Résumé de recherche sur le crime organisé no 15 - Mobilité du crime organisé vietnamien
L'existence de conditions criminogènes et d'un marché criminel constituent les principaux facteurs de l'apparition du crime organisé. L'histoire, l'économie et le soutien de l'État sont d'autres facteurs à considérer. Il arrive parfois que les réseaux stratégiques et émergents ne peuvent être dissociés.
En 2010, Morselli, Turcotte et Tenti ont rédigé un rapport pour le compte de Sécurité publique Canada, La mobilité des groupes criminels. Dans le rapport, les auteurs ont passé en revue plusieurs études de cas et commentaires antérieurs. Fondé sur un processus inductif (c'est-à-dire basé sur les faits), le rapport a offert un cadre conceptuel permettant de comprendre comment les groupes du crime organisé en viennent à quitter leur lieu d'origine et à s'établir ailleurs (avec ou sans succès).
Le présent document répond brièvement à l'analyse des principaux facteurs qui causent ou empêchent la mobilité des groupes criminels effectuée par Morselli et ses collaborateurs (2010). Au cours des trois dernières années, l'auteur a rédigé deux documents étayés par un travail empirique original sur le crime organisé vietnamien dans un contexte britanno-vietnamien. La recherche se fondait sur un très grand nombre d'entrevues menées auprès d'employés du milieu de l'application de la loi du Royaume-Uni et du Vietnam et des personnes-ressources d'autres pays, notamment le Canada. L'auteur a également mené cinquante entrevues supplémentaires avec des migrants illégaux originaires du Vietnam, dont certains étaient directement impliqués dans la culture du canabis ou le blanchiment d'argent. Enfin, l'auteur a présenté des commentaires généraux sur la viabilité et la précision du cadre de Morselli.
Le travail sur le mouvement du crime organisé vietnamien permet, globalement, de tirer les mêmes conclusions que Morselli et ses collaborateurs (2010). Peu de faits étayent l'idée que des organisations criminelles vietnamiennes évoluées en situation de monopole quittent, de façon stratégique, la partie du monde où elles sont installées et s'établissent au Royaume-Uni pour poursuivre leurs activités criminelles. En fait, l'existence de facteurs criminogènes et de conditions favorables offertes sur le marché criminel (en particulier le laxisme de la répression criminelle au Royaume-Uni et une demande de cannabis impossible à assouvir) constitue le principal facteur permettant l'émergence de groupes criminels vietnamiens mobiles. D'abord, il faut savoir que la définition de groupe est large et que le concept peut inclure des réseaux criminels vietnamiens particuliers qui agissent de façon stratégique. En outre, la différence théorique entre le déplacement stratégique et la création de nouveaux groupes peut n'être pas si marquée en pratique.
Les facteurs de désintérêt et d'intérêt dont fait état le rapport de Morselli et ses collaborateurs sont utiles, mais n'expliquent pas complètement pourquoi une partie de la diaspora vietnamienne a réussi à dominer le marché de la culture du cannabis si rapidement. Les réponses à ce problème résident en partie dans les contextes politiques et culturels particuliers aux Vietnamiens et dans le climat macroéconomique qui favorise grandement le travail illicite. Il est vrai que le cadre défini par les facteurs de désintérêt et d'intérêt s'est avéré un outil précieux d'analyse et pourrait contribuer directement à l'élaboration de stratégies de prévention et de suppression de la criminalité organisée. Cependant, la complexité et l'imprévisibilité des groupes criminels mobiles font en sorte qu'il est peu probable que l'outil soit efficace pour effectuer des prédictions.
Pour terminer, Morselli et ses collaborateurs (2010) sont complètement justifiés de conclure que ceux qui affirment que le crime organisé est constitué de nombreux groupes criminels évolués, mobiles à l'échelle de la planète et motivés par une stratégie, font plutôt preuve d'exagération et ne tiennent pas compte des données criminologiques disponibles. En outre, leur liste de facteurs de désintérêt et d'intérêt fournit un cadre analytique efficace pour examiner les études de cas portant sur un groupe criminel mobile. L'auteur propose toutefois d'ajouter les facteurs suivants : i) les antécédents récents du groupe en matière politique et culturelle; ii) le climat macroéconomique; iii) les possibilités d'emplois dans l'économie clandestine; iv) les écarts entre la valeur de la devise, règles commerciales; v) le soutien de l'État et (vi) le soutien à l'échelle nationale ou provinciale.
Au lieu de recommander que les organismes d'application de la loi utilisent leur classification des facteurs de désintérêt et d'intérêt pour faire des prédictions, il serait plus approprié qu'ils s'éloignent du paradigme prohibitionniste ou qu'ils s'attaquent à certains problèmes non résolus en matière d'application de la loi en ce qui concerne la lutte contre les groupes criminels mobiles. Par exemple, les organismes d'application de la loi devraient penser à accroître leurs efforts en vue : i) d'utiliser des techniques novatrices en matière de prévention de la criminalité; ii) d'accroître l'échange d'information entre les organismes d'application de la loi et le gouvernement; iii) de favoriser la surveillance stratégique à grande échelle dans le cas de problèmes criminels internationaux et iv) d'accroître les ressources de police communautaire à l'échelle nationale et locale.
Nota : Le présent rapport fait partie d'une série de trois études menées par des experts européens sur la mobilité des groupes criminels, qui ont examiné le cadre proposé par Morselli et ses collaborateurs. Le résumé de recherche no traite du cadre décrivant les facteurs de désintérêt et d'intérêt liés à la mobilité des groupes criminels.
Silverstone, Daniel. Réponse au rapport La mobilité des groupes criminels : Une réflexion à la lumière de récents travaux sur le crime organisé vietnamien Ottawa (Ontario), Sécurité publique Canada, 2010.
Morselli, Carlo et Mathilde Turcotte, en collaboration avec Valentina Tenti. La mobilité des groupes criminels, Ottawa (Ontario), Sécurité publique Canada, 2010.
Les résumés de recherche sur le crime organisé sontrédigés pour Sécurité publique Canada et le Comité national de coordination sur le crime organisé (CNC). Le CNC et ses comités régionaux et provinciaux de coordination travaillent à différents niveaux en misant sur un but commun : établir des liens entre les organismes d'application de la loi et les décideurs du secteur public afin de lutter contre le crime organisé. Les résumés de recherche sur le crime organisé appuient les objectifs de recherche du CNC en faisant ressortir des renseignements fondés sur la recherche qui sont pertinents pour l'élaboration de politiques ou d'opérations. Les opinions exprimées dans le présent résumé sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de Sécurité publique Canada ou du Comité national de coordination sur le crime organisé.
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