infractions de prostitution chez les adultes, le nombre de délinquants sexuels dont la réhabilitation n'a pas été révoquée passe de 16 à 12, ce qui donne une estimation de 2 %. Si nous présumons que l'échantillon est représentatif de la population de délinquants réhabilités, environ 4 575 (2 % de 228 733) délinquants sexuels bénéficient toujours de leur réhabilitation depuis 1970, comme le fait voir le tableau 5.

D'après les données de l'échantillon des révocations, 5,1 % des délinquants ont été condamnés pour infraction sexuelle avant d'être réhabilités. Si nous reportons ce pourcentage au nombre réel des révocations pendant les 28 années (5,1 % de 6 046), nous pouvons conclure que 308 délinquants ayant reçu une réhabilitation pour infraction sexuelle ont vu cette réhabilitation révoquée. Donc, si nous additionnons le nombre estimatif de délinquants sexuels dont la réhabilitation n'a pas été révoquée (4 575 ou 2 %) et le nombre approximatif des cas où elle l'a été (308 ou 5,1 %), nous obtenons un total de 4 883. Nous estimons que 2,1 % de toutes les réhabilitations octroyées au cours de la période de 28 ans l'ont été à des délinquants sexuels.

Tableau 5. Taux estimatif des délinquants sexuels bénéficiant d'une réhabilitation (n)Note de bas de page 3
  Infraction sexuelle antérieure
Réhabilitation réussie Oui Non Total
Oui (non révoquée)
(2 %)

(95,5 %)

(97,4 %)
Non (révoquée)
(5,1 %)

(94,9 %)

(2,6 %)
Total
(2,1 %)

(98,1 %)

(100 %)

Un examen plus attentif des délinquants sexuels compris dans l'échantillon des révocations permet de constater que 10 des 27 ont commis à nouveau une infraction sexuelle. Cela nous porte à croire que, dans un peu plus d'un tiers des cas (114/308), les réhabilitations accordées à des délinquants sexuels sont révoquées à la suite d'une nouvelle infraction sexuelle. Rappelons que selon nos estimations 4 883 délinquants avaient bénéficié d'une réhabilitation. La figure 3 résume ces estimations.

Figure 3. Nombre approximatif de délinquants sexuels parmi les réhabilités
  Réhabilitations Nbre approx. de délinquants sexuels
Octroyées/délivrées 228 733 4 575
Révocation/Annulation 6 046 308
Total 234 779 4 883 (2,1 %)

Le pourcentage de délinquants sexuels dont la réhabilitation est susceptible d'être révoquée à la suite d'une nouvelle infraction sexuelle est d'environ 2,3 % (114/4 883).

Discussion

Les mesures prises pour assurer la sécurité publique visent souvent les délinquants sexuels et les torts graves qu'ils peuvent causer. Il ne faut donc pas s'étonner lorsque le processus de réhabilitation des délinquants sexuels est contesté. Cela dit, nous connaissions mal, jusqu'à maintenant, la mesure dans laquelle des délinquants sexuels bénéficient de réhabilitations et récidivent par la suite. Dans la troisième étude, nous avons examiné la perpétration d'infractions sexuelles parmi un échantillon de délinquants jouissant d'une réhabilitation afin d'arriver à des estimations pour l'ensemble des personnes réhabilitées. Selon les résultats obtenus, environ 2,1 % (4 883) de toutes les réhabilitations (234 779) ont été octroyées à des délinquants sexuels dont 2,3 % (114) pourraient récidiver. Si nous présumons qu'un nombre égal de délinquants sexuels réhabilités ont récidivé chaque année de 1970 à 1998, nous aurions en tout quatre récidivistes sexuels par année. Ces quatre cas représentent bien peu si on les compare à la moyenne annuelle de 31 500 incidents sexuels (étendue de 35 524 à 28 952) signalés à la police entre 1994-1995 et 1997-1998 (Statistique Canada, 1999). Durant cette même période, Statistique Canada a relevé environ 2 800 condamnations d'adultes pour infractions sexuelles (étendue de 2 725 à 2 881 : données puisées dans Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes, Statistique Canada, 1997, 1998). Compte tenu de ces données et du fait que plus d'un quart de million de délinquants ont obtenu une réhabilitation de 1970 à 1998, le nombre de délinquants sexuels réhabilités qui sont susceptibles d'être condamnés à nouveau pour une infraction sexuelle est relativement petit. Cependant, il importe quand même trouver des stratégies pour réduire le risque de victimisation sexuelle.

La recherche nous révèle que lorsqu'ils récidivent, les délinquants sexuels risquent davantage de commettre un crime d'ordre sexuel que les autres délinquants. Ceux qui commettent des crimes à caractère non sexuel ont un taux de récidive plus élevé et ils sont deux fois plus susceptibles que les délinquants sexuels de commettre des infractions violentes non sexuelles (Hanson et coll., 1995). Refuser la réhabilitation aux délinquants sexuels n'éliminerait pas entièrement les risques qu'un délinquant réhabilité commette un crime sexuel menant à une révocation. Nous avons établi dans notre troisième étude que 4,4 % (22/498) des délinquants non sexuels ayant obtenu une réhabilitation ont été condamnés par la suite pour une infraction sexuelle menant à la révocation de leur réhabilitation. Donc, puisque la majorité des délinquants sexuels ne sont pas condamnés à nouveau pour une infraction sexuelle, le fait de refuser une réhabilitation aux délinquants reconnus coupables d'infractions sexuelles irait à l'encontre du but premier de la réhabilitation, lequel est de pardonner les fautes antérieures. Cependant, étant donné les dangers potentiels que présentent les délinquants sexuels, la sécurité publique exige peut-être que l'on prenne des mesures spéciales, entre autres le repérage des casiers judiciaires des délinquants sexuels à des fins de filtrage des bénévoles, comme le recommande le Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur les délinquants à risque élevé (Solliciteur général Canada, 1998).

Sommaire et conclusions

Notre première étude nous a appris que les critères d'octroi des réhabilitations tiennent compte de certains des éléments propres au comportement criminel. Les délinquants au passé judiciaire moins chargé sont plus susceptibles d'obtenir une réhabilitation tandis que ceux à qui on la refuse ont à leur dossier plus de condamnations pour des infractions sexuelles ou violentes. Les facteurs qui démarquent les délinquants acceptés des délinquants déboutés correspondent aux facteurs de risque de récidive établis par la recherche (Gendreau et coll., 1996). Nous concluons, à partir des constatations tirées de la première étude, que les décisions d'accorder ou non la réhabilitation sont prises en s'appuyant sur des motifs empiriques valables.

Notre examen des résultats des réhabilitations révoquées et non révoquées lors de notre deuxième étude n'a pas dégagé beaucoup de différences. Seules deux caractéristiques étaient différentes, le sexe et l'emploi. Nous avons cependant trouvé dans les antécédents criminels des différences quant au nombre de condamnations antérieures et de crimes sexuels et violents. Nous n'avons relevé que quelques différences, mais il ne faut pas oublier que nous n'avions pas beaucoup de données à notre portée. Toutefois, nous avons remarqué, comme nous nous y attendions, que les critères d'octroi de la réhabilitation correspondent aux facteurs de risque.

En dernier lieu, nous avons constaté dans notre troisième étude qu'environ 5 % des réhabilitations ont été octroyées à des délinquants sexuels et que 6 % des révocations ont été imposées pour récidive à caractère sexuel. Nous avons extrapolé la fréquence de la délinquance sexuelle établie au moyen de notre échantillon sur l'ensemble des réhabilitations afin d'établir les taux prévus de délinquance sexuelle. Nous avons ainsi établi que 4 883 des 234 779 réhabilitations ont été octroyées à des délinquants sexuels et que 114 de ceux-ci se sont rendus coupables de récidive à caractère sexuel. Même si ce nombre est peu élevé, la récidive n'en demeure pas moins une préoccupation. Ceci dit, les mesures spéciales à l'intention des délinquants sexuels réhabilités peuvent avoir de meilleurs résultats que le refus d'accorder une réhabilitation à tous les délinquants qui ont des infractions sexuelles à leur dossier. Comme solution de rechange au rejet global des demandes de réhabilitation des délinquants sexuels, il a été proposé de marquer le casier judiciaire du délinquant sexuel réhabilité afin que les renseignements qu'il contient puissent être communiqués dans des circonstances bien particulières. (Solliciteur général Canada, 1998).

Un avertissement s'impose même si les trois études se sont appuyées sur des échantillons aléatoires raisonnables. Le suréchantillonnage des révocations peut mener à une surestimation des taux de délinquance sexuelle. Des études à venir faites à partir d'échantillons de révocations qui sont proportionnels aux échantillons des réhabilitations octroyées pourraient donner des résultats différents. Nous avions peu de données sur les caractéristiques personnelles et les antécédents criminels à notre disposition pour les études. Nous aurions pu faire une évaluation plus globale des décisions de réhabilitation si nous avions eu des informations plus détaillées sur les facteurs empiriques afférents au risque de récidive. En outre, pour faciliter la recherche sur la récidive chez les délinquants sexuels bénéficiant d'une réhabilitation, il faudrait des données démographiques plus précises sur les victimes et des renseignements sur les infractions commise.Note de bas de page 4 

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Notes

  1. 1

    Le Parlement a adopté le projet de loi C-7 le 14 février 2000. Cette loi modifie la LCS et établit le cadre législatif permettant de consulter les dossiers de certains délinquants sexuels réhabilités.

  2. 2

    L'étude 2 comprend des réhabilitations révoquées (avant et après les modifications à la LCS) ou frappées de nullité (après les modifications à la LCS) qui seront désormais appelées révocations ou réhabilitations révoquées.

  3. 3

    Ces extrapolations sont inférieures à celles présentées dans le rapport du Groupe de travail fédéral-provincial- territorial intitulé Les systèmes d'information sur les délinquants sexuels qui s'en prennent à des enfants et à d'autres personnes vulnérables qui s'inspirait d'une étude pilote (Solliciteur général Canada, 1998). Nos constatations et nos estimations sont fondées sur des échantillons plus vastes et un modèle amélioré de recherche. Donc, les résultats seraient plus représentatifs des réhabilités.

  4. 4

    La CNLC mettra en service en juillet 2000 un système automatisé de renseignements sur les réhabilitations (Système de traitement des demandes de réhabilitation - STDR) qui fournira des données sur les délinquants.

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