Résumé de recherche sur le crime organisé numéro 6
Dissuasion et mode de vie criminel
L'incarcération n'a pratiquement aucun effet dissuasif sur les personnes dont le mode de vie est la criminalité.
Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles les criminels se retrouvent derrière les barreaux : dénoncer le comportement illégal (« dénonciation »), isoler les délinquants du reste de la société (« isolement »), favoriser leur réadaptation (« réadaptation »), leur faire prendre conscience de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité (« reconnaissance ») et dissuader les délinquants et autres personnes de commettre des infractions (« dissuasion »).
On tient pour acquis que l’emprisonnement est considéré comme étant parmi les pires peines que l’État puisse infliger à une personne pour la punir des torts qu’elle a causés. La détention comporte son lot de défis : « la coexistence avec d’autres détenus, la menace d’être victime de violence, la perte de liberté, les contacts limités avec la famille et les amis et d’autres privations » (782). On suppose que les aspects négatifs de l’incarcération dissuadent les gens de commettre des crimes. Cependant, des recherches ont révélé que « la perception de la vie carcérale varie énormément d’une personne à l’autre » (782).
Une personne qui mène un mode de vie criminel est un délinquant pour qui la criminalité est un style de vie ou une « carrière ». « Ce type d’individu est en quête de comportements qui lui procurent du plaisir, des émotions fortes, une autonomie et un sentiment de masculinité (pouvoir, contrôle et domination), ce qui fait qu’il enfreint à répétition les lois et les règles de la société » (786). Les membres de nombreuses organisations criminelles, et plus particulièrement de gangs de rue, de bandes de motards criminalisées et de groupes mafieux, adoptent un style de vie criminel. Il existe plusieurs raisons qui expliquent pourquoi la criminalité « neutralise l’effet punitif escompté de l’incarcération » (787). « En raison du mépris profond qu’ils éprouvent pour les rôles conventionnels et la routine, les criminels endurcis sont plus disposés que d’autres à accepter le risque d’être incarcérés pour avoir perpétré un crime, surtout s’ils croient qu’une vie ordinaire et monotone est l’autre solution qui s’offre à eux » (787). La sous-culture des détenus peut aussi être perçue comme étant le prolongement de la sous-culture criminelle dans la société. « Ce faisant, les criminels endurcis ont l’impression que la prison constitue un milieu moins hostile auquel ils s’adaptent plus facilement » (787). En fait, « dans la sous-culture de ces criminels, le temps qu’ils passent derrière les barreaux – particulièrement les peines fermes – est souvent vu d’un bon œil et peut rehausser l’image du délinquant ou sa crédibilité dans la rue » (787), ainsi qu’élargir son réseau de relations criminelles. Essentiellement, pour ce type de délinquants, l’incarcération peut en fait constituer une occasion de valider leur identité et d’améliorer leur capital social au sein de la sous-culture.
D’après une petite étude qualitative réalisée dans le passé, de nombreux délinquants préféreraient passer une année dans un pénitencier que de recevoir d’autres formes de sanctions, dont purger une peine de quelques mois dans une prison de comté ou participer à un camp de réhabilitation de type militaire » (May et Wood, 2010, 782). Selon une autre étude (Petersilia, 1990), un tiers des délinquants ont choisi de purger leur peine en prison plutôt que sous surveillance intensive dans la collectivité. Crouch (1993) a découvert qu’un tiers des prisonniers préféreraient passer une année en prison que d’être trois ans en probation. De plus, « certains délinquants ne voient pas du tout l’incarcération comme une forme de punition » et estiment qu’il est plus facile d’être emprisonnés que d’être dans la société » (Laub et Sampson, 2003, 782, 784).
Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont réalisé une analyse quantitative de l’opinion de plusieurs grands échantillons de délinquants concernant l’incarcération, y compris des données issues du Colorado Inmate Survey (1988-1989), du Second RAND Inmate Survey(1979) et du Nebraska Inmate Survey (1989-1990). Les chercheurs ont eu recours à la régression logistique pour effectuer des analyses multidimensionnelles des données. Ils se sont penchés sur la perception de la prison, la participation à la criminalité, le nombre de peines d’emprisonnement purgées, l’intention de renoncer à la vie criminelle et plusieurs variables liées à la démographie et au contrôle.
L’analyse a révélé que l’incarcération était moins bien perçue par les délinquants mariés, chez qui les craintes de trouver le séjour en prison difficile étaient deux fois plus élevées que chez les autres délinquants. L’âge avait également une certaine incidence, car « pour chaque année d’âge en plus, les craintes de trouver le séjour en prison difficile augmentaient de 4 % » (794). Cette étude n’a relevé aucune différence dans les opinions des délinquants au sujet de l’effet punitif de l’emprisonnement en fonction de la race ou du sexe. L’analyse sur l’échelle de la participation au crime a été des plus révélatrices; cette échelle a été conçue par des chercheurs pour mesurer à quel point les délinquants étaient liés à la criminalité et à quel point ils menaient un mode de vie criminel. Chaque fois qu’un délinquant montait d’un cran sur l’échelle de la participation au crime, on relevait une diminution de 45 % des craintes qu’il trouve son séjour en prison difficile. Lorsqu’une analyse par étapes a été réalisée, plus de la moitié de l’écart expliqué dans les perceptions de l’incarcération (794) était attribuable au mode de vie criminel, ce qui en fait un facteur beaucoup plus important que n’importe quel autre. Plus un individu était engagé dans des activités criminelles, moins il trouvait l’incarcération pénible.
Les auteurs soulignent que « si les délinquants n’estiment pas que la prison a pour but de punir, alors elle ne peut pas agir comme moyen de dissuasion » (797). Ces recherches ont également permis de découvrir que les détenus qui trouvaient leur séjour carcéral éprouvant étaient deux fois plus enclins à prendre la décision de mettre un terme à leur vie criminelle une fois libérés. Ces recherches ont permis de cibler un type de délinquant précis – celui qui mène un mode de vie criminel –, sur qui l’incarcération n’a pratiquement aucun effet dissuasif et pour qui d’autres types de sanctions pourraient être une mesure de dissuasion plus efficace (conditions restrictives de libération conditionnelle ou programmes de réadaptation intensément supervisés). Les auteurs suggèrent aussi que plus d’efforts doivent être déployés pour aller au-devant des attitudes et des valeurs associées à la criminalité comme mode de vie. Il y a des conséquences possibles associées à la mise en œuvre de programmes de réhabilitation efficaces pour les délinquants et à l’application de pratiques de détermination de la peine.
Crank, Beverly R. et Timothy Brezina. « Prison Will Either Make Ya or Break Ya’: Punishment, Deterrence, and the Criminal Lifestyle ». Deviant Behaviour, vol. 34, no 10, p. 782-802, 2013.
Sources connexes :
- Crouch, Ben M. « Is Incarceration Really Worse? Analysis of Offenders’ Preferences for Prison over Probation ». Justice Quarterly, vol. 10, p. 67-88, 1993.
- Laub, John et Robert Sampson. Shared Beginnings, Divergent Lives. Harvard University Press, Cambridge, Massachussetts, 2003.
- May, David C. et Peter B. Wood. Ranking Correctional Punishments: Views from Offenders, Practioners, and the Public. Durham, Caroline du Nord, Carolina Academic Press, 2010.
- Petersilia, Joan. « When Probation Becomes More Dreaded than Prison ». Federal Probation, vol. 54, p. 23-28, 1990.
Marché de la drogue et blanchiment d'argent
Les blanchisseurs d'argent ne sont pas des acteurs clés dans les réseaux de drogue du crime organisé. Les criminels blanchissent généralement eux mêmes leurs profits.
Les Nations Unies estiment qu’environ 1 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) mondial est généré par le marché des drogues illicites; environ les deux tiers de ces fonds « sont blanchis en injectant des fonds illicites dans le système financier, en éloignant l’argent des criminels et en le convertissant en revenus d’entreprise légitimes » (1, 2).
Des initiatives de lutte contre le blanchiment d’argent (LBC) ont été mises sur pied partout dans le monde. Les initiatives de LBC visent à attraper les criminels et les groupes du crime organisé en surveillant leurs activités financières – c’est ce qu’on appelle « suivre la trace de l’argent ». Les initiatives de LBC ont essentiellement pour but de démanteler les réseaux du crime organisé en interrompant leurs activités financières. Plus particulièrement, « les initiatives de LBC ciblent principalement le blanchisseur d’argent professionnel (avocat, banquier, comptable, etc.) », qui offre exclusivement ce service à plusieurs réseaux criminels ou à un seul, et c’est un crime qui est difficile à punir en vertu des lois sur la drogue (2). Dans de précédents travaux de recherche qu’il a effectués, Van Duyne (2003) a découvert que 1 p. 100 des cas de blanchiment d’argent mettaient en cause des professionnels, le Conseil de l’Europe (2006) a constaté que c’était vrai pour le tiers des cas en 2004, et une étude américaine menée par Reuter et Truman (2004) a conclu que « 16 % des personnes incarcérées pour blanchissement de narcodollars ne participaient d’aucune autre façon au marché de la drogue » (4). Outre le blanchiment d’argent professionnel, il y a aussi le blanchiment d’argent opportuniste, où « des individus aident une personne qu’ils connaissent ou travaillent exclusivement pour elle », souvent dans le cadre d’une relation fraternelle ou d’amitié (4), ainsi que l’auto-blanchiment, où les délinquants blanchissent leurs propres fonds illicites.
Dans cette étude, les chercheurs ont analysé des données issues de l’Évaluation des menaces provinciales de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour la Division « E », ce qui comprenait de l’information sur les activités criminelles menées entre 2004 et 2006. Au total, « 129 groupes criminels et 2 197 individus ont été identifiés ». On détenait de l’information sur les membres des groupes du crime organisé, la complicité, les caractéristiques démographiques, les crimes, les fréquentations criminelles et la nature de chaque relation, y compris les activités et les relations commerciales légitimes » (6). Dans cet échantillon, toutes les activités du marché de la drogue ont été extraites : on a dénombré 2 246 liens entre 919 individus. Cette information a été utilisée pour créer un réseau à l’aide d’un éventail de matrices binaires et symétriques, à partir desquelles une analyse des réseaux sociaux a été réalisée. Les chercheurs se sont servis des renseignements détenus par la police sur les individus qui « cachaient et convertissaient de l’argent et qui fournissaient des conseils sur des questions financières » (8) pour retracer tous les blanchisseurs d’argent.
En comparant les blanchisseurs d’argent à d’autres criminels qui évoluent dans le marché de la drogue, les chercheurs se sont aperçus que les blanchisseurs d’argent étaient « surtout des femmes plus âgées et des membres de groupes du crime organisé d’origine ethnique » (8). La majorité des individus qui se livrent au blanchiment d’argent dans le marché de la drogue en Colombie-Britannique blanchissaient leurs propres fonds : 80 % d’entre eux blanchissaient leur propre argent, 12 % étaient des blanchisseurs opportunistes et 8 % étaient des professionnels. Le blanchiment d’argent a été divisé entre le trafic de drogue au détail (41 %), les fournisseurs (36 %), les trafiquants (12 %) et les producteurs (11 %). Aucun passeur ou parasite n’a blanchi leur argent.
« C’est dans le groupe des opportunistes que l’on comptait le pourcentage le plus élevé de femmes. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces femmes ont blanchi de l’argent pour leurs petits amis, qui étaient des membres influents de groupes du crime organisé. Les résultats démontrent une tendance chez les blanchisseurs d’argent opportunistes et professionnels, qui sont un peu plus âgés que ceux qui blanchissent leur propre argent. Il convient également de mentionner que, dans la plupart des cas, les blanchisseurs d’argent professionnels ne sont pas des membres connus de groupes du crime organisé » (10).
Deux mesures de centralité ont été utilisées dans l’analyse des réseaux sociaux. La centralité d’intermédiarité a servi à calculer le nombre de fois qu’une personne peut nouer rapidement des liens avec d’autres », ce qui montre à quel point « une personne sert de médiateur dans les relations » (8, 9). La centralité de vecteur propre a été utilisée pour mesurer « à quel point un individu est relié à des personnes qui ont de nombreux contacts » pour identifier la personne qui a « le plus grand nombre d’occasions d’interagir avec les principaux acteurs d’un réseau criminel » (9). « La centralité d’intermédiarité des blanchisseurs d’argent était considérablement plus élevée que [d’autres intervenants dans le marché de la drogue], ce qui laisse entendre qu’ils sont plus susceptibles d’être en mesure de surveiller la circulation de renseignements et de documents ». Leurs résultats pour le vecteur propre étaient plus bas, « ce qui porte à croire qu’ils se tiennent à l’écart d’autres individus qui ont beaucoup de contacts ». « On constate que la centralité d’intermédiarité et la centralité de vecteur propre des blanchisseurs d’argent professionnels et opportunistes sont moins importantes que chez ceux qui blanchissent leur propre argent. On comprend donc que ces types de blanchisseurs d’argent jouent un rôle plus secondaire dans l’industrie et ont moins de liens directs avec les acteurs clés du marché ».
Une analyse qualitative fondée sur les circonstances des évaluations de la menace a révélé que l’achat, la vente et la construction de biens immobiliers étaient utilisés par les blanchisseurs d’argent professionnels et opportunistes et les individus qui blanchissent leur propre argent. Les blanchisseurs d’argent professionnels, notamment des comptables, peuvent également être embauchés dans des entreprises avec beaucoup de liquidités pour les aider à blanchir l’argent. Les individus qui blanchissent leur propre argent utilisaient souvent la technique des virements successifs pour dissimuler les sources de fonds illicites, tandis que les blanchisseurs d’argent opportunistes étaient « très souvent des personnes choisies pour ces entreprises » (10). Les « retours de prêts » étaient une technique de blanchiment de choix, où « le délinquant remet les produits de ses activités criminelles à un associé ou à une entreprise », qui « prête ensuite l’argent au délinquant » (10).
Ces recherches ont montré qu’environ 20 % des blanchisseurs d’argent seulement sont des professionnels ou des opportunistes, ce qui signifie que « les blanchisseurs d’argent professionnels n’occupent pas une place particulièrement importante dans le marché de la drogue » (13). Il semble que le « pouvoir d’attraction du milieu social » des réseaux criminels joue un rôle de premier plan, puisque la majorité des blanchisseurs d’argent ne sont pas des professionnels et qu’il est « probable que plusieurs des blanchisseurs professionnels sont entrés dans le marché de la drogue par l’entremise de liens sociaux qu’ils avaient déjà » (12).
Les auteurs croient que ces recherches fournissent la preuve que deux principaux arguments en faveur d’un règlement de lutte contre le blanchiment d’argent ne sont pas étayés. D’après eux, il est faux de dire qu’on ne pourrait pas « retracer la majorité des blanchisseurs d’argent par l’entremise d’enquêtes criminelles ou des crimes et des activités des groupes du crime organisé ». Les faits ne corroborent pas le principe selon lequel « les blanchisseurs d’argent professionnels jouent un rôle important dans les marchés illicites et les réseaux criminels » (13). Les chercheurs disent que « considérer le blanchiment d’argent comme étant un crime en soi n’agrandit pas forcément le filet pour capturer les criminels » (13). Au lieu d’éliminer la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent, ils suggèrent plutôt que « les régimes de lutte contre le blanchiment d’argent devraient se fonder sur les risques plutôt que sur les règles » (13). Étant donné que la majorité de ces criminels blanchissent leur propre argent et que les enquêtes « sont souvent déjà en cours avant même que des allégations de blanchiment d’argent aient été portées », les auteurs suggèrent qu’en « facilitant l’accès du milieu du renseignement policier aux rapports d’activités suspectes des [Unités du renseignement financier] après qu’une enquête a été entamée par l’entremise d’autres sources, on pourrait faire condamner un plus grand nombre de blanchisseurs d’argent » (14). Les chercheurs ont également conclu que « si les liens sociaux des criminels organisés sont utilisés pour blanchir de l’argent […], alors le cercle social de criminels connus serait un groupe à haut risque de s’adonner au blanchiment d’argent. Cette constatation pourrait faire en sorte que les enquêteurs aient plus facilement accès aux rapports d’activités suspectes pour les associés de criminels » (14). Les chercheurs ont également fait une suggestion à caractère technique selon laquelle les « simulations Monte Carlo par chaîne de Markov » devraient être appliquées par les organisations qui détiennent les données financières pour « voir comment les réseaux du crime organisé réagissent aux changements stratégiques » (14).
Malm, Aili et Gisela Bichler. « Using Friends for Money: The Positional Importance of Money-launders in Organized Crime », Trends in Organized Crime, le 16 juin 2013. Consulté le 16 décembre 2013 : http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs12117-013-9205-5#page-1.
Sources connexes :
- Conseil de l’Europe. Organised Crime Situation Report, 2005. Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2006.
- Reuter, Peter et Truman, Edwin. Chasing Dirty Money: The Fight Against Money Laundering. Washington, DC, Institute for International Economics, 2004.
- Van Duyne, Petrus C. Money laundering policy: Fears and facts. In Criminal Finance and Organized Crime in Europe, modifié par Petrus C. van Duyne, Klaus von Lampe, et James L. Newell. Nijmegen, Pays-Bas, Wolf Legal, 2003.
Évaluation des initiatives américaines de lutte contre les gangs
Les stratégies d'application de la loi intensives contribuent à réduire les crimes violents. Plus de données sur les crimes liés aux gangs sont nécessaires.
Le département américain de la Justice a financé la Comprehensive Anti-Gang Initiative (CAGI) pour aider les collectivités de 18 villes américaines dans leurs efforts pour prévenir et réprimer les crimes liés aux gangs.
« Différentes méthodes ont été utilisées pour évaluer le processus et l’incidence de la CAGI. Citons notamment des visites sur les lieux, des entrevues téléphoniques, des enquêtes postales, des vidéoconférences avec le personnel affecté au projet et l’examen des rapports d’étape remis au département de la Justice. Des données sur la criminalité locale ont été colligées dans cinq des villes participant à la CAGI et des données sur la criminalité dans les municipalités ont été recueillies auprès de toutes les villes ainsi qu’auprès de villes comparables partout au pays » (2).
La CAGI a donné lieu à de nouveaux partenariats fructueux entre des organismes de justice pénale. « Les quatre stratégies d’application de la loi les plus communes portaient sur le service fédéral des poursuites, sur l’augmentation du nombre de poursuites par l’État et les localités, sur l’examen préalable des poursuites conjointes et sur les patrouilles dirigées. Les stratégies de prévention les plus courantes englobaient l’éducation et la sensibilisation, la prévention en milieu scolaire, la sensibilisation effectuée par des ex-délinquants et le traitement de la toxicomanie. Les interventions de réinsertion sociale ont été les plus difficiles à mettre en œuvre puisque la majorité des municipalités avaient du mal à atteindre le nombre visé de clients » (2).
Dans la plupart des cas, on ne « pouvait pas offrir de mesures uniformes et fiables pour prévenir les crimes liés aux gangs », ce qui a rendu l’évaluation directe du rendement du programme difficile (2). On a utilisé les taux de crimes violents comme solution de rechange. Les chercheurs ont découvert que les villes dotées de programmes de la CAGI enregistraient une réduction plus importante des crimes violents comparativement aux villes servant de référence qui n’avaient pas de programme de la CAGI, mais lorsque les chercheurs ont statistiquement neutralisé la concentration de la défavorisation et la densité de la population, ils n’ont enregistré aucune différence réelle. Ils ont constaté que des mesures d’application de la loi rigoureuses étaient manifestement associées à la réduction de 15 % des crimes violents. Les mesures d’application de la loi rigoureuses ont été mises en œuvre dans les villes qui ont appliqué le plus activement et scrupuleusement les « stratégies d’application de la loi (identification des gangs, collecte du renseignement et présence accrue, création d’un système d’échange de renseignements, saisie d’information dans une base de données accessible, poursuites ciblées et embauchage d’un procureur adjoint de l’État) » (18). Lorsque les chercheurs ont essayé de déterminer si certains quartiers des villes participant à la CAGI s’en tiraient mieux que d’autres, les résultats n’ont pas été concluants parce qu’on ne pouvait statistiquement pas séparer les réductions des crimes violents dans d’autres secteurs d’une même ville.
D’après d’autres constats qu’ils ont faits, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les résultats des « programmes exhaustifs de lutte contre les gangs à grande échelle » sont « variables et, au mieux, [ont] une faible incidence sur les crimes violents » (2) et qu’il « faut se concentrer beaucoup plus sur une mise en œuvre efficace » (2). Pour procéder à des recherches et à des évaluations adéquates dans le futur, on a suggéré de « prêter beaucoup plus attention à l’élaboration de mesures fiables de prévention des crimes liés aux gangs à l’échelle locale » (2). Il a été recommandé que les « organismes fédéraux de financement pourraient exiger que les données sur les crimes liés aux gangs soient disponibles pour que les programmes de lutte contre les gangs puissent obtenir du financement fédéral » (2).
McGarrell, Edmund F., Nicholas Corsaro, Chris Melde, Natalie Hipple, Jennifer Corbbina, Timothy Bynum, et Heather Perez. An Assessment of the Comprehensive Anti-Gang Initiative: Final Project Report. Washington, Département américain de la Justice, National Institute of Justice, 2013. Consulté le 17 décembre 2013 : https://www.ncjrs.gov/pdffiles1/nij/grants/240757.pdf.
Sources connexes :
- Gabor, Thomas et John Kiedrowski, Victoria Sytsma, Ron Melchers, and Carlo Morselli. Impact des mesures de répression contre le crime organisé sur la collectivité : Une analyse rétrospective, Secteur de la police et de l’application de la loi, Sécurité publique Canada, 2010.
- Smith-Moncrieffe, Donna. Projets du Fonds de lutte contre les activités des gangs de jeunes : Qu’est-ce que nous avons appris au sujet de ce qui fonctionne pour prévenir la participation à des activités de gangs?Rapport de recherche : 2007–2012, Centre de prévention du crime, Sécurité publique Canada, Ottawa, 2013.
- Wong, Jennifer, Jason Gravel, Martin Bouchard, Carlo Morselli, et Karine Descormiers. Efficacité des stratégies de lutte contre les gangs de rue : Examen systématique et méta-analyse des études d’évaluation, Secteur de la police et de l’application de la loi, Sécurité publique Canada, Ottawa, 2011.
Tendances associées à la codélinquance et crime organisé
Les crimes perpétrés en groupe sont souvent violents, graves et impunis. Les crimes commis par les gangs de rue et les organisations criminelles sont trois ou quatre fois plus susceptibles d'avoir été commis en groupe.
Dans la Déclaration uniforme de la criminalité (DUC2), les services de police canadiens signalent les crimes survenus dans leurs municipalités au cours de l’année. La DUC2 ne fournit pas encore de statistiques fiables sur quels incidents sont liés aux organisations criminelles (c’est-à-dire les groupes du crime organisé ou les gangs de rue).
Les auteurs du rapport ont analysé les données sur la criminalité de 2011 pour examiner les caractéristiques des incidents commis avec un complice ou en groupe. Ce résumé porte sur l’analyse du « groupe » de codélinquants, sur les individus qui ont commis des crimes en groupe de trois personnes ou plus. C’est parce que le Code criminel définit « organisation criminelle » (paragraphe 467.1(1)) comme étant un groupe composé d’au moins trois personnes qui commettent des « infractions graves » leur procurant un avantage matériel. Étant donné que l’analyse n’a pas permis d’établir une distinction entre la gravité du crime, l’avantage matériel et la taille du groupe et que peu de renseignements sur l’incident criminel se retrouvent dans les statistiques sur la criminalité de la DUC2, on ne peut pas faire de comparaison directe avec les « organisations criminelles ». Toutefois, il y a probablement des parallèles révélateurs à faire entre le « groupe complice » de cette analyse et les « organisations criminelles » du Code criminel.
Statistique Canada recueille certains renseignements sur les gangs de rue par l’entremise de la DUC2. « Parmi les 993 994 affaires classées ayant été déclarées par la police en 2011, on soupçonnait que 1 086 affaires impliquaient des gangs de rue. Parmi cet échantillon restreint, 13 % des affaires impliquant des membres connus de gangs de rue ou soupçonnés d’en faire partie étaient des crimes commis par deux délinquants et 10 % étaient des crimes collectifs », comparativement à 6 % et 3 % des affaires impliquant des délinquants qui n’étaient pas connus de gangs de rue ou soupçonnés d’en faire partie (19). Par conséquent, même lorsqu’un membre d’une organisation criminelle commet un crime, il n’a peut-être pas été perpétré en groupe. Dans cet exemple, 90 % des crimes liés aux gangs de rue n’ont pas été commis en groupe. Toutefois, les membres des gangs de rue sont au moins trois fois plus susceptibles de commettre des infractions en groupe que d’autres délinquants.
« En 2011, les affaires de codélinquance représentaient 11 % des affaires classées ayant été déclarées par la police. Tout comme les taux de criminalité dans l’ensemble, la prévalence de la codélinquance a diminué au fil du temps, affichant une baisse de 2,3 % entre 1995 et 2006, et elle a peu varié par la suite. La plupart des affaires de codélinquance survenues en 2011 ont été commises par deux délinquants. Les crimes collectifs impliquant de nombreux délinquants (six personnes ou plus) étaient plus rares, puisqu’ils constituaient moins de 2 % des affaires de codélinquance » (21).
« Les victimes de crimes collectifs de violence perpétrés par des codélinquants étaient les plus susceptibles de subir des blessures mineures ou graves (61 %), suivies des victimes de crimes commis par deux délinquants (57 %). Le taux correspondant s’établissait à 48 % chez les victimes d’infractions perpétrées par un délinquant seul. Cette tendance s’observait pour presque tous les types de crimes violents, à l’exception de l’enlèvement et du rapt, où les victimes d’infractions commises par des délinquants seuls étaient légèrement plus susceptibles d’être blessées que les victimes d’infractions commises par des codélinquants » (19).
Le Code criminel définit « infraction grave » comme étant tout acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou plus, ou toute autre infraction désignée par règlement. Parmi les « infractions graves » qui ont été commises, 17 % ont été perpétrées par deux délinquants, et 8 %, par des groupes de trois personnes ou plus. Par comparaison, pour les crimes non définis comme étant graves, seulement 8 % ont été perpétrés par deux délinquants, et 2 %, par des groupes de trois personnes ou plus. Donc, les « infractions graves », dans le sens qu’on l’utilise dans la définition d’organisation criminelle, étaient quatre fois plus susceptibles d’avoir été commises par des codélinquants que les autres crimes en général.
La gravité peut également être évaluée à l’aide de la durée moyenne des peines. Statistique Canada utilise ces poids de gravité pour calculer l’Indice de gravité de la criminalité. Le poids de gravité des infractions commises en groupe « dépassait considérablement » le poids des infractions perpétrées par deux délinquants et le poids des infractions commises par un délinquant (76,55).
Les crimes commis en groupes composés de jeunes et d’adultes étaient plus graves que ceux commis par juste des adultes ou juste des jeunes.
Les délinquants qui commettent leurs crimes en paire ou en groupe sont moins susceptibles d’être accusés que les délinquants qui ont agi seul : « 63 % des délinquants qui ont agi seuls ont été accusés, par rapport à 49 % des délinquants qui ont commis une infraction avec un seul complice et à 47 % des auteurs présumés d’un crime collectif » (21).
Carrington, Peter J., Shannon Brennan, Anthony Matarazzo
et Marian Radulescu. La complicité dans la délinquance au Canada, Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Ottawa, 2011
Production de drogues synthétiques au Québec
Les criminels québécois exportent la grande majorité de la méthamphétamine et de l'ecstasy qu'ils produisent. On estime que 1 % des drogues synthétiques au Québec ont été saisies.
Des chercheurs de la Sûreté du Québec (Chartrand et Thibault-Vézina, 2013) ont analysé les données policières et juridiques de plus d’une décennie d’enquêtes sur la production de drogues synthétiques au Québec. Leurs travaux « tiennent compte du rendement des instruments à la disposition des chimistes [clandestins], du temps de préparation en fonction du type de processus de synthèse […], des habitudes de l’exploitant quant aux cycles de production et de la durée de vie des installations avant qu’elles soient neutralisées par la police » (1). Bien que des méthodes légèrement différentes aient été utilisées dans cette étude par rapport à des études antérieures de ce genre (Bouchard et autres, 2012), des conclusions similaires ont été relevées.
Les données de l’analyse étaient tirées des dossiers opérationnels de tous les services de police dans la province de Québec entre 2000 et 2010. Elles englobaient 46 sites différents, dont 10 étaient uniquement utilisés pour l’entreprosage des produits chimiques précurseurs, 10 autres, pour la compression en comprimés, trois, pour l’extraction de l’éphédrine, et 23, pour l’entreposage de l’équipement et des instruments nécessaires pour synthétiser les stimulants finaux de type amphétamine (STA) ou de drogues telles que la 3,4-méthylènedioxyamphétamine, communément appelée ecstasy.
Ces types de drogues synthétiques au Québec sont essentiellements produites dans de grands laboratoires ou dans des installations perfectionnées de taille moyenne qui fabriquent des drogues illicites sous forme de comprimés. Les utilisateurs de drogues illicites au Québec ont tendance à ne pas consommer les drogues sous forme de poudre. On remarque que les petits laboratoires qui utilisent des précurseurs en vente libre sont peu courants. Les auteurs signalent que ces drogues sont déjà facilement accessibles et peu coûteuses (2). Puisqu’il a été établi que les consommateurs de drogues illicites ont confiance aux comprimés, les utilisateurs et les producteurs sont peu enclins à mettre sur pied une production à petite échelle.
Les chercheurs ont appliqué la technique « capture-recapture » de Zelterman pour évaluer le nombre de personnes qui participent à la production de ce type de drogues de synthèse. Les méthodes de capture-recapture servent à estimer la représentation des « populations cachées » à partir des données provenant des populations connues. À l’origine, on s’en servait pour estimer les populations d’animaux sauvages. Les auteurs « estiment que le nombre de Québécois qui participent directement ou indirectement à la production de substances synthétiques varient entre 770 (2006-2010) et 1 299 (2008-2012) » (2). D’après une analyse qualitative distincte qui a été réalisée, il y a eu au cours des 10 dernières années « tout au plus 30 » personnes possédant « les connaissances, l’expérience et les compétences nécessaires pour diriger des opérations clandestines [sophistiquées] pour synthétiser l’une de ces substances ».
À la suite d’une analyse détaillée dans le cadre de laquelle on a « procédé à l’uniformisation et à la conversion de toutes les substances saisies » à divers sites de synthèse, de compression et d’entreposage, on a évalué qu’entre 2000 et 2010, des interventions policières ont permis de saisir l’équivalent de 713 kg de STA et de 199 kg d’ecstasy » (3). On n’a dégagé aucune tendance manifeste d’une année à l’autre. Cependant, les saisies policières étaient deux fois plus élevées à la fin de la décennie qu’au début. Les auteurs « laissent entendre que les réseaux d’exploitants de laboratoires clandestins semblent avoir augmenté leur capacité de production, malgré les mesures de contrôle d’ordre législatif qui limitent l’accès aux produits précurseurs qui sont entrés sur le marché pendant cette période » (3).
Les chercheurs ont cerné deux grandes catégories de laboratoires parmi ces sites. Un laboratoire clandestin de taille moyenne produisait en général 1,25 kg de stimulants de type amphétamine et 2 kg d’ecstasy par cycle de production, au rythme de quatre cycles par mois. Chacun de ces laboratoires était en activité environ sept mois et demi avant d’être démantelé par la police. Les chercheurs estiment qu’entre 2000 et 2010, ces laboratoires « produisaient 502,5 kg de drogues synthétiques (262,5 kg de STA et 240 kg d’ecstasy) avant qu’ils soient démantelés (4). Un laboratoire clandestin à production élevée fabriquait en moyenne 10 kg d’ecstasy et 7 kg de STA, avec un ou deux cycles de production par mois. Ces laboratoires étaient en activité environ 19 mois et demi avant que la police les dépiste. Durant ces 10 ans, ces laboratoires ont probablement produit 1 560 kg d’ecstasy et 4 095 kg de STA.
À l’aide de travaux antérieurs effectués sur les taux de saisie dans le marché illicite du cannabis et de suppositions faites par des policiers d’expérience qui ont enquêté sur différents types de drogues, les chercheurs sont arrivés à un taux de saisie possible de 4,6 % pour les drogues synthétiques. « Compte tenu de l’hypothèse de 56 laboratoires clandestins actifs [en activité à n’importe quel moment], la capacité de production annuelle au Québec est [d’environ] 8 470 kg (6 310 kg de STA et 2 160 kg d’ecstasy). Selon les estimations de 2009, l’équivalent de 75,5 kg de STA et de 312 kg d’ecstasy sont consommés chaque année au Québec. » (5).
Par conséquent, d’après ces taux de consommation provinciaux de 2009 et les volumes de production annuels moyens, jusqu’à 98 % des stimulants de type amphétamine et jusqu’à 85 % de l’ecstasy qui sont produits au Québec sont disponibles pour l’exportation vers d’autres provinces ou pays.
Si l’on compare les chiffres fournis par les auteurs quant au volume réel de drogues synthétiques qui ont été saisies et neutralisées grâce à une intervention directe de la police entre 2000 et 2010 et la quantité estimée produite par les laboratoires clandestins existants, il semble qu’environ 1 % des drogues synthétiques de ce genre fabriquées au Québec ont été interceptés par les autorités.
Chartrand E. et M. Thibault-Vézina. Le marché québécois des drogues de synthèse : un déséquilibre entre l’offre et la demande. Étude sur le fonctionnement et la productivité des laboratoires québécois de drogues de synthèse vus à travers plus d’une décennie d’enquêtes policières. Service recherche, qualité et planification stratégique, Sûreté du Québec, Montréal.
Sources connexes :
Bouchard, M., Morselli, C., Gallupe, O., Easton, S., Descormiers, K., Turcotte, M., et Boivin, R. Estimation de la taille des marchés illicites de la métamphétamine et de la MDMA (ecstasy au Canada : Une approche à plusieurs méthode, Ottawa, Sécurité publique Canada, 2012.
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