« Contrer la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites : un examen des politiques et des pratiques policières dans le Nunangat inuit »
Table des matières
- Remerciements
- Le Rapport en bref
- La violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites
- Les services de police d’aujourd’hui dans l’Inuit Nunangat
- Méthodologie
- Les services de police dans l’Inuvialuit
- Préoccupations liées à la sécurité et violence fondée sur le sexe
- Présence de la police
- Les services de police communautaires : voués à l’échec?
- Racisme ou incompréhension culturelle?
- Appeler la police pour obtenir de l’aide
- Intervenir en cas de violence familiale
- Le « jeu dans le jeu »
- Qu’est-ce qui doit être fait?
- La guérison et la résilience
- Les services de police dans le Nunavut
- Présence de la police
- L’intervention de la police
- Des services de police racialisés
- « Ne faites pas confiance aux policiers »
- La normalisation de la violence fondée sur le sexe
- Les défis liés aux services de police
- Taux de roulement élevé des agents
- Les agents inuits
- La déconnexion linguistique
- La crise du logement
- Qu’est-ce qui doit être fait?
- Les services de police au Nunatsiavut
- La réticence des femmes à dénoncer la violence
- Se tourner vers la police pour obtenir de l’aide
- Les relations entre la police et la communauté
- La durée des affectations
- Présence de la police dans la communauté
- Le système d’appel
- Le temps de réponse du service de police
- Les policiers peuvent faire une différence
- Les défis liés aux services de police
- Qu’est-ce qui doit être fait?
- Les services de police au Nunavik
- Perspectives d’avenir
- Références
Avis
Sécurité publique Canada a financé ce projet dans le cadre de la réponse intérimaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Les conclusions et les opinions sont celles de(s) auteur(s) et les personnes qui participent au projet.
Pauktuutit Inuit Women of Canada et Mme Elizabeth Comack, Ph. D., Département de sociologie et criminologie, Université du Manitoba
Le 9 janvier 2020
Remerciements
Nous remercions les nombreuses personnes et organisations qui ont joué un rôle dans la réalisation de ce projet.
D’abord et avant tout, nous exprimons notre plus sincère gratitude aux 45 courageuses femmes inuites – des quatre régions de l’Inuit Nunangat – qui se sont portées volontaires pour participer à cette étude. Sans leur courage et leur détermination à améliorer leur sécurité et celle des femmes dans des circonstances similaires, cette recherche n’aurait pas été possible. Nous sommes grandement touchés et extrêmement reconnaissants du fait qu’elles ont choisi de partager leurs expériences avec nous.
De plus, nous sommes extrêmement reconnaissants envers les 40 fournisseurs de services sociaux et policiers qui ont consacré de leur temps malgré leurs horaires exigeants pour participer et qui ont généreusement accepté de partager leurs points de vue et leurs connaissances sur les succès et les défis rencontrés dans la lutte contre la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites dans l’Inuit Nunangat.
Ce projet a également bénéficié énormément de la contribution des membres du Comité consultatif du projet :
- Yvonne Niego, sous-ministre, ministère des Services à la famille, gouvernement du Nunavut
- Tracy Ann Evans-Rice, coordonnatrice de la condition féminine, gouvernement du Nunatsiavut
- Donna Rogers, directrice exécutive, Inuvik Transition House Society
- Lizzie Aloupa, agente des droits des Inuits, Makivik Corporation
- Heloise Chartrand, agente spécialisée en violence familiale et en agression sexuelle, Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik
- Peggy Day, coordonnatrice du suivi post-intervention, Inuvialuit Regional Corporation
Nous reconnaissons également le soutien indispensable des agents de liaison de la recherche communautaire dans chacune de leurs régions respectives qui nous ont fourni des conseils sur les stratégies culturellement appropriées pour mobiliser la communauté et recueillir des données. De plus, nous sommes reconnaissants envers les aînés, les interprètes et les travailleurs de soutien en santé mentale dans chacune des communautés que nous avons visitées qui ont apporté leur expertise et fait preuve de gentillesse et de compassion.
Samantha Michaels, conseillère principale en recherche et politiques à Pauktuutit, était indispensable dans son rôle de personne-ressource pour le projet. En plus de mener les entrevues aux Inuvialuit et au Nunavik (ainsi que plusieurs autres par téléphone), Samantha a fait un merveilleux travail pour faire avancer le projet à travers ses différentes étapes (y compris la rédaction de propositions, l’éthique et les processus d’octroi de licences de recherche, la compilation du rapport provisoire à l’intention de Sécurité publique Canada, la communication avec les membres du Comité consultatif du projet et avec les participants potentiels par courriel, et l’aide à la rédaction du rapport final).
Christine Lund, conseillère en recherche et politiques à Pauktuutit, a mené les entrevues au Nunavut et au Nunatsiavut en faisant preuve de sensibilité et de soin. Loren Bresch, étudiante au Département de sociologie et de criminologie de l’Université du Manitoba, a assumé avec compétence la tâche importante de mener l’analyse documentaire. Et Kathy Jaworski a fait un travail admirable (et en un temps record) pour transcrire tous les enregistrements des entrevues.
Le financement de ce projet a été fourni dans le cadre du Programme de contributions pour l’élaboration de politiques de Sécurité publique Canada, ainsi qu’au moyen de contributions en nature de Pauktuutit Inuit Women of Canada et de l’Université du Manitoba.
Le Rapport en bref
La violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites est un problème d’une ampleur considérable. Les femmes du Nunavut sont victimes de crimes violents à un taux plus de 13 fois supérieur à celui des femmes au Canada dans son ensemble. Le risque qu’une femme soit agressée sexuellement au Nunavut est 12 fois plus élevé que la moyenne provinciale et territoriale. En 2016, le Nunavut avait le taux le plus élevé de femmes victimes de violence familiale signalée à la police au Canada; les Territoires du Nord-Ouest avaient le deuxième taux le plus élevé et le Yukon le troisième.
Comme l’a souligné la commission d’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, cette violence fondée sur le sexe et racialisée est un génocide qui est enraciné dans des facteurs systémiques faisant partie intégrante du tissu de la société canadienne.
Comprendre la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites nécessite de replacer le problème dans son contexte colonial, y compris en reconnaissant la façon dont les modes de vie et d’être des Inuits ont été dramatiquement perturbés alors que le colonialisme corporatif a pris racine et s’est développé dans le Nord.
En quelques décennies (des années 1950 aux années 1970), les Inuits ont subi une profonde transformation de leur vie et de leurs moyens de subsistance – une transformation orchestrée par des forces coloniales largement indépendantes de leur volonté. Leur économie fondée sur les terres et l’éthique coopérative et les mécanismes informels de contrôle social sur lesquels elle repose – ainsi que les relations interdépendantes entre les hommes et les femmes inuits – ont été perturbées lorsque les Inuits ont été transférés dans des établissements permanents, leurs enfants envoyés dans des pensionnats où ils pouvaient apprendre la culture qallunaat en vue de leur assimilation à l’ordre social colonial, et leurs chiens de traîneau abattus, ce qui a effectivement coupé les liens des Inuits avec la terre et l’accès à leur source traditionnelle de subsistance.
La police nationale du Canada, la GRC, a joué un rôle clé dans cette transformation. La GRC a participé à la réinstallation des Inuits dans des établissements permanents, au transport des enfants inuits vers des pensionnats indiens et à l’abattage des chiens de traîneau inuits. Autrement dit, les services de police dans lesquels la GRC était engagée étaient résolument « racialisés »; ils étaient conçus pour imposer aux Inuits de se conformer au nouveau régime colonial.
Plus récemment, les problèmes sociaux et économiques, notamment les mauvaises conditions de vie, l’insécurité alimentaire et le changement des rôles des hommes et des femmes inuites, sont quelques-unes des manifestations les plus évidentes de cette rencontre coloniale avec les Qallunaat. Le traumatisme intergénérationnel que génère le colonialisme est également un facteur clé. Cette expérience vécue de traumatisme se manifeste par des taux élevés d’abus d’alcool et de drogues, une vague de suicides et l’omniprésence de la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites.
Chaque femme inuite mérite de vivre à l’abri de la menace et de la réalité de la violence. La police joue un rôle principal dans la promotion et le maintien de la sécurité publique. Dans l’Inuit Nunangat, le maintien de l’ordre est assuré par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), à l’exception du Nunavik, qui est surveillé par le Corps de police régional Kativik (CPRK) depuis 1996.
Dans leurs déclarations officielles quant à leurs rôles et responsabilités, la GRC et le CPRK affirment que le maintien de l’ordre est exercé d’une manière qui respecte la justice et la sûreté et la sécurité de tous les citoyens. Contribuer à des collectivités autochtones plus sûres et plus saines est l’une des cinq priorités stratégiques de la GRC. La vision du CPRK est d’« offrir à la population du Nunavik les meilleurs services de police professionnels, respectueux et efficaces et de devenir une référence en matière de services policiers dans les communautés inuites et autochtones, tant sur le plan opérationnel qu’administratif ».
Cependant, un certain nombre de défis ont été soulevés dans la littérature qui remettent en question le fait que le maintien de l’ordre dans l’Inuit Nunangat est assuré d’une manière qui respecte la justice et protège la sûreté et la sécurité des collectivités desservies, notamment : les problèmes de maintien de l’ordre dans les collectivités éloignées; la courte durée des affectations à la GRC; l’inexpérience des agents; le manque et le roulement du personnel, les obstacles linguistiques, l’incapacité de recruter des policiers inuits, le manque de compétence culturelle, le manque de ressources, le sous-financement et le manque de services complets.
Pour examiner à quoi ressemblent les services de police sur le terrain et comment ces défis se manifestent dans le cadre de l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites, des entrevues qualitatives approfondies avec 45 femmes inuites et 40 fournisseurs de services (y compris des policiers) ont été menées dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat.
Inuvialuit
Les participantes inuvialuit étaient d’avis que la violence fondée sur le sexe était devenue normalisée pour les femmes inuites, au point où elles « s’y attendent » dans leur vie. Les participants attribuaient cette violence aux « retombées des pensionnats » et au fait que les « personnes se sentent vraiment démunies » en raison de l’imposition du système colonial.
Bien que la Division G de la GRC encourage une approche de police communautaire, la rotation continue des agents, la perception que les agents vivent séparément et indépendamment de la communauté et l’inexpérience des nouvelles recrues portent les habitants à croire que les agents de police sont racistes dans leurs relations avec la communauté inuite. Certains participants ont cependant qualifié le problème de malentendu culturel plutôt que de racisme, car la police n’est pas au courant de l’histoire coloniale et a peu de formation sur la façon de travailler de manière interculturelle, en particulier avec les victimes de violence fondée sur le sexe.
Une autre source de division entre la police et la communauté était les protocoles de la police pour traiter les signalements faits par les citoyens, en particulier le système de répartition de la police par lequel les appels sont acheminés par le détachement de Yellowknife, ce qui est particulièrement problématique pour les femmes qui se trouvent dans une relation abusive lorsqu’elles font appel à la police pour obtenir de l’aide.
Plusieurs femmes inuvialuit ont partagé leurs histoires d’appels à la police pour obtenir de l’aide afin de faire face à la violence familiale et leurs inquiétudes quant au fait que la police ne répond pas en temps opportun, que ce sont elles qui sont retirées de leur domicile au lieu de leur agresseur, que les sanctions imposées par les tribunaux ne sont pas correctement surveillées et appliquées, et que les femmes ne sont pas prises au sérieux lorsqu’elles expriment des craintes pour leur sécurité.
Un agent de la GRC a présenté un point de vue différent sur le rôle de la police dans la lutte contre la violence familiale et les frustrations de la police à l’égard des femmes qui utilisent le système de justice pénale pour jouer un jeu vindicatif contre leurs partenaires. D’autres fournisseurs de services ont toutefois souligné le manque de ressources (comme les refuges) disponibles pour les femmes inuvialuit qui subissent de la violence fondée sur le sexe.
Les participants inuvialuit ont formulé un certain nombre de suggestions pour améliorer les services de police dans leur région, notamment : réduire les délais d’intervention de la police; s’assurer que la police connaît bien l’histoire des Inuits et les défis que les Inuits ont rencontrés en conséquence; apprendre le dialecte inuktut local; donner une formation sur les approches tenant compte des traumatismes; et améliorer et mieux intégrer les services offerts aux femmes victimes de violence fondée sur le sexe. Les participants ont surtout vu la nécessité que les communautés inuvialuit s’approprient leurs propres affaires, un processus qui, selon certains, était en cours.
Enfin, une femme inuvialuit a partagé certaines parties de son vécu, fournissant un enseignement important sur la façon dont le traumatisme créé par la violence fondée sur le sexe peut être si vaste dans la vie des femmes inuites – et sur leur résilience et leur force dans la lutte contre ses effets néfastes.
Nunavut
Les participants du Nunavut étaient particulièrement préoccupés par l’omniprésence de la violence familiale dans leur communauté, fortement mise en relief par le décès d’une jeune femme inuite peu de temps avant la tenue des entrevues. Un aîné a souligné la rupture des méthodes traditionnelles inuites pour expliquer cette violence.
Bien que la GRC ait une présence visible dans la communauté, certains participants étaient d’avis que la présence de ces policiers se limitait à des déplacements dans leurs véhicules. Les participants étaient également préoccupés par la lenteur des interventions de la police, qui était en partie attribuable au fait que les appels étaient acheminés par Iqaluit puis relayés au détachement communautaire.
Pour certains participants du Nunavut, la façon dont les policiers traitent les Inuits est racialisée. Selon eux, les rencontres entre les policiers et les Inuits reposent sur des hypothèses racialisées et sur un héritage de tensions découlant de l’histoire coloniale des relations entre la police et les Inuits, générant la peur et la méfiance à l’égard de la police.
Plusieurs femmes ont fait part de leur réticence à faire appel à la police en raison des expériences négatives qu’elles ont eues dans le passé. D’autres femmes ont parlé de la manière inquiétante dont la police les a traitées lorsqu’elles ont signalé des violences fondées sur le sexe. En raison de ces expériences, les femmes sont sur leurs gardes et se méfient de la police.
Cependant, les participants étaient également conscients des défis auxquels la police est confrontée au Nunavut, notamment : travailler dans des situations à haut risque où la violence familiale est présente, le manque de ressources d’orientation pour soutenir les victimes de violence, le roulement élevé des agents de police, le manque de connaissances et d’expérience des agents à l’égard du Nord et les difficultés à maintenir en poste des agents inuits. La déconnexion sur le plan linguistique, qui constitue un obstacle pour les femmes inuites lorsqu’elles signalent leurs expériences de violence fondée sur le sexe à la police, était également un sujet de préoccupation.
En plus d’exprimer leurs préoccupations au sujet de l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe, les participants du Nunavut ont également souligné le manque de ressources communautaires, en particulier en ce qui concerne le logement.
Les participants ont également souligné des problèmes plus fondamentaux liés aux services de police dans le Nord qui sont enracinés dans les différences significatives entre la société inuite et le sud du Canada. Ils ont formulé des suggestions sur la façon dont la police pourrait commencer à opérer le changement radical qui s’impose dans la façon dont elle est positionnée au sein des collectivités qu’elle a le mandat de servir, notamment : mieux connaître l’histoire, la culture et la langue des Inuits; communiquer plus efficacement avec les dirigeants; devenir plus conscients de leur responsabilité envers la communauté; et apprendre à connaître les résidents afin d’éliminer la peur et la méfiance envers la police.
Par ailleurs, les participants estimaient que les résidents de la communauté devaient prendre l’initiative d’inviter la police dans la communauté, et les organisations et services communautaires devaient travailler à établir des liens avec la police pour établir des partenariats. De plus, des efforts doivent être faits pour s’assurer que des soutiens (tels que les services aux victimes) sont en place pour aider les femmes victimes de violence fondée sur le sexe. La police a également besoin de soutien pour faire face aux traumatismes indirects, et le bon travail qu’elle accomplit doit être remarqué et apprécié.
Nunatsiavut
Au Nunatsiavut, la violence fondée sur le sexe est une préoccupation constante. Les participants étaient d’avis que la violence fondée sur le sexe était devenue normalisée, mais qu’elle était cachée. Cependant, les femmes hésitent à dénoncer la violence, et pour un certain nombre de raisons : l’isolement de leur communauté; leur dépendance à l’égard de leur partenaire pour le maintien du foyer; des menaces de leur partenaire; et le temps qu’il faut pour traiter les accusations criminelles.
Une autre raison importante invoquée pour expliquer que les femmes ne se tournent pas vers la police pour obtenir de l’aide était la relation tendue et le manque de confiance envers la police et le système de justice pénale. Plusieurs femmes ont raconté l’expérience qu’elles ont vécue lorsqu’elles se sont tournées vers la police pour demander de l’aide. Bien que certaines de ces expériences aient été positives, plusieurs femmes ont trouvé que l’intervention de la police n’était pas favorable ou mettait en danger leur sécurité. Dans certains cas, les femmes ont trouvé l’intervention de la police non professionnelle et racialisée.
Les participants estimaient que la relation entre la police et la communauté était mauvaise, citant leur séparation résidentielle dans la communauté, leur manque d’interaction avec les membres de la communauté et la courte période de temps où les agents sont en poste dans la communauté. Tandis que certains considéraient la présence des policiers dans la communauté comme étant positive (comme lors des événements de la fête du Canada), ils jugeaient cette présence comme consistant essentiellement à circuler dans leurs véhicules. Le système d’appel automatisé a également été mentionné comme problématique, surtout en raison du fait que les appels sont réacheminés vers St. John’s, Terre-Neuve après les heures normales de travail. L’inaccessibilité de la police se manifestait également par la lenteur des interventions.
Cependant, les participants ont également parlé de l’influence positive que les agents individuels peuvent avoir dans la communauté, en particulier en ce qui concerne leur accessibilité et leur volonté d’améliorer la présence policière dans la communauté.
Néanmoins, les participants étaient également conscients des défis que rencontrent les policiers dans leur travail. Ces défis comprenaient les conditions météorologiques et le manque de ressources du détachement (comme les cellules de détention). Toutefois, ces défis s’appliquaient également à un manque de compréhension de la vie dans le Nord et de l’histoire coloniale et de la culture inuite.
Pour améliorer les relations entre la police et la communauté inuite, ainsi que l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe, les participants ont fait plusieurs suggestions : les policiers doivent être mieux renseignés au sujet des communautés qu’ils desservent; les nouveaux agents doivent être mieux intégrés dans la communauté à leur arrivée; les agents doivent s’impliquer davantage dans la communauté; et la GRC doit travailler à établir la confiance et les relations avec les membres de la communauté. L’embauche d’un animateur culturel faciliterait ce processus. Veiller à ce que les policiers disposent des ressources nécessaires, notamment par une augmentation des effectifs et la mise en place d’un système d’appel accessible, serait également utile.
Les participants ont également suggéré qu’une formation sur la manière de réagir aux révélations de violences sexuelles et l’embauche de plus de femmes dans des postes d’agent pour traiter les cas de violence fondée sur le sexe améliorerait la réponse de la police à la violence fondée sur le sexe. L’emploi d’agents de police communautaires aiderait également à combler le fossé entre la police et la communauté et à renforcer la confiance.
Enfin, les participants ont souligné le besoin de plus de services sociaux et de ressources dans la communauté, ainsi que la nécessité d’une meilleure coordination des services actuellement offerts.
Nunavik
Au Nunavik, la sécurité est devenue plus un sujet de préoccupation que les années précédentes, surtout en ce qui a trait à la violence fondée sur le sexe. Les femmes ont parlé des expériences négatives qu’elles ont vécues avec la police lorsque leur sécurité était menacée ou que des violences se produisaient. Dans un cas précis, une femme qui craignait pour sa sécurité a été victime de violence de la part d’un policier, ce qui l’a amenée à manquer de confiance à l’égard de la police.
D’autres femmes ont exprimé un manque de confiance similaire, qui était généré par un certain nombre de facteurs, dont l’un était le fossé qui existe entre les Inuits et les étrangers dans la communauté. Ce fossé entre les locaux et les non-locaux concerne également la police. Les participants étaient d’avis que les agents du CPRK étaient mal intégrés dans la communauté. Les agents ne sont dans la communauté que pendant une courte période, manquent d’expérience et de formation et ont une compréhension limitée de l’histoire des communautés inuites et des causes profondes des problèmes rencontrés, en particulier la consommation de drogues et d’alcool et la violence familiale. Ce fossé est exacerbé par les obstacles linguistiques, étant donné que la plupart des agents sont francophones et connaissent peu l’inuktut. Plusieurs participants estimaient que le fossé entre la police et la communauté reposait sur des motifs d’ordre racial.
Les participants étaient aussi conscients du fait que le CPRK manquait de ressources. Le manque de patrouilles 24 heures sur 24 et le manque de personnel affectent la capacité de la police à réagir en cas de violence fondée sur le sexe.
Les participants ont également exprimé des préoccupations quant à la façon dont la police mène ses enquêtes en cas de violence fondée sur le sexe. Une femme a raconté comment la police avait traité une agression sexuelle contre sa fille, obligeant l’enfant à être interrogée seule. D’autres participants ont fait part de leurs préoccupations concernant l’enquête policière sur le décès d’une jeune fille dans la communauté. D’autres ont parlé du manque de services et de soutiens lorsque des femmes et des filles sont agressées sexuellement.
Les femmes qui ont été victimes de violence familiale ont expliqué comment ce sont elles qui ont été éloignées de leur domicile, et non leur agresseur. D’autres participants ont expliqué que les ordonnances de non-communication ne fonctionnent pas dans les petites collectivités, étant donné leurs services limités et leur proximité.
Pour de nombreux participants du Nunavik, la police est une force extérieure qui impose une forme de justice contraire à la façon inuite de résoudre les conflits.
Pour résoudre ces problèmes, les participants du Nunavik ont suggéré que la police devienne plus accessible et mieux intégrée dans la communauté. Accroître l’effectif permettrait à la police de fournir de meilleurs services, tout comme l’embauche d’interprètes pour améliorer la communication entre la police et la communauté. Faire participer les Inuits à la résolution des conflits, par exemple en recourant à des travailleurs culturels ou à des aidants naturels, contribuerait également grandement à combler le fossé entre la police et la communauté. Les participants ont également suggéré que les Inuits soient mieux informés de leurs droits.
Les agents de police ont indiqué que plusieurs initiatives en cours pourraient améliorer l’intervention policière face à la violence fondée sur le sexe au Nunavik (l’amélioration de la formation culturelle, le recours à des animateurs culturels, un centre d’appels avec des personnes parlant l’inuktut, etc.). Toutefois, les participants savaient que le maintien de l’ordre à lui seul ne peut pas résoudre les problèmes sociaux pressants auxquels sont confrontées les communautés du Nunavik. Répondre aux besoins sociaux de base, y compris un logement convenable, est primordial.
Perspectives d’avenir
Les entrevues avec les femmes inuites et les fournisseurs de services ont donné un aperçu important de l’intervention de la police à la violence fondée sur le sexe. Ces entrevues témoignent de l’omniprésence et de la gravité de la violence que subissent les femmes inuites — et des difficultés qu’elles rencontrent pour trouver la sûreté et la sécurité en cas de violence.
Ces entrevues ont également révélé que des services de police racialisés persistent dans les rencontres entre les Inuits et les agents de police. Cependant, lorsque l’on parle de services de police racialisés, il ne s’agit pas simplement de certains agents individuels qui ont des croyances racistes et des stéréotypes à l’égard des Inuits. Cette racialisation est plutôt de nature systémique, ancrée dans les politiques et pratiques institutionnelles.
Pour aller de l’avant, il faudra donc modifier radicalement la façon dont les services de police sont exécutés dans l’Inuit Nunangat. Pour que la police intervienne efficacement face à la violence fondée sur le sexe, elle doit cesser d’être une force extérieure pour faire partie de la revitalisation de la communauté. Ce changement fondamental nécessite que la police prenne part à un processus de décolonisation.
Essentiellement, la décolonisation signifie inverser la stratégie coloniale d’assimilation. Plutôt que de s’attendre à ce que les Inuits acceptent ou se conforment à l’ordre colonial, ce sont les policiers et les autres agences de services sociaux qui doivent s’assimiler à la manière des Inuits, y compris les « grands principes directeurs » de l’Inuit Qaujimajatuqangit.
La voie à suivre est donc une approche de décolonisation des services de police fondée sur les connaissances et les visions du monde des Inuits, holistique et fondée sur les relations. Plutôt qu’une force extérieure engagée dans l’application de la loi et le contrôle du crime, la police se positionne comme travaillant en partenariat avec d’autres organismes de services sociaux pour favoriser la sécurité et le bien-être de la communauté par la résolution de problèmes et la résolution de conflits – tout en prenant l’exemple des Inuits, en particulier des femmes inuites qui ont été victimes de violence fondée sur le sexe.
En adoptant ce cadre de décolonisation, un certain nombre de recommandations spécifiques sont proposées qui pourraient aider la police à opérer ce changement fondamental.
La violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites
La violence est un phénomène lié au genre. La recherche a montré que les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes de subir des violences sexuelles dans leur vie. Les statistiques officielles confirment que les Canadiennes sont majoritairement les victimes les plus courantes d’agression sexuelle et d’autres infractions sexuelles (telles que les contacts sexuels, l’exploitation sexuelle et l’inceste), représentant respectivement 87 % et 80 % des incidents signalés à la policeNote de bas de page 1. Les filles sont plus à risque de subir des violences sexuelles à domicile que les garçons. Les données déclarées par la police sur la violence familiale à l’égard des enfants et des jeunes montrent que les filles et les garçons ont des taux d’agression physique similaires perpétrés par un membre de la famille, mais les taux d’agressions sexuelles contre les filles et les adolescentes sont quatre fois plus élevés que pour les garçonsNote de bas de page 2.
La recherche sur la violence familiale montre également que même si les hommes et les femmes sont susceptibles de signaler une forme de violence physique ou sexuelle par un partenaire intime actuel ou ancien, l’étendue et la gravité de la violence qu’ils ont subie diffèrent. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de signaler une blessure physique (42 % contre 18 %) ou de craindre pour leur vie en raison de la violence (33 % contre 5 %). Les femmes sont également plus susceptibles de déclarer avoir subi de la violence chronique, c’est-à-dire au moins onze incidents de violence, que les hommes (20 % contre 7 %)Note de bas de page 3.
Mais la violence n’est pas seulement sexospécifique. Elle est aussi racialisée. Les niveaux démesurés de violence subis par les femmes et les filles autochtones sont désormais connus du public. Les statistiques documentant cette violence sont surprenantes :
- Les femmes autochtones sont plus susceptibles de déclarer avoir été victimes de violence de la part de leur partenaire intime que les femmes non autochtones (15 % contre 6 %)Note de bas de page 4. Et elles sont plus susceptibles de subir une blessure et de craindre pour leur vieNote de bas de page 5.
- Les femmes et les filles autochtones sont 12 fois plus susceptibles d’être assassinées ou portées disparues que toute autre femme au Canada, et 16 fois plus que les femmes blanchesNote de bas de page 6.
- Les crimes violents contre les jeunes femmes et les filles (24 ans et moins) signalés à la police dans le Nord sont près de trois fois plus élevés que dans le Sud et près de quatre fois plus que pour l’ensemble des Canadiens. Les jeunes femmes et filles du Nord sont également plus susceptibles d’être victimes de crimes violents plus graves et d’être physiquement blessées par leur agresseur. Les taux d’homicides de 2009 à 2017 pour les jeunes femmes étaient plus de trois fois plus élevés dans le Nord que dans le SudNote de bas de page 7.
La violence à l’égard des femmes inuites est particulièrement troublante :
- Les femmes du Nunavut sont victimes de crimes violents à un taux plus de 13 fois supérieur à celui des femmes au Canada dans son ensembleNote de bas de page 8.
- Le risque qu’une femme soit agressée sexuellement au Nunavut est 12 fois plus élevé que la moyenne provinciale et territorialeNote de bas de page 9.
- Au Nunavik, 74 % des femmes inuites ont déclaré avoir subi de la violence à la maison et 46 % ont déclaré avoir subi une agression sexuelleNote de bas de page 10.
- En 2016, le Nunavut avait le taux le plus élevé de femmes victimes de violence familiale signalée à la police au Canada (3 552). Les Territoires du Nord-Ouest avaient le deuxième taux le plus élevé (2 678) et le Yukon le troisième (3). Le taux global pour le Canada cette année-là était de 319 pour 100 000 habitantsNote de bas de page 11.
La commission d’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a qualifié cette violence fondée sur le sexe et racialisée de génocide, déclarant [traduction] : « Cette violence est enracinée dans des facteurs systémiques, comme la marginalisation économique, sociale et politique, ainsi que le racisme, la discrimination et la misogynie, faisant partie intégrante du tissu de la société canadienne »Note de bas de page 12.
Chaque femme inuite mérite de vivre à l’abri de la menace et de la réalité de la violence. La police joue un rôle principal dans la promotion et le maintien de la sécurité publique. Dans l’Inuit Nunangat, le maintien de l’ordre est assuré par la Gendarmerie royale du Canada (GRC), à l’exception du Nunavik, qui est surveillé par le Corps de police régional Kativik (CPRK) depuis 1996.
Le principal objectif de ce rapport est d’aborder la question de l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites. Avant de poursuivre, cependant, il convient de mentionner certaines informations sociodémographiques de base sur les Inuits résidant dans l’Inuit Nunangat.
Données démographiques de base
L’Inuit Nunangat (la terre, l’eau et la glace habitées par les Inuits) comprend quatre régions : le Nunatsiavut (côte nord du Labrador), le Nunavik (nord du Québec), la région Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest) et le territoire du Nunavut (fondé en 1999). En 2016, il y avait 65 025 Inuits au Canada, dont 73 % vivaient dans l’Inuit Nunangat. Parmi ceux qui vivent dans l’Inuit Nunangat, 64 % vivaient au Nunavut, 25 % au Nunavik, 7 % dans la région Inuvialuit et 4 % dans le Nunatsiavut. Les Inuits représentent 5 % de la population autochtone du CanadaNote de bas de page 13.
- Répartition par âge :
- L’âge moyen de la population inuite est de 27,7 ans, beaucoup plus jeune que l’âge moyen de la population non autochtone (à 40,9 ans)Note de bas de page 14. [traduction] « Entre 2006 et 2016, la population inuite au Canada a augmenté à un rythme près de trois fois celui de la population canadienne totale (29 % contre 11 %). »Note de bas de page 15
- Langue :
- 64 % des Inuits de tous âges au Canada ont déclaré pouvoir parler suffisamment bien l’inuktut pour avoir une conversation; 45 % ont déclaré que l’inuktut était la langue la plus utilisée à la maisonNote de bas de page 16.
- Éducation :
- En 2016, seulement 45 % des Inuits au Canada ont déclaré détenir un diplôme d’études secondaires, comparativement à 86 % de la population non autochtoneNote de bas de page 17.
- Moyens de subsistance :
- Comme les autres peuples autochtones, les Inuits connaissent des taux d’emploi et de participation plus faibles sur le marché de l’emploi salarié, et un taux de chômage plus élevé que celui de la population non autochtoneNote de bas de page 18.
Selon l’Enquête auprès des peuples autochtones, en 2017, 52 % des Inuits âgés de 15 ans ou plus vivant dans l’Inuit Nunangat travaillaient pour un salaire; 79 % des personnes travaillant avaient un emploi permanent tandis que 24 % travaillaient à temps partiel (moins de 30 heures par semaine); 83 % des Inuits au chômage ont cité une « pénurie d’emplois » comme obstacle, tandis que près de la moitié (46 %) des Inuits qui travaillaient à temps partiel l’ont fait parce que le travail à temps plein n’était pas disponibleNote de bas de page 19.
Fait important, en 2017, la majorité (85 %) des Inuits âgés de 25 à 54 ans vivant dans l’Inuit Nunangat a participé à des activités terrestres (chasse, cueillette de plantes sauvages, confection de vêtements et de chaussures ou d’œuvres d’art), et la majorité a participé fréquemment à ces activités (par exemple, 46 % de ceux qui ont chassé, pêché ou piégé l’ont fait au moins quelques fois par semaine pendant la saison)Note de bas de page 20. Plus du quart (27 %) des Inuits participant à des activités terrestres le font pour compléter leur travail salariéNote de bas de page 21.
En 2015, le revenu médian des Inuits âgés de 15 ans et plus était de 23 485 $ comparativement à 92 011 $ pour les non-Autochtones de l’Inuit NunangatNote de bas de page 22.
Définir la question : placer la violence fondée sur le sexe dans le contexte colonial
Comme l’a souligné la commission d’Enquête nationale, la violence faite aux femmes autochtones est enracinée dans des facteurs systémiques qui font partie intégrante du tissu de la société canadienneNote de bas de page 23. Pour résoudre le problème de la violence fondée sur le sexe dans l’Inuit Nunungat, il faut donc situer la question dans son contexte social plus large. Pour comprendre pleinement ce contexte social, il est essentiel de reconnaître l’histoire des Inuits, leur culture et leurs façons d’être et la façon dont les rencontres avec les Qallunaat (non-Inuits) – y compris la police – sont devenues des facteurs décisifs pour préparer le terrain aux conditions contemporaines dans l’Inuit Nunangat et à la prévalence de la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites. La clé pour renverser cette trajectoire historique est de reconnaître le rôle du colonialisme.
Le colonialisme [traduction] « concerne avant tout l’expansion capitaliste, l’ouverture des régions frontalières… pour générer de l’industrie et du profit, en veillant à ce que ceux qui occupent ces territoires soient ramenés dans la logique de la culture colonisatrice ou supprimés afin qu’ils ne soient plus un obstacle à ce qu’on appelle le “progrès”. »Note de bas de page 24 Le colonialisme, cependant, [traduction] « a pris de nombreuses formes différentes et a engendré divers effets à travers le monde. »Note de bas de page 25
Au Canada, la colonisation des peuples autochtones s’est produite de différentes manières dans différentes régions, changeant souvent de forme au fil du temps. Au XVIIIe siècle, par exemple, les colonisateurs français ont établi la colonie de la Nouvelle-France (dans la région maintenant connue sous le nom de Québec), établissant une présence physique permanente. Bien que les Français aient perdu leur colonie après la conquête britannique en 1760, de nombreux colons français et leurs descendants sont restés. Durant cette période, les Britanniques étaient intéressés par l’’extraction des matières premières, en particulier des fourrures. Les colonies britanniques ont pris la forme de postes de traite. Avec le déclin du commerce des fourrures au milieu du XIXe siècle, les autorités britanniques ont commencé à définir le territoire qui allait devenir le Canada comme un endroit propice à une colonisation à grande échelleNote de bas de page 26. L’immigration de colons pour peupler les régions du sud s’ensuivit, annonçant une nouvelle forme coloniale, souvent appelée les « colonies de peuplement ».Note de bas de page 27 Lors de la Confédération en 1867, l’Ouest canadien a été ouvert à une colonisation à part entière et au développement capitaliste.
Bien que ce processus de colonisation ait eu des répercussions distinctes sur les peuples des Premières nations—en particulier avec l’adoption de la Loi sur les Indiens de 1876Note de bas de page 28 et le déplacement des peuples des Premières nations vers les réserves—l’expérience des Inuits du Nord a suivi une trajectoire historique différente. Plutôt que de voir le Nord pour ses possibilités de colonisation par les nouveaux arrivants,Note de bas de page 29 la rencontre coloniale avec les Inuits était davantage considérée en fonction du potentiel d’extraction des ressources et de l’établissement de la souveraineté canadienne sur le territoire. Plutôt que le « colonialisme de peuplement », le « colonialisme corporatif » capture donc plus justement les motifs économiques liés au développement et à l’expansion capitaliste dans le Nord canadienNote de bas de page 30. Néanmoins, les modes de vie et d’être des Inuits ont été dramatiquement perturbés alors que le colonialisme corporatif a pris racine et s’est développé dans le Nord.
Avant les premiers contacts
Avant l’arrivée des Qallunaat, les Inuits vivaient un mode de vie nomade, voyageant en petits groupes familiaux le long des routes migratoires traditionnelles en utilisant des chiens de traîneau (qimmiit) en hiver et à pied ou en petit bateau en été à la recherche de nourriture. Le régime alimentaire des Inuits se composait principalement de caribous, de poissons et de mammifères marins. Des technologies et des compétences uniques ont été développées pour survivre dans le climat rigoureux, notamment [traduction] « l’igloo, le kayak, le ulu (couteau de femme), le quilliq (petit poêle en pierre qui était leur seule source de chaleur et de lumière pendant le long hiver), des vêtements en fourrure et des harpons à tête détachable »Note de bas de page 31. Les familles inuites pendant cette période étaient autosuffisantes, car l’économie de la chasse de subsistance produisait de la nourriture, des vêtements, de la chaleur et de la lumière. Compte tenu des conditions climatiques défavorables, cependant, [traduction] « c’était une lutte continue pour garder la famille (et les chiens) au chaud et nourrie, ce qui nécessitait des déplacements constants vers les endroits où la vie animale était la plus abondante »Note de bas de page 32.
Comme dans la plupart des sociétés de chasse, une division sexuelle du travail distincte prévalait dans la société inuite traditionnelle. [traduction] « Le mari avait l’autorité principale à l’extérieur du foyer et avait la responsabilité d’être le principal fournisseur de nourriture, de fabriquer des outils et des armes, de construire des abris, de s’occuper des chiens et de veiller au bien-être général et à la sécurité de la famille. Il prenait la plupart des décisions concernant le moment et le lieu où la famille se déplacerait et le meilleur moment pour visiter le poste de traite. »Note de bas de page 33 Les épouses, en revanche, [traduction] « avaient l’autorité principale au sein du foyer »Note de bas de page 34. Comme l’observe Nancy Wachowich :
[traduction]
L’environnement arctique rigoureux couplé à la rareté du gibier ont fait des rôles des femmes une partie intégrante de l’économie traditionnelle et les ont rendus essentiels à la survie sur la terre. Même si les hommes avaient peut-être la tâche la plus vénérable de chasser et de fournir de la viande et des peaux au groupe, les femmes jouaient un rôle clé en cousant des vêtements en peau, en gardant la hutte de terre au chaud avec la lampe à huile de phoque, en rationnant la nourriture et en prenant soin des enfants, etc. La culture traditionnelle inuite était une culture fortement axée sur la ségrégation des sexes. Le travail était principalement divisé en tâches masculines et féminines et les conventions stipulaient que les hommes et les femmes qui n’étaient pas mariés ou apparentés communiquaient rarement entre eux. Au sein de l’unité du mariage, cependant, les hommes et les femmes étaient extrêmement interdépendants et partageaient souvent le travail, travaillant ensemble pour faire avancer les chosesNote de bas de page 35.
Le mode de subsistance pratiqué par les Inuits a produit une [traduction] « éthique hautement coopérative » dans laquelle [traduction] « la coutume de partager et de prendre soin les uns des autres était fermement ancrée, tout comme la discussion des problèmes en commun ». Même si des conflits existaient, [traduction] « au final, la coopération était dictée par la survie, l’objectif commun sur lequel la vie se fondait, jour après jour, hiver après hiver »Note de bas de page 36. À cet égard, la violence contre les femmes existait, par exemple, sous la forme d’hommes « disciplinant » leurs épouses, mais l’interdépendance étroite des rôles sexo-spécifiques entre mari et femme atténuait les manifestations de violence au sein de l’unité familiale. [traduction] « Le mariage n’était pas une option, mais une question de vie ou de mort, l’union d’un chasseur et d’une couturière. Aucun des deux ne pourrait vivre sans la contribution de l’autre. »Note de bas de page 37
La culture inuite était principalement fondée sur une base de connaissances du Qaujimajatuqangit (« ce que les Inuits ont toujours tenu pour être vrai »). C’est [traduction] « un cadre éthique et un plan détaillé pour mener une bonne vie. C’est une façon de penser, qui relie tous les aspects de la vie de manière cohérente. »Note de bas de page 38 Cette approche holistique s’articule autour de quatre lois culturelles principales ou maligarjuat (« les grandes choses qui doivent être suivies ») : travailler pour le bien commun et ne pas être motivé par l’intérêt ou le gain personnel; vivre dans des relations respectueuses avec chaque personne et chaque chose que l’on rencontre; maintenir l’harmonie et l’équilibre; et planifier et préparer l’avenirNote de bas de page 39. Comme l’expliquent Joe Karetak et Frank Tester : [traduction] « Pour les Inuits, le but ultime de devenir un être humain est d’être aussi capable que possible dans tous les domaines de la vie, mais aussi de connaître l’importance des relations respectueuses et de valoriser la confiance et le soutien envers les autres. »Note de bas de page 40 Karetak et Tester soulignent également que l’Inuit Qaujimajatuqangit est en contradiction avec les façons occidentales de savoir et d’être. La déconnexion entre les deux savoirs est devenue de plus en plus évidente avec le contact colonial, en particulier compte tenu de l’individualisme lié à la recherche du profit et à l’exploitation de la nature qui accompagnait le colonialisme corporatif.
Premiers contacts
Le contact colonial avec les qallunaat a commencé à avoir ses premiers effets réels sur les Inuits et leur mode de vie au milieu des années 1800 avec l’arrivée des baleiniers. Les baleiniers faisant la récolte dans les eaux au nord de Pond Inlet, par exemple, ont commencé à employer des familles inuites comme matelots saisonniers dans leurs stations baleinières. [traduction] « Les Inuits aidient à transporter des fournitures, effectuaient des tâches subalternes et fournissaient aux baleiniers de la viande, des vêtements en peau, entre autres, en échange de marchandises du Sud. »Note de bas de page 41 Par conséquent, des articles tels que des fusils, des munitions, des couteaux, des aiguilles à coudre, de la farine, du thé, du tabac et des pots en métal ont été introduits dans la culture inuite. De plus, le bois des navires a commencé à changer le style des traîneaux, des tentes et des huttes de terreNote de bas de page 42.
Au début des années 1900, l’industrie baleinière était en déclin, la baleine boréale ayant presque disparu des eaux arctiques. Des commerçants indépendants et des représentants de la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) ont remplacé les baleiniers, échangeant des produits manufacturés avec des Inuits en échange de fourrures de renard arctique, qui étaient très demandées en Europe. À la suite de cet engagement avec les commerçants qallunaat, l’économie inuite est passée de la chasse de subsistance à une séparation entre la chasse et le piégeage, ce qui signifiait que [traduction] « les longues routes migratoires traditionnelles ont été modifiées à mesure que les familles s’orientaient vers l’emplacement des sentiers de piégeage et des postes de traite. »Note de bas de page 43 Cela signifiait également que les Inuits étaient liés plus directement aux commerçants qallunaat dans la mesure où [traduction] « pour être équipé pour le piégeage et la survie de la famille durant la saison, un trappeur devait s’endetter pour obtenir les pièges, les armes à feu et les munitions, les tissus, les produits métalliques et la farine considérés comme des besoins essentiels. Cette dette était facilement transmise par le commerçant, en ce sens qu’elle liait le trappeur à son poste de traite et assurait la pleine réception par le commerçant de la fourrure d’animaux piégés. »Note de bas de page 44
Au cours des quatre décennies suivantes, les Inuits ont fini par dépendre du prix payé pour les peaux de renard arctique pour subvenir aux besoins essentiels de leur famille. Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, la demande de peaux de renard a chuté de façon spectaculaire. [traduction] « Les garnitures en fourrure de renard n’étaient plus à la mode et les matières synthétiques ont remplacé rapidement les fibres naturelles dans l’industrie du vêtement. »Note de bas de page 45 En conséquence, le prix des peaux de renard est tombé d’environ 25 $ en 1945 à 3,50 $ en 1949, pour remonter à environ 13 $ en 1952Note de bas de page 46.
Parallèlement, avec la concentration d’Inuits autour des postes de traite, les autres gibiers (comme le caribou) se sont raréfiés. Les Inuits traversant des périodes difficiles, le gouvernement a commencé à fournir une aide sociale pour éviter la famine. Toutefois, comme le souligne R.G. Williamson, la fourniture d’aide sociale par le gouvernement avait une signification spécifique dans la culture inuite, étant donné que [traduction] « le devoir moral du chasseur est d’essayer toutes les ressources nécessaires à la subsistance de la famille. »Note de bas de page 47 En ces termes :
[traduction]
Il n’y a aucune honte à fournir du poisson, du lièvre arctique ou même des lemmings tels qu’ils se présentent, et dans l’environnement plus vaste, dans lequel les personnes sont incluses, les offres des Blancs, telles que la dette à long terme ou les produits « d’aide sociale » du gouvernement, ne sont pas moins valables en tant que ressources que l’on a le devoir d’utiliser. D’autant plus que les « rations de bien-être » ne font pas partie de les tabous traditionnels contre la surexploitation qui protègent le gibier naturel, on peut et même devrait les invoquer dans toute la mesure du possibleNote de bas de page 48.
De l’avis du gouvernement, cependant, la remise de « cadeaux » n’était qu’une solution temporaire. En guise de réponse, l’administration du Nord a pris la décision en 1953 de déplacer les Inuits d’Inukjuak (Port Harrison) sur la côte est de la baie d’Hudson à Craig Harbour à la pointe sud de l’île d’Ellesmere et à Resolute Bay dans l’Extrême-Arctique. Comme le note Frank Tester, cette distance équivaut à un déplacement de Toronto (Ontario) à Miami (Floride)Note de bas de page 49. La justification officielle était que la zone offrait des ressources marines et terrestres que les Inuits pouvaient chasser et qu’ils ne dépendraient donc plus des « cadeaux » du gouvernement. Les Inuits [traduction] « ont reçu la promesse que s’ils n’aimaient pas leur nouvel emplacement, ils seraient renvoyés chez eux – cela ne s’est jamais produit. »Note de bas de page 50
Devenant de plus en plus dépendants des produits qallunaat, les Inuits ont commencé à déménager vers des peuplements côtiers où se trouvaient des missions anglicanes et catholiques et des postes de la CBH. Cependant, l’« humeur expansionniste » du gouvernement canadien dans les années 1950 était également importanteNote de bas de page 51. Le gouvernement fédéral a créé le ministère des Affaires du Nord et des Ressources naturelles en 1953, qui [traduction] « a créé une direction directement responsable du développement économique du Nord dans le vaste domaine des industries extractives »Note de bas de page 52. L’activité d’exploration minérale a commencé à augmenter dans l’Arctique, qui était considéré comme une « maison au trésor » contenant « de vastes richesses inexploitées »Note de bas de page 53. Comme l’affirme Williamson, [traduction] « la richesse minérale de l’Arctique était alors et demeure une puissante force de motivation dans la canadianisation du Nord »Note de bas de page 54.
La Seconde Guerre mondiale avait amené des milliers d’Américains à construire l’aérodrome de la baie Frobisher (actuellement Iqaluit). En 1954, poussée par les craintes de la guerre froide d’une invasion russe, l’armée américaine a commencé la construction du réseau d’alerte avancé (réseau DEW) – une série d’installations radar et de pistes d’atterrissage s’étendant le long de la côte continentale de l’Arctique. La construction du réseau DEW signifiait encore plus d’interaction avec les Qallunaat, car des milliers de militaires et d’ingénieurs civils ont été amenés à travailler sur le projet. [traduction] « De nombreux Inuits ont travaillé sur le projet en tant qu’ouvriers. Dans les camps de construction, ils ont découvert la nourriture, les toilettes à chasse d’eau, les dortoirs à ossature de bois et le chauffage central des Qallunaat. »Note de bas de page 55 Cependant, les Inuits étaient [traduction] « également exposés à l’alcool, à la violence et aux abus sexuels des femmes inuites dans des endroits comme la baie Frobisher (Iqaluit), où l’armée américaine exploitait une base aérienne depuis 1942. »Note de bas de page 56
Avec la pénurie de gibier, la baisse de la demande de peaux de renard arctique et la dépendance croissante à l’égard des produits qallunaat, de plus en plus d’Inuits ont été encouragés à s’installer dans des peuplements. Du point de vue du gouvernement, la réinstallation était considérée comme un moyen d’intégrer les Inuits dans le projet de modernisation du Nord. Étant donné que les Inuits ne pouvaient plus maintenir leur mode de vie traditionnel, ils devaient en quelque sorte être intégrés à l’économie salariale capitaliste.
Un autre facteur encourageant la relocalisation des familles inuites – et affectant gravement le mode de vie des Inuits – a été la décision du gouvernement de fournir une éducation aux enfants inuits au moyen des pensionnats. Bien que les églises anglicanes et catholiques aient été présentes dans l’Arctique dès 1894, les pensionnats indiens ont commencé à émerger dans les années 1920 avec l’ouverture d’une école catholique à Aklavik en 1925 et d’une école anglicane à Shingle Point dans le territoire du Yukon en 1929Note de bas de page 57. En 1949, le gouvernement a établi une politique visant à créer des écoles de jour fédérales. [traduction] « Même si les enfants inuits fréquentant les écoles de jour pouvaient techniquement rentrer chez eux et être avec leurs parents le soir et la fin de semaine, dans de nombreux cas, leurs parents restaient sur les terres. Pour cette raison, les écoles de jour exigeaient toujours que la plupart des enfants inuits vivent dans des pensions ou des foyers, et, par conséquent, cela supposait la séparation douloureuse et traumatisante des enfants de leurs parents. »Note de bas de page 58 En 1951, par exemple, l’Église catholique a ouvert une école financée par le gouvernement à Chesterfield Inlet qui était techniquement une école de jour fédérale, mais un établissement résidentiel y était rattaché. [traduction] « L’école est devenue une source de violence psychologique, physique et sexuelle contre les enfants inuits de l’est de l’Arctique. »Note de bas de page 59 En 1969, le ministère des Affaires du Nord et des Ressources naturelles avait établi un réseau d’écoles comprenant huit grandes résidences et une série d’une douzaine de foyers plus petits répartis dans tout le NordNote de bas de page 60.
Bien que le gouvernement ait été conscient de la déconnexion entre la vie inuite traditionnelle et l’économie capitaliste émergente, et qu’il ait pris des mesures pour modifier les conditions scolaires afin que les enfants puissent passer du temps avec leurs parents pendant la saison de chasse et de piégeage, l’intention derrière les écoles était, comme l’observe John Milloy, résolument assimilationnisteNote de bas de page 61. Milloy cite un examen des plans éducatifs effectué par le ministère en 1954, qui indiquait que les peuples autochtones de la région étaient [traduction] « presque toujours en mouvement », puis que [traduction] « le pensionnat est peut-être le moyen le plus efficace de donner aux enfants d’environnements primitifs une expérience éducative selon les principes de la civilisation menant à une formation professionnelle pour les adapter aux professions de l’économie de l’homme blanc. »Note de bas de page 62 Comme l’a indiqué la Commission de vérité et réconciliation :
La scolarisation entraîne des conséquences complexes sur la population inuite. Certains enfants, qui fréquentent une école située à des milliers de kilomètres de chez eux, ne voient pas leurs parents pendant des années. Dans d’autres cas, les parents, qui vivaient auparavant au rythme des saisons de chasse, de pêche et de cueillette, s’établissent petit à petit dans les localités où se trouvent les résidences pour éviter d’être séparés de leurs enfantsNote de bas de page 63.
De plus, le gouvernement fédéral avait mis en œuvre le programme national d’allocations familiales en 1945 pour aider les familles à subvenir aux besoins de leurs enfants. Les Inuits étaient admissibles à cette aide. Ils recevaient des crédits pour les magasins de la CBH qu’ils ne pouvaient échanger que pour certains articles figurant dans une liste approuvéeNote de bas de page 64. Cependant, [traduction] « l’utilisation des allocations familiales pour contraindre les familles à envoyer leurs enfants dans les pensionnats est devenue monnaie courante… Lorsque les enfants n’étaient pas envoyés à l’école, une famille basée sur les terres était menacée de ne plus recevoir les allocations. »Note de bas de page 65
À l’instar de l’expérience d’autres peuples autochtones, les pensionnats indiens ont créé un traumatisme intergénérationnel pour les familles inuites et ont déchiré le tissu du mode de vie inuitNote de bas de page 66. Comme Williamson l’explique [traduction] :
Les enfants étaient enlevés à contrecœur à leurs familles, souvent contre la volonté de leurs parents, et généralement ils étaient privés de leurs vêtements familiaux, se faisaient couper les cheveux de façon radicale, recevaient un numéro et un emplacement dans le dortoir, et n’avaient généralement pas le droit de parler l’inuktitut. Les punitions de toute infraction étaient souvent sévères (et terrifiantes pour les enfants d’une culture dans laquelle on n’utilisait jamais des cris ou des coups physiques à titre de discipline) et les employés et les enseignants des résidences condamnaient souvent carrément tous les autochtones comme des spécimens inférieurs de la création. Le programme scolaire excluait résolument toute référence à l’existence de leur culture, sans parler de sa valeur, et la croyance chrétienne quant à leur culpabilité innée leur était fortement imposée. Cela était fait parfois par des personnes qui en même temps les maltraitaient physiquement, psychologiquement et sexuellementNote de bas de page 67.
La vie dans les établissements
Alors que les Inuits étaient encouragés – et souvent contraints – à s’installer dans des établissements, les conditions auxquelles ils étaient confrontés étaient difficiles. Habitués à vivre dans des ilagiit nunagivaktangit beaucoup plus petitsNote de bas de page 68 de 40 à 50 personnes, les Inuits se retrouvent maintenant dans des communautés beaucoup plus grandes, allant de 250 à quelques milliers, avec des gens qu’ils ne connaissent plus intimement et qui parlent souvent différents dialectes inuktutNote de bas de page 69.
Le gouvernement a fourni de petites maisons « boîtes d’allumettes » aux familles inuites. Les maisons [traduction] « étaient construites dans un style de tente d’une seule unité et fabriquées à partir de matériaux de rebut provenant des palettes d’approvisionnement et des matériaux d’emballage des nouveaux arrivants. Elles étaient froides (et insuffisamment isolées avec du papier ou du carton, généralement), vraiment surpeuplées et dépourvues de tout approvisionnement organisé en eau ou d’élimination des déchets. »Note de bas de page 70 De plus, en raison de leur installation dans les établissements, les familles sont devenues moins capables de chasser. Étant donné que l’emplacement des établissements était déterminé par les Qallunaat (Iqaluit, par exemple, a été choisi pour sa proximité avec le terrain d’aviation de la baie Frobisher), l’accès aux routes migratoires du caribou et d’autres gibiers était problématique. Attirés dans le cycle de travail occasionnel (et l’économie monétaire) des établissements, les attelages de chiens inuits se promenaient en liberté et cherchaient eux-mêmes leur nourriture – et ils étaient souvent abattus par les agents de contrôle locaux. Les familles qui avaient traditionnellement recours à un régime de « nourriture traditionnelle » (viande de phoque, muktuk, viande de caribou, poisson) sont devenues dépendantes des produits moins bons pour la santé du magasin de la CompagnieNote de bas de page 71.
Les conditions des logements surpeuplés et la mauvaise alimentation étaient [traduction] « une recette pour le rhume, la grippe, la diarrhée, la dysenterie et une longue liste d’autres maladies infectieuses »Note de bas de page 72. Avant les premiers contacts coloniaux, les Inuits étaient [traduction] « quasiment à l’abri des contagions qui ratissaient le reste du monde, leur habitat étant si éloigné »Note de bas de page 73. Cependant, lorsque les premiers navires baleiniers sont arrivés, apportant avec eux des infections comme la grippe et la rougeole, les conséquences étaient souvent létales. Comme le note la commission d’Enquête nationale, [traduction] « comme d’autres interventions, la prestation des soins de santé par le gouvernement était un aspect de la colonisation. » La réponse du gouvernement aux épidémies de tuberculose est un exemple notoire de [traduction] « système imposé de l’extérieur qui a provoqué des souffrances sociales extrêmes »Note de bas de page 74.
Lorsqu’une épidémie de tuberculose a éclaté à la fin des années 1940 et au début des années 1950, la réponse du gouvernement a été d’envoyer les personnes affectées dans le Sud pour être traitées dans des sanatoriums, ce qui a perturbé la vie des Inuits et a généré d’autres traumatismes. Avant que l’épidémie ne soit maîtrisée au milieu des années 1960, environ un tiers de la population inuite avait passé du temps dans les sanatoriums du sudNote de bas de page 75. Comme l’explique Williamson [traduction] : « Parfois, des années passaient, sans nouvelles. Certaines personnes n’ont jamais su où ni quand leur parent était décédé. Parfois, des personnes présumées mortes rentraient chez elles et retrouvaient leur conjoint remarié. Les enfants en bas âge emmenés à l’extérieur revenaient dans le Nord, totalement incapables de se lier avec leurs familles et leur culture devenues étrangères. »Note de bas de page 76 L’épidémie de tuberculose, comme l’expérience des pensionnats indiens, [traduction] « a contribué à la perte de la langue chez les jeunes envoyés dans le sud pour se faire soigner; a perturbé la vie de famille et les normes culturelles permettant aux communautés de fonctionner et a empêché de nombreuses personnes de poursuivre les activités terrestres sur lesquelles repose la culture inuite. »Note de bas de page 77
Au fur et à mesure que les établissements se développaient, le recours antérieur à la chasse et au piégeage de subsistance était remplacé par une concentration sur le travail salarié. Les rôles traditionnels des hommes et des femmes ont été perturbés en conséquence. Le rôle traditionnel des hommes en tant que pourvoyeur de la famille par la chasse a été affecté (en particulier avec la perte de leurs chiens de traîneau), tandis que les femmes [traduction] « n’étaient plus responsables d’habiller la famille avec des peaux ou de s’occuper du qullik, la lampe à huile de phoque »Note de bas de page 78. La réinstallation a donc [traduction] « rompu l’équilibre relatif entre “le foyer et la chasse” ».Note de bas de page 79 En outre, [traduction] « les valeurs et les modes de vie du Sud sont devenus de plus en plus populaires avec l’introduction de la télévision, le programme d’études du Sud enseigné dans les écoles et les attitudes et comportements de nombreux non-autochtones dans l’établissement. »Note de bas de page 80
La réinstallation dans les établissements [traduction] « a donc apporté des changements massifs à la vie économique, politique et sociale des Inuits. Cela a entraîné une réduction drastique de l’autonomie et de l’autodétermination des Inuits, car le pouvoir du gouvernement était plus fermement établi dans les établissements que dans les camps. »Note de bas de page 81 De même, la réinstallation [traduction] « a provoqué un déclin des systèmes de leadership et d’autorité des Inuits, car les méthodes traditionnelles de contrôle social ont perdu de leur efficacité. »Note de bas de page 82
Le rôle de la GRC dans la rencontre coloniale
La force de police nationale du Canada a vu le jour en 1873 avec la création de la Police à cheval du Nord-Ouest (PCN-O). La PCN-O était initialement chargée d’assurer la souveraineté du Canada dans l’Ouest en prévision de l’arrivée des colons. Les forces de police se sont étendues au Nord avec la ruée vers l’or du Klondike en 1896. Après la ruée vers l’or, l’autorité de cette police a été étendue plus au nord avec la création du premier poste de police de l’Arctique à Fort McPherson en 1903. Les forces de police ont reçu le titre « Royal » en 1904 et, en 1920, la Royale gendarmerie à cheval du Nord-Ouest (RGCNO) a fusionné avec la Police fédérale pour former la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Comme d’autres forces de police frontalières, le rôle principal de la PCN-O était [traduction] « d’assurer la soumission des peuples autochtones à la domination coloniale »Note de bas de page 83. Cependant, comme le soulignent Amanda Nettelbeck et Russell Smandych, des sociétés coloniales telles que le Canada et l’Australie ont développé des « récits fondateurs » particuliers sur leurs histoires de colonisation européenne, y compris sur le rôle des forces de police frontalières dans la gestion et le confinement des populations autochtonesNote de bas de page 84. Une caractéristique distincte de notre imaginaire collectif – notre perception de qui nous sommes en tant que nation – est que le Canada est l’un des rares pays au monde à revendiquer un service de police comme symbole national. Comme l’a déclaré un jour le journaliste Peter C. Newman [traduction] : « Dans le cas du Canada, la gendarmerie symbolise non seulement la loi et l’ordre, mais le Canada lui-même. »Note de bas de page 85 Les agents de la GRC sont tellement identifiés avec l’intérêt national que toute critique à l’égard des services de police s’apparente à un acte antipatriotique.
Comme le fait remarquer Sherene Razack, [traduction] : « les mythologies nationales des sociétés de colons blancs sont des histoires profondément racialisées »Note de bas de page 86. Par exemple, l’un des éléments durables du récit fondateur du Canada est que les explorateurs et les colons sont arrivés d’Europe sur une terra nullius, une « terre vide », qui pouvait être revendiquée et utilisée à leurs propres fins. Dans ce récit eurocentrique, les premiers habitants du pays étaient décrits comme des « sauvages » ayant besoin des influences civilisatrices des nouveaux venus européens. Il manque à ce récit toute reconnaissance du commerce et des échanges commerciaux sophistiqués, ainsi que des coutumes et traditions pratiquées par les peuples autochtones qui peuplaient l’espace maintenant connu sous le nom de Canada. Comme le soulignent les commissaires de l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les peuples autochtones (EPAJPA), Alvin Hamilton et Murray Sinclair, concernant les Premières nations [traduction] : « Avant l’arrivée des Européens, les peuples autochtones avaient leurs propres lois et pratiques coutumières pour maintenir la paix et la stabilité au sein de leurs communautés, y compris le recours à la force et à l’ostracisme pour faire respecter les normes sociales et le rôle des aînés dans l’application de ces normes. »Note de bas de page 87
La Commission de vérité de Qikiqtani (CVQ) fait un point similaire concernant l’arrivée de la GRC dans l’Inuit Nunangat [traduction] : « La GRC n’a pas apporté des services de police et la justice dans l’Arctique – ils étaient déjà là. »Note de bas de page 88 Sur la base des connaissances transmises de génération en génération, les Inuits avaient leurs propres moyens de rendre la justice et d’assurer le respect du Qaujimajatuqangit. Contrairement au droit euro-canadien, avec son accent personnalisé sur l’infraction commise et la punition appropriée du contrevenant, le droit coutumier inuit visait à garantir que [traduction] « la communauté retrouve un état d’harmonie, de paix et d’équilibre »Note de bas de page 89. Par conséquent,
Les antécédents du délinquant, les détails entourant l’incident particulier et la quantité de dommages infligés à la victime jouaient tous un rôle important dans la détermination d’une peine appropriée. Les personnes qui étaient considérées comme étant d’une importance particulière pour le bien-être de la communauté, comme un chasseur principal, pouvaient être traités avec plus de clémence. Cela s’explique par la conviction que l’imposition d’une peine plus importante ne serait pas dans le meilleur intérêt de la communautéNote de bas de page 90.
Étant donné la forte interdépendance entre les Inuits et l’environnement hostile dans lequel ils vivaient, la maîtrise de soi était primordiale, [traduction] « car des décisions ou des actions imprudentes pouvaient mettre en danger la communauté tout entière. »Note de bas de page 91 La vie commune dans un espace restreint faisait aussi en sorte que les membres du groupe avaient des contacts fréquents les uns avec les autres. Ainsi, les mécanismes informels de contrôle social tels que les ragots, l’humiliation ou l’embarras, le ridicule et l’ostracisme social se révélaient être des mesures efficaces pour faire face aux comportements problématiquesNote de bas de page 92.
L’humilité était considérée comme un moyen positif de minimiser les conflits directs. Si les problèmes persistaient, les chefs ou les chamans (appelés angakkuit en inuktitut) pouvaient les aborder individuellement ou pendant les fêtes ou les rites religieux, et inviter les personnes impliquées à se réconcilier avec la communauté. Dans certains endroits, la résolution des conflits pouvait également se faire au moyen d’un duel de chant (iniutit), ou de défis physiques, où les opposants se frappaient à tour de rôle (tigutijut). Le bannissement et l’exécution étaient rares, se produisant presque toujours dans des situations où une personne était jugée trop dangereuseNote de bas de page 93.
Dans le cas de la violence familiale, des contrôles sociaux informels étaient appliqués contre les maris qui blessaient leurs femmes. [traduction] « Le mari devait changer ou partir. »Note de bas de page 94
Cependant, les méthodes inuites pour rendre la justice et assurer la conformité ont été sapées une fois que les Inuits ont commencé à interagir avec les Qallunaat et à vivre parmi eux. À cet égard, la GRC [traduction] « a joué un rôle important dans l’établissement de l’autorité de l’État canadien sur la société inuite et ses revendications de souveraineté de l’Arctique dans l’Inuit Nunangat »Note de bas de page 95.
Compte tenu des pressions accrues pour établir la souveraineté canadienne dans le Nord, des détachements de la GRC ont été créés dans les années 1920. Officiellement, leur rôle consistait à faire respecter la loi, mais ils participaient également à [traduction] « la perception des taxes et des droits, la livraison du courrier et la distribution de fournitures de premiers soins et d’autres produits de première nécessité auprès des Inuits et des commerçants »Note de bas de page 96. Tandis qu’ils passaient la plupart de leur temps au détachement, les agents effectuaient également des patrouilles en qimmiit (chiens de traîneau). Étant donné que les recrues étaient envoyées dans le Nord en n’ayant reçu pratiquement aucune formation sur la survie, la navigation et les déplacements dans le Nord, elles devaient compter fortement sur les Inuits pour les maintenir en vie.
Initialement, la GRC assumait le rôle de bienfaiteurs et de protecteurs des Inuits – en fournissant de l’aide pour les urgences médicales, en venant chercher des personnes pour des examens médicaux, en vaccinant les qimmiit et en enregistrant les naissances et les adoptionsNote de bas de page 97. Mais, au fil du temps, alors que de plus en plus de Qallunaat ont commencé à peupler le Nord, la GRC a assumé un rôle de maintien de l’ordre entre les Qallunaat et les Inuits. L’une des préoccupations, par exemple, était l’exploitation sexuelle des femmes inuites par les employés du réseau DEW et le personnel militaire dans les années 1950Note de bas de page 98.
Cependant, la GRC a également participé activement à l’instauration du colonialisme corporatif dans le Nord et a veillé à ce que les Inuits respectent le nouveau régime. Au cours des années 1950, par exemple, la GRC a joué un rôle essentiel dans la réinstallation des familles inuites dans les établissements, notamment en [traduction] « choisissant les familles qui déménageraient, en choisissant leurs destinations, en les rassemblant pour le déménagement, en les accompagnant, en leur achetant des biens et même en gérant de l’argent en leur nom. »Note de bas de page 99 La GRC a également contribué à assurer la scolarisation des enfants inuits. [traduction] « Si les parents n’emmenaient pas volontairement leurs enfants dans l’établissement à la fin de l’été pour qu’ils fréquentent l’école pendant l’année, les responsables de l’école et la GRC se rendraient dans les différents camps en bateau pour aller chercher les enfants. »Note de bas de page 100 De plus, des agents de la GRC ont été chargés de faire respecter les lois coloniales, notamment celles relatives à la chasse au gibier et aux chiens. La vie dans les établissements a également exposé les Inuits à la disponibilité de l’alcool – et aux infractions de l’ordonnance sur l’alcool.
Les lois sur le gibier du Conseil des Territoires du Nord-Ouest de 1949 imposaient aux Inuits de sérieuses restrictions concernant la chasse. De telles lois, [traduction] « surtout lorsqu’elles s’appliquaient aux Inuits, n’avaient presque aucun sens dans le contexte de l’Arctique. »Note de bas de page 101 Comme l’explique Tester, la loi [traduction] « limitait le nombre de caribous pouvant être pris par une personne titulaire d’un permis de chasse à cinq par an. Aucune famille vivant sur les terres ne pourrait survivre pendant un mois – et encore moins un an – avec cinq caribous. »Note de bas de page 102 De l’avis de Tester, la loi et son application étaient [traduction] « coloniales, racistes et punitives, et c’était une recette pour la famine »Note de bas de page 103.
Les chiens de traîneau étaient une partie essentielle de la vie des Inuits, surtout comme mode de déplacement pour la chasse. Cependant, avec l’installation dans les établissements, les façons traditionnelles inuites de gérer les chiens entraient en conflit avec le nouvel ordre colonial.
Les Inuits recevaient l’ordre d’attacher leurs chiens par des agents de la GRC qui ne parlaient pas l’inuktitut. Cela signifiait avoir de l’argent pour acheter une chaîne, ce qui n’était pas souvent pas en stock dans les magasins de la CBH. Cela signifiait également devoir trouver de la nourriture pour les chiens habitués à marauder lorsque les Inuits vivaient dans des camps sur les terres. Les Inuits n’aimaient pas à les enchaîner. En même temps, les chiens errants, fermement attachés aux adultes et aux familles dans les petits camps de chasse, constituaient souvent un danger pour les jeunes enfants avec lesquels ils n’avaient aucune expérience dans les communautés où vivaient désormais les InuitsNote de bas de page 104.
En vertu de l’Ordonnance sur les chiens des Territoires du Nord-Ouest, les agents de la GRC avaient le pouvoir de détruire tous les chiens qu’ils considéraient comme [traduction] « laissés en liberté ou contraires aux dispositions de cette ordonnance »Note de bas de page 105. Une enquête de la GRC en 2005 a révélé que quelque 20 000 chiens avaient été tués entre 1950 et 1970Note de bas de page 106. Des fusillades massives de chiens – dans certains cas, plus de 250 animaux – ont eu lieu à plusieurs reprises. Comme l’indique le rapport de la Qikiqtani Truth Commission (QTC) sur les tueries de chiens par la GRC, 200 chiens représentaient de 14 à 25 équipes, ce qui pourrait soutenir la chasse de 70 à 100 personnesNote de bas de page 107. La QTC note également que [traduction] « pour de nombreux Inuits, les agents de la GRC qui tiraient sur des chiens étaient représentatifs de leur manque de respect plus général envers les Inuits. »Note de bas de page 108
Dans les années 1960, bon nombre des tâches historiquement attribuées à la GRC avaient été reprises par des fonctionnairesNote de bas de page 109. Par la suite, le rôle de la GRC est passé de « bienfaiteur et protecteur » à des services de police plus conventionnels comme ceux offerts dans le Sud. Le rapport de la QTC note que cette transition vers l’application de la loi a créé de la confusion, car il n’y avait pas de forum permettant aux Inuits d’avoir une voix ou même de connaître leurs droits légaux concernant [traduction] « les cas d’arrestation arbitraire, de saisie de biens ou de parjure »Note de bas de page 110. La différence linquigistique compliquait davantage les choses. Peu d’agents de la GRC parlaient l’inuktut et certains mots anglais, comme « coupable », n’avaient pas d’équivalent en inuktutNote de bas de page 111. Comme le souligne le rapport de la QTC, [traduction] « pendant toute cette période, les Inuits n’ont jamais eu l’occasion d’adapter leurs propres croyances et structures sociales et culturelles au nouveau système… il leur a simplement été “greffé”. »Note de bas de page 112 Par conséquent,
L’accent mis sur l’application des lois, sans les avantages d’un système de justice complet composé de tribunaux, d’avocats, d’interprètes et de lois adoptées par les personnes les plus touchées, signifiait que de nombreux Inuits étaient encore plus susceptibles de considérer la GRC comme des figures d’autorité menaçantes, une dynamique de pouvoir qui imprègne les relations entre les Inuits et la GRC depuis lorsNote de bas de page 113.
La situation actuelle
Le colonialisme corporatif a continué de progresser dans les années 1970, avec des sociétés pétrolières, gazières et minérales installées dans l’Inuit Nunangat pour développer des mégaprojets visant l’extraction des ressources naturelles. Préoccupés par les répercussions sur l’économie de la chasse et par l’exclusion des Inuits de tout avantage économique, les Inuits se sont organisés pour affirmer leur droit d’influencer la prise de décision et les négociations entourant ces projets. Plusieurs ententes sur les revendications territoriales ont ainsi été réglées : la Convention de la Baie-James et du Nord québécois,(1975); la Convention définitive des Inuvialuit (1984); l’Accord définitif du Nunavut (1993); et l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador (2005). Selon Peter Kulchyski et Warren Bernauer, [traduction] « les traités modernes peuvent être qualifiés d’outils de dépossession, car ils impliquent des sociétés autochtones qui perdent le contrôle juridique de la grande majorité de leur territoire »Note de bas de page 114. En ces termes, de tels traités [traduction] « sont des mécanismes fondamentaux par lesquels l’impérialisme capitaliste opère dans le Nord autochtone du Canada aujourd’hui »Note de bas de page 115.
D’autres événements des années 1970 et 1980 ont eu des répercussions décisives sur la capacité des Inuits de subvenir aux besoins de leur famille de façon traditionnelle. En 1976, Greenpeace a lancé une campagne pour s’opposer à la chasse au phoque du Groenland au large de Terre-Neuve. La campagne a eu un effet dévastateur sur la chasse au phoque des Inuits, malgré les différences importantes entre les deux chasses. [traduction] « Les Inuits payaient leurs petites chasses avec les ventes très limitées des quelques peaux de phoque excédentaires qu’ils conservaient pour le commerce plutôt que pour les vêtements. La plupart des peaux étaient utilisées pour les vêtements et la viande était un élément important et sain du régime alimentaire familial. »Note de bas de page 116 La campagne a entraîné une baisse du prix des peaux échangées par les Inuits, passant de 23 $ à 4 $, [traduction] « anéantissant une activité de subsistance qui leur permettait d’avoir un revenu et de chasser le phoque et de fournir aux familles inuites de la viande de phoque, une partie importante de leur régime alimentaire. »Note de bas de page 117 Malgré de tels revers, la chasse à la nourriture traditionnelle est restée une composante importante de la vie des Inuits.
La réinstallation des familles inuites dans les établissements a été achevée au milieu des années 1970. En quelques décennies, les Inuits ont subi une transformation dramatique de leur vie et de leurs moyens de subsistance – une transformation orchestrée par des forces coloniales largement indépendantes de leur volonté. Sans surprise, les problèmes sociaux et économiques continuent de tourmenter les familles inuites alors qu’elles s’efforcent de gérer les effets profonds que le colonialisme a imposés sur leurs façons d’être et de vivre.
Les mauvaises conditions de vie font partie de ces problèmes. Tout comme le logement était inadéquat au cours des premières années de l’établissement, une crise du logement continue de toucher les familles inuites. Selon le recensement de 2016, 31,5 % des Inuits de l’Inuit Nunangat, comparativement à seulement 6 % des Canadiens non autochtones, vivent dans des logements qui ont besoin de réparations majeures. Plus de la moitié (52 %) des Inuits de l’Inuit Nunangat vivent dans des logements surpeuplés, une situation qui ne se produit que pour 3 % des autres CanadiensNote de bas de page 118. Les logements sociaux représentent la moitié des logements disponibles au Nunavut; 1 Nunavummiut sur 10 est sur une liste d’attente pour un logement publicNote de bas de page 119.
Les familles inuites sont également plus susceptibles de souffrir d’insécurité alimentaire. Bien que 92 % de tous les ménages canadiens bénéficient de la sécurité alimentaire, seulement 30 % des ménages du Nunavut sont à l’abri de l’insécurité alimentaireNote de bas de page 120. L’un des facteurs est le coût élevé des marchandises dans le Nord. [traduction] « Selon le Panier de provisions nordique, il en coûte de 260 $ à 450 $ par semaine pour offrir une alimentation saine à une famille de quatre personnes vivant dans les régions du Nord, alors que le même panier de provisions coûterait 200 $ à 250 $ dans le sud du Canada. »Note de bas de page 121
Un autre effet profond de la rencontre coloniale a été le changement dans les relations entre les hommes et les femmes inuits. L’économie de la chasse traditionnelle nécessitait une division sexuelle du travail étroitement intégrée avec des rôles distincts selon le sexe, mais cruciaux : les maris en tant que pourvoyeurs économiques et les épouses en tant que piliers domestiques. Les valeurs de coopération, de partage et de réciprocité ainsi qu’une éthique de l’égalitarisme prédominaient – les familles inuites travaillaient ensemble pour le bien communNote de bas de page 122. Ces rôles – et l’équilibre entre ces rôles – ont été ébranlés par la réinstallation dans les établissements permanents, car les maris se heurtaient à des obstacles croissants pour utiliser les méthodes traditionnelles de récolte des aliments. Alors que de nombreux hommes occupaient des emplois salariés dans les établissements avec l’intention d’alterner avec des périodes de chasse, les nouvelles technologies – les canoës et les motoneiges motorisés à essence – étaient extrêmement coûteuses à acquérir et à entretenir. De plus, bon nombre des emplois les mieux rémunérés [traduction] « avaient tendance à être confiés aux canadiens blancs du “Sud”, qui avaient une éducation et une formation plus formelles. »Note de bas de page 123
Le rôle et la position des femmes au sein de la famille sont également affectés. À la fin des années 1990, de nombreuses femmes inuites travaillaient à l’extérieur du domicile dans un emploi rémunéré. Dans certains cas, elles assumaient le rôle de principal pourvoyeur économique pour la familleNote de bas de page 124. [traduction] « Perçues par les responsables gouvernementaux comme étant peut-être plus sédentaires, peut-être plus “responsables” que leurs homologues masculins, les femmes étaient souvent jugées moins susceptibles de quitter un emploi pour des excursions de chasse sur les terres. Au fur et à mesure que ce prototype prenait forme, les femmes sont devenues des salariées stables pour leur famille et sont venues occuper bon nombre des postes importants de la ville. »Note de bas de page 125
Néanmoins, très peu de femmes inuites sont employées dans les industries extractives du colonialisme corporatif : moins de 2,5 % des femmes inuites employées sont dans les métiers et seulement 0,3 % sont dans la production de ressources naturellesNote de bas de page 126. La majorité des femmes inuites travaillent dans le secteur public et sont moins susceptibles que les hommes d’occuper des postes de direction. Pour cette raison, les femmes inuites gagnent moins que les hommes inuits, même si elles ont tendance à avoir un niveau de scolarité plus élevéNote de bas de page 127.
Bien qu’elles soient exclues de la participation aux industries d’extraction des ressources, les femmes inuites sont toujours affectées par leur présence. La commission d’Enquête nationale a entendu des témoignages et des preuves selon lesquels, en raison de problèmes liés aux travailleurs temporaires et à la toxicomanie et aux dépendances, [traduction] « les projets d’extraction de ressources peuvent entraîner une augmentation de la violence contre les femmes autochtones de la part d’hommes non autochtones, ainsi qu’une augmentation de la violence au sein des communautés autochtones. »Note de bas de page 128
L’établissement a sans doute été plus perturbateur pour les hommes inuits que pour les femmes, étant donné que [traduction] « le rôle principal des hommes en tant que chasseur et pourvoyeur a été sévèrement restreint… tandis que les rôles des femmes dans le ménage et dans l’éducation des enfants ont continué. »Note de bas de page 129 Les familles qui ne pouvait pas accéder à un emploi rémunéré devaient compter sur l’aide du gouvernement pour s’en sortir. Par exemple, environ 42 % des Nunavummiut dépendent de l’aide sociale pour subvenir à leurs besoins essentielsNote de bas de page 130. En ces termes, [traduction] « la dépendance à l’égard des paiements de transfert du gouvernement a remplacé l’autosuffisance économique [des temps anciens]… qui a contribué à l’érosion du rôle masculin et à un régime de genre déséquilibré »Note de bas de page 131.
Le changement dans les rôles de l’homme et de la femme qui a accompagné la rencontre coloniale est un facteur dans la génération de traumatismes vécue par les Inuits – un traumatisme qui s’est manifesté sous la forme de taux élevés d’abus d’alcool et de drogues, de suicide et de violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites.
L’« expérience vécue » du traumatisme colonial
Le traumatisme a été généralement compris en termes individualisés, en particulier avec l’acceptation croissante du trouble de stress post-traumatique (TSPT) comme un moyen de définir le traumatisme et ses effets. Néanmoins, le TSPT établit le traumatisme comme une réponse psychologique à une expérience profondément pénible ou dérangeante; en bref, comme une maladie psychologique ou un trouble mental. Selon cette formulation, les processus systémiques qui génèrent un traumatisme et ses contextes sociaux se perdent de vue. C’est particulièrement le cas pour comprendre comment le traumatisme colonial a fait son chemin dans la vie des peuples autochtones.
Les répercussions continues du colonialisme ont conduit à ce que Judy Atkinson appelle des « trauma trails » (des sentiers de traumatisme)Note de bas de page 132. Examinant le cas de la population indigène d’Australie (et en rapport direct avec l’expérience canadienne), Atkinson indique ce qui suit [traduction] : « Les épidémies à grande échelle, les massacres, le déplacement de populations entières vers des camps de détention appelés réserves, le déplacement d’enfants, la séparation des groupes familiaux, le génocide physique et culturel – ces couches ont formé des répercussions traumatisantes au fil des générations. »Note de bas de page 133 Les sentiers de traumatisme tracés par le colonialisme ont perturbé et restructuré les relations entre hommes et femmes autochtones, et entre parents et enfants, avec des répercussions intergénérationnelles. [traduction] « Lorsque la violence physique, structurelle ou psychologique est utilisée pour atteindre l’objectif de domination », écrit Atkinson, [traduction] « les résultats peuvent non seulement produire un traumatisme aigu, mais peuvent mettre en place des conditions chroniques de victimisation et de traumatisation continues à différents niveaux, aggravant la traumatisation à travers les générations. »Note de bas de page 134 En ces termes, le traumatisme du colonialisme et les sentiers tracés dans le processus modifient la vie et les conditions non seulement des personnes, mais des familles et des communautés entières.
Plutôt qu’une maladie psychologique ou un trouble mental, le fait de définir le traumatisme comme une « expérience vécue » reconnaît donc les conditions historiques et sociales particulières dans lesquelles les personnes vivent leur vieNote de bas de page 135. C’est particulièrement le cas lorsque le traumatisme devient intergénérationnel, comme c’est le cas pour les Inuits en raison de pratiques coloniales telles que le système des pensionnats et la réinstallation dans des établissements permanents. Les manifestations contemporaines de l’expérience vécue du traumatisme abondent dans les communautés inuites.
Une manifestation du traumatisme est la prévalence de l’abus d’alcool et de drogues. Janet Billson, par exemple, note que [traduction] « les taux d’abus d’alcool et de drogues ont monté en flèche dans les communautés de Baffin depuis la réinstallation »Note de bas de page 136. Selon l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2012, 35 % des femmes inuites et 41 % des hommes inuits ont déclaré consommer beaucoup d’alcool (avoir consommé au moins 5 verres en une seule occasion au cours d’un mois)Note de bas de page 137. Le plus souvent, se tourner vers l’alcool et les drogues est une stratégie d’adaptation pour faire face à une détresse profonde. Comme l’observe Gabor Maté, un médecin dont le travail dans le quartier Vancouver Downtown Eastside l’a amené à [traduction] « des contacts directs avec la toxicomanie », [traduction] « toutes les dépendances ont toujours pour origine la douleur, qu’elles soient ressenties ouvertement ou cachées dans l’inconscient. Ce sont des anesthésiants émotionnels. »Note de bas de page 138 Suivant l’exemple de Maté, la question à se poser n’est pas « pourquoi la dépendance? », mais « pourquoi la douleur? » S’exprimant sur les taux élevés d’abus d’alcool et de drogues dans les communautés autochtones du Manitoba, les commissaires de la Commission de mise en œuvre des recommandations sur la justice autochtone Hamilton et Sinclair ont affirmé ce qui suit [traduction] : « En fin de compte, il faut reconnaître que la présence et l’influence de l’alcoolisme et de la toxicomanie dans les collectivités autochtones et parmi les Autochtones reflètent directement la nature et le niveau de désespoir qui imprègne cette population. »Note de bas de page 139 Pour les Inuits, comme pour les autres peuples autochtones, la douleur et le désespoir ont été provoqués par le colonialisme et ses sentiers de traumatisme.
Une autre manifestation de traumatisme est la crise suicidaire. Les quatre régions de l’Inuit Nunangat ont des taux de suicide de 5 à 25 fois supérieurs à ceux du Canada dans son ensembleNote de bas de page 140. L’Enquête sur la santé des Inuits de 2007-2008 a révélé que 48 % des Inuits interrogés ont déclaré avoir eu des pensées suicidaires à un moment donné de leur vie; 14 % au cours des 12 derniers moisNote de bas de page 141. Vingt-neuf pour cent (29 %) (31 % de femmes et 25 % d’hommes) ont déclaré avoir tenté de se suicider à un moment donné de leur vie; 5 % au cours des 12 derniers moisNote de bas de page 142. Le taux de suicide chez les enfants inuits est 30 fois supérieur à celui des enfants dans le reste du CanadaNote de bas de page 143. Janet Billson et Kyra Mancini notent que même si l’abus d’alcool et de drogues peut être un facteur dans les taux élevés de suicide chez les jeunes, une explication plus solide est leur marginalisation et leur exclusion socialeNote de bas de page 144. Louis-Jacques Dorais l’exprime en ces termes [traduction] : « Pris entre la vie sur les terres, sur lesquelles ils n’en savent pas assez, et le marché du travail moderne, dont les portes semblent peu disposées à s’ouvrir à eux, de nombreux jeunes ont développé le sentiment d’être totalement inutile. »Note de bas de page 145
Une autre manifestation importante de l’expérience vécue d’un traumatisme est l’omniprésence de la violence contre les femmes inuites. Comme cela a été indiqué au début du présent rapport, la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites est un problème d’une ampleur considérable. L’Enquête sur la santé des Inuits de 2007-2008 a révélé que plus de la moitié (52 %) des femmes inuites du Nunavut ont déclaré avoir subi de graves abus sexuels pendant l’enfanceNote de bas de page 146. Plus du quart (27 %) des femmes inuites ont déclaré avoir subi des violences sexuelles à l’âge adulteNote de bas de page 147. Les répercussions intergénérationnelles de l’exposition à la violence familiale sont également évidentes dans la recherche. Un rapport du ministère de la Justice sur la violence familiale et les agressions sexuelles mené dans les Territoires du Nord-Ouest, au Yukon et au Nunavut a révélé que près des deux tiers (66 %) des auteurs d’agression sexuelle et plus des trois quarts (77 %) des auteurs de violence familiale avaient des antécédents d’abusNote de bas de page 148.
Larry Chartrand et Celeste McKay notent ce qui suit [traduction] : « Les explications de ces taux élevés de victimisation sont variées, mais le point de vue prédominant établit un lien entre la forte victimisation et l’incidence globale de la colonisation et le “traumatisme” collectif et individuel qui en résulte et ses effets qui découlent de la perturbation culturelle. »Note de bas de page 149 Phil Lane et ses collègues établissent également le lien entre l’expérience vécue du traumatisme et la violence entre partenaires intimes :
[traduction]
La violence familiale et les mauvais traitements sont presque toujours liés au traumatisme de plusieurs manières. Certes, la maltraitance cause des traumatismes aux victimes, ainsi qu’aux enfants témoins de la violence. Cependant, la violence familiale est aussi et le plus souvent le résultat d’un traumatisme intergénérationnel. Ainsi, le traumatisme est à la fois l’une des principales causes et le résultat principal de la violence familiale et des abusNote de bas de page 150.
De même, la commission d’Enquête nationale affirme que le traumatisme intergénérationnel causé par les interventions gouvernementales des années 1940 aux années 1960 [traduction]« est à l’origine d’une grande partie de la violence à laquelle les femmes inuites sont exposées aujourd’hui »Note de bas de page 151.
En somme, le colonialisme corporatif a profondément affecté les modes de vie et d’être des Inuits, des conséquences qui se poursuivent jusqu’à présent. Si la crise du logement, l’insécurité alimentaire et les relations perturbées entre les hommes et les femmes inuits sont quelques-unes des manifestations les plus évidentes de la rencontre coloniale avec les Qallunaat, le traumatisme généré par le colonialisme est également un facteur clé. L’expérience vécue du traumatisme se manifeste par des taux élevés d’abus d’alcool et de drogues, de suicide et de violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites. Pour résoudre le problème urgent de la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites, il faut donc reconnaître – et prendre en compte – le contexte colonial dans lequel il se produit.
Les services de police d’aujourd’hui dans l’Inuit Nunangat
En tant que représentantes de l’État canadien, la police a la responsabilité principale de répondre à la violence fondée sur le sexe et d’assurer la sécurité et la protection des femmes inuites. Néanmoins, la police contribue également à l’avancée du colonialisme corporatif dans le Nord. La GRC, par exemple, a pris part aux pratiques coloniales de réinstallation des Inuits dans des établissements permanents, du transport des enfants inuits vers des pensionnats indiens et de l’abattage des chiens de traîneau inuits. Autrement dit, les services de police dans lesquels la GRC était engagée étaient résolument « racialisés »; ils étaient conçus pour imposer aux Inuits de se conformer au nouveau régime colonialNote de bas de page 152. Cependant, la question à se poser est toujours la suivante : dans quelle mesure les services de police racialisés continuent-ils d’être mis en œuvre dans l’Inuit Nunangat?
La discussion qui suit présente les déclarations officielles de la GRC quant à leurs rôles et responsabilités, en particulier en ce qui concerne les peuples autochtones. Elle comprend également une description de la façon dont la GRC est déployée dans trois des régions de l’Inuit Nunangat : les régions de l’Inuvialuit, du Nunatsiavut et du Nunavut. Les services de police dans la région du Nunavik, qui sont exécutés par le Corps de police régional Kativik (CPRK), sont ensuite discutés dans le même ordre d’idées. Enfin, les défis rencontrés par les deux services de police sont présentés.
Les politiques et protocoles de la GRC
Les déclarations officielles publiées sur le site Web de la GRC affirment que le maintien de l’ordre est exercé d’une manière qui respecte la justice et la sûreté et la sécurité de tous les citoyens. La déclaration sur les « Valeurs fondamentales » de la GRC, par exemple, indique que tous les employés s’engagent à créer un milieu de travail propice à « leur sécurité, leur bien-être et leur perfectionnement »Note de bas de page 153. Ces valeurs fondamentales incluent : l’intégrité, l’honnêteté, le professionnalisme, la compassion, le respect et la responsabilisation.
Dans la section « Engagement envers les collectivités », la GRC déclare qu’elle est engagée envers ses collectivités par :
- le traitement de tous sans préjugés et dans le respect;
- la responsabilisation;
- la solution conjointe des problèmes;
- l’ouverture à la diversité culturelle;
- l’amélioration de la sécurité du public;
- le partenariat et la consultation;
- la communication franche et ouverte;
- l’utilisation efficace et efficiente des ressources;
- le service ponctuel et de qualitéNote de bas de page 154
Contribuer à des collectivités autochtones plus sûres et plus saines est l’une des cinq priorités stratégiques de la GRC. Comme cela est indiqué sur son site Web : « Fournir des services de police adaptés sur le plan culturel jette les bases nécessaires pour établir des relations et des partenariats avec les quelque 600 communautés autochtones que nous servons. »Note de bas de page 155 Le site Web indique également que la GRC contribue à des collectivités autochtones plus sûres et plus saines :
- en favorisant et en appuyant le recrutement d’employés et de policiers d’origine autochtone;
- en travaillant de concert avec les communautés afin d’assurer la prestation d’un service amélioré et optimisé en mettant en place des services de police utiles et adaptés sur le plan culturel;
- en contribuant à l’accroissement de la capacité des collectivités à réprimer le crime par le développement social;
- en entretenant et en renforçant les partenariats avec les communautés autochtones, nos partenaires d’application de la loi et du gouvernement, les intervenants et les organismes autochtones;
- en favorisant et en employant des initiatives de justice alternative ou de justice communautaire pour les peuples autochtones;
- en prouvant la valeur du service grâce à l’élaboration, à la gestion et à l’évaluation d’un plan de rendement du détachement créé en collaboration avec les communautés autochtones locales;
- en contribuant à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique publique à l’appui de communautés autochtones plus sûres et plus sainesNote de bas de page 156.
L’opérationnalisation de cette priorité stratégique est assurée par les Services des relations GRC-Autochtones (SRGA), qui sont chargés de « planifier, d’élaborer et de gérer les stratégies et les initiatives organisationnelles ». Les SRGA travaillent étroitement avec les groupes autochtones dans le but d’élaborer des approches stratégiques novatrices qui répondent à leurs besoins particuliersNote de bas de page 157. Les SRGA supervisent de nombreux programmes et initiatives autochtones, notamment : le Comité consultatif national de la commissaire sur les Autochtones (formé en 1990); la Formation sur les perceptions autochtones; la Formation sur les perceptions des Inuits; les plans annuels de rendement qui traitent d’une infraction ou d’un problème social qui préoccupe la collectivité. Les SRGA fournissent également un soutien relatif au Programme des services de police des Premières nations à ses partenaires de Sécurité publique CanadaNote de bas de page 158.
L’engagement de la GRC à servir les communautés autochtones est également décrit dans la lettre de mandat du gouvernement fédéral à la GRC, qui décrit les attentes du gouvernement à l’égard de la Gendarmerie. La commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a expliqué la lettre de mandat dans son témoignage devant la commission d’Enquête nationale, affirmant qu’il s’agissait [traduction] « d’améliorer notre rôle et la réconciliation avec les peuples autochtones, et de renforcer l’efficacité, la crédibilité et la confiance dont dépend l’autorité de la GRC. »Note de bas de page 159 De plus, la lettre [traduction] « parle également de relations de nation à nation renouvelées avec les peuples autochtones fondées sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat compte tenu des expériences actuelles et historiques des Canadiens autochtones avec les services de police et le système de justice. »Note de bas de page 160
Dans son témoignage devant la commission d’Enquête nationale, la commissaire Lucki a également précisé un certain nombre d’autres initiatives entreprises par la GRC concernant les peuples autochtones. La première est l’engagement envers des services de police dépourvus de préjugés [traduction] : « un principe fondamental qui régit la prestation de nos services et nos pratiques d’emploi pour garantir que nous fournissons des services de police équitables à tous, tout en respectant la diversité sans abuser de notre autorité, quels que soient la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’orientation sexuelle, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques, la citoyenneté. »Note de bas de page 161
Au niveau des détachements, l’établissement de relations et la collaboration entre la GRC et les communautés autochtones sont mis en œuvre dans le cadre du plan annuel de rendement. Sur la base de consultations avec « les organismes partenaires, les élus, les écoles, les services de santé, les services sociaux ainsi que les aînés et les consultations internes avec les membres également », le commandant de détachement élabore trois à cinq priorités pour la communautéNote de bas de page 162.
De plus, le comité du Cercle du changement est né de l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation pour lutter contre la violence faite aux femmes et aux filles autochtones. Le Comité fournit [traduction] « des conseils et des lignes directrices à la GRC, mais spécifiquement sur les ressources, les politiques, la formation, les outils de la police et la communication afin de permette à la GRC de mieux enquêter sur la violence faite aux femmes et aux filles autochtones, ainsi que de la prévenir et d’y remédier dans ces communautés. »Note de bas de page 163
Enfin, la commissaire a mentionné la Politique sur la gestion des cas graves de la GRC, qui régit la surveillance des procédures d’enquête sur tout crime majeur. [traduction] « Pour assurer des approches normalisées au niveau national, le Bureau national des normes d’enquête supervise l’enquête sur les cas majeurs. »Note de bas de page 164
Détachements de la GRC
La GRC dessert 700 détachements au pays, ce qui représente 65 % des effectifs opérationnels de la GRCNote de bas de page 165. La gendarmerie comprend 30 000 employés, dont des membres ne faisant pas partie de la policeNote de bas de page 166; 1 495 (7,7 %) des membres réguliers de la GRC s’identifient comme autochtonesNote de bas de page 167. En 2017-2018, la GRC a admis 1152 nouvelles recrues au Programme des cadets; 3,1 % des cadets étaient autochtonesNote de bas de page 168.
Dans le cadre de son mandat, la GRC est responsable du maintien de l’ordre dans trois des régions de l’Inuit Nunangat : le Nunatsiavut (côte nord du Labrador), la région de l’Inuvialuit (Territoires du Nord-Ouest) et le territoire du Nunavut. Selon le site Web de la GRC, la division B de la GRC située à Terre-Neuve-et-Labrador comprend trois districts. Le district du Labrador compte 11 détachements, dont quatre dans les collectivités du Nunatsiavut de Hopedale, Makkovik, Nain et Rigolet. La division G de la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest est divisée en deux districts, Nord et Sud, avec 21 détachements (en plus du quartier général de Yellowknife, T.N.-O.). Les communautés inuvialuit d’Aklavik, Inuvik, Paulatuk, Sachs Harbour, Tuktoyaktuk et Ulukhaktok ont chacune un détachement de la GRC. Au Nunavut, la division V de la GRC compte 25 détachements qui emploient 185 personnesNote de bas de page 169.
La Politique sur la police des Premières Nations
En 1991, le gouvernement canadien a créé la Politique sur la police des Premières nations (PPPN), qui était le premier programme national de police de ce genre pour les peuples autochtones. Le but de la PPPN est de « contribuer à l’amélioration l’ordre, la sécurité publique et la sécurité personnelle dans les collectivités des Premières et des Inuits, y compris celle des femmes, des enfants et d’autres groupes vulnérables. »Note de bas de page 170 Les objectifs stratégiques du programme incluent les suivants :
- Renforcer la sécurité publique et la sécurité personnelle grâce à des services de police adaptés qui répondent aux besoins particuliers des communautés des Premières nations et des Inuits, en ce qui concerne la qualité et le niveau de service.
- Accroître la responsabilité et la responsabilisation en aidant les collectivités des Premières nations et des Inuits à acquérir les outils nécessaires pour devenir autosuffisantes et autonomes en établissant des structures pour la gestion, l’administration et la responsabilisation des services de police des Premières nations et des Inuits. La police doit être indépendante de toute influence partisane et politique.
- Bâtir un nouveau partenariat en mettant en œuvre et en administrant la PPPN de manière à promouvoir des partenariats avec les communautés des Premières nations et des Inuits fondés sur la confiance, le respect mutuel et la participation à la prise de décisionsNote de bas de page 171.
La PPPN est administrée par Sécurité publique Canada dans le cadre d’ententes tripartites négociées entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ou territoriaux où se trouve la communauté autochtone et l’organe directeur de la communauté autochtone. Le partage des coûts du programme est réparti entre le gouvernement fédéral (52 %) et les gouvernements provinciaux ou territoriaux (48 %).
En 2015-2016, la PPPN a fourni un financement de plus de 120 millions de dollars pour 185 ententes de services de police, desservant une population d’environ 432 000 personnes et comptant 1 299 policiers dans plus de 450 communautés des Premières nations et des InuitsNote de bas de page 172. Bien que le programme soit axé sur l’amélioration de la sécurité publique dans les collectivités des Premières nations et des Inuits, [traduction] « il ne vise pas à remplacer les services policiers normalement fournis par la province ou le territoire »Note de bas de page 173. À cet égard, les services de police provinciaux ainsi que la GRC continuent d’assumer la responsabilité du maintien de l’ordre dans les communautés autochtones.
La police au Nunavik : le Corps de police régional Kativik (CPRK)
Bien que la GRC assume la responsabilité principale des services de police dans trois des régions de l’Inuit Nunangat – Nunatsiavut, Inuvialuit et Nunavut – les services de police au Nunavik prennent une forme différente.
La GRC a assuré le maintien de l’ordre dans la région du Nunavik jusqu’en 1961. Cette année-là, la police provinciale du Québec, la Sûreté du Québec (SQ), a pris la responsabilité des services de police dans la province. À la suite de la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975, une entente a été conclue entre la SQ et les communautés autochtones pour mettre en œuvre un programme de police autochtone. Les candidats autochtones qui réussissaient le programme devenaient des agents spéciaux de la SQ. En 1996, à la suite de la mise en œuvre de la Politique sur la police des Premières nations, le Corps de police régional Kativik (CPRK) a été créé.
Le CPRK fournit des services de police réguliers à 14 villages nordiques éloignés du Nunavik, qui englobent le Grand Nord du Québec (le territoire au nord du 55e parallèle). À l’instar des autres services de police autochtones formés dans le cadre de la PPPN, le CPRK est financé par une entente tripartite, 52 % du financement étant assuré par le gouvernement fédéral et 48 % par le gouvernement du Québec. Des fonds supplémentaires sont fournis dans le cadre d’une entente distincte pour les services de police pendant les séances itinérantes du tribunal et pour un programme des cadets et la formation des agents.
L’énoncé de mission du CPRK est énoncé sur son site Web :
Il est du devoir du CPRK et de chacun de ses membres de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique sur le territoire, de prévenir les délits et les infractions aux règlements des corporations municipales, aux ordonnances de l’ARK [Administration régionale Kativik] et aux lois du Québec et du Canada, et d’en rechercher les auteursNote de bas de page 174.
La vision du CPRK est d’« offrir à la population du Nunavik les meilleurs services de police professionnels, respectueux et efficaces et de devenir une référence en matière de services policiers dans les communautés inuites et autochtones, tant sur le plan opérationnel qu’administratif »Note de bas de page 175. Les valeurs du CPRK incluent les suivantes :
- Appliquer les normes morales et éthiques les plus élevées. Tâcher de maintenir la confiance du public et continuer de rendre des comptes au public par l’entremise de tous les employés et bénévoles.
- Nos employés sont notre ressource la plus précieuse, et c’est seulement par le travail d’équipe, le respect mutuel et la collaboration que nous pourrons servir le mieux les communautés.
- Le rôle de la police est déterminé par la communauté qu’elle sert et c’est en établissant un partenariat avec les citoyens que la police peut réprimer et réduire la criminalité et ainsi améliorer la qualité de vie des citoyens.
- La police et la communauté partagent la responsabilité de la répression de la criminalité et de la sécurité publique.
- Notre capacité d’accomplir notre mission est déterminée par le dévouement à l’égard du service public ainsi que par la diversité et la qualité de notre main-d’œuvre. Nous cherchons à recruter et à conserver des personnes qui possèdent de telles qualités.
- Nous tâchons de collaborer avec les communautés afin de mieux comprendre la nature des problèmes locaux et d’élaborer des stratégies constructives et axées sur la coopération pour résoudre ces problèmes.
- Améliorer les compétences de tous les employés afin de maintenir la motivation, la créativité, le dévouement et le professionnalisme, tout en créant un climat propice à la satisfaction professionnelle, à l’enthousiasme, à la sécurité et au développement de carrière personnel.
- Maximiser le plus efficacement possible les ressources disponibles, tant personnelles que financières, afin d’offrir un service optimal aux citoyens.
- Utiliser des technologies de pointe et offrir de la formation continue afin de maintenir et d’améliorer la prestation des services policiers aux citoyensNote de bas de page 176.
Le quartier général du CPRK est situé à Kuujjuaq et des détachements opèrent dans chacune des 14 communautés (desservant une population totale de 13 000 habitants). Les détachements communautaires sont généralement composés de 3 agents. Cependant, à Kuujjuarapik, Inukjuak, Salluit, Puvirnituq et Kuujjuaq, il y a respectivement 4, 5, 6, 7 et 8 agents. Selon l’accord tripartite, le CPRK doit comprendre un minimum de 58 postes à temps plein, ce qui inclut le chef de police, et doit être aidé par du personnel de soutienNote de bas de page 177. Le chef du CPRK, Jean-Pierre Larose, a décrit la répartition des effectifs du corps de police à la commission d’Enquête nationale :
[traduction]
Nous avons 48 agents sept sergents de ville, deux agents de prévention, deux agents de liaison, un agent du renseignement criminel, deux sergents-détectives enquêteurs et nous avons six employés, des policiers qui m’accompagnent dans l’équipe de gestion; le chef de police qui est moi-même, deux directeurs adjoints : un pour les opérations et un pour l’administration et la sécurité civile. Et nous avons trois capitaines-chefs qui sont responsables des trois districts que je vous ai mentionnés : un capitaine à Kuujjuaq, qui représente la baie d’Ungava; un capitaine à Salluit, qui représente le détroit d’Hudson et le Nord; et un capitaine à Puvirntuk, qui représente la côte ouest de la baie d’HudsonNote de bas de page 178.
Les défis liés aux services de police
Dans leurs déclarations officielles, la GRC et le CPRK affirment que le maintien de l’ordre dans l’Inuit Nunangat est assuré d’une manière qui respecte la justice et protège la sûreté et la sécurité des collectivités qu’ils servent. Cependant, un certain nombre de défis ont été soulevés qui remettent cette affirmation en question.
Les services de police des collectivités éloignées
Les collectivités de l’Inuit Nunangat sont réparties sur une vaste zone géographique. Par exemple, sur les 21 détachements de la division G de la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest, 11 sont des collectivités accessibles par avion. Les 25 détachements de la division D de la GRC au Nunavut couvrent 787 000 milles carrés de terre et d’eau, ce qui représente 20 % de la masse terrestre du Canada. Les 25 détachements de la GRC au Nunavut sont accessibles uniquement par voie aérienne. Yvonne Niego qui, entre autres réalisations, a travaillé pendant vingt ans à la GRC a déclaré à la commission d’Enquête nationale [traduction] : « Il faut deux jours pour se rendre dans une certaine région de notre territoire. Tout se fait par télésurveillance, ce qui est un autre facteur. »Note de bas de page 179 À Postville, un hameau du Nunatsiavut, la police n’est disponible que 21 jours par mois. Il faut 45 à 50 minutes en avion pour que la police arrive de la communauté la plus proche. »Note de bas de page 180
Le chef du CPRK, Larose, a parlé à la commission d’Enquête nationale de la difficulté de mener des enquêtes sur la criminalité dans les collectivités éloignées. Au Nunavik, les enquêteurs spécialisés de la SQ doivent être amenés de Montréal et font souvent face à des retards liés aux conditions météorologiques et au transport.
Il n’y a pas moins de 15 à 18 heures d’attente en moyenne. Ce que vous devez comprendre, c’est que nous sommes des policiers : lorsque nous sommes dans une communauté de trois policiers, que je dois protéger la scène du crime à -40, dans des conditions de blizzard, ce n’est pas facile. Il faut protéger la scène, il faut attendre l’arrivée de la Sûreté du Québec, et bien sûr, ils ont aussi des contraintes pour mobiliser leur personnel, affréter un avion et espérer que la météo soit favorableNote de bas de page 181.
Bien que l’éloignement de nombreuses collectivités de l’Inuit Nunangat pose un défi émanant de la géographie et du climat, d’autres défis découlent plus directement des politiques et des pratiques policières.
Durée des affectations de la GRC
La plupart des affectations à la GRC ne durent que deux à quatre ansNote de bas de page 182. La commissaire Lucki considère cette politique comme positive :
[traduction]
Je pense que du point de vue de la communauté, je pense que parfois cela est considéré comme négatif parce que les gens s’habituent à certains services de police de certains membres, puis quand ces membres s’en vont, c’est dur pour les communautés. Mais, je pense aussi que les points positifs sont qu’avec l’arrivée de chaque membre, de nouvelles pratiques policières sont apportées à la communauté, une énergie est renouvelée et ils apportent de nouvelles idées. Donc, il y a du positif et du négatif, mais je pense honnêtement qu’il est toujours bon d’avoir un regain d’énergie dans la communauté, en particulier [parce que] les gens apprennent des choses différentes de leur affectation précédente dans le sud, puis ils peuvent offrir cela à cette communauté pour résoudre les problèmes de la communautéNote de bas de page 183.
Néanmoins, la politique de la GRC de limiter la durée des affectations empêche [traduction] « de travailler en collaboration avec les collectivités pour assurer une prestation de services améliorée et optimisée »Note de bas de page 184. Plus précisément, la rotation continue des agents renforce la perception de la police comme une force extérieure mal intégrée à la collectivité.
Des agents inexpérimentés
La plupart des agents affectés dans les collectivités du Nord sont de nouvelles recrues qui ont peu d’expérience des services policiers. En combinaison, la durée limitée des affectations et l’inexpérience des agents entravent le développement d’une relation de confiance entre la police et les membres de la collectivité. Pour ces raisons, les femmes inuites seront réticentes à signaler à la police des expériences de violence fondée sur le sexe si elles manquent de confianceNote de bas de page 185.
Pénurie de personnel et roulement
Le chef du CPRK, Larose, a déclaré à la commission d’Enquête nationale en 2018 [traduction] : « J’ai un problème majeur : le roulement de mon personnel. Il y a un incroyable mouvement de personnel. Plus de 50 % de mon personnel a moins d’un an d’expérience au Nunavik. »Note de bas de page 186 En juillet 2019, le Nunatsiaq News a rapporté que le CPRK continuait de faire face à une grave pénurie de personnel après la démission de près du quart de ses agents [traduction] : « Au cours du dernier mois, le corps de police du Nunavik a vu 16 agents quitter leur emploi, ce qui laisse environ 48 agents pour surveiller les 14 communautés de la région. Le corps de police est considéré comme doté d’un effectif complet de 65 agents. »Note de bas de page 187 Selon le chef Larose, il est courant que des agents partent au début de l’été, et qu’en moyenne 70 agents quittent le corps de police chaque année – soit plus de personnes que le corps de police n’emploie à un moment donnéNote de bas de page 188.
Le manque de personnel limite non seulement la capacité de la police à s’acquitter de son mandat, mais crée un stress indescriptible pour les policiers. Comme le chef Larose l’a indiqué dans son témoignage devant la commission d’Enquête nationale, les agents du CPRK travaillent souvent 70 heures par semaine dans des conditions parfois dangereuses sans ressource de secoursNote de bas de page 189.
Obstacles linguistiques
Les deux tiers des Inuits parlent couramment l’inuktut. Le Nunavik compte la plus forte population de locuteurs de l’inuktut, 99,2 % des Inuits y vivant déclarant le parler couramment. Au Nunavut, 89 % le parlent couramment; dans l’Inuvialuit, 25 % et au Nunatsiavut, 20 %. Chez les aînés de 65 ans et plus, 61 % parlent l’inuktut comme première langue. Très peu d’Inuits parlent le français, la langue des fournisseurs de services au Québec. Pourtant, moins de 5 des 150 agents de la GRC au Nunavut parlent couramment l’inuktutNote de bas de page 190. Au 27 mai 2019, il n’y avait apparemment aucun employé parlant l’inuktut au service des télécommunications du Nunavut; aucun opérateur qui envoie des appels pour la GRC par l’entremise du Centre des communications opérationnelles n’est capable de prendre un appel en inuktut. Le seul détachement mis en évidence comme « bilingue » sur le site Web de la GRC est le quartier général du Nunavut situé à Iqaluit – où le français et l’anglais (mais pas l’inuktut) sont parlésNote de bas de page 191.
Le recrutement d’agents de police inuits
Bien que « promouvoir et encourager le recrutement d’Autochtones en tant qu’employés et agents de police potentiels » soit l’un des engagements pris par la GRCNote de bas de page 192, très peu d’Inuits font partie des rangs de la GRC. Au Nunavut, par exemple, sur 150 agents, seulement 3 % (5) sont des InuitsNote de bas de page 193. Yvonne Niego a indiqué lors de son témoignage devant la commission d’Enquête nationale en 2018 que cela faisait 14 ans qu’un Inuk n’avait pas été embauché par la GRC au NunavutNote de bas de page 194.
Compétence culturelle
L’un des éléments clés de la priorité stratégique de la GRC est l’engagement à fournir des services adaptés à la culture aux communautés autochtones. À cet égard, la GRC a entrepris plusieurs initiatives, dont Perceptions des Inuits, un séminaire d’une journée de sensibilisation à la culture conçu pour familiariser les agents à la culture, aux coutumes et aux croyances des Inuits.
Le principal résultat escompté des séminaires Perceptions des Inuits est de veiller à ce que les employés de la division « V » de la GRC qui ne sont pas originaires du territoire soient en mesure de reconnaître et de comprendre les problèmes historiques liés aux relations entre la police et la communauté dans le Nord. Les membres de la GRC seront mieux préparés à travailler et à vivre, dans le contexte social des collectivités éloignées et isolées et à les intégrer et les comprendreNote de bas de page 195.
La commission d’Enquête nationale a toutefois noté que la question de la compétence culturelle n’est pas simplement [traduction] « l’achèvement d’un cours que l’on suit puis oublie, mais plutôt la nécessité de développer une compréhension et une connaissance plus approfondies de l’histoire autochtone et des défis contemporains qui évoluent toujours. »Note de bas de page 196 Comme l’a déclaré le chef de la police à la retraite Clive Weighill à la commission d’Enquête :
[traduction]
Chaque policier devrait très, très bien connaître ce qui s’est passé avec les pensionnats indiens, ce qui s’est passé avec la colonisation, le Livre blanc des années 1970, la rafle des années 1960, et les problèmes contemporains et les conséquences néfastes qui se produisent actuellement dans notre communauté autochtone. Chaque policier au Canada devrait pouvoir vous le dire de manière spontanéeNote de bas de page 197.
Manque de ressources
Malgré la valeur déclarée par le CPRK d’assurer [traduction] « des technologies de pointe et une formation continue et à jour afin de maintenir et d’améliorer la prestation des services de police aux citoyens »Note de bas de page 198, le corps de police a rencontré des défis importants pour assurer une prestation efficace des services dans les communautés du Nunavik. Comme le chef Larose l’a déclaré à la commission d’Enquête nationale :
[traduction]
Actuellement, nos appels vont directement aux radios portables de la police et je n’ai pas de patrouille 24 heures sur 24 dans les communautés. Cela nécessite donc du personnel en « stand-by », comme nous appelons ça. Et parfois, un policier, lorsqu’il n’est pas en service pendant la nuit, est appelé directement sur sa radio, s’habille et répond aux appelsNote de bas de page 199.
Sous-financement
Les ententes tripartites dans le cadre de la PPPN sont limitées dans le temps et fondées sur des programmes. Le chef du CPRK, Larose, a parlé des défis de travailler dans le cadre de l’accord de contribution. Le contrat du CPRK a expiré en avril 2019. Le corps de police demandait une augmentation du personnel et de l’équipement ainsi qu’un centre d’appels basé à Kuujjuaq avec des opérateurs parlant l’inuktut (les appels sont actuellement envoyés directement aux radios des policiers). De plus, le sous-financement dans le cadre de ces ententes signifie que les agents travaillent rarement avec un partenaire et ne disposent donc pas du renfort standard dont disposent les agents des autres services de police.
Manque de services complets
Les représentants de la police qui se sont présentés devant la commission d’Enquête nationale ont également évoqué le besoin de soutiens adéquats dont les personnes qui contactent la police pourraient avoir besoin, notamment [traduction] « un soutien en santé mentale, des soins de santé, un logement ou d’autres formes de services sociaux et un soutien culturellement pertinent »Note de bas de page 200.
Ensemble, ces défis posent d’importants obstacles systémiques qui nuisent à la capacité de la police de réagir efficacement à la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites. Mais à quoi ressemblent les services de police sur le terrain? Comment ces défis se manifestent-ils dans le cadre de l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites? Pour approfondir cette question, nous avons mené des entrevues avec des femmes inuites et des fournisseurs de services (y compris des policiers) dans chacune des quatre régions de l’Inuit Nunangat.
Méthodologie
La principale question de recherche qui a inspiré notre étude était la suivante : comment rendre les services policiers plus adaptés et plus sensibles aux besoins des femmes inuites qui subissent de la violence fondée sur le sexe? Pour répondre à cette question, une méthodologie de recherche qualitative a été utilisée pour faire valoir les points de vue des femmes inuites qui avaient subi de la violence fondée sur le sexe ainsi que ceux des aînés et des fournisseurs de services (y compris les policiers) de l’Inuit Nunangat.
Comité consultatif du projet
Pour soutenir la recherche, un comité consultatif de projet a été formé, composé de représentants de chacune des quatre régions de l’Inuit Nunangat. Le Comité a été chargé de fournir des conseils concernant la sélection des communautés à inclure dans l’étude, de vérifier les calendriers des entrevues et d’identifier les prestataires de services à interroger pour l’étude. Le Comité a également reçu une ébauche du rapport de recherche aux fins de rétroaction.
Certificat d’éthique et licences de recherche
Le projet d’éthique a été approuvé par le comité d’éthique de la recherche du Collège Aurora et le comité d’éthique de la recherche en psychologie et sociologie de l’Université du Manitoba.
Pour mener des recherches avec des Inuits ou dans l’Inuit Nunangat, les projets de recherche doivent également subir un processus de validation de la recherche. Le processus diffère dans chaque région. Dans la région désignée des Inuvialuit, une licence de recherche pour l’étude a été accordée par l’Aurora Research Institute. Au Nunatsiavut, le Comité consultatif de recherche du gouvernement du Nunatsiavut a examiné et approuvé la proposition de recherche. Au Nunavut, une licence de recherche a été accordée par le Nunavut Research Institute. Le Nunavik est l’exception, car il n’y a pas de processus d’approbation officiel pour mener des recherches dans la région.
Collecte de données
La collecte de données comprenait des entrevues qualitatives avec deux groupes principaux : les femmes inuites qui ont subi de la violence fondée sur le sexe; et les prestataires de services (y compris les policiers) qui ont une expérience de travail avec des femmes qui ont été victimes de violence fondée sur le sexe. Des entrevues ont également été menées avec plusieurs aînés afin de tirer parti de leurs connaissances sur la question de la violence fondée sur le sexe dans leur région. Des guides d’entrevue semi-structurés ont été élaborés pour donner aux participants suffisamment de possibilités de partager leurs points de vue et leurs expériences. Cette approche s’harmonise bien avec les méthodologies autochtones, permettant aux participants de raconter leurs histoires telles qu’ils les comprennentNote de bas de page 201.
Les femmes inuites ont été interrogées sur elles-mêmes (leur âge, si elles étaient ou non dans une relation, et si elles avaient ou non des enfants). On leur a posé des questions sur leur sentiment de sécurité dans la communauté et sur le rôle que jouent les policiers dans leur communauté. On leur a posé des questions sur toute expérience de violence physique et/ou sexuelle qu’elles avaient eue, qu’elle ait été signalée ou non à la police et sur la nature de l’intervention policière. On leur a également posé des questions sur toutes les autres fois où elles ont demandé de l’aide à la police et ce que cela impliquait. Enfin, on leur a demandé ce qu’elles pensaient pouvoir faire pour améliorer la sécurité des femmes dans leur communauté et ce que la police pourrait faire pour rendre leur communauté plus sûre.
Les fournisseurs de services ont été interrogés sur la nature de leur travail, leur connaissance et leur expérience de la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites, le rôle que jouent les policiers dans la communauté, les services qu’ils fournissent et les succès et les défis auxquels ils sont confrontés dans l’exercice de ce rôle. On leur a également demandé ce qu’ils pensaient pouvoir faire pour renforcer les relations entre la police et la communauté et pour rendre les femmes inuites plus en sécurité. On a posé des questions similaires aux aînés lors de l’entrevue.
Stratégies de recrutement
Avec la contribution du Comité consultatif du projet, une communauté dans chacune des quatre régions a été choisie comme principal site de recherche pour l’étude. Les chercheurs se sont ensuite mis d’accord pour trouver un endroit approprié dans chaque communauté où mener les entrevues. Un agent de liaison de la recherche communautaire a également été embauché à court terme dans chacune des quatre collectivités pour fournir du soutien, des conseils et des directives sur plusieurs questions, notamment : aider les chercheurs à faciliter l’engagement communautaire d’une manière culturellement sûre et respectueuse; faciliter la connexion des chercheurs avec les membres de la communauté et les services de la région; et fournir des conseils sur les stratégies culturellement appropriées pour mener les entrevues.
Afin de recruter des femmes inuites en tant que participantes, des informations sur l’étude et une invitation à participer (en anglais et en inuktut) ont été communiqués par plusieurs canaux (affiches, publicités à la radio et médias sociaux) au cours de la semaine précédant la visite du chercheur dans chaque communauté.
Pour atteindre un échantillon de prestataires de services, une stratégie d’échantillonnage ciblée a été utilisée. Sous la direction du comité consultatif du projet et d’un agent de liaison local de la recherche communautaire, une liste de participants potentiels a été compilée, puis ils ont été contactés par courriel pour expliquer le projet et les inviter à participer.
Le processus d’entrevue
Avant le processus d’entrevue, chaque participant a reçu un formulaire de consentement détaillé précisant la nature du projet, les types de questions à poser, la manière dont la confidentialité serait maintenue, les risques et avantages potentiels de la participation et la manière dont les conclusions des recherches seront diffusées. On a également demandé aux participants s’ils souhaitaient recevoir une copie du rapport final. Le formulaire de consentement était disponible en anglais et dans le dialecte inuktut approprié. Le consentement éclairé des participants a été confirmé par leur signature. Chaque participant a reçu une copie du formulaire de consentement, tandis que le chercheur a conservé en sa possession l’original.
Avec la permission des participants, les entrevues ont été enregistrées de façon à pouvoir être transcrites ultérieurement à des fins d’analyse. Pour répondre aux besoins linguistiques des participants, un interprète était disponible pendant les entrevues avec les femmes pour entreprendre une traduction simultanée de ce qui se disait. Dans deux cas, les femmes parlaient principalement en inuktut et leurs entrevues enregistrées ont ensuite été traduites en anglais.
En raison de la nature sensible et privée de ce qui était souvent discuté, des précautions ont été prises pour mener la recherche de manière confidentielle et respectueuse. Par exemple, les chercheurs, l’agent de liaison de la recherche communautaire, l’interprète (s’il est présent) et le transcripteur ont tous signé un accord de confidentialité confirmant qu’ils respecteraient la confidentialité. Les formulaires de consentement contenant les signatures des participants ont été conservés en lieu sûr. Les enregistrements et les transcriptions des entrevues ont été partagés par les chercheurs et le transcripteur sur un site Web protégé par mot de passe et crypté (Sync.com).
À la fin de chaque entrevue, on a demandé aux femmes comment elles se sentaient et si elles avaient besoin de soutien. Un agent en santé mentale était disponible sur place ou facilement accessible pendant la période où les entrevues ont été menées pour fournir un soutien aux femmes si elles avaient besoin ou souhaitaient un suivi pendant ou après l’entrevue. Les participants de la communauté ont reçu des honoraires de 50 $ sous forme de carte-cadeau en reconnaissance de leur temps et de leur expertise.
La plupart des prestataires de services ont été interrogés pendant la période durant laquelle le chercheur était dans la communauté. Dans plusieurs cas, cependant, des entrevues ont été menées par téléphone (et enregistrées). À deux reprises, un groupe de discussion a été organisé avec des fournisseurs de services en utilisant le calendrier des entrevues comme guide pour la discussion. L’adoption de ces stratégies a permis un éventail plus large de perspectives et de participants. La durée de ces entrevues a duré en moyenne une heure.
L’échantillon de l’étude
L’intention initiale était d’obtenir un échantillon de 8 femmes et 5 prestataires de services dans chacune des régions (pour un total de 52 entrevues). Cependant, étant donné l’intérêt des participants pour l’étude et leur volonté de partager leurs expériences et leurs points de vue, 85 personnes au total ont fini par participer. La répartition régionale est la suivante :
Région | Femmes inuites | Fournisseurs de services et aînés | Groupe de discussion des fournisseurs de services |
---|---|---|---|
Inuvialuit | 12 | 10 | 6 participants |
Nunavut | 11 | 5 | 4 participants |
Nunatsiavut | 11 | 9 | |
Nunavik | 11 | 6 | |
Total | 45 | 30 | 10 |
Bien que les participants aient partagé leurs connaissances et leurs expériences sur la vie et le travail dans des communautés en dehors de celles spécifiquement sélectionnées pour l’étude, il convient de noter que les résultats ne représentent pas nécessairement l’ensemble de la région ou toutes les communautés de la région dans laquelle ils ont été générés.
Analyse des données
Les enregistrements des entrevues ont été transcrits par un transcripteur professionnel. Les transcriptions ont été regroupées par région, puis analysées pour déterminer les thèmes qui émergeaient des réponses des participants. Les constatations – présentées dans les quatre sections suivantes de ce rapport – mettent l’accent sur les récits des participants. Cependant, dans le rapport de ce que les participants avaient à dire, les informations d’identification ont été supprimées pour préserver la confidentialité.
Les services de police dans l’Inuvialuit
Dans les Territoires du Nord-Ouest, six des 21 détachements de la GRC sont situés dans la région d’Inuvialuit, et le quartier général de la Division G est situé à Yellowknife. Alors que Yellowknife compte une population de 20 607 habitants, les communautés de l’Inuvialuit sont beaucoup plus petites, avec des populations de 3536 à Inuvik, de 982 à Tuktoyaktuk, de 623 à Aklavik, de 444 à Ulukhaktok, de 302 à Paulatuk et de 111 à Sachs HarbourNote de bas de page 202. Bien qu’Inuvik et Tuktoyaktuk soient reliés au sud du Canada par la route, les autres collectivités ne sont accessibles que par avion. Pour évaluer le sentiment de sécurité et de sûreté des femmes dans ces communautés – ainsi que la réponse de la police en cas de violence fondée sur le sexe – un groupe de discussion de six participantes a été organisé à Yellowknife et des entrevues individuelles ont été menées avec 12 femmes inuites dans une communauté de l’Inuvialuit, dont beaucoup avaient également vécu dans d’autres communautés de l’Inuvialuit. De plus, 10 fournisseurs de services (dont deux agents de la GRC) ont été interrogés en personne ou par téléphone.
Préoccupations liées à la sécurité et violence fondée sur le sexe
Lorsqu’on leur a demandé si la sécurité était un problème dans leur communauté, les participants de Yellowknife ont répondu par l’affirmative. Les femmes ont indiqué qu’elles « ne marcheraient pas seules » lorsqu’elles sont dans la communauté, et plusieurs ont raconté avoir été suivies et harcelées par des hommes dans la rue. Selon les participantes, la violence peut se produire « n’importe où, n’importe quand ». Les femmes ont partagé leurs expériences indiquant avoir vu des femmes être battues par leurs partenaires « en plein jour » et avoir été agressées par un homme alors qu’elles rentraient chez elles la nuit.
Une femme a raconté une expérience déchirante d’agression sexuelle à son encontre par un homme dans une chambre d’hôtel. Il la retenait sur le lit, couvrant sa bouche de sa main pour qu’elle ne puisse pas crier. Elle a dit que tout ce à quoi elle pouvait penser à l’époque était [traduction] : « Respire lentement. Je veux voir mes petits-enfants demain. Respire lentement. » L’homme lui avait presque enlevé le pantalon, mais d’une manière ou d’une autre, elle a réussi à s’échapper et a commencé à ramper sur le sol vers la porte, avec lui sur le dos. Elle a utilisé toutes ses forces en se disant [traduction] : « Respire lentement. De cette façon, tu as de la force. » Lorsque le téléphone a sonné, elle a dit à l’homme [traduction] : « C’est la sécurité. » Alors il l’a laissée partir et elle a réussi à s’échapper par l’étage inférieur. La GRC a été appelée et l’homme a ensuite été arrêté. Mais aucune accusation n’a été portée. Comme l’a indiqué la femme [traduction] : « Parce que certaines femmes ont peur d’en parler. »
Selon les participants de Yellowknife, la violence fondée sur le sexe est devenue normalisée pour les femmes inuites. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Si vous n’avez vécu aucune agression sexuelle, c’est anormal. Vous en êtes venu à vous y attendre. » Elle avait révélé une expérience d’agression sexuelle à des membres de sa famille lorsqu’elle était plus jeune. Son père et ses oncles [traduction] « l’ont méchamment tabassé », ce qui fait qu’elle s’est sentie coupable de ce qui est arrivé au jeune homme. Elle a donc appris très vite à ne pas parler de ses expériences. Comme elle l’a dit [traduction] : « Je veux rendre la honte que je porte depuis tant d’années parce que cette honte n’est pas la mienne. Je pensais que c’était ma faute tout le temps. » Une autre femme a parlé du conflit entre s’aider soi-même et aider sa communauté en cas de violence. Un résultat possible est que les femmes [traduction] « peuvent être rejetées » et [traduction] « que les gens parlent en mal de vous ». Historiquement, [traduction] « c’est ce qu’était la punition [mais] la victime est punie à la place de l’auteur ».
Lorsqu’on leur a posé des questions sur la sécurité dans leur communauté, les participants de l’Iinuvialuit ont soulevé le problème des personnes en état d’ivresse dans le centre-ville. Comme l’a dit une femme [traduction] : « C’est quelque chose de tellement courant, on est tellement nombreux dans la rue, juste en train de boire et de boire… Et en ce moment, la gravité de l’alcoolisme dans les rues est à un niveau que je n’avais jamais vu. » Cependant, les participants étaient également préoccupés par la violence fondée sur le sexe qui sévit dans la communauté. Plusieurs participants ont indiqué que la violence à l’égard des femmes est plus « cachée » qu’elle ne l’était auparavant. Comme l’a dit un fournisseur de services [traduction] : « Je pense que c’est plus à huis clos maintenant. Je me souviens, il y a longtemps, j’avais l’habitude de voir des femmes se faire tabasser sur la route ou dans la rue ou, vous savez, n’importe où. Oui. Mais, maintenant, vous ne voyez pas ça. Cela se fait derrière des portes closes. » Une deuxième prestataire de services a déclaré qu’elle [traduction] « ne pensait vraiment pas que c’était un problème » par rapport aux années précédentes où [traduction] « on voyait des femmes se promener avec des yeux au beurre noir et des visages gonflés ». Mais, elle a compris que [traduction] « c’est toujours là, mais c’est caché. »
Lorsqu’on lui a demandé si la violence fondée sur le sexe était un problème à Inuvialuit, un fournisseur de services a répondu [traduction] : « Absolument… On le voit, c’est certain. On voit, oh, il y a juste trop de violence ici. On voit donc la violence contre les femmes, on voit de la violence contre les hommes, on voit de la violence entre partenaires de même sexe, on voit certainement de la violence envers les enfants. » Ce même fournisseur de services a ensuite replacé le problème dans son contexte plus large [traduction] : « Je pense qu’en général, dans le Nord, avec tous les problèmes auxquels on est confronté, et en particulier les retombées des pensionnats indiens et des personnes qui se sentent vraiment démunies, vous savez, le système moderne qui leur est imposé et les anciennes façons de résoudre les conflits, je pense qu’on voit beaucoup de conflits, ce qui se traduit vraiment par de la violence. » Un autre fournisseur de services a également situé la violence fondée sur le sexe dans son contexte colonial :
[traduction]
Si vous connaissez l’histoire des pensionnats dans nos communautés, on avait deux pensionnats, un catholique et un anglican. Et dans ces écoles, beaucoup d’abus se sont produits, qu’ils soient physiques, sexuels, verbaux, discriminatoires, réprimés, tous ces types d’abus ont été vécus par les très jeunes élèves, comme ceux de 5e, 6e, 7e, 8e, 9e années, jusqu’à ce qu’ils finissent l’école secondaire a probablement environ 14, 15 ans. Et donc beaucoup d’abus se sont produits. Et puis, quand nous avons fait l’histoire des pensionnats dans notre région, dans notre région du Nord, 60 pédophiles ont été embauchés dans les écoles. Vous pouvez donc imaginer les mauvais traitements et les traumatismes subis par ces jeunes enfants, puis grandir avec cela sans que cela ait été réglé. Un résultat découlant du traumatisme qui s’est produit dans les écoles est donc la violence contre les femmes. Certains hommes ont fini par haïr les femmes, vous savez, intérieurement parce qu’ils ont été violés par une femme. Et quand ils étaient très jeunes et n’avaient nulle part où aller pour y faire face, savoir comment y faire face, donc il y avait beaucoup de violence. Beaucoup de violence contre les femmes, oui, à la fois sexuelle et physique.
Présence de la police
Comme on pouvait s’y attendre, les réponses des participants aux questions sur la présence policière dans leur communauté différaient selon la taille de la communauté dans laquelle ils vivaient. Lorsqu’on leur a posé des questions sur la présence de la police à Yellowknife, les participants aux groupes de discussion étaient d’avis que la GRC n’était présente [traduction] « que pour des incidents, et non pour des activités ou des activités communautaires positives. » Une femme a déclaré [traduction] : « Ce serait vraiment bien s’ils interagissaient davantage avec la communauté, pour faire partie de la communauté au lieu de simplement travailler à Yellowknife. » Un autre a dit que ce serait mieux [traduction] « s’ils étaient investis dans la communauté autant que la communauté est investie dans la communauté, au lieu de simplement travailler ici comme un emploi. Je vois qu’ils font des efforts. Pour la Journée des Autochtones et la Fête du Canada, ils ont une installation au parc. Mais ce serait bien de voir une force de police de la GRC – pas autant pour la force, mais présence – se joindre à des événements lorsqu’il se passe des choses positives plutôt que d’interagir uniquement pendant les incidents. »
Les participants aux groupes de discussion étaient d’avis que la GRC était plus impliquée dans les communautés d’Inuvialuit qu’à Yellowknife. Comme l’a fait remarquer un participant [traduction] : « Ils participent à des événements. Toute la communauté était engagée. » Un autre participant a commenté [traduction] : « Le public aime voir cette interaction parce qu’elle montre un investissement. » Plusieurs participants inuvialuit étaient d’accord avec cette évaluation. Une femme a expliqué à quel point la police était impliquée dans sa communauté d’origine :
[traduction]
Dans ma communauté, c’est positif parce qu’ils font beaucoup de choses avec la communauté, ils font beaucoup d’activités, le baseball et tout type de sport ou ils pêchent ou s’assoient simplement avec des aînés. Ils vont même dans des programmes à l’intérieur et jouent beaucoup, donc beaucoup d’enfants connaissent la GRC, vous savez, ils vont venir jouer ou ils vont là-bas à la station « si vous ne travaillez pas, venez jouer avec nous » et ils y vont simplement… La GRC fait beaucoup de choses positives.
D’autres participants ont parlé de la façon dont la police participait activement à des événements communautaires locaux, [traduction] « prenant part à des choses comme la journée de la violence familiale et la prévention du suicide. Et ils vont dans les écoles et parlent avec les enfants, oui. Ils jouent au hockey avec les enfants, ils jouent au hockey avec les locaux, donc c’est bien, oui. » Un fournisseur de services a souligné l’importance de la participation de la police à la communauté [traduction] : « Nous avons beaucoup de membres ici, ils s’impliquent vraiment dans la communauté. Et dans le Nord, bien sûr, si les gens vous connaissent, ils ont beaucoup plus confiance en vous. Il y a eu trop d’étrangers venant et sortant pour vraiment investir dans les gens. »
Les services de police communautaires : voués à l’échec?
L’évaluation par les participants de la participation de la police dans la communauté locale est conforme à l’approche de la police communautaire encouragée par la Division G de la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest. Comme l’a indiqué un fournisseur de services [traduction] : « Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un programme officiel contrôlé de façon centralisée. Il s’agit plutôt d’encourager les membres à vraiment participer à la communauté, chaque personne à participer à la communauté. » Un autre fournisseur de services était du même avis [traduction] : « Tous nos agents de la GRC sont encouragés à participer à la communauté et à faire partie de la communauté. Ils doivent y vivre. Ils amènent leurs familles. Ils apportent, leurs enfants vont à l’école. Ils font donc partie des communautés lorsqu’ils y sont. » Pour un fournisseur de services, le fait d’avoir un modèle de police communautaire revêt une importance particulière pour les victimes de violence fondée sur le sexe, car il [traduction] « encourage les membres à faire partie de la communauté, et c’est là que ces relations personnelles peuvent se développer et que cette relation de confiance peut encourager les victimes à se manifester et à parler et à trouver des moyens d’être en sécurité. » Un agent a expliqué qu’un rôle communautaire était particulièrement pertinent dans les petites collectivités, où la police devient un « guichet unique » :
[traduction]
De toute évidence, la police est le principal organisme d’application de la loi et a le mandat et le contrat de fournir des services de police de première ligne à la communauté. Mais dans les petites communautés, nous sommes généralement beaucoup plus que cela parce qu’il n’y a pas beaucoup d’autres services dans ces domaines, donc nous sommes une sorte de guichet unique pour les gens quand ils ont des problèmes, quels que soient ces problèmes. Donc, cela ne relève peut-être pas directement du mandat de la GRC, mais parce que les collectivités sont si petites et nos membres sont assez engagés, nous finissons par faire un large éventail de choses, organiser des événements communautaires et aider avec une patinoire de hockey. Parfois, dans les vraies petites communautés, nous sommes souvent la seule personne à qui certaines personnes peuvent parler parce qu’il n’y a pas de conseillers en ville ou quoi que ce soit de ce genre. Nous finissons donc par jouer un rôle beaucoup plus communautaire que simplement celui du maintien de l’ordre.
Néanmoins, alors que de nombreux participants ont émis des commentaires favorables sur la participation de la police à la communauté, d’autres ont été plus prudents dans leur évaluation. Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « Je dirais oui et je dirais non, car cela dépend, certains d’entre eux sont ici, s’ils sont ici depuis plus de trois ans environ, certains d’entre eux nouent de bonnes relations et d’autres ne le font pas parce que vous entendez parler de certains agents de la GRC qui sont eux-mêmes violents. Je veux dire, dans la façon dont ils interagissent avec les gens. »
Étant donné les inquiétudes entourant les personnes en état d’ivresse dans le centre-ville de la communauté d’Inuvialuit, certains participants étaient d’avis que la police faisait du bon travail. [traduction] « Par exemple, s’il y a des ivrognes dans la rue et qu’ils sont une nuisance, ils les emmènent dans une cellule de dégrisement. Donc, c’est bien. Ils les sortent de la rue et les mettent dans la cellule de dégrisement pour se dégriser. » Cependant, d’autres participants étaient préoccupés par la façon dont la police interagissait avec les résidents en état d’ébriété. Une femme a fait observer [traduction] : « Ils ne le feront pas, s’ils sont en état d’ivresse, ils ne les écouteront pas vraiment, ils ne répondront tout simplement pas. Ils devraient répondre. Et faites un peu attention à l’autre personne, qu’elle soit blanche, noire, inuite, autochtones, cela ne devrait pas avoir d’importance du tout. Un fournisseur de services a fait un commentaire similaire sur le traitement des personnes en état d’ivresse par la police [traduction] : « Et c’est simplement parce qu’elles sont en état d’ivresse, vous savez. Je veux dire, ils sont tous humains, nous sommes tous humains, nous avons la même couleur de sang, vous savez, et des sentiments et ainsi de suite. » Cette prestataire de services était particulièrement préoccupée par l’agressivité des agents lorsqu’ils emmenaient les gens dans la cellule de dégrisement, et [traduction] « les clients revenant avec des ecchymoses et des entorses, vous savez, et injustifiée, vous savez ». Elle a ajouté [traduction] : « La GRC peut penser qu’ils sont ivres par exemple, ils les rabaissent. Et ils se retournent et disent “Eh bien, ils résistent à l’arrestation”; donc, ils ont cela à leur actif, pour dissimuler leur ignorance. »
Un autre participant était d’avis que la police traitait certaines personnes ivres mieux que d’autres. [traduction] « Eh bien, vous savez, ils viennent tout de suite et puis ceux qu’ils ramassent, s’ils les connaissent, ils n’ont aucun problème avec eux, mais, s’ils ne connaissent pas vraiment les autres personnes, ils essaient simplement d’agir brutalement avec eux, de les agresser un peu, quand ils essaient de les ramasser, mais ils refusent un peu. » Cette femme estimait que les nouveaux agents de la GRC étaient particulièrement enclins à être plus agressifs : « quand ils en recrutent de nouveaux, c’est un peu compliqué…. juste la façon dont ils agissent parfois envers nous ou envers eux quand ils viennent chercher des gens… plus agressifs. »
Ces commentaires des participants mettent en évidence certains problèmes fondamentaux liés à la mise en œuvre de l’approche des services de police communautaire encouragée par la GRC, dont la politique relative à la durée des affectations des agents. Un agent a indiqué le roulement presque complet des agents de son détachement en peu de temps [traduction] : « Au cours des derniers, je dirais “six mois” cinq agents ont quitté la communauté, puis j’ai eu une toute nouvelle équipe, cinq nouveaux visages. » Un autre fournisseur de services a noté qu’au cours des sept années où il a vécu dans sa communauté, [traduction] « on a eu au moins peut-être quatre commandants de détachement différents ici. » En conséquence, les agents ne sont dans la communauté que [traduction] « deux à trois ans, peut-être quatre au plus » et beaucoup sont de nouvelles recrues [traduction] « sortant tout juste du Dépôt [qui] viendront faire leurs premiers, six mois à deux ans ici. » Comme l’a dit une femme, [traduction] « il y a toujours différents policiers qui arrivent. Ils restent un certain temps, puis ils partent et ils ont d’autres policiers. » Une autre femme a ajouté [traduction] : « Certains d’entre eux sont un peu distants pendant un certain temps lorsqu’ils sont nouveaux. Pour certains d’entre eux, il leur faut du temps pour s’habituer à vivre dans une communauté parce qu’ils viennent, pour la plupart des villes ».
Leur rotation constante représente un défi important pour les agents. Comme l’a souligné un agent [traduction] : « Vous devez faire vos preuves… chaque fois que vous venez dans une nouvelle communauté. Peu importe d’où vous venez ou combien d’années d’expérience vous avez, vous devez faire vos preuves auprès de ces gens. » Du point de vue de la communauté, cependant, cela signifie que [traduction] « vous avez de jeunes membres qui ne connaissent pas notre communauté ou les types de problèmes auxquels on fait face ou l’histoire unique de cette région. » Dans cette mesure, la rotation constante des agents signifie que les efforts pour prendre part à la police communautaire sont essentiellement voués à l’échec. Étant donné le temps qu’il faut pour établir des relations avec la communauté – pour devenir « une véritable partie de la communauté » – les agents ne feraient que commencer à forger ces relations alors que leur affectation touche à sa fin. Comme l’a expliqué un fournisseur de services [traduction] : « Donc, après deux ans, ils sont bien établis, tout le monde, vous savez, les membres de la communauté les ont acceptés, puis il est temps pour eux de partir. Et puis ils font venir de nouveaux agents de la GRC, et ils doivent donc à nouveau établir cette relation. »
Un fournisseur de services a souligné [traduction] « l’intentionnalité dans la façon dont ils affectent du personnel dans ces petites communautés ». Alors que les agents sont encouragés à adopter une approche de police communautaire, le développement de relations avec les membres de la communauté commence à aller à l’encontre du rôle d’application de la loi de la police [traduction] : « Il devient de plus en plus difficile pour eux de faire leur travail de manière impartiale et d’agir et de réagir en quelque sorte conformément au manuel parce que leurs enchevêtrements d’interaction avec les personnes deviennent de plus en plus compliqués. Et donc, d’une manière, cette [rotation constante] les aide à garder cela propre, mais cela limite également leur capacité à vraiment s’intégrer. »
À cette limite temporelle de la relation police-communauté s’ajoute une division spatiale relative au lieu de résidence des policiers et de leurs familles. Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services [traduction] : « Ils sont dans cette partie de la ville. Personne n’y va. Juste eux, tu vois ce que je veux dire. Donc, eh bien, il y a une division. » Un autre fournisseur de services a expliqué qu’historiquement, la communauté était une « ville de ségrégation ».
[traduction]
Les blancs vivaient ici et les autochtones vivaient ici. Donc, les Autochtones vivaient dans l’extrémité ouest et les Blancs vivaient dans l’extrémité est. Ils avaient tout le beau mobilier, toute la nourriture qu’ils voulaient, ils n’avaient pas à payer de loyer, rien. Ils vivaient avec de l’eau courante. Les gens les aimaient. Mais, dans notre extrémité ouest, nous devions vivre dans une cabane d’une chambre pour environ 12 personnes. Avec des seaux à miel que nous devions aller renverser et aller chercher de l’eau, on devait obtenir de l’eau à la main. Et donc ça a toujours été notre, c’est l’histoire de notre ville.
Un autre participant a parlé des effets de cette division spatiale en disant [traduction] : « À un moment donné, c’était comme s’ils avaient leurs propres petits groupes, la GRC, les soins infirmiers, ils restaient tous au sein de leur groupe, ils ne s’associaient pas aux membres de la communauté. Alors là, les membres de la communauté se méfient déjà d’eux parce qu’ils ne s’associent pas, ne nous connaissent pas parce que, vous savez, on a une culture différente. »
Pour compliquer davantage la question, des préoccupations ont été exprimées quant au fait que les nouvelles recrues ne sont pas suffisamment préparées pour assumer leur rôle. Un agent a déclaré [traduction] : « Je dis au personnel : “Écoutez, vous ne pouvez pas continuer à nous envoyer des gars qui ne sont pas formés”. Si vous venez dans le Nord, il devrait y avoir comme une section spécialisée en soi. Vous devriez venir bien formé, tout à fait prêt lorsque vous entrez en fonction, car ici, c’est stable. »
La fracture entre la police et la communauté, provoquée par la rotation continue des agents, la perception que les agents vivent séparément et indépendamment de la communauté et l’inexpérience des nouvelles recrues mène à des accusations selon lesquelles les policiers sont racistes dans leurs relations avec la communauté inuite.
Racisme ou incompréhension culturelle?
Plusieurs participants étaient d’avis que certains policiers étaient racistes dans leur traitement des Inuits. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Vous en avez certains qui sont vraiment contre les Autochtones. Et on les entend, par exemple, abaissant nos gens et tout ça. Donc, au point où vous ne pouvez pas leur faire confiance, vous savez, si vous rencontrez des gens avec ce genre d’attitude. » Un fournisseur de services pensait également que le racisme était à l’œuvre dans l’intervention de la police. [traduction] « J’ai appelé plusieurs fois pour des clients en état d’ébriété, un comportement agressif, ou autre chose. Moi, en tant que, je déteste le dire ainsi, moi en tant que personne à la peau foncée et aux cheveux noirs… ils peuvent prendre plus d’une heure pour venir aider le public. » Toutefois, [traduction] « lorsque mon patron appelle la GRC, ils sont là dans les cinq minutes… Il est blanc. »
Une autre femme a parlé de la question du racisme par la police [traduction] : « Je ne dis pas tous, mais certains sont racistes et ils ne vous regarderont que d’une façon et non, comme, ils vous considéreront autrement qu’un être humain, une personne comme tout le monde. » Cette femme croyait que la racine du racisme était le manque de compréhension de la police à l’égard des Inuits [traduction] : « Ils ne nous connaissent pas, ni notre culture, ni comment nous avons été élevés… C’est un peu difficile à expliquer parce qu’avec eux, ils ne voient les choses que d’une seule manière et ils ne voient pas comment nous sommes, comment nous traitons nos propres problèmes en tant que familles, en tant qu’Autochtones. Nous nous comprenons parce que nous le faisons depuis toujours. Mais pour eux, ils ne comprennent pas vraiment. »
Une prestataire de services a également évoqué ce problème. Selon elle, le fossé entre la police et la communauté n’est pas dû au racisme, mais à des malentendus culturels :
[traduction]
Je suis sûre qu’il y a du vrai racisme. Il y a des racistes partout, non. Mais, je pense que cela est dû davantage à des malentendus culturels. Je ne pense pas que ce serait du racisme délibéré… Ils peuvent tout simplement ne pas comprendre comment quelque chose est fait. Je pense que ce serait plus ça, non. Et on pense souvent que si quelqu’un ne nous comprend pas, il ne nous aime pas, non. Eh bien, ce n’est pas du tout le cas, ils ne vous comprennent pas vraiment et vous ne les comprenez pas… Je pense donc qu’on a tous ces malentendus culturels – et des deux côtés. Parce que je vois souvent des policiers de la GRC, je les entends dire : « Tout le monde est tellement raciste contre nous parce que nous sommes blancs. » Je pense : « Non, c’est parce qu’ils ne vous comprennent pas. »
Un autre fournisseur de services a convenu que les malentendus entre la police et la communauté étaient une source importante de la fracture existante :
[traduction]
Ils ne comprennent pas d’où nous venons. Vous devez comprendre, vous êtes probablement au courant des pensionnats indiens et du traumatisme, vous savez, je dis ça, je ne dis rien. C’est ce qu’ils doivent comprendre, c’est d’où viennent ces gens? Comme, vous savez, que leur est-il arrivé? Pourquoi sont-ils si en colère? Pourquoi, vous savez, s’en prennent-ils à l’autorité? Ils doivent comprendre cela. C’est ce dont on a besoin.
Un fournisseur de services a donné un exemple du manque de compréhension ou de connaissances de la police sur l’histoire des Inuits :
[traduction]
Il y a quelques années, un membre [de la GRC] m’a dit : « Pourquoi ne s’en remettent-ils pas? Les écoles ont fermé il y a cent ans. » J’ai dit : « Non, ce n’est pas vrai, ils ont fermé en 1995 ici. » Et il était choqué, il pensait que nous parlions de l’histoire ancienne qui est arrivée aux arrière-grands-parents. J’ai dit : « Vous ne trouverez personne ici de plus de 50 ans qui ne soit pas allé au pensionnat. » Et j’ai commencé à nommer certaines personnes. Il était consterné. Il ne le savait pas.
Ce même fournisseur de services croyait également que la police n’était pas au courant des répercussions des pensionnats indiens :
[traduction]
C’est quelque chose que l’on n’enseigne pas à la police ou si c’est le cas, c’est comme une leçon de 10 minutes. Et cela devrait vraiment être une journée entière avec des aînés et peut-être certains des prestataires de services qui leur expliquent les répercussions émotionnelles et psychologiques et la déconnexion des enfants par rapport aux parents, aux familles et à la culture. Et même eux-mêmes. Vous prenez n’importe quel enfant dans le monde et vous l’arrachez à tout ce qu’il connaît et vous allez avoir des problèmes.
En lien avec ce manque de compréhension du traumatisme colonial subi par les Inuits, un fournisseur de services était préoccupé par le fait que les agents de la GRC ont peu de formation sur la façon de travailler de façon interculturelle, en particulier avec les victimes de violence fondée sur le sexe.
[traduction]
Je sais que la grande majorité des agents de la GRC a très peu d’expérience des entrevues. On leur apprend à interroger, ce qui est bien sûr totalement différent. Donc, quand on utilise cette méthode avec une victime d’abus, vous abusez à nouveau cette personne. Mais, pour tirer réellement des informations, il faut un ensemble complet de compétences et pour le faire selon les différentes façons culturelles, un autre ensemble de compétences. Et ce que nous voyons, c’est ce manque de compréhension et ce manque de compétence. Et, bien sûr, s’ils les développent, on va de toute façon les perdre dans quelques années.
Un autre fournisseur de services a indiqué qu’un atelier sur les pratiques d’enquête fondées sur les traumatismes avait récemment été organisé à l’intention des agents de la GRC. [traduction] « On était tous en quelque sorte surpris qu’ils n’aient pas eu ça… Je parlais simplement de manière informelle à quelques agents et ils se sont rendu compte qu’ils interrogeaient ou que la façon dont ils parlaient aux victimes n’était peut-être pas la plus appropriée. »
Ce manque de compréhension se manifeste s’autres façons, dont [traduction] « la façon dont les gens vous disent quelque chose ». À titre d’exemple, un fournisseur de services a expliqué comment le mot [traduction] « déranger » est utilisé. Elle se souvient d’une époque où une jeune Inuk lui avait dit qu’un homme la « dérangeait ». Comme elle l’a noté, [traduction] « dans ma façon de voir le monde à ce moment-là, cela signifiait que vous m’embêtez, comme, peut-être que vous me taquinez et que je n’aime pas ça. » Mais lorsque le prestataire de services a demandé des éclaircissements, la jeune femme a révélé [traduction] « qu’en fait, il la violait ». Ce problème est apparu lors de l’une des entrevues menées dans le cadre de cette étude. En racontant ce qui lui était arrivé quand elle était plus jeune, une femme a dit [traduction] : « plusieurs de mes frères nous dérangeaient, quelques-unes de nous, les filles. » Lorsque l’intervieweur a demandé ce qu’elle entendait par « déranger », la femme a répondu [traduction] : « ils avaient des relations sexuelles avec nous quand nous avions 10 et 11 ans ». Comme l’a noté le fournisseur de services, [traduction] « “déranger”, ici, signifie une agression sexuelle. Mais si vous êtes un travailleur social, la GRC ou quiconque et vous venez d’arriver ici, cela ne veut rien dire pour vous. Vous ne le comprendriez pas. » Elle a replacé la question dans son contexte historique [traduction] : « Si vous regardez en arrière, vous savez, même les pensionnats que vous n’avez jamais dit, n’est-ce pas? Et vous n’avez jamais dénoncé le délinquant et si vous le faisiez, cela aurait des conséquences horribles. Donc, c’est toujours cette allusion autour du pot. »
L’écart entre la police et la communauté engendre facilement un manque de confiance de la part des membres de la communauté. Comme l’a dit un fournisseur de services [traduction] : « Où allons-nous demander de l’aide? À qui d’autre pouvons-nous nous adresser, vous savez, si on ne fait pas confiance à la GRC, si on ne fait pas confiance à ses membres. Où ça? »
Appeler la police pour obtenir de l’aide
Une autre source de division entre la police et la communauté concerne les protocoles de la police pour traiter les signalements faits par les citoyens. Selon les participants, les contacts avec la GRC au cours des années précédentes ont été plus simples. Comme l’a indiqué une participante [traduction] : « Il y a longtemps, nous pouvions téléphoner à la GRC, et ils étaient là tout de suite, sans poser de questions. » Mais, [traduction]« aujourd’hui, il y a certaines règles ». Elle a ensuite précisé :
[traduction]
Par exemple, si j’appelle la GRC et que j’ai vu quelqu’un se faire tabasser, un homme battre sa femme, peu importe, ou battre son enfant, quoi que ce soit, immédiatement, ils vont me poser toutes sortes de questions, votre nom, votre – [des questions personnelles?]. Oui, personnelles, ils vont vous poser des questions personnelles avant de s’attaquer au problème. Lorsque vient le temps d’aborder le problème, cette personne est déjà, quiconque l’a battue est déjà parti et s’est enfui et on ne sait pas où il est parti, vous savez. C’est donc cette période entre le moment où vous l’avez vu et le moment où vous, vous savez, c’est... la plus critique.
Il semblerait qu’une source clé de la frustration de la communauté soit le système de répartition de la police. Comme un fournisseur de services l’a expliqué :
[traduction]
Fondamentalement, après les heures de travail ici, car on n’a qu’un ou deux membres et ils ne peuvent pas prendre tous les appels et être sur le terrain. En fait, lorsque vous composez le numéro de la GRC ici, vous avez affaire au service de répartition de Yellowknife, mais vous ne le savez peut-être pas, cela fait partie du problème… Donc, la plupart des gens quand ils ont quelqu’un, vous savez, « C’est Fred, c’est Fred, viens tout de suite. » « Eh bien, Fred, où es-tu? » « Chez moi. » « Où est ta maison Fred? » « Près de la serre, à droite. » « Non, non Fred, quel est ton nom? Quel est ton prénom et nom de famille? Quelle est ta date de naissance? Dans quelle ville es-tu? » C’est là que les gens sont frustrés localement.
Une participante estimait que le système de répartition était particulièrement troublant pour les femmes dans des relations violentes. Les femmes doivent transmettre les informations au répartiteur de Yellowknife, qui les transmet ensuite à la GRC du détachement communautaire. [traduction] « Alors ils rappellent et ensuite vous devez leur raconter à nouveau toute l’histoire. Et ça devient frustrant, vous savez. C’est frustrant pour la femme qui essaie de fuir, car elle a déjà raconté son histoire, ses faits une fois. Pourquoi devraient-elles les répéter? C’est donc souvent le temps de réponse, oui. »
Plusieurs participantes ont raconté l’expérience qu’elles sont vécues lorsqu’elles ont appelé la police pour obtenir de l’aide en raison d’un partenaire violent.
Intervenir en cas de violence familiale
Une femme inuvialuit a parlé des mauvais traitements qu’elle avait subis de la part de son partenaire. [traduction] « J’ai été battue souvent... Cela arrivait à chaque fois qu’il buvait. Je n’ai jamais été, je ne pense pas que j’étais en sécurité quand il buvait parce que j’ai toujours su que quelque chose allait se passer. Dès qu’il est rentrait ivre à la maison, je savais qu’il devait se passer quelque chose, oui. » Lorsque son partenaire devenait violent, elle [traduction] « fuyait souvent sans chaussures, parfois sans veste. Et je descendais à l’autre bout [de la ville], au milieu de l’hiver » où habitait sa famille.
La violence a été signalée à la police [traduction] « à plusieurs reprises ». Les premières fois qu’elle a fait appel à la police, ils l’ont retirée, elle et les enfants, de la maison. [traduction] « Oh, mon dieu. On…je devais sortir avec mes propres enfants. Ils ne me laissaient pas rester à la maison avec mes enfants. Ils me feraient sortir et laisser mon conjoint rester à la maison. Et c’était terrible. J’ai dit : “Pourquoi ne pouvez-vous pas l’emmener et nous laisser à la maison?” Mais, ils nous prenaient à la place de l’agresseur. » La police l’amenait au refuge pour femmes. « Et c’était tellement inconfortable, comme totalement inconfortable. C’est... Ce n’était pas notre maison. On devait marcher sur des œufs, parce que, qui d’autre était là. Et je ne voulais pas vraiment que quelqu’un sache qu’on était là. Mais, je n’avais pas le choix, mes enfants étaient petits, alors oui. » Après [traduction] « tant de fois qu’ils ont fait cela », la police a finalement retiré son partenaire de la maison. Cependant, son partenaire revenait rapidement, [traduction] « dérangeant, donnant des coups de pied à la porte, cognant, hurlant. Et puis, on appelle et appelle. Ils disent : “Oh vous autres”, ils essaient de dire : “Vous téléphonez juste pour lui faire peur.” J’ai dit : “Bon sang”. J’ai dit : “j’ai quatre enfants à la maison.” J’ai dit : “Comment je pourrais plaisanter avec des trucs comme ça?” »
Son partenaire, cependant, a fini par être accusé [traduction] « à plusieurs reprises ». [traduction] « La dernière fois qu’il m’a battu, c’était vraiment grave. J’avais des coupures à la tête et des bleus partout, oui. Il s’est toujours assuré de viser mon visage quand il me battait, pour que je, il ne m’empêcherait jamais de sortir, par contre, oui. » Cette fois-là, son partenaire a fini par purger une peine de 16 mois de prison.
Le couple s’est depuis réconcilié, en grande partie parce que son partenaire a changé [traduction] « énormément ». [traduction] « Avant, on buvait, je recevais tous les coups quand on était ivres. Mais, maintenant il n’est même plus... maintenant quand il se fâche contre moi, je m’en vais ou il s’éloigne. Il y a eu un grand changement. » Avec le recul, la femme pensait que la police aurait pu réagir différemment; ils [traduction] « auraient pu les sortir de la maison ou les inculper plus tôt et, vous savez, être venu plus tôt ou avant que quelque chose ne se produise, que quelque chose de pire se produise. »
Une autre femme de l’Inuvialuit avait été victime de violence de la part d’un partenaire intime il y a à peine deux ans. [traduction] « C’était émotionnel, physique, c’est devenu physique vers la fin. » L’homme a été arrêté par la police. [traduction] « Après avoir pris ma déclaration, ils ont dit qu’ils resteraient en contact avec moi après leur intervention. » La police est revenue plus tard et l’a informée des conditions qui avaient été imposées à son partenaire, [traduction] « qui étaient de rester loin de moi et de ne pas essayer de me contacter et de ne pas du tout me parler. » Cependant, l’homme n’a pas respecté ces conditions, au point où [traduction] « il s’est même présenté ici [le refuge pour femmes] à la porte. » Elle a appelé la GRC [traduction] « à chaque fois », mais, [traduction] « rien n’a été fait ».
[traduction]
Et cela m’a vraiment contrariée, parce que je devais parler de cette situation avec des membres de la GRC différents à chaque fois… Un agent de la GRC m’a dit qu’ils voulaient l’attraper pour une infraction réelle quand il fait quelque chose. J’ai dit : « C’est une infraction. » Et ils ont dit qu’ils voulaient l’attraper pour quelque chose de plus. J’ai dit : « Eh bien, qu’est-ce qu’il vous faut? Qu’il me tue? » Et ils ont juste dit : « Non. » Je dois juste être plus prudente. … Et non, ils n’y ont pas donné suite, à ma connaissance, comme ils auraient dû le faire.
Outre l’ordonnance de non-communication et une condition pour s’abstenir de consommer de l’alcool, son partenaire a été condamné à une peine de 90 jours de prison, à purger les fins de semaine. La femme a déclaré qu’elle [traduction] « avait eu une très bonne travailleuse par l’intermédiaire des Services aux victimes. Elle m’a vraiment aidée. Elle a vraiment fait comprendre à la GRC la gravité de la situation. » Lorsque son partenaire a omis de se présenter pour sa peine de fin de semaine, la travailleuse des Services aux victimes [traduction] « a en fait dû téléphoner à Yellowknife, le sergent-chef ou qui que ce soit à Yellowknife, pour que quelque chose soit fait… Et c’était la seule raison pour laquelle il avait été arrêté à ce moment-là parce que ma travailleuse des Services aux victimes s’est fait entendre, d’ici à Yellowknife. Et c’est la seule fois où des choses ont été faites. »
Son partenaire a été envoyé à Yellowknife pour purger le reste de sa peine. À sa libération, il a commencé une nouvelle relation. [traduction] « Donc tant qu’il est avec elle, il fait comme s’il ne me connaissait même pas, c’est ce que je veux. Mais, il y a des moments où je le vois dans la rue et s’il est ivre, il le ferait, il essaie de me parler et je l’ignore. » Bien que la femme ait réussi à sortir de cette relation, elle n’était pas satisfaite de la réponse de la police : [traduction] « Ils auraient pu intervenir. Ils auraient pu le confronter. Et ils auraient pu faire quelque chose pour s’assurer que, ce qu’ils lui avaient donné, s’assurer qu’il y avait donné suite ou pris plus d’initiative pour entrer et lui parler et s’assurer qu’il, comme, lui rappeler encore et encore, s’ils doivent le faire, ses conditions. Mais non, ils ne l’ont pas fait. »
La femme a connu un autre incident de violence de la part d’un partenaire intime il y a un an. La police a de nouveau été appelée, mais compte tenu de son expérience antérieure, la femme ne voulait pas porter d’accusations [traduction] : « Et j’ai juste dit “Non”. Je préfère simplement enterrer le problème plutôt que de passer par le tribunal et de faire affaire avec le GRC à cause des incidents, je n’ai reçu aucune aide ni rien. Alors, pourquoi devrais-je passer à travers de tout ça? »
Une troisième femme de l’Inuvialuit a été victime de violence physique de la part de son partenaire. La femme a déclaré :
[traduction]
Il n’est pas, comme, on n’est pas de la même culture. C’est un Blanc. Et quand on a commencé à sortir, on ne se connaissait pas vraiment. Mais, on s’est retrouvés ensemble et lui, je suppose que lui, son passé était difficile. Ses parents, je pense que ses parents étaient, vous savez, ils se disputaient toujours et ils ne s’entendaient pas, donc cela a affecté mon conjoint de fait à cette époque. Et parce que j’ai entendu dire qu’il avait été dans l’armée, donc ça aurait pu affecter la façon dont il, son bien-être.
Le couple [traduction] « se disputait. Comme, il me battait dans notre, au début de notre relation avant d’avoir des enfants. » À une occasion, les deux se disputaient. Elle a couru dans la salle de bain et a fermé la porte. [traduction] « Mais à ce moment-là, il était comme plus fort que moi, alors il est parvenu à entrer dans la salle de bain. Et il avait un couteau et j’essayais de courir, comme, sortir de la salle de bain, mais il me retenait dans la salle de bain. Et il coinçait mes bras avec un de ses bras et il avait l’autre, son autre main, il avait un couteau et il le tenait contre ma gorge. » La femme a réussi à éviter des blessures graves et a attendu que son partenaire s’endorme avant de contacter la police. [traduction] « Parce qu’il a dit que si je sortais ou que je le disais à quelqu’un, la prochaine fois, il me tuerait… J’avais tellement peur... Quand il s’est endormi, je suis sorti de la maison et je suis allée directement voir la police et je leur ai dit. » La police a enquêté et, trouvant le couteau, a inculpé l’homme. [traduction] « Quand il était au poste, il a avoué ou il a admis, oui. » Il a fini par passer trois mois en prison pour l’agression.
La violence dans la relation s’est poursuivie. Mais, lorsque la police était appelée, [traduction] « il essayait de s’en sortir. Il faisait croire que j’étais folle ou que j’exagérais. » La police [traduction] « demandait simplement ce qui s’était passé et ensuite, vous savez, ils nous disent, vous savez, ce que nous pourrions faire. Et puis, ils partaient. » La police lui a dit que [traduction] « ce n’était pas de la violence domestique, comme s’il n’y avait pas suffisamment de preuves ou, vous savez, quoi que ce soit pour sortir une personne de la maison ou porter des accusations. » À l’une de ces occasions, cependant, c’est la femme qui a été arrêtée. Les deux s’étaient disputés sur la façon dont il disciplinait sa fille. [traduction] « Il sait comment me provoquer... Et ça m’a énervé encore plus. Et il ouvrait la porte et la fermait jusqu’à ce que je sois tellement en colère que j’ai frappé la porte et j’ai fait un trou. » C’est la femme qui a appelé la police. [traduction] « Ils sont venus et j’ai commencé à raconter ma version et d’une manière ou d’une autre je me suis fait arrêter (petit rire), oui... Ils m’ont amené au poste de police et m’ont pris les empreintes digitales. Et ils m’ont retenue à la station ce soir-là et le lendemain, j’ai dû trouver un endroit où rester. Et on ne m’a pas permis de rentrer chez moi. »
La femme estimait que la police aurait dû réagir différemment. [traduction] « Ils peuvent, au lieu d’un simple conseil, vous savez, l’emmener lui. Par exemple, nous avons fait tellement d’appels, ils auraient dû savoir, ils auraient dû savoir maintenant que, c’était comme s’ils ne prenaient pas ça au sérieux, comme, me prendre au sérieux parce que je suis Inuk. Soit ça, soit ils étaient juste fatigués des nombreux appels téléphoniques depuis ma maison. »
Ces trois histoires mettent en évidence certaines des préoccupations exprimées par les femmes inuvialuit lorsqu’elles demandent à la police d’intervenir en cas de violence familiale : des inquiétudes concernant la non-intervention de la police en temps opportun; des inquiétudes quant à la nécessité de sortir du domicile au lieu de l’agresseur; le souci de s’assurer que les conditions imposées par les tribunaux sont correctement surveillées et appliquées; et la crainte que les femmes inuites ne soient prises au sérieux lorsqu’elles expriment des craintes pour leur sécurité. Cependant, un agent de la GRC a présenté un point de vue différent sur le rôle de la police dans la lutte contre la violence familiale.
Le « jeu dans le jeu »
L’agent était bien conscient de la gravité de la violence fondée sur le sexe qui sévit dans la région, affirmant que lorsque les hommes [traduction] « deviennent violents, ils deviennent violents. Ils sont très abusifs. Ce n’est pas juste pousser et tirer un peu de cheveux. C’est une vraie raclée. » Il a également exprimé son dévouement à remplir son rôle de policier [traduction] : « Il n’y a rien que nous ne ferions pas pour elles… comme, il n’y a rien. Nous ne refusons personne ici. Aucun appel n’est considéré sans importance. C’est ma devise. » Mais, sa frustration était également palpable lors de l’entrevue. Cette frustration était dirigée vers les femmes victimes de violence.
Selon l’agent, trop de femmes feront pression pour que des accusations soient portées contre eux pour se venger contre leurs partenaires, mais ne vont ensuite pas aller jusqu’au bout du processus judiciaire – et vont ensuite reprendre la relation avec leur agresseur. Comme il l’indique [traduction] : « Les femmes font toutes marche arrière à la dernière seconde devant le tribunal, 90 % d’entre elles. » Cette frustration est également ressentie par les membres de son détachement.
[traduction]
Ils ont consacré beaucoup d’efforts aux enquêtes, ils ont consacré beaucoup d’efforts. La Couronne veut tout, elle veut cette divulgation, et ce processus de divulgation est tellement, il y a beaucoup de règles d’engagement. Donc, et nous devons suivre ces règles et beaucoup de paperasse, beaucoup de cases à cocher, vérifier la liste de toutes ces choses. Et puis vous regardez, c’est comme faire pousser une plante, dans les premières étapes de sa vie. C’est votre affaire judiciaire, vous la nourrissez, vous essayez d’obtenir toutes les informations, vous savez, pour porter la bonne accusation, pour aider la victime, pour accélérer tout le processus judiciaire afin qu’elle ne sombre pas, toutes ces choses. Et puis Boom! Elles [les femmes] passent et elles coupent ça. Terminé.
L’agent a expliqué le problème dans le contexte d’un jeu. La réponse du système de justice pénale à la violence fondée sur le sexe est le jeu plus large, dans lequel la police intervient et porte des accusations, qui sont ensuite traitées par les tribunaux. C’est un jeu que la police [traduction] « n’aime pas perdre ». Ils sont [traduction] « passionnés » par ce qu’ils font. « Donc, à chaque enquête que nous menons, nous ne voulons pas perdre parce que si quelqu’un vient nous voir pour obtenir de l’aide, nous ferons de notre mieux pour aider les gens. »
Selon l’agent, cependant, il y a aussi un « jeu dans le jeu » auquel jouent les femmes victimes de violence fondée sur le sexe – un jeu « vindicatif » dans lequel la police est l’un des pions. Il a précisé [traduction] : « Je dis le mot "vindicatif" parce que c’est comme, la question est "Comment puis-je me venger pour le mal que tu m’as fait? »
[traduction]
Voilà donc comment cela se décompose. Ce n’est pas dans tous les cas, mais c’est ici, cependant. C’est dans cette communauté, c’est presque dans chaque communauté où j’ai travaillé dans le Nord ici... Vous avez donc un appel pour violence conjugale, homme ou femme, quel que soit l’instigateur, la plupart du temps c’est 99 % du temps, c’est l’homme qui est l’instigateur et la femme la victime. Nous allons donc assister à cet appel, nous allons suivre ce processus et, généralement, la plupart du temps les hommes sont partis, 50 % du temps, ils sont toujours là. Nous procéderons à l’arrestation, nous publierons les dates d’audience, les ordonnances de non-communication, tout ça, les services aux victimes, tout cela sera mis en place. Puis la vengeance commence. Maintenant, c’est à son tour à elle de lui faire mal. Par exemple, en augmentant les conditions, tout ça, jusqu’au moment où il règle ses affaires au tribunal ou s’il va être libéré, alors c’est comme, « d’accord, maintenant vous pouvez le renvoyer à la maison maintenant. » Mais, il vous a à moitié tué, mais maintenant vous pouvez le renvoyer à la maison maintenant?
Bien que ce « jeu dans le jeu » ne se joue pas dans « tous les cas », l’agent a fait remarquer que [traduction] « ce sont ceux qui me dérangent parce que je sais que la vie ne s’améliorera pas dans cette maison. Et puis un jour, nous allons la trouver morte ou gravement blessée. »
Selon l’agent, une « véritable victime » serait une femme qui met fin à la relation :
[traduction]
Une vraie victime serait à la porte ici : « Non, je veux qu’il sorte. C’est tout. J’en ai assez. Je ne peux plus faire ça. » Vous savez, quand il y a un vrai scénario de vraie violence, de véritable victimisation, d’une femme victime de violence qui veut juste sortir et ne veut plus jamais supporter ça. Mais ces cas, pour tous les cinq ou six auxquels on a affaire, peut-être que l’un d’eux est comme ça. Mais le reste n’est qu’un jeu vindicatif.
Son désir est que [traduction] « chaque femme vienne au tribunal témoigner pour montrer que vous n’accepterez pas cela. J’ai une tolérance zéro pour la violence familiale. J’ai plus de tolérance zéro pour ce jeu. » Il prend la question personnellement [traduction] : « sérieusement, chaque fois qu’une accusation de violence familiale, de violence contre les femmes, sort du tribunal, que les procédures sont suspendues, les accusations retirées, ça fait mal. Ça fait mal. Je n’aime pas perdre ces affaires. »
L’agent, cependant, n’était pas optimiste quant à la possibilité que les hommes qui se livrent à la violence fondée sur le sexe changent. Sa solution était dramatique [traduction] : « Si je pouvais emmener 30 de ces gars dans la communauté et les emmener faire une promenade en bateau avec des bottes en ciment, c’est ce que je ferais. Parce que de leur vivant, ils n’obtiendront pas l’aide nécessaire pour changer. Donc, s’ils passent de la relation à la prochaine relation… Ce n’est pas une traînée de larmes brisées, c’est une traînée de femmes brisées, parce qu’elles ne résolvent pas le problème, alors elles font passer cet abus d’une relation à l’autre. » Il n’était pas non plus optimiste quant au fait que les sources du changement se trouvent au sein de la communauté. Au contraire, le seul moyen pour que les femmes soient vraiment à l’abri de la violence est de quitter leur communauté et de commencer une nouvelle vie. [traduction] « Parce que si une vraie victime disait simplement : “Non, je veux sortir de cette relation. Je veux commencer une nouvelle vie parce que je ne peux pas supporter la douleur, la maltraitance et la souffrance”, pour moi, c’est une vraie victime qui veut sortir de la relation et prendre un nouveau départ et poursuivre sa vie. » Mais, en même temps, l’agent a reconnu que les chances de le faire sont minces.
[traduction]
Si vous êtes une victime, vous voulez juste sortir, vous voulez un endroit sûr, vous savez, un endroit où vous n’allez pas être maltraité ou vous n’allez pas être maltraité mentalement, où on ne va pas vous parler comme ça, vous voulez éloigner vos enfants de cela, absolument. Mais ça, parce qu’il n’y a pas, où vont-ils aller? Où vont-ils aller? Qui va leur offrir une issue? Qui va leur offrir une vie meilleure en dehors d’ici?
En ces termes, peut-être que les femmes inuites prises au piège d’une relation violente savent aussi que leurs options sont limitées, ce qui pourrait aider à expliquer pourquoi certaines femmes pourraient prendre part au « jeu dans le jeu ».
D’autres participants étaient conscients des ressources limitées disponibles pour les femmes inuites qui subissent de la violence fondée sur le sexe. Un fournisseur de services a noté que seulement deux des six communautés de l’Inuvialuit ont des refuges pour victimes de violence familiale. Dans les quatre communautés sans refuge, [traduction] « il peut y avoir des moments où une femme passe la nuit, disons au centre de santé ou des choses comme ça, mais il n’y a pas de refuge désigné. » Étant donné la petite population de ces communautés, [traduction] « la création d’un refuge pour victimes de violence familiale est juste, est une chose vraiment importante, non seulement en termes d’infrastructure dans une communauté où il n’y a déjà pas assez de logements, mais en termes de niveaux de personnel requis. » Un policier a déclaré :
[traduction]
Nous répondons au départ et nous essayons de soutenir les survivants et les victimes, mais souvent ces survivants et victimes n’ont aucun moyen de sortir de leur situation actuelle, car il s’agit d’une petite communauté, ils n’ont nulle part ailleurs où ils peuvent rester, il n’y a pas de refuges disponibles, les gens connaissent souvent les affaires de tout le monde, donc ils auront honte même d’appeler la police en premier lieu ou d’engager des poursuites. Il est donc très difficile d’isoler ou de protéger les survivants et les victimes de ce genre de choses dans les petites communautés. Donc, vous savez, je pense que, parce que les victimes et les survivants font face à tellement de défis eux-mêmes, que c’est aussi un défi pour la police, pour essayer d’aider ces personnes.
Qu’est-ce qui doit être fait?
Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services, la police est très « à l’arrière-plan » dans les efforts déployés pour répondre à la violence fondée sur le sexe. [traduction] « Elle l’est vraiment. C’est elle, puis le tribunal, puis tout ce qui se passe avec le délinquant. Elle n’est pas à l’avant… Elle a vraiment affaire au produit final de la violence. La violence s’est déjà produite. » Néanmoins, les participants ont fait des suggestions sur ce qui pourrait être fait pour améliorer les services de police dans la région de l’Inuvialuit.
Plusieurs participants ont attiré l’attention sur ce qu’ils considéraient comme de longs délais d’intervention par la police. [traduction] « Je pense qu’ils sont un peu lents pour arriver à l’endroit où quelqu’un est blessé ou quelque chose. Par exemple, pour cette petite communauté, on pourrait penser que ce serait plus rapide, vous savez, leur réponse aux appels et peu importe. » Un autre participant a déclaré que la police devait [traduction] « venir plus vite au lieu d’attendre la dernière minute » lorsque la violence familiale éclate. Elle n’aimait pas que la police [traduction] « doive attendre qu’on soit presque battue à mort ou qu’on ne puisse à peine plus bouger avant de venir ».
Les participants ont également souligné la nécessité de combler le fossé qui existe entre la police et la communauté. La clé pour combler ce fossé est que les policiers doivent être mieux informés sur les communautés qu’ils desservent. Comme l’a dit un participant à un groupe de discussion, [traduction] « la GRC doit connaître la communauté et les personnes qu’elle protège. C’est la seule façon pour les gens de se sentir en sécurité. » Un participant de l’Inuvialuit a souligné que la police doit être mieux informée sur l’histoire coloniale et les défis que les Inuits ont rencontrés suite à cela :
[traduction]
Ce que je dis, c’est qu’ils devraient être plus impliqués, par exemple, les envoyer d’abord dans un endroit où ils apprennent à connaître différents peuples autochtones et apprennent à les connaître d’abord de notre côté, où ce que nous faisions il y a cent ans. Et apprendre un peu plus sur notre culture et sur la façon dont nous faisons les choses. Et pas seulement les jeter comme, en quelque sorte « Ici, tu t’occupes d’eux ». Et nous ne sommes pas comme des déchets de je ne sais quoi. Mais, pour qu’ils nous connaissent d’abord en quelque sorte avant d’essayer de venir travailler avec nous ou de nous aider. Et ils devraient être plus sensibles à ce que nous traversons. Pour nous, c’est difficile parce que c’est un changement, un grand, grand changement par rapport à ce à quoi nous sommes habitués et à la façon dont nous avons été élevés et à ce que nous voyons et faisons.
En plus d’en apprendre plus sur l’histoire des Inuits, les policiers pourraient faire plus d’efforts pour apprendre le dialecte local. Comme l’a suggéré un participant [traduction] : « S’ils pouvaient prendre le temps d’aller participer aux cours de langue, juste pour apprendre les mots de base comme “bonjour” et “comment allez-vous” et “merci”, vous savez, juste les bases pour l’instant jusqu’à ce qu’ils soient à l’aise de les dire. Ce serait vraiment bien pour eux, de cette façon, ils peuvent comprendre certaines des personnes à qui ils parlent. » Ce même participant a également suggéré que la GRC pourrait faire davantage pour offrir des interprètes et pour installer des affiches en Inuvialuktun. [traduction] « La majorité des gens dans ma ville natale ne comprennent pas toujours l’écriture, comme la longueur des mots et ce qu’ils signifient. Et ils ont toujours besoin de quelqu’un pour interpréter pour eux ou les aider à comprendre. »
De plus, la formation policière doit inclure des approches tenant compte des traumatismes. Comme l’a reconnu un agent [traduction] : « Si nous commençons vraiment à nous former à des approches tenant compte des traumatismes, je pense que cela contribuera également à améliorer les relations avec les personnes vulnérables de la société si la police comprend mieux comment les traumatismes ont affecté certaines de ces personnes. »
Combler le fossé suppose également d’éduquer la communauté quant au type d’informations dont la police a besoin lorsqu’elle est appelée, notamment au moyen du système de répartition. Comme l’a expliqué un fournisseur de services [traduction] : « Je pense qu’il s’agit en partie d’expliquer la façon d’appeler la police et de quoi elle a besoin, de quoi elle a besoin pour venir vous aider et vous garder en sécurité. Et aussi, les gens ne comprennent pas que même si la personne vous parle au téléphone, ils envoient vraiment quelqu’un, mais parce que vous ne les entendez pas le dire, vous savez, ils le tapent, peu importe, ils supposent que rien ne se passe. »
Étant donné que la police est située « à l’arrière » de l’effort de riposte à la violence fondée sur le sexe, les participants étaient d’avis qu’il fallait faire plus de travail pour intégrer les services offerts. Un agent a exprimé l’opinion suivante :
[traduction]
Nous avons besoin de bien plus qu’une simple réponse de la police. Nous en faisons partie, nous pouvons généralement assurer une sécurité immédiate aux personnes, nous pouvons essayer de tenir les suspects responsables de leurs actes, mais en fin de compte, je pense qu’il doit y avoir une sorte d’approche multidisciplinaire et multidimensionnelle de la violence fondée sur le sexe. Et souvent, l’application des lois n’est pas toujours la meilleure façon de gérer ce type de choses à long terme. Nous ne sommes donc qu’une petite partie du rouage, mais nous avons besoin, vous savez, de bien plus de choses qui peuvent être faites et qui pourraient aider les survivants et les victimes.
Pour soutenir et aider les survivantes de la violence fondée sur le sexe, une participante a suggéré que la police doit travailler plus étroitement avec les Services aux victimes :
[traduction]
Lorsqu’il y a des plaintes de violence, ils devraient contacter automatiquement les services aux victimes et dire : « Nous avons une victime ici, une victime de violence, pouvez-vous aider cette personne », au lieu de le lui dire : « téléphonez aux Services aux victimes. » Parce que cette personne, elle est déjà suffisamment stressée par toute cette violence qui lui est arrivée, elle ne sera pas assez forte pour téléphoner aux Services aux victimes... Elles ne vont pas appeler parce qu’elles vont avoir peur. Même si les services sont là, la GRC et ces services doivent travailler avec ce client au lieu de renvoyer cette personne à la maison avec un morceau de papier et de se dire : « mince alors, je dois téléphoner. » Et elles ne comprendront pas, à ce moment-là, leur adrénaline va être si élevée, elles ne vont pas, vous savez, elles vont dire : « Eh bien, j’ai trop peur parce que untel et untel vont découvrir et vont devenir plus violents, etc. » Il faut donc une collaboration ou de meilleures ressources pour éviter de telles situations. Parce que c’est réel, ça arrive.
Un fournisseur de services a renforcé ce point de vue en suggérant que les divers organismes de services sociaux et la police doivent collaborer plus étroitement. Cela supposerait en partie que les fournisseurs de services se connectent à la GRC [traduction] « et leur fassent savoir ce qu’ils font et, vous savez, voici ce que nous faisons ici et ce que vous faites là-bas ». Cela pourrait également nécessiter que des travailleurs sociaux et des policiers travaillent en tandem lorsque de la violence fondée sur le sexe survient. [traduction] « Ce ne sont pas des postes opposés, travailleur social et GRC, que vous travaillez ensemble. Vous pourriez avoir des chemins différents vers le même objectif de garder tout le monde en sécurité. » Du point de vue de la police, former des partenariats signifie [traduction] « s’assurer que vous vous manifestez pour savoir quels services sont disponibles dans votre communauté. Souvent, ils ne sont pas là, mais si vous passez quelques appels téléphoniques, il existe des services d’assistance dans d’autres communautés voisines ou de Yellowknife qui pourraient vous aider. Donc, former ces partenariats tôt est quelque chose que nous devons certainement faire. Et cela dépend vraiment du type de policier que vous avez dans la communauté. »
En outre, de nouvelles mesures pourraient être prises pour assurer la sécurité des femmes. Comme l’a suggéré un prestataire de services [traduction] : « leur apporter directement les services au lieu de devoir sortir de la communauté ou de leur lieu de sécurité ce serait une très, très grande aide. Je pense qu’ils pourraient mieux travailler avec les femmes, oui. Elles se sentiraient plus en sécurité. »
Les participants ont également noté que davantage de ressources sont nécessaires dans la communauté pour les femmes qui fuient la violence. Comme l’a fait remarquer une femme :
[traduction]
Donc, actuellement, notre maison de transition, nous n’avons que huit lits pour desservir toute la région. Il faut davantage de ressources pour les femmes qui fuient la violence. Vous savez, comme c’est déjà assez déplorable qu’elles aient à venir ici, voulons-nous les envoyer plus loin de chez elles? Voulons-nous qu’elles soient soumises à plus de politiques et de procédures? Non. Elles ont déjà, elles ont déjà fui. Le problème est ici. Si nous n’avons pas assez de place dans la maison de transition, ils les mettent en transit, par exemple, ils essaient de travailler avec l’hôpital et s’il n’y a pas de chambre, ils les mettent à l’hôtel. Est-ce que ça, c’est bien? Vous savez, il n’y a pas de protection à l’hôtel là-bas à part le commis de l’hôtel… Donc il faut davantage de ressources. Par exemple, ils doivent travailler pour obtenir plus de lits pour les femmes fuyant la violence.
En plus de fournir plus d’espace de refuge, les participants ont constaté la nécessité d’un centre d’accueil dans la communauté, [traduction] « un endroit où les femmes peuvent venir et se sentir à l’aise pour partager ou savoir ce qui se passe dans la communauté. Si nous n’avons pas cet endroit commun pour elles, où allons-nous les rencontrer? » Un tel lieu offrirait [traduction] « un endroit où les femmes peuvent se réunir » et leur permettrait de se connecter aux services disponibles dans la communauté, y compris la police.
Les participants ont surtout vu la nécessité que les communautés inuvialuit s’approprient leurs propres affaires. Comme l’a souligné un participant [traduction] : « Une fois qu’une communauté se réunira pour travailler ensemble, vous savez, ils pourront, les membres de la communauté, travailler avec les organismes pour rendre notre communauté plus sûre… parce que les membres de notre communauté leur feront savoir quels sont nos problèmes dans la communauté. » Un fournisseur de services était d’avis que ce processus était en cours [traduction] : « Nous reprenons notre pouvoir en tant qu’Autochtones. Et si nous reprenons ce pouvoir, nous serons plus en mesure d’aider librement les prestataires de services qui viennent dans notre ville. Oui, j’en ai la conviction. »
La guérison et la résilience
Une femme dans la soixantaine nous a raconté certaines parties de son vécu, fournissant un enseignement important sur la façon dont le traumatisme créé par la violence fondée sur le sexe peut être si vaste dans la vie des femmes inuites – et sur leur résilience et leur force dans la lutte contre ses effets néfastes.
La femme a raconté avoir grandi dans une maison de deux chambres avec ses parents et 12 frères et sœurs. [traduction] « Et il y avait beaucoup d’alcool avec mes parents et beaucoup de disputes et on a vu souvent mon père battre ma mère. Et souvent ma mère s’est enfuie et mon père était seul avec nous. » En plus d’être témoins de nombreuses violences physiques, les filles de la famille ont subi des violences sexuelles de la part de leurs frères. Lorsque les filles ont dit à leur mère ce qui se passait, [traduction] « elle s’est fâchée contre nous au lieu de nous croire que cela s’était produit. Et alors elle a attrapé mon frère jouant avec ma sœur cadette à un moment donné et elle s’est fâchée contre ma sœur, et ma sœur a dit : “Eh bien, il m’a dit que j’étais sa petite amie”. C’était donc son excuse. Mais, ma mère n’a rien fait. »
En plus d’avoir subi des agressions sexuelles à la maison, la femme avait également été victime de violences fondées sur le sexe dans la communauté. Quand elle avait 11 ou 12 ans, elle [traduction] « descendait par la vallée » quand un homme [traduction] « m’a amené dans cette maison vide et il m’a violée là-dedans ». La femme a déclaré qu’elle n’avait jamais signalé d’agression sexuelle à la police [traduction] « parce que je ne pensais pas que quiconque me croirait à l’époque ». Elle a également déclaré [traduction] : « J’ai toujours entendu mon père ou ma mère dire : “Tais-toi. Ne parle pas. Garde le silence”. J’ai donc été formée de cette façon pour être silencieuse, comme, vous savez, pour ne pas exprimer mon opinion. »
Quand elle a eu 13 ans, [traduction] « après quelques coups de mon père », elle s’est enfuie de chez elle et est restée avec sa tante et son oncle; ils [traduction] « buvaient donc j’ai bu avec eux ». À l’âge de 14 ans, elle a rencontré son partenaire. Les deux ont déménagé [traduction] « dans la Happy Valley, comme ils l’appelaient, là-bas près des tentes. » Là, ils [traduction] « ont vu beaucoup de violence… des gens qui battaient des gens et, comme, c’était toujours effrayant. »
La femme et son partenaire ont eu 10 enfants ensemble. [traduction] « Avec les cinq plus âgés, je ne me souviens pas de les avoir élevés, car j’avais toujours peur. J’avais toujours peur de mon mari et des gens à l’extérieur de ma maison. » Sa principale préoccupation était [traduction] « d’assurer la sécurité de mes enfants, mes cinq enfants plus âgés. Donc c’était toujours eux avant tout. » Mais malgré ses efforts, deux de ses enfants ont été agressés sexuellement, l’un par un jeune membre de sa famille et l’autre par un pasteur d’église. La police a été impliquée dans les deux affaires et les auteurs ont été condamnés et incarcérés.
La femme a également été victime de violence de la part de son partenaire, en particulier lorsqu’il buvait de l’alcool. [traduction] « Il y a beaucoup de fois où, lorsqu’on buvait, j’étais maltraitée. Tout mon visage serait comme, vous pouvez voir sur mon visage, je serais comme, je ne me souviens pas être allé à l’hôpital et, vous savez, à cause des choses qu’il faisait. » Pendant qu’elle a reçu des soins médicaux pour ses blessures, elle a déclaré [traduction] : « Je n’ai pas vraiment dit des choses à la police parce que j’avais trop peur. » Même après que le couple ait réussi à arrêter de boire, les abus se sont poursuivis. À une occasion, son mari [traduction] « a dit qu’il allait me battre quand on rentrerait chez nous ». Cette fois-là, elle a décidé d’appeler la GRC. Son mari a été inculpé et le tribunal a ordonné des consultations de gestion de la colère. Bien que son mari ait été réticent à l’idée de suivre des consultations, il a été envoyé auprès d’un conseiller qu’il aimait et en qui il avait confiance. Elle a dit que son mari avait révélé plus tard [traduction] « que sa colère était dirigée vers le pensionnat où il y a été violé. »
Le couple a continué de recevoir des conseils pour les aider dans leur relation. [traduction] « Donc, on a un peu pensé à la vie parce qu’on avait pas de compétences essentielles lorsqu’on était plus jeune. On ne connaissait que la violence. » Elle a expliqué davantage :
[traduction]
Je me souviens être allée à l’hôpital pour des points de suture ou quelque chose comme ça et l’assistante sociale est venue chercher mes enfants et elle a dit : « Vous savez que ce qui vous arrive n’est pas normal. » Et je ne pouvais pas la comprendre parce que je ne savais pas que la violence conjugale ou les abus sexuels ou l’inceste ou autre chose, je ne savais pas que ce n’était pas normal à l’époque.
Mais, le traumatisme causé par les sévices qu’elle a subis a continué d’avoir des répercussions sur la vie de la femme. Une fois que son plus jeune enfant a commencé l’école et qu’elle a eu plus de temps seule, elle a commencé à avoir des flash-back. [traduction] « J’ai commencé à devenir nerveuse et j’ai commencé à voir des choses et j’ai commencé à voir mon père me toucher à des endroits et mon frère au-dessus de moi… Puis j’ai commencé à ressentir ces sentiments et je pouvais me voir, comme, être suspendue par le cou. Parce que j’essayais de me suicider quand je buvais. Et je ne me souviens pas, mais je finissais à l’hôpital, essayant de me suicider… Tout cela a commencé à me revenir à la mémoire. »
La femme a demandé de l’aide et s’est retrouvée dans un programme de thérapie intensive en Ontario, où [traduction] « ils vous apprennent à vivre dans le présent. Donc, toutes les choses qui se sont passées avant, ils m’ont appris, comme, à regarder autre chose. Et j’ai fait toutes ces bonnes choses qui m’occupent bien. » Pendant son temps passé en thérapie, la femme a eu plus de flash-back : « Je me suis vue sous le lit superposé, en bas avec des caisses devant moi. Mais, quelqu’un attrapait toujours mes cheveux et me tirait. Et c’est ce qui se passait avec moi et mes sœurs. » Elle a parlé du vécu de ses peurs pendant le programme :
[traduction]
J’avais peur d’aller aux toilettes parce qu’il y avait quelqu’un sous le lit. C’était mon père ou mes frères ou l’autre personne qui m’a violée quand j’étais plus jeune. Ils étaient là-dessous… Et puis je descendais et je leur disais qu’il y avait quelqu’un sous mon lit. Et ils allaient vérifier. Il n’y avait personne. Mais, parce que je me cachais toujours sous le lit quand j’étais plus jeune, pour me cacher des gens, c’était une de mes peurs, là-dessous.
L’un des souvenirs clés qui l’a gardée positive a été le temps qu’elle a passé [traduction] « sur les terres avec nos aînés », en particulier sa grand-mère :
[traduction]
Et je me souviens d’elle, même pendant les périodes sombres au milieu, je me souviens être allée chez elle et m’asseoir là dans une maison en rondins et elle me faisait du thé dans son petit récipient comme ça. Même si on n’avait rien à manger, elle me faisait un petit pot d’avoine, juste assez pour que je mange. Et elle m’amenait à l’église, l’église anglicane où il n’y avait que notre langue maternelle, notre langue inuvialuktun, alors on chantait dans notre langue inuvialuktun. Et puis elle m’emmenait quand elle allait dans des endroits, elle m’amenait avec elle. Et c’était mon endroit sécuritaire. Et quand j’ai commencé à guérir, j’ai continué à repenser à ma grand-mère et comment elle me traitait et comment je me sentais en sécurité avec elle. Et c’était mon endroit sécuritaire où aller au début. Je suis donc tellement reconnaissante envers nos aînés maintenant et la façon dont elle m’a traitée.
Quand elle est revenue à la maison après avoir terminé le programme de thérapie, les choses se sont beaucoup améliorées. [traduction] « Parce que j’étais assez forte pour maintenant prendre soin de moi. » Elle était également mieux placée pour soutenir ses enfants [traduction] : « S’ils avaient des inquiétudes, ils me le feraient savoir, et c’est pourquoi les deux enfants sont venus et ont eu ces deux traumatismes qu’ils ont vécus et on a travaillé ensemble. Je suis allée avec eux chez, peu importe où ils voulaient de l’aide, j’allais avec eux. » Son partenaire était également plus en mesure de soutenir les enfants. [traduction] « Il était plutôt méchant avec les garçons et, comme, il se faisait tabasser par son père quand il était jeune. Alors il battait ses garçons. Et maintenant, il les prend pour des promenades et ils, comme, parlent ensemble. Il a demandé pardon et maintenant, c’est une relation saine maintenant. »
La femme est également devenue une travailleuse de soutien culturel dans la communauté et aide d’autres personnes à gérer leurs expériences vécues de traumatisme. [traduction] « J’écoute les gens s’ils ont des inquiétudes ou s’ils ont juste besoin de parler à quelqu’un. Je vais chez eux ou je les écoute au téléphone. C’est ce que je fais. » Elle participe également à des ateliers sur les abus sexuels et la violence familiale. [traduction] « Ils m’appellent pour les soutenir en tant qu’aînée… parce que parfois, vous savez, sans vouloir être méchante, mais ils ont des conseillers de Vancouver et de l’Ontario qui ne connaissent pas la culture et ils ne savent pas comment est notre culture pour ce qui est de l’échange d’informations. Je serais donc là s’ils ne voulaient pas partager avec eux, alors ils partageraient avec moi, oui. » Elle estime que [traduction] « la guérison sur les terres est différente des programmes offerts avec des conseillers de l’extérieur de la ville ».
[traduction]
Avec nos participants, nous faisons beaucoup, parfois la chasse et le piégeage et la fabrication de viande sèche et de poisson sec et ce genre de choses qui vous aident à penser à autre chose. Et puis après, on joue à des jeux avec eux, comme le cribbage, et différentes choses pour les mettre à l’aise dans leur espace. Et on parle de la façon dont était notre tradition avant d’aller au pensionnat, lorsque c’était sûr, la sécurité tout le temps. Et puis les pensionnats où il y avait beaucoup de traumatismes. Donc en ce moment, j’ai l’impression qu’on essaie de retourner dans notre lieu sûr, sur les terres, quand on fait des programmes. Comme, où ils se sentent en sécurité et vivre dans le présent. Comme, plus aucune douleur ne va plus se produire. Et apprendre à faire face à tant de colère.
La femme reconnaît que [traduction] « beaucoup d’entre nous dans notre communauté ont beaucoup de mauvaises expériences. » Mais, avec le soutien et la guérison, [traduction] « on en ressortira tous plus forts à la fin. » Sa propre expérience de guérison lui a appris cela. [traduction] « Par exemple, avec ce que j’ai vécu, c’est comme l’histoire de quelqu’un d’autre maintenant, mais c’est la mienne. Mais, j’ai mis ça dans le passé où je vis aujourd’hui avec un avenir meilleur avec mes enfants et mes petits-enfants et avec [mon mari]. C’est tellement différent d’avant. C’est comme une histoire différente. »
Les services de police dans le Nunavut
Le Nunavut a le taux d’homicide domestique le plus élevé au pays, et de loin. Une étude des 662 homicides familiaux survenus entre 2010 et 2018 au Canada a montré que le Nunavut avait un taux de 36,85, comparativement à 1,58 en Ontario et à 1,62 en Colombie-BritanniqueNote de bas de page 203. La réalité de la violence conjugale au Nunavut a été fortement mise en évidence lors des entrevues pour ce projet. Les membres de la communauté pleuraient la perte d’une autre jeune Inuk à peine deux semaines plus tôt. Elle avait vingt-quatre ans et était mère de trois filles et de deux enfants adoptés. Son ex-conjoint de fait avait été accusé de meurtre au deuxième degré, ainsi que de plusieurs autres infractions liées à la violation des ordonnances du tribunal.
Une prestataire de services à qui nous avons parlé était d’avis que la majorité des cas de violence fondée sur le sexe qui se produisent dans la communauté ont lieu entre partenaires intimes. Elle a expliqué certaines des dynamiques en jeu dans ces relations :
[traduction]
Malheureusement, la plupart du temps, l’alcool semble relié à la violence, mais pas toujours. J’entends beaucoup d’histoires sur le contrôle, des histoires sur la jalousie, donc il y a, il semble y avoir un fil conducteur d’insécurité commun dans le couple, ce qui semble très commun. Des accusations selon lesquelles si quelqu’un est heureux, c’est qu’il doit avoir des relations sexuelles avec quelqu’un d’autre, puis une bagarre éclate et se transforme en violence. Donc, oui, beaucoup de jalousie en jeu dans les actes de violence, des accusations selon lesquelles la femme fait quelque chose qu’elle ne fait pas, ce genre de chose.
Une aînée a partagé sa compréhension de la violence qui se produit entre partenaires intimes. Elle pense que [traduction] « cela a toujours été un problème, en quelque sorte. Et ça va toujours être un problème. Je veux dire, on peut ralentir un peu cela ou aider les gens. De nos jours, il semble que ce soit plus parce que les gens peuvent parler maintenant. Sinon, il y a longtemps, il y a quelques années, c’était un genre de chose tabou dont on ne parlait pas. » L’aînée a soutenu que la violence est particulièrement répandue dans les nouvelles relations entre les jeunes, [traduction] « ceux qui viennent de se mettre en couple, ils finissent toujours par le faire. Comme, être en désaccord ou discuter sur des choses, ne pas être gentils les uns avec les autres lorsqu’ils sont ensemble. Donc, il y a ça. Et aussi, l’alcool, les drogues, cela aussi en fait partie. Quand cela est présent, quand c’est dans le décor, il y a forcément ce type de comportement [violent] qui l’accompagne. »
L’aînée a souligné que les différences dans les styles de communication des femmes et des hommes étaient à l’origine du problème de la violence entre partenaires intimes :
[traduction]
On est tellement verbales et les hommes, la plupart des hommes, ne sont pas comme ça. Parfois, pour nous, on se fâche plus vite. Les hommes seraient si silencieux pendant longtemps. Puis, quand ils sont frustrés, ils frappent. Je ne dis pas que c’est la faute de la femme. C’est juste que ça a toujours été comme ça. Que nous en tant que femmes, on parle beaucoup et on fait des reproches et on dit « AWWWW! » Les hommes, par contre, ne disent rien pendant de longues périodes. Et les hommes, ce ne sont pas de grands bavards. Pour ceux qui ne parlent pas beaucoup, c’est la seule façon qu’ils savent est « ARRÊTE ÇA! » ou quelque chose comme ça. Voilà pourquoi ils font ça. Pour cette raison, certains d’entre eux, les femmes, ne les comprennent pas toujours. Beaucoup de femmes ne comprennent pas ça. Elles essaient de s’en sortir en faisant tout ça. Et puis finalement elles sont frappées ou poussées ou quelque chose. Et puis elles pensent : « Awww, il me maltraite. Il me frappe et tout ça. » Parce qu’on a tendance à blâmer l’autre personne tout le temps. Cet élément n’est pas toujours confortable à entendre. Mais c’est comme ça que je le comprends.
L’aînée pense [traduction] qu’« il y aura toujours des problèmes. Ce ne sera pas toujours que des bonnes choses dans nos vies. Ces moments difficiles vont toujours être présents dans nos vies. » Mais, le problème de la violence est également lié à la façon dont [traduction] « les méthodes traditionnelles des Inuits… ne sont plus utilisées ». Dans le passé, [traduction] « les couples qui venaient de s’unir et qui se disputaient et ne s’entendaient pas » demandaient conseil à un aîné. [traduction] « De nos jours, ils ne font plus ça… On ne leur dit pas comment mieux faire les choses. Voilà comment leur vie se détériore. »
L’aînée perçoit ce problème comme étant lié à l’individualisme qui a accompagné la rencontre coloniale avec les Qallunaat, où les jeunes [traduction] « déclarent maintenant que “c’est mon droit, je peux faire ce que je veux faire!” C’est ce qu’ils disent maintenant. » Les jeunes Inuits sont maintenant seuls. [traduction] « Ils ont une maison à n’importe quel endroit où ils veulent être maintenant. Ils peuvent faire toutes les activités auxquelles ils veulent participer. Ils sortent boire et participent à des rassemblements de toutes sortes [fêtes]. En participant à ce type d’activités, ces mauvais résultats aboutiront inévitablement à ces types de résultats négatifs. » Selon l’aînée, [traduction] « auparavant, nous n’étions pas autorisés à mener notre vie comme ça. » Les [traduction] « grands principes directeurs, ce qu’ils disaient aux personnes en difficulté, on ne fait plus ça maintenant. »
Un fournisseur de services a fait écho au point de vue de l’aînée sur la façon dont les méthodes traditionnelles inuites ont été rompues, en déclarant [traduction] : « Il y avait peu de criminalité avant toute l’implication de ces entités coloniales. » D’autres participants pensaient également que la criminalité et la violence avaient augmenté au fil du temps. Comme l’a dit une femme dans la cinquantaine [traduction] : « Oui, ça change au fil des ans, ce n’est plus la même chose que quand j’étais enfant. » Une autre femme a déclaré [traduction] : « Le soir, c’est effrayant, car il y a beaucoup d’ivrognes là-bas, vous savez. Il se passe beaucoup de choses ici ces jours-ci, pas comme avant. » Une troisième femme a indiqué que même si elle ne craint pas pour sa propre sécurité, elle a l’avantage de vivre dans un quartier plus sûr de la ville.
[traduction]
Là où j’ai choisi de vivre, c’est dans une partie de la ville où c’est plus sécuritaire. On sait que certaines zones ne sont pas sécuritaires, donc encore une fois, je peux faire ces choix. Je fais des choix pour travailler et avoir un bon travail afin de pouvoir acheter une maison dans un quartier où je suis en sécurité. Ces choix, alors que certaines personnes n’ont pas le choix, si elles, ou même, vous savez, les personnes bénéficiant d’un soutien du revenu sont plus susceptibles de se trouver dans une zone où, vous savez, beaucoup de personnes peuvent rencontrer des problèmes, oui.
Présence de la police
Selon les participants, la GRC a une présence visible dans sa communauté. Comme l’a indiqué une femme [traduction] : « Au quotidien, vous les voyez tous les jours, tous les jours… Quand je les vois, ils parlent généralement à quelqu’un ou arrêtent quelqu’un, principalement des personnes ivres. » Une autre femme a déclaré [traduction] : « Ils sont une grande aide et ils nous protègent. Ils sont gentils et, comme vous le savez, si vous êtes bons avec eux, ils sont bons avec vous. » Cependant, d’autres participants ont indiqué que la visibilité des policiers revêtait une forme particulière [traduction] : « Je les vois tous les jours, dans leur véhicule ou à la recherche de quelqu’un. Mais, je ne les vois jamais sortir de leurs [voitures], sauf si, vous savez, comme s’il y avait une personne très ivre dans la rue ou quelque chose du genre. » Une autre femme a déclaré [traduction] : « Je ne les vois pas autant que je voudrais les voir. Et si je ne les vois pas et, vous savez, les gens qui en ont le plus besoin ne les voient pas, je pense qu’ils doivent être vus davantage. Je les vois dans leur voiture plus que je ne les vois sortir de leur voiture pour faire face aux situations. » De plus, un fournisseur de services a déclaré [traduction] : « Je ne les vois pas aller dans des endroits et dire : “Hé”, pour en quelque sorte connaître les gens, au moins, vous savez, connaître un peu la communauté. Je ne vois pas ça, je ne vois pas qu’ils le font. Je les vois juste dans leurs camionnettes, généralement en train de se promener autour de la ville. »
L’intervention de la police
Plusieurs participants se sont dits préoccupés par le temps de réponse de la police. Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « S’il s’agit de violence ou de quelque chose du genre, ils mettent une éternité à venir sur place. Et si ça avait été par exemple un trafic de drogue ou quelque chose comme ça, ils auraient été là en un clin d’œil. » Une autre femme a déclaré : [traduction] « Quand il s’agit de les appeler, ils mettent une éternité à venir. » Les délais d’intervention de la police étaient particulièrement problématiques dans les petites communautés. L’un des facteurs est que tous les appels sont renvoyés vers le poste de police d’Iqaluit, qui transmet ensuite l’information au détachement communautaire. Comme l’a expliqué une femme :
[traduction]
Donc c’est trois minutes, si vous chronométrez un appel, vous appelez trois minutes, ils vont y répondre en une minute, deux minutes, trois minutes tout au plus, peut-être cinq minutes, qui sait. Si quelqu’un appelle en détresse et cet appel, la dépêche doit alors communiquer avec la communauté, pour dire : « Hé, il y a une situation. » Pourquoi suis-je en mesure d’appeler ma GRC communautaire en ce moment, d’obtenir une ligne directe et d’obtenir des services et les autres petites collectivités ne peuvent pas le faire? Donc il y a un problème.
Une femme a raconté l’expérience qu’elle a vécue dans l’une de ces petites collectivités. Son ex-partenaire [traduction] « menaçait toujours de me battre ». À une occasion, il [traduction] « a dit qu’il allait aller chercher une batte et il jetait des pierres ». Elle a appelé la police pour obtenir de l’aide, mais il leur a fallu 40 minutes pour arriver. À ce moment-là, [traduction] « il était parti, donc ils ne voulaient même rien faire ». Soucieuse de sa sécurité – et de la lenteur de la réaction de la police – la femme a estimé que son seul recours était de quitter la communauté. [traduction] « Je devais partir, car je ne pouvais pas dépendre de la police là-bas. »
Une autre femme a raconté l’expérience qu’elle a vécue dans une autre petite communauté. Elle marchait seule un soir lorsqu’elle [traduction] « a été attaquée par-derrière par un deux-par-quatre, alors elle s’est retrouvée à l’hôpital. Je suis presque morte parce que j’ai perdu tellement de sang. » Le personnel de l’hôpital a appelé la police, mais [traduction] « ils hésitaient à prendre ma déclaration tout de suite, et ne l’ont même pas prise, ils ont attendu environ deux jours et ont finalement pris ma déclaration… Ils auraient pu sortir et l’arrêter tout de suite. Et, ne pas simplement attendre. J’ai dû attendre une semaine et il a finalement été arrêté. C’était ridicule. »
Une troisième femme a raconté l’expérience qu’elle a vécue deux ans auparavant lorsque sa fille de quatre ans a disparu. Elle a téléphoné à la GRC pour obtenir de l’aide. Le répartiteur de la police [traduction] « m’a demandé ce qu’elle portait et je leur ai donné tous les détails ». La police lui a ensuite rappelé six heures plus tard, disant qu’elle allait commencer une recherche au sol. [traduction] « Pourquoi attendre si longtemps? Cela aurait pu être fait plus rapidement… J’ai dit “d’accord”, ça ne m’aide pas vraiment. J’ai demandé leur aide, mais ils ne répondent pas assez vite, vous savez. » Heureusement, la femme et son conjoint ont retrouvé l’enfant disparue par eux-mêmes.
Cependant, les inquiétudes au sujet de la police dépassaient la question du délai d’intervention. Comme l’a déclaré un fournisseur de services [traduction] : « Chaque fois que je parle à d’autres personnes de la police ou de quelque chose du genre, surtout s’ils ont grandi ici, ce n’est généralement pas très positif. La plupart des gens ont peur d’eux ou se méfient d’eux ou s’inquiètent de la façon dont ils agissent. »
Des services de police racialisés
Pour certains participants, la façon dont les policiers traitent les Inuits est racialisée. Comme l’a fait remarquer une femme :
[traduction]
Dès qu’ils voient des Inuits, c’est très perceptible et ça l’est immédiatement, leur visage se transforme en visage dégoûté lorsqu’ils réalisent que c’est un Inuk avec qui ils ont affaire et non un Caucasien. Quand ils font affaire avec des Caucasiens, ils sont très accueillants envers ces personnes et en prennent soin ou s’en occupent gentiment. Lorsque la police traite avec des Inuits, elle [nous] considère comme quelque chose avec qui il n’est pas bon de faire affaire, par exemple. C’est ce que je remarque lorsque j’observe ce qui se passe quand la police traite avec des gens.
Un fournisseur de services a également émis des commentaires sur les hypothèses de racialisation qui sont souvent formulées à propos des rencontres entre les Inuits et la police, [traduction] « en particulier lorsqu’il y a des personnes ivres dans la cellule de dégrisement, et j’en connais une qui est décédée dans une cellule, parce qu’ils n’ont pas pris ses blessures au sérieux. Et certaines personnes handicapées, peut-être, quand ils présument qu’elles sont simplement ivres en raison de leur apparence. Et juste ça, oui, ce comportement quand ils sont confrontés à des Inuits, vous savez. »
Les participants ont soulevé le fait que l’histoire coloniale des relations entre la police et les Inuits qui a laissé un héritage de tensions. Un fournisseur de services a déclaré :
[traduction]
En raison de l’abattage des chiens et de leur rôle auparavant, je pense qu’il y a certainement des tensions entre les Inuits et la police en raison de l’histoire et du fait qu’on n’enseigne pas à la police cette histoire. Donc, quand les gens se mettent en colère contre eux, ils ne comprennent pas vraiment pourquoi ils sont en colère contre eux.
Un autre fournisseur de services a souligné le [traduction] « genre de perspective du colonialisme qui se dégage », menant à des interactions négatives entre la police et les Inuits. [traduction] « La police s’occupe de beaucoup de personnes en état d’ébriété, alors les gens commencent à manifester leur agressivité en s’en prenant à la police. Cela ne fait qu’empirer les choses. Ensuite, comme, les Inuits dans les cellules commenceront à menacer les policiers, puis plus d’accusations seront portées contre eux et, vous savez, cela n’aidera pas. »
Les participants étaient également préoccupés par la manière dont la police utilise son autorité. Une femme a déclaré [traduction] : « Parce qu’elle est l’autorité, nous n’avons pas notre mot à dire. J’aimerais qu’ils traitent mieux les gens, surtout les personnes ivres. J’ai vu des jeunes qui, vous savez, en public, venaient juste de quitter le poste de police après avoir été dans la cellule de dégrisement ou peu importe. Je sais qu’ils... il y avait un jeune qui marchait près de nous un matin. Il ne marchait pas bien. » Une autre femme a fait remarquer [traduction] : « Lorsqu’ils arrêtent quelqu’un, cela devient un peu trop, ils s’approchent un peu trop agressivement, vous savez. Peut-être que s’ils étaient plus bavards, être plus respectueux, vous savez. » Un fournisseur de services a également parlé du recours à la force par la police dans les situations de violence familiale. [traduction] « Quand ils se présentent, la violence, par exemple la violence, l’agressivité de la GRC est assez, j’ai entendu dire qu’elle pouvait être assez agressive. »
La peur à l’égard de la police est un problème soulevé par plusieurs participants. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Dans chaque foyer inuk, on ne frappe pas. Quand on frappe à la porte, c’est la police. Je pense que nous avons tous cette peur. » Un aîné a déclaré [traduction] : « Beaucoup de gens en ont peur. Ils pensent qu’ils vont juste les enlever et les emmener, quelque chose comme ça. » Un fournisseur de services a replacé le problème dans son contexte historique [traduction] : « Dans le passé, la GRC venait dans les collectivités et disait aux gens quoi faire et c’était très intimidant. Et certains d’entre eux, certains agents, sont toujours comme ça. Ils ont toujours cette façon très autoritaire d’être là où, si vous avez eu un traumatisme dans votre vie et que quelqu’un agit de cette façon pour vous, cela peut être très déclencheur. » Un fournisseur de services a commenté la façon dont la police semble être « intouchable » :
[traduction]
C’est le pouvoir qu’ils ont, qu’ils semblent intouchables. Vous ne pouvez pas discuter avec un policier, vous ne pouvez pas, par exemple, manquer de respect envers un policier. Et la notion du manque de respect d’un policier pourrait être complètement différente pour un autre, vous savez. Donc, ils ne ressemblent pas à des êtres humains normaux. Ils semblent être, au-dessus, surtout aux yeux de la loi et entre eux. Je pense qu’on sait fort bien qu’ils se protègent les uns les autres, même si l’un d’entre eux a légitimement fait quelque chose de mal. Il y a ce sentiment de fraternité qui perdure.
Un autre fournisseur de services a noté que cette séparation entre la police et la communauté était de nature géographique, liée au lieu de résidence des agents dans la communauté :
[traduction]
La police est toujours sur le Plateau. Donc, quand vous arrivez au Nunavut ou à Iqaluit, vous arrivez à l’aéroport, et si vous êtes dans l’avion et que vous regardez vers la gauche, vous voyez ceci, sur la colline, ça s’appelle « Le Plateau ». C’est donc là qu’ils ont mis tous les membres de la GRC. Et donc, vous savez, même géographiquement, ils sont en haut et ils regardent les gens de haut. Donc, c’est en quelque sorte, il y a certainement un déséquilibre de pouvoir.
« Ne faites pas confiance aux policiers »
Plusieurs femmes ont fait part de leur réticence à faire appel à la police en raison des expériences négatives qu’elles ont eues dans le passé. Comme l’a indiqué une femme [traduction] : « Je ne fais pas très souvent affaire avec la police, même quand il y a, même lorsque je suis témoin ou même lorsqu’on fuit la violence, je ne les appelle pas (participante émotive)… Au sein de ma famille, on a eu des expériences négatives avec la police. Extrêmement négatives... Même lorsque je suis témoin ou que je fuis la violence à cause de l’alcool et de la drogue, en fuyant avec les enfants de chez moi, je ne signale toujours pas à cause de nos expériences passées avec la police. »
Certaines des expériences passées de cette femme avec la police se sont produites lorsqu’elle vivait dans un centre urbain du Sud. À une occasion, elle a appelé la police lorsqu’un groupe d’hommes se battait près du bâtiment où elle vivait. Le répartiteur de la police lui a demandé [traduction] : « Sont-ils autochtones? Les gars, pouvez-vous les voir? Sont-ils autochtones? » La femme a dit qu’elle savait qu’il y avait des hommes autochtones impliqués dans l’altercation, mais elle a dit au répartiteur [traduction] : « Il fait noir. Je ne peux pas dire s’ils sont autochtones ou non. Vous pouvez peut-être simplement y aller et le découvrir par vous-même. » Cette réaction racialisée de la police a fait en sorte que la femme ne se sentait pas en sécurité. [traduction] « Je ne me sentais plus en sécurité. C’est pourquoi j’ai cessé d’appeler, quand ils ont dit : “Sont-ils autochtones?” ».
Mais, ce n’était pas la seule occasion où la femme a été témoin de la racialisation par la police. Peu de temps après le premier incident, une de ses voisines, [traduction] « une toute petite Inuk… essayait de rentrer chez elle un soir vers 22 h ou 23 h ». Elle était à l’extérieur du bâtiment, appelant ses enfants et son mari qallunaat. Son mari a téléphoné à la police, pour dire qu’elle avait bu. [traduction] « Elle ne buvait pas vraiment, peut-être qu’elle l’avait fait, mais elle était assez sobre lorsqu’on regardait par la fenêtre avec la fenêtre ouverte, moi et mon autre voisine. Je ne savais pas qu’elle regardait par la fenêtre et je regardais par la fenêtre. La police ne nous a pas vus parce que les lumières étaient éteintes. » Les deux femmes ont été témoins de ce qui s’est passé ensuite :
[traduction]
Elle était juste à côté du bâtiment et il y avait une voiture de police. Elle était, elle est minuscule, et il y avait comme cinq policiers et ils étaient, l’un d’eux l’interrogeait et elle a continué à répondre positivement. Quand elle a répondu correctement qu’elle voulait rentrer chez elle, c’est chez elle, l’un des policiers l’a frappée sur le côté de la tête et l’a COGNÉE contre le camion et ils l’ont fait tomber. Vu que j’ai très peu de confiance parce que je savais que les enfants voulaient leur mère. Mais c’était une famille inuk et qallunaat. Le qallunaat a été mieux traité que, juste parce qu’il ne voulait pas qu’elle rentre ce soir-là. Ils se disputaient juste pour une raison ou une autre, elle a fini par être traitée comme ça. La police ne m’a jamais vue. La police n’a jamais vu ma voisine. Mais à ce jour, je pense toujours que j’aurais dû filmer, car même si j’avais essayé de me plaindre, ils auraient dit : « Vous n’avez aucune preuve. »
À une autre occasion encore, les femmes ont été témoins du traitement réservé par la police à un homme autochtone :
[traduction]
Ils ont tiré un homme des Premières nations dans les escaliers. Je regardais à travers le judas de mon appartement. Ma porte était, les escaliers, je pouvais tout voir depuis l’escalier dans cette direction, les escaliers qui descendent vers notre logement, puis dehors. Je pouvais entendre beaucoup de bruit. Je regardais à travers le judas. Il y avait un groupe de policiers et ils ont jeté l’homme, il était en état d’ébriété, des Premières Nations. Il ne dérangeait pas vraiment, mais quelqu’un l’a dénoncé. Et ils l’ont jeté comme six ou sept marches vers le bas, et l’ont COGNÉ contre le mur et l’ont fait tomber. Et puis, ils l’ont traîné par terre pour le faire sortir comme un déchet. J’étais témoin de cela et quand ils l’ont traîné au sol, son pantalon s’est abaissé. Il était tout éraflé sur ses fesses et ses jambes. Il saignait, mais ils étaient toujours très violents avec lui et l’ont jeté dans la voiture et ils sont partis. Et pour moi, si cela devait m’arriver à moi ou à ma famille, c’est pour ça que je n’appelle pas.
Depuis son retour au Nunavut, la femme et sa famille ont également été témoins de violence dans leur immeuble. [traduction] « Même si on entend beaucoup de disputes, on n’appelle pas, on n’appelle plus… Beaucoup d’entre nous, je pense, on n’appelle tout simplement pas parce qu’on ne veut pas être dérangé par la police. On voit, on entend, on reste silencieux, peut-être à cause de traumatismes passés, oui. » Ces expériences ont laissé à la femme [traduction] « très peu de confiance » envers la police.
D’autres femmes ont expliqué que leurs expériences passées avec la police les avaient rendues prudentes et méfiantes. Une femme dans la trentaine a déclaré [traduction] : « Juste parce qu’ils portent l’uniforme, ils pensent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Elle fonde ce point de vue sur une expérience qui s’est produite lorsqu’elle était adolescente :
[traduction]
Quand mon défunt père était encore en vie, on avait toujours une soirée en famille. Et c’était notre soirée en famille et, je ne sais pas, mais il y a eu comme un grand coup sur la porte. Mon défunt beau-père, il est allé l’ouvrir et j’ai regardé par la fenêtre parce que la porte était juste là. Quand je l’ai ouvert, le foutu de flic, juste au moment où mon défunt beau-père a ouvert la porte, il avait sa matraque, il a ouvert et il a juste commencé à le battre. Comme, pas de mot, pas rien. Il a juste commencé à le battre avec sa matraque.
Une autre femme a déclaré [traduction] : « J’ai toujours su que je ne devais pas m’adresser à la police, depuis toute petite. » Elle a ensuite déclaré :
[traduction]
Je me souviens, c’était juste toujours nous contre la police, semble-t-il. Je sais, comme, un incident, je suppose, où on vivait littéralement à quelques pas, j’étais juste une petite fille, mais on vivait littéralement à quelques pas de la police, comme (rire) une minute de marche, peut-être. Et un homme avait cassé notre porte et menaçait ma mère et je me cachais dans la chambre. Mais je ne me souviens pas comment ni qui a appelé la police. Je pense que c’est après le départ de l’homme que ma mère a appelé la police tout de suite. Et il leur a fallu 45 minutes pour arriver chez nous. Et ils ont essentiellement dit à ma mère : « Eh bien, que voulez-vous, que nous le traquions? », ou comme, vous savez, ils la regardait de haut.
Cette même femme a également raconté comment la police avait traité sa tante, qui avait été victime d’un accident de motoneige. [traduction] « Oui, elle était ivre, mais elle saignait également gravement de la tête. Et ils l’ont jetée dans la cellule [de dégrisement] et l’ont laissée saigner toute la nuit. Ce n’est que lorsque les agents du quart suivant sont entrés en service, sont entrés en fonction qu’ils l’ont amenée ou ont appelé l’ambulance ou quelque chose comme ça. » Ces expériences lui ont laissé le sentiment de [traduction] « ne pas faire confiance aux policiers ».
La normalisation de la violence fondée sur le sexe
D’autres participants ont expliqué comment la police interagissait avec eux lorsqu’ils signalaient des actes de violence fondée sur le sexe. Une femme était dans une relation violente. [traduction] « Quand j’étais avec mon ex, je ne me suis jamais sentie en sécurité avec lui n’importe où, n’importe quel jour. » Elle [traduction] « avait l’habitude d’être battue physiquement » et a été blessée [traduction] « de nombreuses fois ». Lorsqu’on lui a demandé si la police l’avait bien traitée lorsqu’elle a signalé la violence, elle a répondu :
[traduction]
Ils n’étaient pas accueillants. Ils n’étaient pas accueillants, et quand ils m’ont vue, il était évident ou perceptible sur leurs visages qu’ils pensaient : « Oh, c’est à cause de toi, parce que tu t’es mise, tu t’es mise dans cette situation. » On pouvait vraiment voir sur leurs visages qu’ils pensaient cela.
Une deuxième femme a vécu une expérience similaire avec un policier. Elle était dans une relation abusive depuis 14 ans. [traduction] « Il m’a fait endurer à peu près tout, c’était permanent... Tout type d’abus auquel vous pouvez penser. » La violence a été signalée à la police à plusieurs reprises. À l’une de ces occasions, un agent est venu chez elle pour prendre sa déclaration. [traduction] « Au milieu de ma déclaration, il m’a dit que je donnais l’impression d’être une provocatrice. Et ensuite, cela m’a amené à lui demander : “Êtes-vous en train de me dire que je mérite cela?” Et il a dit : “Eh bien, il semble que vous ayez provoqué la situation”. » La femme s’est alors fâchée avec l’agent, qui à son tour, lui a dit [traduction] : « Tu vois, c’est comme ça que tu réagis aux choses. » [traduction] « Il a utilisé ma réaction envers lui comme preuve, une autre preuve pour qu’il me traite de provocatrice. » La femme a dit à l’agent de [traduction] « foutre le camp de ma maison et de ne jamais revenir ».
Une troisième femme a raconté trois expériences distinctes de violence fondée sur le sexe. Elle se souvient de ces expériences comme étant [traduction] « terrifiantes, je me souviens avoir été effrayée, impuissante ». Lorsqu’on lui a demandé si la police l’avait bien traitée, elle a répondu [traduction] : « Juste, ils étaient arrogants à ce sujet. Par exemple, l’expression sur leurs visages quand je [parlais] était comme, “Oh, c’est normal”. » La femme a fait une déclaration à ces trois occasions, [traduction] « et je n’ai plus jamais eu de nouvelles de leur part ». Interrogée sur ce que la police aurait pu faire différemment, elle a répondu [traduction] : « Quand vous êtes dans un travail, vous ne pouvez pas, surtout dans une tel poste, vous ne pouvez pas, quand quelqu’un fait une déclaration ou quelque chose, vous ne pouvez pas être arrogant à ce sujet, vous devez être sérieux, ce n’est pas une blague, oui. »
Un fournisseur de services a attribué ces expériences à la normalisation de la violence contre les femmes inuites [traduction] : « Je pense que la violence familiale est normalisée par des personnes comme la GRC. Oui. Donc, donc je pense que s’ils normalisent cela, ils pensent, je pense que certaines personnes pensent : “Eh bien, c’est comme ça que sont les Inuits”. J’ai cette impression. Que c’est normalisé. Ce n’est pas pris aussi sérieusement que cela ne l’est jusqu’à ce que cela se produise réellement et puis il y a un autre homicide. »
Les défis liés aux services de police
La violence entre partenaires intimes est connue pour être l’une des situations les plus à risque que les policiers rencontrent dans leur travail. Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services [traduction] : « C’est le type d’appel numéro un qui cause la mort d’un policier, où il se fait tuer, c’est quand il s’agit de violence familiale et que le policier doit intervenir. Ce sont les appels les plus dangereux. » Cependant, en plus de répondre [traduction] « lorsque la violence se produit et que des vies sont en danger », le travail de la police comprend également d’établir un lien avec la personne victime de la violence. Pour établir ce lien, les agents doivent prêter attention au [traduction] « côté le plus doux des choses ».
[traduction]
Il faut du temps à la victime pour passer au travers des choses, il y a tellement de choses, par exemple travailler avec la victime pour préparer un plan d’urgence, lui faire penser à préparer un sac si elle doit quitter la maison avant que la situation ne dégénère, avoir, vous savez, des vêtements pour ses enfants et quoi que ce soit pour qu’ils aillent bien à l’école le lendemain. Les empêcher de voir une partie de la violence. Par exemple, il y a ce côté plus doux des choses et je pense que la police ne doit pas être considérée seulement comme le gros muscle qui entre et attrape les gens et arrête le comportement. Mais le côté le plus doux, travailler avec la personne, voir que la police est juste, par exemple, vous savez, ils essaient vraiment d’empêcher le comportement de se produire à long terme.
Le problème, cependant, est que les agents du Nunavut manquent de ressources. Comme l’a dit un fournisseur de services [traduction] : « Le manque de soutien ici est simplement, c’est exorbitant. C’est incroyable le manque de soutien ici. » Un autre fournisseur de services a indiqué [traduction] : « Il n’existe pas suffisamment de soutiens en place pour traiter le problème pour les personnes ou même pour les organisations ou les systèmes. Il n’y a tout simplement pas assez de soutien. » C’était particulièrement le cas étant donné l’absence de services aux victimes au Nunavut; [traduction] « c’est tout simplement inacceptable qu’il n’y ait pas de services aux victimes. » Un troisième fournisseur de services a déclaré :
[traduction]
[La GRC] a relevé certains de ses défis comme le manque de ressources dans la communauté, le manque de continuité dans ce que sont les fournisseurs de services dans la communauté, le taux élevé de roulement du personnel dans les bureaux communautaires. Parfois, ils ont eu des difficultés en essayant de communiquer avec le personnel, le personnel pouvant être en congé, absent du bureau, si ces agences doivent également faire face à de multiples priorités concurrentes et ne sont pas en mesure d’être aussi réceptives que la GRC le souhaiterait. Au cours de leurs conversations avec nous, la GRC s’est également sentie mise au défi par le manque de ressources au niveau communautaire pour ce qui est de la violence familiale.
Ce manque de ressources a des répercussions particulières pour le rôle que joue la police dans la réponse à la violence fondée sur le sexe, [traduction] « parce que votre rôle est de traiter la plainte, d’entendre le plaignant ou la victime, et ensuite vous devez les laisser pour ensuite traiter avec le délinquant ou rassembler des preuves contre l’infraction. Vous avez donc besoin d’un soutien pour que la victime se sente soutenue et pas seulement laissée dans son traumatisme actuel. »
L’absence de ressources se reflète dans le récit d’une femme qui a vécu une relation de violence. Elle a été placée sur une liste d’attente pendant huit mois pour voir un conseiller, [traduction] « et au moment où j’ai pu voir un conseiller, je leur ai dit que je n’en avais plus besoin, car j’ai attendu huit mois et je me suis simplement aidée seule et j’ai parlé à des amis et à la famille. »
Taux de roulement élevé des agents
Le taux de roulement élevé des agents complique la capacité de la police de fournir une réponse efficace en cas de violence fondée sur le sexe, car les agents de la GRC sont généralement affectés dans une communauté pendant [traduction] « deux, trois ans, peut-être quatre ans ». Comme l’a noté un fournisseur de services [traduction] : « Avec le taux de roulement élevé des agents, comment êtes-vous censé être en mesure de surveiller les gens lorsque vous ne savez rien à leur sujet? » Un participant de la communauté a fait une remarque similaire [traduction] : « Nous avons juste des gens qui arrivent, partent, arrivent, partent. Donc, une grande partie de notre communauté ne peut simplement pas faire confiance. » Le roulement constant des agents a des conséquences pour les femmes qui ont subi des actes de violence fondée sur le sexe. Ce même participant a parlé de l’expérience d’une cliente. [traduction] « Elle faisait une déclaration, plusieurs fois elle a fait une déclaration, puis la date de comparution de son agresseur était tout le temps reportée. Elle a donc dû faire affaire à 10 agents différents avec les mêmes questions encore et encore. Et elle est devenue frustrée et ne voulait même plus aller au tribunal. » Comme l’a fait remarquer cette participante, [traduction] « pourquoi devrait-elle répéter encore et encore, comme 10 fois, dire la même déclaration à différents agents de la GRC? Et puis avoir à aller au tribunal et dire la même chose encore et encore. C’est comme un traumatisme, un traumatisme, un traumatisme, un traumatisme, c’est ça. »
Un fournisseur de services était d’avis que des mandats plus courts pour les agents constituaient un avantage, compte tenu des pressions liées au travail [traduction] : « Dans certaines communautés, vous êtes occupé 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, donc il y a un facteur d’épuisement professionnel. Et lorsque vous êtes seul, lorsqu’il y a une pression considérable de travailler avec des heures de sommeil limitées, vous ne pouvez pas gérer les choses de la meilleure manière. Votre patience peut être courte, votre irritabilité est élevée. Vous êtes fatigué, vous faites donc plus d’erreurs. Il est donc avantageux de conserver des mandats plus courts. » Mais, le fournisseur de services savait également qu’avec un séjour aussi court, [traduction] » « vous n’apprenez pas la communauté, vous n’êtes pas aussi conscient des problèmes de la communauté ».
Le manque de connaissances des policiers sur les Inuits était également un sujet de préoccupation pour les participants. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Les gens viennent toujours sur mon territoire sans connaître la culture, c’est un manque de respect ici. Et si vous ne savez pas qui sont ces gens, comment les servez-vous? » En particulier, des préoccupations ont été exprimées au sujet du manque de connaissances et d’inexpérience que les nouvelles recrues apportent avec elles dans la communauté. Comme l’a fait remarquer un aîné :
[traduction]
Quand ils sont si jeunes, ils viennent ici. Quand ils deviennent policiers, ils ont 19 ou 20 ans et ils n’ont aucune idée de ce qu’est la vie… Et aussi quand ils arrivent dans le Nord, ils n’ont aucune idée de ce qu’est le Nord. Ils n’ont absolument AUCUNE IDÉE lorsqu’ils vont dans le Nord à propos de ces choses. Je veux dire, ils ne savent absolument rien. Mon fils, mon plus jeune... s’il descend dans le Sud et qu’il essaie de faire quelque chose, comme tout ce qui est important là-bas, il ne saurait rien du tout de ce que font les Qallunaats là-bas. Il a une petite idée de comment, mais c’est différent. C’est la même chose avec les policiers Qalllunaat. Quand ils arrivent dans le Nord, ils n’ont aucune idée. Beaucoup d’entre eux ont des difficultés par rapport à ces circonstances inconfortables.
Les agents inuits
Le maintien en poste des agents inuits était également un sujet de préoccupation. Comme l’a fait remarquer une femme :
[traduction]
Ils ont eu combien d’Inuits? J’en compte au moins cinq ou six qui me viennent à l’esprit. Et ils sont tous partis. Et, oui, on veut les garder et comment les retenir quand ils ont cette, la règle de devoir changer tous les deux ans? Y a-t-il des recherches sur le fait qu’ils doivent quitter et changer de communauté tous les deux ans? Quelles sont leurs recherches qu’ils ont et qu’on ne connaît pas? Cela est dû au fait de ne pas s’habituer à la communauté et aux gens, mais ils servent les gens. Et quoi de mieux que de connaître la personne qui vous sert constamment? Donc, pour moi, c’est ce qui me vient à l’esprit. Et certains le font, certains peuvent demander une autre année dans la communauté et gagner ce respect des membres, de la communauté. Et, vous savez, pas assez de soutien pour ces membres inuits, je l’ai vu.
Un fournisseur de services a parlé du rôle important que jouent les agents inuits et des contraintes particulières qu’ils rencontrent :
[traduction]
Les agents inuits qui sont là, sont débordés encore plus que les non-Inuits, car non seulement ils font leur propre travail, mais ils aident d’autres personnes en plus de leur travail. Ils aident, vous savez, à traduire ou comme les agents inuits sont toujours conscients des dangers pour leurs collègues parce qu’ils ne comprennent pas. Donc, souvent, ils doivent s’occuper de la police, s’occuper du public.
Une femme a raconté une rencontre avec la police qui lui a confirmé l’importance d’avoir des agents inuits dans les forces de police. L’ex-partenaire de la femme s’était présenté à son domicile en état d’ébriété. Il était bouleversé par un incident survenu impliquant leur fille, qui avait été violemment battue par deux autres jeunes, et il menaçait de prendre un couteau et de se venger. [traduction] « Alors j’ai appelé la police ne voulant pas que la situation dégénère, ils ont juste besoin de trouver mon ex qui est fou parce qu’il est sur le point de tuer quelqu’un, etc. » La police est finalement arrivée [traduction] « après que j’ai appelé, peut-être la troisième fois environ. Je pense que c’était à peu près ça, je pense que j’ai dû appeler trois à quatre fois. Encore une fois, c’est pas un endroit très grand, combien de temps vous faut-il pour arriver? »
Deux policiers, un homme inuit et une femme francophone, sont arrivés dans leur véhicule. L’agente francophone a commencé à crier [traduction] : « Où est-il? Qui est-il? Quelle est votre relation? »
[traduction]
Et elle est toujours debout, elle n’est même pas sortie complètement du véhicule, elle est debout avec la porte ouverte et me crie dessus. Et je me dis, je n’arrêtais pas de lui dire : « Ralentis, je ne comprends même pas ce que tu me dis en ce moment. » Parce qu’elle avait un accent français très fort. Et son partenaire, l’homme inuk, essaie de lui expliquer « attends ». Comme, et j’essaie de lui dire, mais son manque de, je ne sais pas quoi, j’essayais de lui dire : « C’est mon ex, il ne vit pas ici, bla, bla, bla. » Mais, elle n’arrêtait pas de se répéter, de se répéter. Et son partenaire, le policier inuk, essayait de lui dire : « Calme-toi. Elle te répond si tu t’arrêtes et écoutes. » Il a fallu que le policier inuk crie sur sa partenaire pour qu’elle se taise et écoute. Il a littéralement dit : « Tais-toi. Pourrais-tu simplement la laisser parler », a-t-il dit.
La femme a dit que dans cette situation, [traduction] « on pourrait penser que la policière aurait un peu d’empathie envers moi ou quelque chose. Mais, elle n’en avait pas. » C’est plutôt l’agent inuk qui a maîtrisé la situation. La femme croit que [traduction] « lorsqu’un agent inuk se présente, même dans ces bagarres entre ivrognes et des choses comme ça, c’est juste un sentiment automatique de – parce que j’ai déjà vu que cela arrivait que les gens se calment tout de suite... La situation se désamorce, comme presque instantanément. Et je ne dis pas que c’est dans toutes les situations, mais j’ai vu que cela se produisait. » En revanche, elle croit que les agents non inuits [traduction] « ont juste leurs hypothèses et leurs préjugés et ils ne savent rien des Inuits… Quand ils arrivent de façon autoritaire, cela ne convient pas à la plupart des gens. Mais, les policiers inuits ont tendance à venir calmement et à dire, “Allez les gars”… “Allez vous coucher”, vous savez. Ils diront des trucs comme ça, parce que c’est juste plus personnel. »
L’un des avantages d’avoir des agents inuits dans les forces policières est leur capacité de converser avec les résidents de la communauté en inuktut. Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « Certaines personnes peuvent ne pas comprendre l’anglais, certaines personnes ne parlent que l’inuktitut ou [ne se sentent] à l’aise qu’en inuktitut, surtout quand elles sont interrogées. Parce que certains [policiers], pas tous, juste certains comprennent un peu. Ou quand ils répondent à quelqu’un, que se passe-t-il si cette personne ne parle pas anglais et que la police ne sait pas parler inuktitut? Comment communiqueraient-ils entre eux? C’est une de mes préoccupations, vous savez. »
Donner aux Inuits l’occasion de s’exprimer dans leur propre langue devient particulièrement important lors d’une déclaration à la police.
La déconnexion linguistique
La structure de la langue inuktut et le processus de réflexion qui l’accompagne ont des ramifications particulières pour les femmes qui révèlent des expériences de violence fondée sur le sexe. Un fournisseur de services a expliqué que les Inuits s’exprimeront différemment lorsqu’ils parleront en inuktut. [traduction] « Ils ont donc des mots intermédiaires qui feront des liens et les Inuits parlent souvent de manière linéaire. Par exemple, ils raconteront l’histoire, puis ils retourneront au début, puis à la fin, puis au milieu à nouveau, puis ils se répéteront tout au long. » De plus, bien qu’une femme inuite puisse parler et comprendre l’anglais, [traduction] « cela ne veut pas dire qu’elle sera capable de s’exprimer correctement en anglais. Elle ne pourra pas vous dire certains mots ou des parties de l’histoire peuvent vous sembler différents. Mais, parce que ça fait, en inuktitut, ça a du sens, en anglais, ce n’est pas le cas. Et la façon dont les Inuits parlent est différente. Il peut donc y avoir une séquence complète d’événements, elle peut aller et venir. Mais, si vous parlez en inuktitut, la façon dont ils assemblent tout ça est logique. »
Étant donné la structure et le processus de pensée différents de l’inuktut, ce que dit une femme tenue de faire une déclaration à la police en anglais [traduction] « n’a absolument aucun sens et on dirait qu’elle ment parce qu’elle va et vient et, “Oh, peut-être n’était pas ça. Oh, je voulais dire”, vous savez. Elles diront des trucs, je les ai entendues, certaines victimes disent : “Oh, je voulais dire ceci, pas ça”. Et ce n’est pas qu’elles mentent ou qu’elles ne peuvent pas rester cohérentes dans leurs propos, etc. C’est juste la langue. » Comme l’a indiqué le fournisseur de services, [traduction] « tant que vous ne comprendrez pas les deux langues, vous ne comprendrez pas. » Compte tenu de cette déconnexion, « parfois, les policiers interviennent avec leurs préjugés envers les Inuits, je suppose, et ils pensent malheureusement que quelqu’un est moins intelligent qu’il l’est en réalité simplement parce qu’il ne peut pas parler de la manière que [la police] estime être la bonne façon. Et tout cela entoure le fait que l’anglais est leur deuxième langue. »
La présence d’un interprète dans la pièce afin qu’une victime puisse faire sa déclaration en inuktut peut également être difficile, surtout lorsque l’interprète doit faire une traduction littérale de ce qui est dit. Selon le fournisseur de services, qui a agi à titre d’interprète dans de tels cas [traduction] : « Je ne sais pas si cela fait partie de leurs politiques, mais l’agent m’a dit que c’était leur politique que cela serait considéré comme mon interprétation de l’histoire plutôt que celle de la victime si je commençais à essayer d’expliquer ce qu’elle voulait dire. » Mais, fournir une traduction littérale de ce que disait la femme signifiait que [traduction] « son histoire n’avait pas de sens selon le policier ». À la suite des malentendus créés, le fournisseur de services a [traduction] « vu des cas non reçus par les tribunaux ».
Ces malentendus sont exacerbés par d’autres protocoles policiers. Dans les cas de crimes majeurs qui se produisent dans le Nord, la police d’Ottawa a pour politique d’envoyer un agent « tiers » pour enquêter. Selon le fournisseur de services, [traduction] « ils l’ont fait de cette manière à dessein, que ce tiers ne sache rien des Inuits ou du Nord, donc il ne sera pas du tout biaisé dans ses opinions. » Toutefois, comme le fournisseur de services l’a expliqué :
[traduction]
Dans le Nord, c’est un monde totalement différent, comme, complètement, et de nouveau, tout le monde n’est que des êtres humains, donc vous prenez ces agents pour faire face à une situation très difficile, formés ou non, nouvelle recrue ou non, cela n’a pas d’importance pour moi, ce sont des êtres humains et vous les faites entrer dans un environnement totalement différent pour prendre des déclarations de personnes qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne parlent peut-être même pas la même langue. Ils vont donc dans ces villes et ne comprennent pas le « oui » avec nos sourcils et le « non » avec notre nez et ce type de langage corporel ou comment les Inuits sont directs et peuvent ne pas avoir le « oui, je comprends » et « oui ». Vous n’entendrez pas les Inuits vous dire ça. Ils sont généralement assis là et écoutent jusqu’à ce que vous ayez fini de parler, puis ils parleront s’ils jugent nécessaire de parler. Et puis, parfois, ils peuvent ne pas avoir les bons mots, parfois ils sont nerveux, mais on leur a également appris à dire : « Oui, oui, oui monsieur, oui monsieur ». Donc, ce tiers qui est envoyé pour traiter des crimes majeurs pour aller prendre les déclarations des victimes qui ont pu être témoins d’un meurtre, par exemple, ils arrivent sans aucune compréhension des Inuits ou de la dynamique sociale là-haut ou quoi que ce soit, ce que je trouve plus nocif qu’utile.
La crise du logement
En plus d’exprimer leurs préoccupations au sujet de l’intervention de la police face à la violence fondée sur le sexe, les participants ont également souligné le manque de ressources communautaires, en particulier en ce qui concerne le logement. Comme l’a expliqué une femme : [traduction] « On n’a pas de maison de transition ici pour les mères et les enfants sans abri. Par exemple, on a des familles qui restent jusqu’à deux ans dans notre refuge. Et elles n’ont nulle part où aller, absolument nulle part où aller. La pénurie de logements est un grand problème. Et on a besoin de plus de soutien pour nos gens, les mères et les enfants ont besoin de plus de soutien pour le logement ici. » Étant donné la crise du logement, les femmes [traduction] « reviennent souvent vers leur agresseur. Parce qu’elles n’ont nulle part où aller, n’est-ce pas. Mais, si on avait une maison de transition ici, elles peuvent continuer leur vie et n’ont pas besoin de retourner chez leur agresseur. »
Un autre fournisseur de services a expliqué que le refuge pour femmes d’Iqaluit a élargi sa politique qui autorisait uniquement des séjours de six semaines en raison de la pénurie de logements. Mais si les femmes viennent à Iqaluit d’une autre communauté, leurs chances de trouver un logement sont minces. [traduction] « Si vous êtes au refuge et… que vous deviez partir avec toute votre famille de Pond Inlet, par exemple, vous devez être à Iqaluit une année entière avant de vous inscrire sur la liste d’attente, qui est de trois à cinq ans. Donc, nos femmes, malheureusement, beaucoup de nos femmes le savent. Alors, elles resteront dans la relation et cela contribuera simplement aux statistiques élevées des femmes qui perdent réellement la vie dans la relation. »
Une autre femme a expliqué qu’avant que le Nunavut devienne son propre territoire en 1999, [traduction] « nos femmes et nos enfants pouvaient se rendre à Yellowknife où ils avaient un logement de transition. » Cette option a été supprimée une fois le Nunavut formé. [traduction] « On est en 2019, on sera maintenant en 2020, c’était en 1999 et on n’a toujours rien ici. » Afin de trouver un logement, de nombreuses femmes quittent le Nord. [traduction] « Et puis quand elles se déplacent vers le sud, c’est un choc culturel et puis elles se disent simplement, ce n’est pas bon. Et puis leurs enfants sont emmenés, elles deviennent alcooliques, ou autre chose, des toxicomanes, des alcooliques, n’importe quoi. Par exemple, au moins 80 %, probablement 90 % des personnes qui déménagent dans le sud pour se loger finissent dans la rue de toute façon, parce que tout est tellement disponible et là c’est trop, c’est un grand changement et elles sont loin de chez elles, elles sont loin de leur gens, des aliments de chez elles, c’est tout. » En même temps, la femme a souligné que [traduction] « tous ces nouveaux arrivants, les non-Inuits qui viennent ici juste pour travailler, ils obtiennent un logement sans problème, et font tellement d’argent. Pourquoi pas nos gens? Prendre soin de nos gens d’abord? »
Qu’est-ce qui doit être fait?
Des entrevues avec des femmes, des aînés et des fournisseurs de services inuits ont révélé certaines préoccupations fondamentales au sujet des services de police au Nunavut, en particulier en ce qui concerne la réponse de la police à la violence fondée sur le sexe : la lenteur des temps de réponse de la police et l’absence d’une présence policière significative dans la communauté; la peur et la méfiance à l’égard de la police; les pratiques policières racialisées; et la normalisation de la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites. Ces entrevues ont également révélé bon nombre des défis auxquels la police est confrontée dans l’exercice de son rôle, notamment travailler dans des situations à haut risque où la violence familiale est présente, le manque de ressources d’orientation pour soutenir les victimes de violence, le roulement élevé des agents de police, le manque de connaissances et d’expérience des agents à l’égard du Nord et les obstacles linguistiques et les difficultés à maintenir en poste des agents inuits.
En plus de ces préoccupations, plusieurs participants ont souligné des problèmes plus fondamentaux liés aux services de police dans le Nord. Un aîné a rappelé que [traduction] « il y a longtemps, peut-être encore aujourd’hui, dans les petites communautés, si un Blanc vient, c’est lui le patron. Il fait tout et on est juste là pour écouter. Vous voyez ce que je veux dire? C’est ce qu’ils faisaient. C’est ainsi qu’ils le faisaient dans le passé. Au lieu de lui dire : “D’accord, vous êtes ici et c’est ce que nous faisons. C’est le genre de vie que nous menons. C’est notre dirigeant, et ces choses. » Un fournisseur de services a fait valoir que [traduction] « le Nord, et la société inuite en général, est un monde complètement différent du monde des agents ou du bas [dans le Sud]. Juste complètement différent. » Donc, [traduction] « tant que ces institutions ne seront pas développées, gérées et dirigées par les personnes qu’elles essaient de servir, donc développées, gérées et dirigées par des Inuits pour des Inuits, cela ne fonctionnera jamais. » Un autre participant a fait remarquer [traduction] : « Cette structure hiérarchique ne convient pas du tout aux Inuits. Si vous venez avec un “je suis plus haut que vous. Je suis la figure d’autorité ici”, les Inuits ne prennent pas bien cela à mon avis. » Ces commentaires suggèrent la nécessité d’un changement radical dans la façon dont les policiers sont positionnés au sein des communautés qu’ils sont chargés de servir. Les participants ont formulé des suggestions sur la façon dont la police pourrait commencer à opérer ce changement, y compris des recommandations pour améliorer la réponse de la police à la violence fondée sur le sexe.
Principalement, les participants ont soutenu que les agents doivent être mieux informés sur l’histoire des Inuits [traduction] « et comprendre notre culture et notre langue ». La police doit également améliorer sa capacité à fournir des services dans la langue de la communauté qu’elle dessert. Comme l’a dit un aîné, [traduction] « j’estime que la police devrait toujours avoir des personnes qui parlent l’inuktitut lorsqu’elle est, quand elle arrête ou frappe à la porte des gens. » Pour un autre participant, ces services devraient être étendus à la prestation de services de traduction d’interprétation [traduction] « dans tous les domaines, que ce soit la déclaration, au tribunal, tout ».
De plus, la police doit faire plus d’efforts pour établir des liens avec les dirigeants des collectivités. Comme l’a déclaré un fournisseur de services :
[traduction]
Les policiers sont des gens qui aiment les processus. Ils suivent les instructions et font juste ce qu’on leur dit de faire. Mais nous devons avoir des commandants de détachement qui savent comment communiquer avec les chefs locaux, pour vraiment développer ce soutien pour lutter contre la violence communautaire par la communauté. Ce ne peut pas être seulement la police qui s’attaque à la violence. Il doit y avoir un leadership local, et parfois les vrais dirigeants de la communauté ne sont pas les maires et le conseil, parfois il y a d’autres dirigeants. Donc les policiers ne savent pas ça, ils ne viennent pas d’ici, ils arrivent et ils pensent que le maire est le dirigeant de la communauté alors ils essaient de lui parler. Mais parfois, ce n’est pas la bonne personne à qui parler. Il s’agit donc pour les commandants de détachement d’avoir les bons outils pour communiquer et obtenir du soutien pour leur propre communauté. Par exemple, certains des dirigeants de la communauté doivent être informés afin qu’ils puissent commencer à apporter des changements par eux-mêmes.
Selon ce même fournisseur de services, les agents doivent également être plus conscients de leur responsabilité envers la communauté. [traduction] « Lorsqu’il y a de nouveaux agents dans la communauté, il est important de prendre le temps de les présenter à la communauté parce que si vous ne le faites pas, alors les agents sont simplement redevables, comme, ils sont juste, ils ne se sentent responsables que devant leur superviseur, la GRC. Ils ne pensent pas à rendre des comptes à la communauté. » Selon un autre fournisseur de services, les policiers doivent également faire plus d’efforts pour connaître les résidents. Cela réduirait la peur et la méfiance qui semblent prévaloir.
[traduction]
C’est une ville suffisamment petite pour que, vous savez, ils puissent apprendre à connaître les habitants et faire connaissance avec les gens qui vivent ici et effacent une partie de cela ou apaisent une partie de cette peur de l’inconnu où ils peuvent peut-être aller chez quelqu’un et pouvoir dire, « Je sais qui vit ici. Je sais s’ils représentent un danger ou pas habituellement. Je connais leur famille, par exemple, comment leur parler et tout ça. Et ils me connaissent. » Et cela peut, je pense, beaucoup aider, en particulier la peur de la police et la haine. Si vous connaissez quelqu’un en tant que personne avant de le connaître en tant que policier, vous savez, cela peut être un peu plus accueillant.
Cependant, la communauté a également un rôle à jouer dans la refonte du rôle de la police. À cet égard, un fournisseur de services estimait que [traduction] « la cérémonie est manquée entre la communauté et la police ».
[traduction]
Dans le passé, c’était un igloo. Vous accueillez quelqu’un, vous les réchauffez, vous suspendez leurs vêtements pour les sécher, vous les chauffez, les chauffez, les réchauffez, les nourrissez. Nous n’avons pas ces protocoles dans la société actuelle. Nous devons donc, en tant que communauté, trouver comment être plus accueillants et fixer les règles pour les policiers étrangers sur notre territoire. Nous devons également assumer la responsabilité, ce n’est pas seulement la police, mais la police devrait être ouverte à demander à la communauté aussi, et beaucoup de policiers ne le font pas. Ils assument simplement leurs devoirs et leur autorité, sans penser que, vous savez, il y a peut-être une étiquette locale… Mais, au Nunavut, nous ne savons pas très bien quelles sont les règles.
Dans le même temps, les organisations et services communautaires doivent également travailler à établir des liens avec la police. Comme l’a suggéré un fournisseur de services [traduction] : « Il s’agit de forger des partenariats et j’utilise le pluriel, aucun organisme unique ne peut construire un partenariat, donc cela doit être fait collectivement. » Le prestataire de services a ensuite précisé :
[traduction]
Je pense que le renforcement de la relation avec la GRC est, il ne revient pas à un seul organisme ou un ministère ou une personne. Cela doit se faire collectivement au sein d’une communauté. Il s’agit donc, vous savez, de la GRC, des intervenants sociaux communautaires en justice, des Services à l’enfance et à la famille, de la santé mentale. Je pense que tout le monde reconnaît les intersections, le rôle et le travail que nous faisons pour assurer la sécurité de la communauté.
Un autre participant a suggéré que la confiance pourrait être établie entre la police et la communauté inuite en ramenant des gendarmes spéciaux :
[traduction]
Il y a très longtemps, en fait, lorsque la GRC a été envoyée dans le Nord dans les années 1960 ou 1950, elle était, tout était fait pour elle par les Inuits. Et elle embauchait un gendarme spécial chaque fois que quelqu’un était embauché et je pense que cela pourrait être ramené au niveau communautaire. Il n’y a pas de gendarmes spéciaux dans les communautés. Pourquoi ne pas avoir un gendarme spécial local qui va être ça, c’est un travail et il connecte et aide à développer cette confiance. Donc je ne sais pas, je sais qu’ils font ça ici… mais, je pense que dans les communautés, ils ont besoin de ramener ça, ils doivent vraiment essayer de faire ça.
Pour améliorer le rôle de la police dans la communauté, il faudra également veiller à ce que des soutiens soient en place pour aider les femmes victimes de violence fondée sur le sexe. Plusieurs participants ont souligné la nécessité d’un refuge pour les femmes, [traduction] « une maison familiale pouvant accueillir une personne qui a besoin d’échapper à la violence ». Comme un fournisseur de services l’a expliqué :
[traduction]
Elles ne veulent pas tous aller au refuge parce que c’est très public et c’est un peu plus long terme qu’une nuit habituellement, c’est comme ça que ça a évolué en quelque sorte. Mais s’il y avait un refuge privé sûr et que vous saviez que ce sont des refuges sûrs en tant que victime, si vous avez appris ce qu’étaient les refuges sûrs, alors en cas d’urgence, vous pourriez soit passer par la police, soit par tout autre moyen entrer en contact, soit par l’intermédiaire d’un travailleur social, peu importe, entrer en contact avec le refuge sûr pour y passer la nuit. Mais, nous avons besoin de la police pour aider à identifier ces refuges. Elle connaîtrait mieux les refuges où il n’y a pas de violence et qui sont capables de prendre un cas comme ça.
De plus, des soutiens sont nécessaires sous la forme de [traduction] « services aux victimes stables dans chaque communauté, un bureau du personnel des services aux victimes dans chaque communauté ». La réalisation de tels soutiens met en évidence le problème du financement de ces services. En vertu de l’accord de financement actuel, le Nunavut n’est pas en mesure de tirer parti du Programme de la police des Premières Nations du gouvernement fédéral, qui repose sur une entente de partage des coûts de 52/48 entre le gouvernement fédéral et les provinces.
[traduction]
Les Premières nations ont donc un meilleur financement, un accord de financement fédéral. Pour nous, les Inuits, on compte sur le GN [gouvernement du Nunavut] pour financer 70 pour cent, les autorités fédérales ne contribuent que 30 pour cent. Pourtant, les problèmes sociaux viennent de, l’une des premières entités venues au Nunavut, c’était la la police. Donc, et la police était un prolongement du processus décisionnel d’Ottawa, alors elle ne faisait qu’exécuter ce qu’Ottawa avait dit de faire avec les Territoires du Nord-Ouest à l’époque. Les problèmes sociaux sont donc le résultat de décisions prises à Ottawa. Alors, pourquoi Ottawa ne nous finance-t-il pas comme les autres [communautés autochtones]?
Les participants avaient également des suggestions plus pragmatiques pour améliorer la réponse de la police à la violence fondée sur le sexe. L’une des stratégies consistait à fournir aux femmes victimes de violence fondée sur le sexe une « ligne de vie » ou les coordonnées de [traduction] « refuges sûrs, etc., comme certains numéros de téléphone. Par exemple, si vous pensez que, par exemple, lorsqu’un policier arrive, la victime ne peut pas nécessairement dire : “Il est là, il me fait mal, j’ai besoin d’aide”. Elle peut renvoyer la police et dire : “Non, tout va bien”, parce qu’il est en train de la menacer à nouveau ou quelque chose comme ça. Il doit donc y avoir un moyen, et c’est généralement le contact en personne, vous pouvez dire qu’il y a quelque chose, mais vous devez respecter ce que la personne a dit. Et en tant que policier, vous devrez peut-être partir, mais vous voulez leur donner une bouée de sauvetage d’une manière ou d’une autre. » Un autre fournisseur de services a suggéré de fournir des « dépliants à jour » ou des brochures qui fournissent des informations sur les ordonnances de protection d’urgence et d’autres voies qu’une victime pourrait emprunter.
En même temps, les participants étaient conscients du fait que chaque agent avait également besoin de soutien. [traduction] « Je pense que les agents ont aussi besoin de plus de services de soutien… et je pense que c’est le cas partout. Les policiers n’ont pas assez de personnes pour faire face au TSPT et au traumatisme indirect et à tout ce qui se passe dans leur vie. Parce que ce sont des êtres humains aussi. »
Les participants étaient également au courant de l’excellent travail accompli par la police dans leurs collectivités et de la mesure dans laquelle ce travail est passée inaperçu ou est apprécié. Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « Je pense que ce serait formidable de voir ces agents qui font un excellent travail mis en valeur. » Un fournisseur de services a également déclaré :
[traduction]
Il y a des gens qui essaient de faire de bonnes choses et qui utilisent leur position pour faire de bonnes choses. Et ils ne reçoivent pas, je ne pense pas qu’ils reçoivent une quelconque attention, ce qui n’est pas acceptable non seulement pour eux, mais aussi pour nous tous. Parce que nous ne sommes pas du tout au courant des bonnes choses qui sont accomplies... S’il y avait quelques histoires de plus sur certaines des choses qu’ils font, ce serait bien, cela pourrait aider à renforcer les relations entre les gens.
La réalité de la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites a été mise au premier plan avec le décès d’une femme inuite par son ex-partenaire peu de temps avant nos entrevues au Nunavut. Une des participantes a parlé de cette relation – et de l’importance d’offrir les services nécessaires pour prévenir un autre décès. Elle a indiqué que dans le cas de la femme décédée, il y avait [traduction] « de nombreuses rencontres de policiers qui allaient et venaient et des voisins qui appelaient parce qu’ils entendaient le chahut qui se passait dans l’appartement. Et donc avant le meurtre, cet homme a été arrêté ou emmené par la GRC et cet homme a dû être emmené à plusieurs reprises pour avoir maltraité d’autres femmes. » La femme s’est interrogée sur ce qui était fait [traduction] « pour faire de cet homme un homme meilleur ou pour l’envoyer ou pour lui fournir des soins en cas de traumatisme s’il avait eu des traumatismes dans sa vie pour avoir constamment créé cet environnement ». Sans ces ressources, [traduction] « cet homme revenait sans cesse et je suis sûr que la femme se sentait coincée et je sais à quoi ça ressemble ». Le participant pensait que plus de choses auraient pu être faites [traduction] « pour aider cette victime et la personne responsable », y compris [traduction] « si quelqu’un représente une menace pour la communauté et pour lui-même » en l’envoyant [traduction] « pour un traitement pour traumatisme ». Dans le cas de la femme décédée, elle s’est posé la question [traduction] : « Alors, où est-ce que cela est exercé ici? Où la GRC collabore-t-elle avec les bonnes personnes au sein du gouvernement? Où cela se produit-il? Cela aurait pu être évité, cette femme aurait pu vivre. Elle avait des enfants. Maintenant, ils doivent vivre le reste de leur vie sans mère, comme beaucoup d’autres. »
Les services de police au Nunatsiavut
La violence fondée sur le sexe est un sujet de grave préoccupation pour les prestataires de services qui travaillent au Nunatsiavut. Un fournisseur de services s’est rappelé avoir participé à un atelier sur les agressions sexuelles en 2010. Un des contributeurs de l’atelier a fait remarquer que [traduction] « la question n’est pas de savoir si cela va se produire, comme, si vous allez être agressé sexuellement, la question est de savoir quand. Voilà à quel point c’était endémique. Mais, c’était en 2010. » La fréquence de la violence fondée sur le sexe est toujours, cependant, un problème urgent. Comme l’a déclaré un autre fournisseur de services :
[traduction]
À l’échelle provinciale, c’est un problème à Terre-Neuve-et-Labrador en général, mais certainement plus vous êtes éloigné et plus rurale et éloignée est la communauté ainsi que dans les communautés autochtones, les chiffres ont même tendance à être plus élevés. Je sais qu’à l’échelle provinciale, la dernière statistique que j’ai, c’est qu’une femme sur deux de plus de 15 ans subira au moins une incidence de violence sexuelle ou physique dans la province. Je dirais que ces chiffres sont beaucoup, beaucoup plus élevés au Nunatsiavut.
Les participants étaient d’avis que la violence fondée sur le sexe contre les femmes inuites est devenue normalisée. Une femme croyait que la violence fondée sur le sexe avait été enseignée aux hommes inuits :
[traduction]
C’est comme ça qu’ils sont ici. Pas tous, mais à peu près tous. Ils vont te maltraiter. On leur apprend à le faire. Que ce soit un oncle, un père, un grand-père, comme, vous savez, lorsque vous entendez parler de cas d’hommes violant leur fille ou leur petite-fille ou nièce, lorsque cela se produit à la maison et que d’autres petits garçons grandissent avec, avec toute cette violence, qu’elle soit physique ou sexuelle, « Oh, c’est normal ».
Une femme d’une quarantaine d’années a raconté son expérience en grandissant :
[traduction]
Pour moi, la violence était quelque chose de très courant dans notre foyer. J’ai été culturellement adoptée, et tous mes frères et sœurs aînés sont vraiment mes oncles qui ont grandi avec la violence domestique. Je les ai vus frapper leurs partenaires, je les ai vus les frapper, les jeter, les tirer par les cheveux. J’ai vu tout ça en grandissant. Et pour moi, grandir avec ça, en sachant que rien n’est fait, vous y devenez insensible, vous pensez que c’est normal. Voilà comment vous pensez que c’est censé être… Comme dans les années 80 quand j’étais enfant, c’était chose courante de voir une femme marcher dans la rue avec un œil au beurre noir ou des ecchymoses. C’était chose courante.
Une autre femme d’une quarantaine d’années partageait le même point de vue [traduction] : « C’était tenu secret à l’époque dans les années 80. C’était un secret, tu te taisais, tu ne disais rien même si les femmes se promenaient avec des ecchymoses et des yeux au beurre noir. C’était tenu secret. Et vous n’en parliez pas parce que c’est ce qu’on vous disait, vous ne parlez jamais de ce genre de choses. » Bien que ces deux femmes pensent que les personnes se font maintenant plus entendre en disant « Non. Ce n’est pas acceptable », elles savent également [traduction] « qu’il y a encore beaucoup d’abus qui se produisent derrière des portes closes et dont on ne parle pas. » Comme l’a indiqué un fournisseur de services [traduction] : « Il se passe beaucoup de choses dans cette ville, et ce sont des choses tellement indescriptibles. Comme, vous n’en entendez pas parler, beaucoup de choses que les femmes ont endurées… comme des choses horribles, horribles. »
La réticence des femmes à dénoncer la violence
Bien que la violence fondée sur le sexe soit une préoccupation constante au Nunatsiavut, les participants ont cité plusieurs raisons pour lesquelles les femmes hésitent à signaler la violence. L’une des raisons est « l’isolement des femmes dans la communauté ». Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services [traduction] : « Ce sont des communautés accessibles par avion. Il n’y a vraiment nulle part où aller. » Un autre fournisseur de services a expliqué [traduction] : « L’isolement est un énorme problème pour [cette communauté], car les femmes ne peuvent pas facilement entrer ou sortir de la communauté isolée en raison du coût élevé du vol et de l’isolement. Vous savez, ça rend les choses beaucoup plus difficiles de prendre l’avion, de partir avec ses enfants. Elle ne peut tout simplement pas se lever et sortir de là, vous savez, lorsqu’elle craint pour sa sécurité, celle de ses enfants ou des deux. »
Il existe également des raisons pratiques pour lesquelles les femmes ne signalent pas les violences ou, si elles le font, demandent l’arrêt des poursuites. Un fournisseur de services a noté [traduction] : « Elles ont besoin que leur partenaire soit à la maison pour aider les enfants, elles ont besoin que leur partenaire soit à la maison, car c’est la personne qui a le revenu ou elles ont besoin d’aide pour des choses pratiques dans la maison, pour obtenir le bois pour chauffer leur maison pour l’hiver. Des raisons très pratiques pour lesquelles elles ont besoin de retrouver leur partenaire. » Un autre fournisseur de services a déclaré [traduction] : « J’ai déjà entendu des histoires de femmes qui ont repris les hommes parce qu’elles ne pouvaient pas, vous savez, elles ne pouvaient pas couper le bois, elles ne pouvaient pas apporter le bois, vous savez, elles ne pouvaient pas garder leur foyer au chaud. »
Une autre raison pour laquelle les femmes ne signalent pas la violence est les menaces auxquelles elles sont exposées de la part de leur partenaire. Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services : « J’ai même entendu des gens dire [traduction] : “Si vous le dites aux policiers, ce sera pire la prochaine fois”. Et donc, elles auront peur de le dire aux policiers. »
Le délai de traitement des accusations est une autre raison de la réticence des femmes à recourir au système de justice pénale en cas de violence fondée sur le sexe. Comme l’explique un fournisseur de services [traduction] : « Au Nunatsiavut, c’est un tribunal itinérant, donc ils viennent par avion une fois par mois. » Cela signifie que [traduction] « le processus judiciaire prend tellement de temps que souvent les femmes attendent longtemps sans que l’affaire soit résolue, ce qui peut, d’une part, affecter leur volonté de participer, deuxièmement, je pense que beaucoup se demandent alors si le processus vaut la peine pour leur situation. » Un autre fournisseur de services a ajouté [traduction] : « Et souvent, le résultat est une peine légère, donc c’est un peu comme tout ce travail pour rien. Plusieurs participants étaient d’avis que les femmes [traduction] « n’avaient aucune protection pour passer au travers du processus judiciaire. Il n’y a aucun avantage pour elles de continuer les poursuites ou d’essayer de le faire, donc je suppose que le risque l’emporte sur l’avantage. »
Selon un fournisseur de services, les femmes ne se tournent pas vers la police pour obtenir de l’aide [traduction] « en raison de certaines relations très tendues et de la confiance envers la GRC, ainsi que les tribunaux et le système judiciaire ». Pour certaines femmes, leurs relations tendues et leur manque de confiance envers la GRC remontent à leur jeunesse.
Une femme s’est souvenue de ce qui s’était passé lorsqu’elle s’était tournée vers la police pour obtenir de l’aide lorsqu’elle était jeune :
[traduction]
Quand j’avais 12, 13 ans, je vivais avec ma mère et elle avait un petit ami. Elle n’est plus avec ce petit ami… J’étais à l’étage et ma mère ne boit pas et son petit ami buvait ce soir-là. Il est rentré ivre… saoul. Peu importe, il a commencé à l’agresser avec une arme, comme une arme de cuisine. Et j’en avais assez qu’il lui fasse mal. Elle pleurait, criait, tout ça. J’ai donc couru jusqu’au poste de la GRC qui est en bas sur la petite rive, même pas à cinq minutes en courant. J’ai couru là-bas et j’ai sonné à la porte et j’ai demandé à l’agent de l’époque : « J’ai besoin de votre aide. Cet homme agresse ma mère. J’ai besoin de votre aide », et tout ça. Et il a dit qu’il ne pouvait pas retirer l’agresseur, je dois aller ailleurs. Oui, et j’étais une enfant. Il m’a dit de ne pas y retourner et il ne peut pas retirer l’agresseur. Et j’étais juste, comme, je savais la différence.
Une autre femme était d’avis que [traduction] « beaucoup de femmes ne veulent pas parler ou elles ont peur » de contacter la police lorsqu’elles sont victimes de violence fondée sur le sexe. Elle avait de l’empathie pour ces femmes, compte tenu de sa propre expérience lorsqu’elle était enfant. Elle a expliqué [traduction] : « En grandissant, j’ai vu beaucoup de violence et il était courant que ma mère appelle la GRC… Et je n’aimais pas quand la GRC entrait. » La femme se souvient que la police disait à sa mère [traduction] « que c’était de sa faute si elle était frappée et tout ça ». Elle se souvient également de la GRC [traduction] « me montrant du doigt et mon frère quand on était très jeunes et nous disant de “sortir de la maison” et ma mère avait été agressée et mon père était arrêté et moi et mon frère, on avait vraiment peur. J’ai vu des trucs moches comme ça, vraiment moche. » La femme estime que cette relation tendue entre les femmes inuites et la police s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui :
[traduction]
Je le vois encore aujourd’hui et je l’entends encore aujourd’hui… Et, comme, comment pourraient-ils continuer à faire ça? J’ai l’impression qu’ils traitent les femmes Inuk surtout comme si elles n’étaient pas bonnes. Et que leur avons-nous fait? Comme, vous venez dans notre ville pour que les gens se sentent en sécurité et ils ne se sentent pas en sécurité. Et me voilà adulte, et je ne les appellerais probablement pas parce que je sais comment ils sont. Et je veux me faire entendre parce que j’ai l’impression que cela se produit encore et que les gens ne veulent pas parler. Ils ont trop peur ou ils ont l’impression que cela arrive toujours et que personne ne les écoutera.
Toutes les rencontres avec la police n’ont pas été négatives. Une femme a raconté une expérience positive qu’elle avait vécue en signalant une agression sexuelle au début des années 1990. [traduction] « Je me souviens d’avoir été une adolescente quand j’ai quitté ma ville natale pour aller à un événement d’équipe sportive. Et je me suis réveillée avec cet homme au-dessus de moi et je ne savais pas ce qu’il faisait et je me suis sentie totalement violée. » Elle a signalé l’agression à la GRC et s’est souvenue que cette expérience avait été « très positive ».
[traduction]
Je fais partie des chanceux qui ont pu faire une déclaration, a été crue et la personne a été emmenée au poste. Et je n’ai jamais eu à aller au tribunal parce qu’il a admis qu’il avait fait cela et ensuite il a fini par, enfin, je n’ai pas eu à témoigner, je n’ai pas eu à être traînée en justice pour raconter mon histoire. Je n’étais pas, je ne me sentais pas comme une victime et encore et encore parce que je pense que pour moi, la justice a été rendue dans cette affaire.
La femme, cependant, ne croit pas que ce genre d’expérience positive avec le système de justice pénale se produit actuellement. Selon elle, [traduction] « il y a plus de droits pour une personne accusée que pour les victimes. J’ai ce sentiment. Et ils savent comment utiliser le système à leur avantage. Ils plaideront donc non coupables même s’ils savent qu’ils l’ont fait. » Sa position est la suivante : « Je ne pense pas que j’irais devant les tribunaux. Tout est en place pour l’accusé et non pour la victime. »
Une autre femme avait été dans une relation violente durant son adolescence. [traduction] « Et quand c’est arrivé au pire, c’est là que j’ai obtenu de l’aide. » Elle a dit que la police [traduction] « m’a aidée et j’avais l’impression de leur faire confiance… Ils m’ont aidé à le traduire en justice et tout. Et, il était en détention à domicile et je me sentais alors plus en sécurité. » Bien que la femme ait eu une expérience positive avec la police à cette occasion, elle a dit qu’elle ne se tournerait pas vers eux maintenant. « J’ai juste l’impression qu’ils me feraient des reproches si j’allais vers [eux] ou me traiteraient de folle ou d’autre chose si j’allais vers eux maintenant. » Lorsqu’on lui a demandé ce qui s’était passé pour qu’elle change d’avis, elle a raconté l’expérience qu’elle a vécue lorsqu’elle a vu quelqu’un essayer de se suicider avec un fusil de chasse. L’expérience l’a traumatisée.
La femme a dit [traduction] : « Je ne savais pas vraiment à quoi je pensais », mais elle [traduction] « a en quelque sorte compris dans ma tête que tout le monde allait tirer sur tout le monde. Et j’ai en quelque sorte roulé comme un folle pour essayer de sauver tout le monde. Par exemple, j’entrais en courant dans les maisons des gens et je m’assurais qu’ils allaient bien. » La police est arrivée et [traduction] « ils m’ont vraiment manipulée comme si j’étais un homme ».
[traduction]
Ils m’ont saisi le bras si fort et m’ont menottée et ils m’ont jetée dans la boîte de qamutiik [traîneau]. Et quand ils m’ont emmenée à la cellule de prison ce soir-là et j’ai dû y passer la nuit. Et j’ai dû prendre une douche et enlever mon soutien-gorge et tout. Comme, ils pensaient que je voulais faire du mal aux gens ou que je voulais me faire du mal. Mais j’essayais vraiment de sauver des gens. Et j’essayais de leur dire ça et j’avais l’impression qu’ils ne comprenaient pas. Par exemple, quand je prenais une douche, ils frappaient à la porte et disaient : « Allez, dépêche-toi! » Et juste, je voulais juste qu’ils comprennent. Par exemple, s’ils avaient compris, je pense que ces pensées dans ma tête auraient disparu beaucoup plus vite.
La femme a déclaré que la police [traduction] « me faisait sentir comme une criminelle alors que j’essayais d’être un héros. Je sais que ce n’était pas vraiment ce qui était dans ma tête, mais s’ils m’avaient aidé à comprendre cela, je leur aurais davantage fait confiance. » Au cours de la dernière année, la femme a consulté un conseiller. « Et j’ai eu mes cris, alors maintenant je veux utiliser cela pour aider, pour changer. Parce que je ne veux pas que quelqu’un passe par quelque chose comme ça. C’était difficile. »
Les femmes ont également parlé du silence qui entoure la violence fondée sur le sexe. Une femme qui avait subi des mauvais traitements d’un proche dans son enfance a expliqué ce qui s’était passé lorsqu’elle avait révélé les mauvais traitements à sa mère.
[traduction]
Et quand j’ai dit à ma mère, qui a grandi dans une génération totalement différente où il n’y avait aucune éducation à ce sujet, je comprends parfaitement pourquoi elle a répondu comme elle l’a fait. Mais pour moi, en tant que jeune enfant allant vers sa mère pour lui dire que j’étais touchée. Sa réponse a été : « Oh, tu dois te taire. Tu ne parles pas de ça. » Donc, quand vous grandissez et qu’une personne qui est censée vous protéger vous dit cela, vous grandissez en pensant que vous ne pouvez jamais rien dire à propos de ce genre de chose. C’est ce que j’ai appris en tant que jeune enfant en grandissant.
En vieillissant, la femme a compris que [traduction] « non, ce n’est pas normal. Vous pouvez vous exprimer et vous en avez le droit. » Néanmoins, elle a choisi de ne pas signaler l’agression, car elle pensait que le fait de parler nuirait à sa famille. [traduction] « Nos familles doivent prendre soin les unes des autres. Nous sommes des Inuits, nous chassons, pêchons, nous nous rassemblons, nous avons des réunions de famille. Cela ferait plus de mal que de bien. » Au lieu de cela, elle a divulgué les mauvais traitements à une sœur et les deux [traduction] « en quelque sorte se sont protégées, se sont assurées de pouvoir dire à certaines de ne pas rester près de lui. » Elle a également confronté son agresseur [traduction] : « J’ai pris la décision de lui dire que je sais ce qu’il a fait et que je me souviens de ce qu’il a fait. Et cela me suffisait. Oui, ça m’a suffi pour qu’il sache que je savais, je m’en souviens. » La femme pensait que « même si je sais que justice n’a pas été rendue, c’est beaucoup plus sûr que de passer par la voie de l’inculpation. »
La femme a vécu d’autres incidents de violence impliquant des membres de sa famille, mais estime que le recours au système de justice pénale est problématique [traduction] : « J’ai le sentiment que je devrais signaler, mais aussi en même temps, pourquoi voudriez-vous signaler quand vous savez que rien ne va se passer? C’est comme ça que le système est, ils s’en sortent tout le temps de toute façon. Pourquoi voudriez-vous faire ça? Pourquoi voudriez-vous vous soumettre à cela? »
Faire appel à la police pour obtenir de l’aide
Bien que de nombreuses femmes semblent réticentes à faire appel à la police pour obtenir de l’aide, certaines d’entre elles ont trouvé que la réaction de la police n’était pas favorable ou compromettait leur sécurité. Dans certains cas, les femmes ont trouvé que la réaction de la police était non professionnelle et raciste.
Une femme qui avait mis fin à une relation violente trois ans auparavant a dit qu’elle avait fait appel à la police pour obtenir de l’aide pour traiter avec son ex-partenaire. Elle a évoqué les difficultés qu’elle a rencontrées pour amener les policiers à traiter sa situation sérieusement.
La première fois qu’elle a appelé la police, les agents ont répondu [traduction] « relativement rapidement ». Son ex-partenaire s’était présenté à sa porte. [traduction] « Il était entré de force chez moi pendant que je tenais mon bébé, alors j’ai été refoulée en le tenant. Et il essayait de prendre mon cadet. Et mon aîné était là et je pense qu’il a été pris au dépourvu par le fait que mon aîné me défende. Et cela m’a donné assez de temps pour composer le 911. » Même si l’homme était parti avant l’arrivée de la police, [traduction] « il est revenu et ils l’ont arrêté à l’extérieur de ma maison ». La femme a affirmé que les policiers [traduction] « étaient bons avec moi à l’époque. Ils me comprenaient et me parlaient sincèrement et voulaient m’aider. Et ils m’ont expliqué les choses en me disant, vous savez, c’était eux qui allaient porter des accusations contre lui pour violence familiale et qu’ils allaient lui dire la même chose pour qu’il ne me rende pas responsable des accusations. Alors, à ce moment-là, ils ont été bons et utiles. »
La femme s’est rendue au poste de police pour faire une déclaration. [traduction] « Je suis restée pendant deux heures et j’ai fait une déclaration vidéo sur tout. Cependant, les accusations ont fini par être suspendues à la première comparution de l’homme devant le tribunal. Lorsque cela s’est produit, les restrictions imposées (y compris une interdiction de contact) ont également été retirées. La femme a déclaré avoir été [traduction] « prise au dépourvu » parce qu’[traduction] « ils ne m’ont pas informé de ce qui se passait après le fait ou pendant les événements ». Puisqu’aucune restriction n’avait été imposée par le tribunal, l’ex-partenaire est revenue chez elle lorsqu’elle était au travail. [traduction] « Il est dans ma maison, et il m’appelle au travail depuis ma maison, avec mon bébé à la maison avec la gardienne. » Elle a immédiatement téléphoné à la police, [traduction] « et c’est à ce moment qu’il a fallu 45 minutes pour qu’ils viennent à côté dans mon lieu de travail pour intervenir. Et à ce moment-là, il était dans ma maison, il est allé à l’école et est passé prendre mon cadet, il l’a pris. Il me menaçait au téléphone lorsqu’il me parlait chez moi. Et j’ai expliqué tout ça à la police et ils ne s’en souciaient pas à ce moment-là. » La femme craignait beaucoup pour la sécurité de ses enfants.
[traduction]
Il y a eu beaucoup de menaces par téléphone. J’étais simplement devenue engourdie par la peur parce qu’il menaçait de prendre mes enfants, que je ne reverrais plus jamais mes enfants. Je ne savais pas si cela voulait dire qu’il allait tuer mes enfants ou non parce qu’il a menacé de tuer mes enfants avant, et moi. Donc, je veux dire, attendre 45 minutes pour qu’ils viennent à côté est un long moment où vous pensez qu’il va tuer mes enfants. Et puis quand ils répondent finalement en sachant cette information et qu’ils vous traitent comme si ce n’était pas grave, c’est dévastateur.
Une fois que ses enfants ont été transférés dans un endroit sûr, la femme est retournée au poste de la GRC et a demandé à l’agent avec qui elle avait traité plus tôt pourquoi l’accusation initiale avait été suspendue. Il a répondu [traduction] : « Oh, je pensais que vous ne vouliez pas y aller. » Elle a donc dû faire une déclaration vidéo une deuxième fois. [traduction] « Ils ont de nouveau configuré la pièce, tout le patatras. J’ai dû le refaire. »
Il a fallu encore trois ans avant que l’affaire ne soit finalement réglée par le tribunal. Dans l’intervalle, son ex-partenaire [traduction] « a continué à enfreindre ses conditions ». Mais la femme a persévéré. [traduction] « Je les ai forcés de me prendre au sérieux. Je n’abandonne pas. Je vais continuer à me présenter et je vais continuer à appeler. Je ne vais pas le laisser faire ça à moi et à mes enfants. Une fois qu’ils ont fait ça pour moi, il a arrêté de venir à la maison. Il a arrêté de m’appeler. »
À l’une des occasions où la femme s’est présentée au poste de la GRC pour fournir des preuves que son ex-partenaire avait enfreint ses conditions de libération, l’un des agents a été [traduction] « particulièrement cruel » envers elle. Elle explique ce qui s’est passé :
[traduction]
Il ne me regardait pas quand il parlait de moi quand j’étais juste devant lui. Il regardait d’autres agents ou d’autres employés et disait, comme, vous savez, il regardait ce que j’avais écrit et leur montrais en disant : « Voyez, c’est par écrit. Il me menace. Il est déjà accusé. Il n’est pas censé avoir de contact avec moi. » Et cet agent regarde d’autres employés et je suis à côté de lui, comme, je le regarde. Et il ne me regardait pas dans les yeux. Et il a dit : « Où est l’atteinte? Où est l’atteinte? Il n’y a rien que je puisse faire. J’ai les poings liés. » Et puis il s’est mis à parler de la confidentialité d’une autre personne, et ainsi de suite, il a donné des noms, comme parler de « C’est cette personne, tel ou tel », et parler de tel ou tel, et il a dit : « Vous vous souvenez de ça? » J’étais comme : « Oh mon dieu, je ne suis pas censée entendre ça », et vous ne devriez certainement pas me traiter de cette façon. Alors je me suis exprimée. Et c’était la première fois que je criais contre un membre de la GRC. Je me souviens juste d’avoir dit : « Je suis juste ici, vous pouvez me regarder et me parler. Je n’ai jamais demandé à être menacée comme ça. Je demande votre aide. Vous êtes censé m’aider. » J’ai dit : « Je ne suis pas ici pour vous faire perdre votre temps. » Et je me souviens juste de lui avoir crié après, de l’avoir mis à sa place. Et puis il s’est mis à me parler comme si j’étais un être humain pour cette fois.
La femme était également frustrée par le fait que la police avait choisi de ne pas intervenir à la suite d’autres incidents.
[traduction]
Il y avait beaucoup de choses qu’il a faites qui le rendaient passible d’une accusation, mais c’est à eux qu’il revient de décider de quoi il était accusé. Et la seule chose qui les intéressait à l’époque était la fois qu’il avait menacé de nous tuer, moi et les enfants. Ils ont un peu oublié la violence physique, la violence psychologique, vous savez, les autres menaces. Ils ne se souciaient pas trop des menaces, comme, il a menacé de publier des photos sensibles de moi sur Internet et j’en avais la preuve écrite. Et ils ne s’en souciaient pas. Comme, ils ne voulaient même pas se donner la peine de suivre cette piste pour l’accuser de beaucoup d’autres choses. Donc c’est seulement à cette piste que je me suis accrochée. Et c’est comme ça, comme, ça revient à ça – si la GRC décide d’intervenir ou non dans ce dossier.
La femme est reconnaissante du soutien qu’elle a reçu dans la collectivité. [traduction] « C’était au-delà de ce que j’aurais pu imaginer et demander, c’était la seule façon dont j’ai survécu. » Mais elle aurait aimé que la GRC lui apporte davantage de soutien.
[traduction]
Cela aurait rendu les choses un million de fois meilleures. Je ne suis le genre de personne qui appelle souvent. Je ne suis pas perçue dans ma collectivité comme une personne qui est tout le temps saoule. Il n’y avait aucune raison pour eux de me regarder et de dire : « C’est une fautrice de troubles. Ne l’aidons pas. J’en ai assez de son attitude. » Je peux m’imaginer les gens qui sont aux prises avec leur alcoolisme ou, vous savez, la toxicomanie, tout ce genre de choses, et qui sont perçus par la GRC comme des problèmes. Je ne peux pas m’imaginer ce qu’ils doivent traverser pour être pris au sérieux.
De telles expériences avec la police suscitent rapidement un manque de confiance. Une femme a raconté ce qui s’est passé lorsqu’elle a rendu visite à sa fille, qui vivait dans une autre collectivité.
[traduction]
Elle habite là avec son petit ami et il l’a apparemment agressée cette nuit-là ou la veille, désolée. Donc, nous avons appelé la GRC et ils ont dit qu’ils allaient aller le voir et le sortir de la maison pour qu’elle puisse aller chercher ses affaires. Et elle a demandé : « D’accord, combien de temps dois-je attendre avant de pouvoir aller chercher toutes mes choses? Comment saurai-je qu’il est parti? » Et ils lui ont dit : « Dans une demi-heure, nous allons le faire sortir de la maison et ensuite vous pouvez y aller. Donc donnez-nous une demi-heure. » Donc, dans une demi-heure, et ils le lui ont très bien fait comprendre pour qu’aient pas besoin de la rappeler et de lui dire : « Allez-y ». Ils lui ont simplement dit : « Donnez-nous une demi-heure et ensuite vous pouvez y aller. »
Par mesure de prudence, la femme et sa fille ont attendu 45 minutes avant de se rendre à la maison. [traduction] « Et lorsque nous sommes arrivées là-bas, cela faisait probablement près d’une heure qu’elle avait parlé à la GRC. » Les deux femmes sont entrées dans la maison. Pendant que sa fille ramassait ses affaires, la mère est sortie avec le chien. [traduction] « Et puis tout à coup, elle était sur les marches et elle a dit : « Oh mon dieu maman, il est encore ici! » Et j’étais comme — j’ai la chair de poule —, j’ai dit : « Comment, il est encore ici? Elle a dit : « Je viens de l’entendre dans la salle de bain ». Et j’ai dit : « Viens ici tout de suite! Sors dehors maintenant! » Elles ont quitté la maison et alors qu’elles se préparaient à partir, la GRC est arrivée. Comme la femme l’a déclaré [traduction] : « Nous avons simplement eu beaucoup de chance. Et cette personne n’était pas sobre. Nous étions simplement très chanceuses qu’ils ne nous aient pas entendues dans la maison puis qu’il se soit jeté sur nous après sans doute, n’est-ce pas? Nous ne le savions pas. »
À la question de savoir si sa fille appellerait de nouveau la police si elle avait besoin d’aide, la mère a répondu [traduction] : « Non, elle ne le fera pas. Parce qu’en fin de compte, en plus de tout cela, ces accusations ont été abandonnées. » Comme la dit la mère [traduction] : « Quand c’est une femme qui se fait violer dans ce sens et qu’on vous dit que vous serez en sécurité, que vous pouvez revenir dans une demi-heure, il y a un problème de confiance maintenant, n’est-ce pas? »
Deux femmes ont parlé d’une expérience qu’elles ont vécue avec la police quelques années auparavant. Un homme était venu chez elles tard une nuit et essayait de s’introduire par effraction. [traduction] « Il frappait sur toutes nos fenêtres, frappait sur toutes nos portes, faisait le tour de notre maison. » Alors qu’une des femmes [traduction] « était de l’autre côté de la porte, tenant la porte à l’intérieur », l’autre a téléphoné à la police. Mais la police n’est arrivée que quatre heures plus tard. Entre-temps, les femmes ont pu effrayer l’intrus en lui disant [traduction] : « J’ai une arme à feu ici et je n’ai pas peur de l’utiliser. » Quand la police est finalement arrivée, les femmes ont déclaré [traduction] : « Ils étaient vraiment très peu professionnels. » Une des femmes a expliqué :
[traduction]
Ils étaient ignorants. Ils jetaient le blâme sur nous, nous demandant pourquoi quelqu’un voudrait cambrioler notre maison. La GRC avait un ton hargneux quand elle nous parlait. Ils étaient très négatifs. Et c’est à ce moment que je lui ai dit : « C’est très peu professionnel. » Il a été très étonné que quelqu’un élève la voix contre lui, et il a dit : « Vous ne venez pas d’ici, n’est-ce pas? » J’ai dit : « Oui. » Et j’ai dit : « Je viens d’ici. » Et il a dit : « Non, ce n’est pas vrai. « Je n’entends pas les gens élever la voix comme ça, surtout les femmes. » Et j’ai dit : « Comment osez-vous faire un commentaire comme ça? Vous devriez avoir honte de travailler pour cette collectivité. Vous ne pouviez même pas nous donner un bon temps de réponse, quatre heures plus tard. »
Lorsque l’agent l’a informée qu’aucune accusation ne serait portée, elle lui a dit [traduction] : « Si c’était arrivé à votre femme, vous auriez tout un fichu de policier là-bas, l’arme au poing, tout le bâtiment, tout serait ceinturé, probablement que Radio-Canada y serait et ferait des interviews. Ils enverraient des gens, ils feraient des interviews avec votre famille. Vous feriez mettre en place des mesures de soutien, comme des conseillers et tout ça. » La femme croyait que la réponse de l’agent de police était racialisée, gouvernée par le fait que c’était deux femmes inuites qui étaient en danger. [traduction] « C’est probablement la même chose que si nous étions trouvées mortes sur la route. »
Cette même femme a également raconté une récente rencontre d’une amie avec la police.
[traduction]
Elle m’a dit qu’elle se faisait battre et elle a appelé la GRC et ils ont dit « Oui, nous serons là » et « Quelle est votre adresse? » et tout ça. Ils pensaient qu’ils avaient raccroché, mais ils ne l’avaient pas fait. Et elle les a entendus, le flic à un autre flic : « Nous allons prendre notre temps pour nous y rendre. Ils se seront probablement battus l’un l’autre par le temps qu’on arrive là. » Et cette femme a dû entendre ça. Et elle a été battue et tout le reste aussi. Et quand les flics sont arrivés, elle ne voulait même pas prendre la peine de déposer des accusations et tout ça. Elle se sentait comme si elle les avait entendus dire : « Oh, laissez-les se péter la gueule » et ça. Et c’était assez récent.
La femme était d’avis que les policiers [traduction] « devraient au moins être respectueux et conscients, genre, ne faites pas de commentaires comme ça, peu importe si vous êtes Blanc, Brun, Noir, Chinois, Indien, peu importe, et ne pas dire des choses comme : « Oh, laissez-les se péter la gueule. Et cette pauvre femme. Ici, neuf fois sur dix, c’est la femme et non l’homme qui va y goûter. Et quoi, sa vie n’a pas d’importance à cause de sa couleur de peau? »
Une autre femme était consciente du contexte racialisé dans lequel les services de police se déroulent :
[traduction]
Nous ne sommes qu’une petite collectivité éloignée, une collectivité nordique. Nous n’avons pas vraiment d’importance. « Oh, c’est une collectivité autochtone. » Et parfois, vous savez, il y a aussi des cas où « Vous avez l’air vraiment autochtone, alors je ne vais pas vraiment vous prendre au sérieux ». Parfois, je suis heureuse d’avoir l’air plus blanche que je le suis. Simplement parce que la plupart des gens m’aideront. Je ne peux pas m’imaginer ce qui se passerait si j’avais une apparence inuite.
Relations entre la police et la collectivité
Un fournisseur de services était d’avis que [traduction] « nous n’avons pas de très bonnes relations avec la GRC ici ». Selon cette participante, [traduction] « il y a beaucoup de raisons » qui expliquent la mauvaise relation.
[traduction]
C’est en grande partie lié à des choses historiques et en grande partie lié à des choses récentes. Et par l’intermédiaire de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, vous savez, ce que les femmes inuites et toutes les femmes autochtones ont dit tout au long de l’enquête a été pleinement mis en lumière par cette enquête. Il y a eu beaucoup de choses faites par la GRC et beaucoup de manque de respect envers elles, les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues, à la suite d’enquêtes ou d’un manque de reconnaissance du sérieux de la situation.
D’autres participants croyaient qu’il existait une séparation entre les agents de police et la collectivité. Cette séparation était en partie géographique [traduction] : « Ils vivent tous là-bas dans cette petite commune et ne font même pas partie de la collectivité. Ils se séparent. Pourquoi voulez-vous être ici si vous n’allez pas faire ça? »
Les agents de police étaient également considérés comme séparés en raison de leur manque d’interaction avec les membres de la collectivité. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Ils n’interagissent pas avec nous. C’est comme s’ils sont séparés. À mes yeux, on dirait qu’ils n’ont pas le droit d’interagir avec les membres de la collectivité. Ouais, et c’est ce qui, je crois, a causé beaucoup de discorde dans leurs relations avec les membres de la collectivité... C’est comme une hiérarchie. Ils se trouvent ailleurs; leur place dans la collectivité est différente. »
Selon cette même femme, la séparation s’étend aux épouses des agents de la GRC [traduction] : « Même les femmes n’interagissent même pas avec la collectivité à moins que ce ne soit quelque chose dont elles ont besoin. Par exemple, si elles ont de petits enfants, elles peuvent aller dans un centre de ressources pour les familles où l’on offre des services et elles s’y sentent bien. Mais cela s’arrête là selon leurs besoins. Pourtant, elles n’interagissent avec personne d’autre. »
Selon un fournisseur de services, le manque d’interaction de la part des agents de la GRC et de leur famille incite les membres de la collectivité à se sentir [traduction] « comme si on nous juge parce que “Oh, tu ne devrais pas apprendre à nous connaître”. Genre, ils ont déjà pris pour nous la décision que notre collectivité n’est pas bonne, que se mêler aux membres n’est pas bon, vous savez, alors que ce vraiment ce n’est pas comme ça pour tout le monde. Genre, ça semble être un seul jugement qui s’applique à tout le monde alors que tout le monde n’est pas comme ça. » Le fournisseur de services croyait que le manque d’interaction était particulièrement problématique dans les collectivités inuites [traduction] : « Notre façon d’être en tant que peuple inuit, nous parlons à tout le monde, vous savez. Genre, je trouve que, je ne sais pas, ça ne semble pas fonctionner ici quand ils n’interagissent pas et ils donnent l’impression de ne pas faire partie de la collectivité. »
Durée des affectations
Un facteur qui exacerbe le manque d’interaction entre la police et les membres de la collectivité est la courte période pendant laquelle les agents sont affectés dans la collectivité. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Il y en a toujours de nouveaux qui arrivent et de nouveaux qui partent. » Une autre femme fait remarquer : « Il y en a bien qui sont très gentils ici, et je suis certaine que certains d’entre eux se soucient des gens, mais c’est triste de dire qu’il y en a beaucoup qui sont simplement ici pour faire leurs deux années, c’est tout, c’est leur affectation, et puis ils sont partis. » Un fournisseur de services a indiqué que [traduction] « c’est comme quand vous finissez finalement par reconnaître quelqu’un ou que vous savez qu’il est de la GRC et que vous avez finalement appris à connaître son nom, et puis il est parti. Donc c’est comme si vous deviez constamment vous adapter aux nouveaux membres. Et vous avez finalement appris à connaître quelqu’un ou du moins son nom, vous le voyez régulièrement, et puis il est parti. »
Un fournisseur de services a établi des comparaisons entre la GRC et la Force constabulaire royale de Terre-Neuve (FCRTN), le service de police provincial :
[traduction]
Nous avons deux corps policiers dans notre province, la FCRTN, qui est notre corps policier provincial, et il est établi dans trois centres, trois villes, municipalités dans notre province. Et ils ne font pas de rotation, tandis que la GRC fait des rotations de ses agents. Et je ne sais pas si cela fonctionne vraiment bien pour forger de solides relations communautaires. Je pense que les meilleures relations communautaires sont forgées lorsque les agents font partie de la collectivité et que celle-ci devient leur résidence où leur famille grandit et qu’ils font partie de la collectivité comme tout le monde.
Un fournisseur de services a fait remarquer [traduction] : « Je ne sais pas s’ils font vraiment partie de la collectivité, parce qu’ils sont là pendant si peu de temps comme beaucoup d’autres professionnels. Et donc les relations ne sont pas solidement forgées. Et je me demande s’il y a aussi une méfiance à cause de ça. » Un autre fournisseur de services a également parlé de la politique de la GRC et de la façon dont elle entrave l’établissement de relations et perpétue la méfiance à l’égard de la police :
[traduction]
La GRC a une politique selon laquelle vous ne pouvez passer qu’un certain nombre d’années dans des endroits éloignés. Et c’est un peu frustrant parce que c’est comme si dès que vous établissez une relation et, genre, nous avons eu des agents de la GRC dans la collectivité qui étaient très respectés et appréciés et ils aimaient la collectivité, mais ils n’ont pas été autorisés à rester plus longtemps, je ne sais pas si c’était quatre ou cinq ans ou trois ans. Mais il y a comme une limite fixée. Et ça peut être frustrant, surtout lorsqu’il y a déjà beaucoup de méfiance envers la collectivité et la police, qui est, je pense, la plupart des collectivités se méfient de la police, mais quand vous imposez aussi le genre de séquelles de certaines mesures d’application de la loi avec, vous savez, les abattoirs de chiens de traîneau et, ouais, tout ce qui a à voir avec le colonialisme, je suppose, vous allez avoir beaucoup plus de méfiance envers la police. Et c’est un peu dommage qu’une fois qu’on établit une relation avec quelqu’un et qu’on commence à développer cette confiance, cette personne a tendance à être mutée. Alors, ouais, ça peut être vraiment difficile.
Une femme a aussi posé cette question [traduction] : « Comment pouvez-vous patrouiller dans une collectivité alors que vous ne connaissez pas la collectivité? Genre, je sais qu’ils ont une carte de la collectivité et tout ça, mais ils ne savent pas, ils n’en ont pas la moindre idée. » Un autre participant a souligné à quel point il est difficile pour les agents d’accomplir leur travail [traduction] : « Si vous avez un taux de roulement élevé d’agents de police à un intervalle de quelques années, il peut être difficile de simplement s’y retrouver dans la géographie de, vous savez, comme, nous n’avons pas d’inscriptions dans la rue et il n’y a pas de Google Maps et parfois vous conduisez une motoneige et nous conduisez à l’aveugle et vous devez trouver la maison d’untel. Vous ne savez pas à quoi ça ressemble et ça peut être, je peux imaginer que ça peut être assez typique. »
Présence de la police dans la collectivité
On a également demandé aux participants à quel point la police était visible dans la collectivité. Une femme a indiqué que les agents de police [traduction] « participent à différents événements communautaires ». Ils aiment effectivement participer aux rodéocycles pour enfants, ils prennent part aux événements de la fête du Canada, on les voit chaque fois qu’il y a un événement communautaire auquel j’ai participé. » D’autres participants ont indiqué que la police était plus susceptible d’être vue [traduction] « se promenant dans leurs véhicules, probablement de jour la plupart du temps. Pas tard dans la nuit, comme, pas quand il fait vraiment noir. » Cependant, un participant a indiqué que les agents de police sont appelés des [traduction] « hommes sans jambes parce qu’ils ne sortent pas de leur camion ». De plus, la police est moins visible durant les mois d’hiver [traduction] : « Vous ne les voyez pas en hiver. Parce que les camions sont rangés. Parce que nous ne faisons pas entretenir nos routes, nous utilisons les motoneiges. »
Lorsqu’on a demandé aux participants leur sentiment de sécurité dans la collectivité, plusieurs d’entre eux ont indiqué que leur sécurité était devenue un problème la nuit lorsque les personnes ivres sont présentes. Comme l’a indiqué une femme [traduction] : « Après la tombée de la nuit en fin de soirée, alors, je ne sais pas, à partir de 23 h, je suppose que ce serait un moment plus inquiétant pour les gens qui ont dépassé le simple état d’ivresse ou qui ont beaucoup trop bu. » Pour cette raison, les participants croyaient que la police devait être plus présente dans la collectivité pendant la nuit. Un fournisseur de services a également fait remarquer que [traduction] « les enfants ont peur de la police » parce « qu’ils ne les voient pas dans la collectivité et ne les connaissent pas. Donc ils se taisent quand ils sont interrogés. »
Le système d’appels
L’inaccessibilité du système d’appels de la GRC est une préoccupation importante soulevée par de nombreux participants. Une femme s’est remémoré ceci [traduction] : « Ils répondaient encore quand j’étais jeune. Ils répondaient tout de suite quand les gens les appelaient. » Maintenant, cependant, lorsqu’un membre de la collectivité téléphone à la GRC locale, [traduction] « vous ne parlez pas directement à quelqu’un; c’est un système que vous appelez. Et vous devez appuyer sur 1, 2 ou 3 pour joindre quelqu’un. » Comme l’a dit une femme [traduction] : « Imaginez que quelqu’un vous attaque et que vous attendiez d’écouter la personne au téléphone, “Si c’est une urgence, appuyez sur”, vous savez. »
Le système d’appels automatisé est particulièrement gênant pour les résidents dont la première langue est l’inuktut. [traduction] « Beaucoup de nos gens dans notre collectivité ne comprennent pas très bien l’anglais et vous appelez le détachement et ils disent “appuyez sur 1” pour je ne sais même pas quoi, “appuyez sur 1 pour une urgence”, “appuyez sur 2 pour un appel général” ou “appuyez sur 3 pour toute autre chose”, comme, ils ne savent pas sur quoi appuyer. » Un participant a demandé [traduction] : « Je me demande combien de personnes ont réellement fait cela et n’ont pas pu obtenir les services qu’elles recherchaient. » Un autre participant soupçonnait que [traduction] « s’ils ne comprennent pas la langue, ils n’appellent probablement même pas. Vous savez, comme, c’est probablement ce qui fait que les gens n’appellent pas. »
Les fournisseurs de services ont également indiqué qu’ils avaient eux aussi de la difficulté à communiquer avec la police. [traduction] « Nous n’avons même pas le numéro direct du détachement. Nous devons soit appeler le commis et attendre, soit appeler St. John’s. » Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « Tout ce truc d’opérateur d’appel où vous devez appuyer sur 1 pour ceci et appuyer sur 2 pour cela, il faudrait l’enlever. C’est tout simplement absurde. »
Après les heures de bureau, les appels à la police sont acheminés de nouveau au poste de la GRC à St. John’s, Terre-Neuve. Les participants ont indiqué que [traduction] « le système en dehors des heures de travail est encore pire ». Une des femmes a précisé :
[traduction]
Si vous appelez au milieu de la nuit et que vous vivez une urgence, que quelqu’un vous attaque et vous avez besoin d’aide maintenant, alors vous prenez le téléphone, vous appelez la GRC, vous communiquez avec St. John’s. St. John’s vous met ensuite en attente pendant qu’on tente de joindre la station principale ou quelqu’un qui est de garde à la station, un des membres de la GRC. Donc, vous êtes en attente pendant qu’on vous réduit en bouillie et que vous attendez que quelqu’un réponde enfin.
Comme l’a dit une autre femme [traduction] : « Les quelques minutes que vous attendez un transfert d’appel pourraient faire toute la différence dans la vie de quelqu’un ».
Les participants ont également noté que l’appel à St. John’s prend plus de temps parce que [traduction] « maintenant, ils veulent savoir quel âge vous avez et quelle est votre date de naissance. Mais vous vous en fichez quand vous vivez une situation vraiment mauvaise. Vous voulez juste dire : « Pouvez-vous envoyer la police ici? Il se passe quelque chose; pouvez-vous venir immédiatement? » Une autre femme a affirmé [traduction] : « Vous devez donner votre adresse et vos noms et ainsi de suite. Mais si je parlais à un agent d’ici, je pourrais dire : « Je suis à l’aréna », et il saurait exactement de quoi je parle. Il n’a pas besoin de numéros de bâtiment et de noms de rue. Il saura probablement qui je suis. »
Temps de réponse de la police
L’inaccessibilité de la police ne se limite pas au temps qu’il lui faut pour répondre à un appel. Selon l’expérience d’une femme, [traduction] « quand les gens viennent chez moi pour utiliser le téléphone parce qu’ils n’en ont pas, ils [la police] ne viennent pas pendant une heure, une heure et demie, peut-être plus longtemps. Et il faut un certain temps, comme, vous savez, quelqu’un est venu utiliser le téléphone pour découvrir que les flics peuvent appeler et l’aider, à toute heure de la nuit, et il leur faut une éternité pour venir et ils ne viennent pas du tout. Et je ne me sens pas en sécurité parce que cette personne qui fait quelque chose à cette personne pourrait entrer dans la maison et faire quelque chose. » Une autre femme a constaté qu’[traduction] « il leur faut vraiment longtemps pour se rendre à votre maison ». Comme elle l’a souligné, [traduction] « c’est une très petite collectivité et vous pouvez vous rendre partout dans cette ville en 10 ou 15 minutes. Et vous n’avez pas besoin de venir voir quelqu’un des heures plus tard. Ce n’est pas acceptable. Nous ne sommes pas au centre-ville de Toronto. » Les fournisseurs de services ont fait un commentaire semblable, affirmant que lorsqu’on les appelle au milieu de la nuit, [traduction] « nous nous précipitons là-dedans et nous les attendons. Donc, cela entrave notre capacité à faire ce que nous sommes censés faire. Et si une femme est agressée, comme dans l’intervalle, comme, deux heures plus tard au moment où nous arrivons, eh bien, beaucoup de choses peuvent arriver en deux heures. » Comme ils l’ont souligné [traduction] : « Nous ne sommes pas dans une grande ville ici. C’est une très petite collectivité. Ici, vous pouvez être n’importe où en l’espace de quelques minutes. Et c’est triste. »
Les fournisseurs de services ont aussi connu un manque d’appui de la part des agents de police pour ce qui est de se rendre dans une maison où un acte violent peut être perpétré. [traduction] « Il y a eu des fois où j’ai appelé et j’ai dit : “Pouvez-vous venir avec moi? Comme, j’ai vraiment peur. Je ne sais pas comment sont ces gens, ce qui pourrait arriver compte tenu des antécédents de violence à la maison.” Et je les ai fait venir avant et se stationner au coin de la rue. Comme, ils ne peuvent même pas nous voir à la porte. C’est comme s’ils ne voulaient même pas nous voir. » Un fournisseur de services s’est demandé [traduction] : « S’ils agissent ainsi envers nous qui sommes censés travailler avec eux, qu’est-ce qu’ils font aux autres personnes? »
De plus, les fournisseurs de services ont soulevé la question du retard qui survient souvent avant de recevoir des renvois de la GRC. [traduction] « Nous nous attendrions, conformément à la loi, à ce qu’ils nous fassent parvenir les renvois immédiatement, genre, le plus tôt possible. Mais parfois ce n’est qu’un mois plus tard que nous obtenons des renseignements sur les incidents qui se sont produits, ce qui rend difficile pour nous le fait d’aider ces gens, parce que nous nous disons : “Eh bien, c’est arrivé il y a un mois” ».
Les agents de police peuvent changer les choses
La façon dont les agents de police choisissent de se représenter peut avoir une incidence sur leurs relations avec la collectivité. Une femme s’est souvenue d’un agent dans sa ville natale quand elle était jeune. [traduction] « Tout le monde l’appelait “Robocop” à cause de la façon dont il s’habillait et de la façon dont il se présentait à la collectivité lorsqu’il travaillait. Il portait des gants, il portait des lunettes de soleil, exactement comme dans le film Robocop. C’est pourquoi on l’appelait Robocop. Et à cause de cela, il était supérieur, comme, il avait de l’autorité, puis il voulait que les gens sachent qu’il ne fallait pas traiter avec lui. »
Cependant, les participants ont également parlé d’agents [traduction] « qui étaient vraiment bons, vraiment respectés. Vous savez, ils ne portaient aucun jugement et étaient positifs, tentant simplement de faire de leur mieux pour la collectivité. Donc, nous avons eu quelques agents qui étaient très bons. Ce serait vraiment agréable s’ils pouvaient rester. » Une autre participante s’est souvenue d’un [traduction] « très bon sergent » qui avait servi dans sa collectivité :
[traduction]
Il a prolongé son séjour d’un an avec sa famille et sa famille participait à toutes les activités. Il les sortait, ses enfants jouaient au hockey, sa femme connaissait les gens et ce n’était pas, c’était juste quelque chose de très bon à voir. Et il donnait de son temps comme entraîneur pour le hockey mineur parce que ses enfants étaient là et qu’il donnait un coup de main. Et il était du genre à vous traiter comme une personne. Il vous respectait. Peu importe où vous étiez. Il pouvait parler aux gens, peu importe s’il savait que vous étiez un criminel qui faisait des allers-retours ou que vous étiez quelqu’un qui ne l’était pas, vous savez, il ne vous traitait pas différemment. C’était quelque chose que je trouvais vraiment utile ici.
Plusieurs participants ont également fait des commentaires sur le nouveau sergent de la GRC au détachement. Une femme a fait la remarque suivante [traduction] : « Il est nouveau et il est jeune et quand vous lui parlez, il prend vraiment le temps de vous écouter. Et si vous avez des difficultés, comme, si vous avez des préoccupations, vous pouvez aller le voir et il vous recontactera s’il ne connaît pas la réponse à une question. Comme, vous pouvez faire ça. » Le sergent a également [traduction] « apporté des changements positifs en fonction de ce qu’il estime être bon pour nous ici et cela a été positif ». Un changement que les participants ont remarqué est que les agents de polices [traduction] « font davantage sentir leur présence, comme, ils patrouillent plus, ils se rendent plus visibles. Ils font des arrêts et je pense que ça pourrait aider à dissuader certaines personnes et empêcher que quelque chose se produise. C’est qu’on ne voyait pas ça, comme, à cette époque l’an dernier. »
Les participants étaient toutefois conscients que la durée de l’affectation du sergent serait limitée. Comme l’a dit un fournisseur de services [traduction] : « J’espère que leurs patrouilles et leur présence se poursuivront et j’espère qu’il y aura une période de transition où le sergent pourra parler au sergent entrant et, comme, lui montrer le métier et lui faire savoir, comme, voici ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et nous pourrions faire mieux dans ce domaine. »
Défis liés aux services de police
Les participants étaient conscients des défis que connaît la police dans l’exercice de son rôle. Un défi est la météo. Comme l’a souligné un fournisseur de services :
[traduction]
Peut-être que s’ils devaient faire entrer quelqu’un dans la collectivité ou l’en faire sortir par avion de police ou quelque chose du genre, n’est-ce pas. Peut-être qu’à cause des tribunaux ou quelque chose comme ça, entrer et sortir par avion en raison d’annulations pour mauvais temps ou ce genre de choses. Je suppose que ce serait un défi, vous savez, qu’ils essaient de prendre des dispositions pour faire sortir une femme et ses enfants pour des raisons de sécurité ou qu’ils essaient de faire sortir quelqu’un pour sa propre sécurité ou s’ils doivent arrêter quelqu’un et le sortir de la collectivité elle-même, n’est-ce pas?
Un autre fournisseur de services a fait remarquer que les temps de réponse des agents sont touchés en hiver. [traduction] « Ils doivent attendre que les motoneiges se réchauffent si c’est l’hiver. Comme, vous ne pouvez pas simplement embarquer sur une motoneige et partir tout de suite sans l’avoir réchauffée, n’est-ce pas? Donc c’en est un que je connais avec certitude et je ne sais pas combien de temps de réponse a ajouté au temps où ils ne sont pas disponibles. »
D’autres participants ont fait part de leurs commentaires sur le manque de cellules pour accueillir les personnes que la police ramasse. Un fournisseur de services a déclaré [traduction] : « Je sais à quel point il peut y avoir du monde là-bas. Et ça m’attriste que si quelqu’un est violent ou qu’il est ivre et cause des problèmes, ils doivent en quelque sorte choisir qui sera verrouillé, parce que l’espace est un problème. » Une femme a déclaré [traduction] : « Ce qu’on m’a dit, c’est qu’ils ne ramassent pas les gens qui sont ivres en public le jour ou la nuit parce que leurs cellules sont déjà pleines. Donc, ils ne font que les reconduire à la maison, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas sortir et faire quelque chose. »
Un autre défi qu’observe la police dans l’exercice de son rôle est le manque de compréhension de la vie dans le Nord. Comme l’a souligné un fournisseur de services :
[traduction]
Vous en avez qui sont mieux adaptés au Nord et d’autres qui ne le sont pas strictement, du point de vue de la personnalité. Je veux dire, il faut presque un habitant du Nord pour comprendre un habitant du Nord à proprement parler, vous savez. Parce qu’en raison du mode de vie et de la réalité, pour comprendre pleinement, la plupart du temps, d’où viennent ces femmes et le genre de vie qu’elles vivent. Beaucoup de membres de la GRC viennent d’ici et n’ont aucune idée, ils ne peuvent certainement pas comprendre ce que traversent certaines de ces femmes et enfants et la façon dont ils doivent vivre.
Pour un autre fournisseur de services, ce défi englobe un manque de connaissance de l’histoire coloniale du Nord :
[traduction]
Je pense que certains agents de la GRC se présentent et ils ne sont pas pleinement conscients de l’histoire de la GRC dans la collectivité et des répercussions du colonialisme et des traumatismes et traumatismes intergénérationnels et historiques, comme, je pense que beaucoup d’entre eux ne sont tout simplement pas au courant de cela, ce qui, pour moi, je suppose que dans ma position est choquant. Mais en même temps, ce ne sont pas des travailleurs sociaux, ce ne sont pas des conseillers, ils ont grandi dans le Sud du Canada, là où on n’en parle pas autant. Je veux dire, je pense que c’est beaucoup plus visible depuis les dernières années, mais je ne pense pas que les gens soient pleinement conscients des dommages, comme je l’ai dit, des pensionnats et de la rafle des années soixante et de la façon dont les répercussions de ces événements se font encore sentir aujourd’hui.
Ce défi englobe également un manque de compréhension de la culture inuite. Une femme a fait remarquer qu’il se produit souvent un écart culturel lorsque la police et d’autres fournisseurs de services viennent travailler dans le Nord. [traduction] « Je trouve que les gens de l’extérieur... lorsqu’ils viennent ici, ils n’ont aucune idée de notre culture, de nos façons de faire, parfois. » Elle a donné l’exemple du fait de travailler avec une travailleuse sociale. [traduction] « Elle faisait une évaluation des risques pour une famille afin de déterminer si les enfants allaient être pris ou non. » Au cours de ce processus, la femme a pu sentir d’après le langage corporel des parents qu’ils se sentaient intimidés :
[traduction]
Je pouvais vraiment les voir, quand les questions étaient posées, leur langage corporel, ils se faisaient tout petits sur leur chaise. Ils descendaient de plus en plus bas. Et même les questions étaient vraiment dures. Ils répondaient simplement « oui » en partie parce qu’ils ne comprenaient pas ce qu’on demandait en raison de la façon dont les questions étaient formulées. Mais aussi à cause de sa figure et de son ton autoritaires. Ils ont simplement eu l’impression qu’ils devaient répondre « oui » à n’importe laquelle de ses questions, même s’ils ne comprenaient même pas parfaitement ce qu’on leur demandait.
Pendant une pause, la femme a demandé à parler avec les parents. Elle leur a demandé [traduction] : « Comprenez-vous ce qu’on demande? » Et ils ont répondu [traduction] : « Je ne sais pas. » Donc quand l’entrevue a repris, la travailleuse sociale reposé la même question et les parents ont répondu « Oui ». Quand la femme a posé la question [traduction] « d’après ce que je savais qu’ils comprendraient, de la façon dont ils comprennent », les parents ont dit « Non ». [traduction] « Il s’agissait donc de deux réponses totalement différentes fondées sur l’autorité, la hiérarchie et la façon dont les questions sont posées.
La femme a donné un autre exemple d’un Inuk qui s’était fait poser des questions.
[traduction]
Ils baissent la tête parce qu’on n’aime pas avoir de contact visuel parfois. C’est encore quelque chose qui est encore très répandu ici dans notre collectivité inuite, c’est que vous ne regardez pas une personne directement, puisque vous ne voulez pas manquer de respect envers la personne, n’est-ce pas? Donc l’homme se faisait poser une question et sa tête était baissée, et la personne s’est fâchée. Elle a déclaré : « Regardez-moi quand je vous pose une question. Et donc il a levé la tête et elle a posé une question et il a levé les sourcils. Et elle a dit : « Réponds à ma question. » Alors même que pendant tout ce temps, je déclarais : « Vous rendez-vous compte qu’il vous répond déjà? Il dit “oui” avec ses sourcils. » Ce sont des choses que les gens ne savent pas s’ils ne viennent pas d’ici.
La femme croyait que ces rencontres avaient un rapport avec la GRC [traduction] : « La majorité des membres de la GRC qui sont ici viennent de loin, donc ils ne comprennent pas la culture... Je ne sais même pas si la personne comprend même ce qu’on lui demande lorsqu’elle donne une déclaration. »
Un autre défi soulevé par les participants était le manque de formation sur les traumatismes pour les agents de la GRC, surtout en ce qui concerne le traitement des cas de violence fondée sur le sexe. Comme l’a expliqué un fournisseur de services :
[traduction]
J’ai entendu quelques-unes de ces histoires où des personnes ont signalé des violences sexuelles à la police, et la plupart de ces histoires ne sont pas intentionnelles, quand quelqu’un utilise un genre de langage qui peut être interprété comme le fait de blâmer la victime. Et je pense que cela remonte au manque de formation et de compréhension du fait qu’après une agression sexuelle, la personne est hyperconsciente de chaque mot que vous utilisez et de votre ton de voix. Et même si vous n’avez peut-être pas l’intention de la blesser, cela la blesse. Et cela la dérange beaucoup.
Les participants étaient également préoccupés par le fait que les agents de police ne disposaient pas d’une formation suffisante sur la législation et les protocoles relatifs à la protection de l’enfance. [traduction] « Ils évaluent pour nous s’ils pensent que nous devrions participer au processus, alors que nous devrions être ceux qui prennent cette décision. »
Que faut-il faire?
Les participants ont formulé un certain nombre de suggestions pour améliorer les relations entre la police et la communauté inuite, ainsi que la réaction de la police à la violence fondée sur le sexe.
D’une part, les participants croient que les agents doivent être mieux renseignés sur les communautés qu’ils ont le mandat de servir. Comme l’a souligné un fournisseur de services [traduction] : « La GRC doit être formée par nous, n’est-ce pas, par nous, le peuple inuit. Mais s’ils viennent dans nos collectivités, nous devons nous assurer que cela se produit avant qu’ils ne viennent pour qu’ils soient préparés, qu’ils soient préparés pour nous, pour notre vie et notre culture. Parce ce sont eux qui viennent chez nous, n’est-ce pas? » Un autre fournisseur de services a déclaré [traduction] : « Je pense que ma suggestion pourrait être qu’ils reçoivent une formation culturelle, vous savez, juste pour comprendre différentes choses sur notre culture. Comme les Aînés, l’importance des Aînés et l’importance de l’histoire, vous savez, de ce qui est arrivé à notre peuple dans le passé, comme, la réinstallation ou les pensionnats, tout ça. » Une femme a fait cette remarque [traduction] : « Je pense que s’ils faisaient de la sensibilisation culturelle uniquement sur le langage corporel et la compréhension, ce genre de choses, ce serait beaucoup plus utile. Je pense que cela pourrait être utilisé de façon positive. »
D’autres suggestions portaient sur une meilleure intégration des agents de police dans la collectivité à leur arrivée. Comme l’a souligné une femme [traduction] : « Ils ne sont pas du tout présentés à la collectivité lorsqu’ils viennent. » Une autre femme a souligné qu’il y avait jadis un comité d’accueil pour les nouveaux arrivants [traduction] : « La collectivité avait l’habitude d’aller au gymnase, et tous les nouveaux enseignants qui arrivaient, tous les nouveaux travailleurs sociaux, la GRC, les infirmiers, tout ce monde venait au gymnase et la collectivité avait l’habitude de se présenter et ce genre de choses. Mais ça ne se produit plus. » Une femme croyait que [traduction] « cet accueil avait un impact, par contre. Parce que nous savions qui ils étaient, nous le savions. »
Outre leur présentation initiale, les agents doivent s’impliquer davantage dans la collectivité. Comme l’a dit une femme [traduction] : « La seule façon de vous faire connaître dans cette ville, c’est de sortir dans la collectivité et d’en faire partie. Vous ne pouvez pas maintenir l’ordre dans une collectivité si vous ne connaissez pas votre collectivité. Vous ne le pouvez pas. » Une autre femme a ajouté [traduction] : « Comme, faire simplement partie de ce qui se passe dans notre ville, des choses comme ça. Comme, s’impliquer d’une certaine manière. S’ils étaient plus visibles, je crois qu’on leur ferait plus confiance. »
Les participants étaient également conscients que la GRC doit établir un lien de confiance avec la collectivité. Comme l’a déclaré un fournisseur de services [traduction] : « Ils ont vraiment besoin de regagner la confiance et leur réputation doit être rebâtie, et surtout avec les femmes. » Le fournisseur de services a suggéré que les agents de police organisent des rassemblements avec des femmes dans la collectivité. [traduction] « Ça pourrait être comme une séance d’accueil, un cercle de couture, ça pourrait être quelque chose de différent chaque mois, un peu d’artisanat, quelque chose, peut-être qu’ils pourraient demander à un conférencier invité de parler aux femmes. Ils pourraient leur donner de l’information et des ressources. Vous savez, des choses différentes, n’est-ce pas, juste pour construire ce peu de respect et de bonnes relations et cette confiance. » Établir de bonnes relations avec d’autres fournisseurs de services améliorerait également la réaction à la violence fondée sur le sexe :
[traduction]
Et nous savons aussi que nous devons souvent aussi nous adresser à la GRC de façon très silencieuse, très discrète et dire : « Eh bien, vous savez, vous devriez peut-être faire un peu plus attention à cette femme ici et à ce ménage ici et les enfants, d’accord. Vous voudrez peut-être passer quelques fois de plus en voiture devant cette maison ou quelque chose comme ça parce que nous avons eu des raisons de nous préoccuper de la sécurité et tout ça. » Donc, il est important non seulement pour les femmes, mais aussi pour nous en tant que fournisseurs de services, si nous savons ces choses, de pouvoir avoir ces bonnes relations avec la GRC où la confiance se bâtit, que si nous craignons pour la sécurité d’une femme, nous pouvons dire « hé », vous savez.
Le fournisseur de services a suggéré que cette participation communautaire pourrait être facilitée par l’embauche d’un animateur culturel, quelqu’un qui [traduction] « respecte la collectivité, qui a confiance de la collectivité, mais qui est employé par la GRC pour être ce lien entre eux, cette liaison pour aider à bâtir la confiance de cette façon et les bonnes relations ».
Cependant, les participants étaient également conscients que la police a besoin de plus de ressources. Comme l’a déclaré un fournisseur de services [traduction] : « Je pense qu’ils sont surchargés de travail. Je pense que c’est un défi de faire leur travail du mieux qu’ils le peuvent et qu’ils manquent probablement d’effectifs. » Le fournisseur de services a ajouté [traduction] : « Je pense que pour leur santé mentale et leur attitude et pour les services qu’ils offrent, il leur serait avantageux d’avoir plus de membres. Je suis sûr que s’ils n’étaient pas surmenés ou constamment en déplacement, ils auraient une meilleure attitude. » Si elle disposait de plus de ressources, dont un plus grand nombre d’agents, la GRC serait mieux en mesure de répondre aux appels plus rapidement, ainsi que de patrouiller 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cela augmenterait la présence policière dans la collectivité et rendrait possible une réaction plus proactive. Comme l’a fait remarquer une femme :
[traduction]
Vous n’allez pas réduire vos crimes et tout ça si vous ne faites que réagir; vous devez être proactif à ce sujet. Et une façon d’être proactif, c’est de sortir et de patrouiller. Parce que vous éviterez probablement de faire de mauvaises choses dans la nuit si vous voyez la police qui se déplace tout autour sans cesse. Je ne dis pas que cela va réduire le taux de criminalité de la violence dans les foyers, probablement. Mais vous savez quoi, ça va probablement leur venir à l’esprit, comme : « Oh mon Dieu, la police est réellement présente ce soir; peut-être que je ne devrais pas faire ça. »
Les participants ont également souligné que [traduction] « le système téléphonique de notre ville ne fonctionne pas ». Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « Il ne devrait pas y avoir de répondeur. Si vous avez une ligne d’urgence, vous devriez offrir une aide immédiate. Il ne devrait jamais y avoir de message « Oh, attendez un instant, je vais voir si je peux trouver quelqu’un pour vous ».
Les fournisseurs de services ont suggéré la nécessité d’améliorer la norme de service de la GRC. Comme l’a souligné un participant [traduction] : « Ça m’est souvent arrivé, comme, d’imprimer une politique ou une loi, de la leur télécopier, en demandant, comme, « s’il vous plaît, examinez ceci. Comme, vous devez faire ça, comme, conformément à cette politique ou à cet article. »
Les fournisseurs de services ont également souligné la nécessité d’offrir une formation plus poussée aux agents de la GRC [traduction] « sur la façon de réagir aux divulgations de violence sexuelle d’une façon qui ne perpétue pas en quelque sorte les blessures secondaires ou de nouveaux traumatismes ». Selon un fournisseur de services, ce faisant, [traduction] « cela facilitera leur travail d’enquête s’ils comprennent en quelque sorte comment les traumatismes fonctionnent, comment les récits ne sont parfois pas linéaires après une agression, et comment prendre le temps au début vous donnera plus d’information à long terme pour être en mesure d’enquêter correctement sur le traumatisme, l’incident, et de faire leur travail ».
Plusieurs participants ont recommandé d’embaucher plus d’agentes à la GRC, surtout en ce qui concerne les cas de violence fondée sur le sexe. Comme l’a souligné une femme [traduction] : « Je préférerais aller voir une femme policière plutôt qu’un homme. Parce qu’il est plus facile pour une femme de parler à une femme qu’à un homme. Genre, si un homme vous a fait mal, vous ne voulez pas parler à un homme. Vous préféreriez parler à une femme. »
De même, plusieurs participants ont parlé du rôle que les agents communautaires pourraient jouer, [traduction] « quelqu’un qui n’est pas entièrement un agent de police, comme, il ne porte pas d’arme et il accompagne la police, il peut accompagner la police à certains événements ou certains appels et agir peut-être comme quelqu’un qui... pourrait aider avec la sensibilisation culturelle ». Selon un autre fournisseur de services, un agent communautaire [traduction] « pourrait combler l’écart entre la collectivité et la GRC. Comme, apporter une contribution à la sensibilisation et... faire en sorte que la collectivité soit plus consciente des rôles de la GRC et peut-être de la raison pour laquelle elle fait les choses comme elle le fait. Et porter les préoccupations de la collectivité directement à la GRC afin que celle-ci soit consciente que “Oh, ça ne fonctionne pas”.
Les participants se souviennent aussi qu’il y avait auparavant une équipe de patrouille à pied dont la collectivité se chargeait à titre bénévole. [traduction] « Comme, les gens se portaient volontaires pour le faire. Ils sortaient un certain temps dans la soirée et patrouillaient dans la ville, essentiellement, en groupes, n’est-ce pas? » Bien qu’une patrouille communautaire n’ait pas eu lieu depuis un certain nombre d’années, les participants ont dit qu’ils [traduction] « se sentaient plus en sécurité en sachant qu’il y en avait ». Pour un autre participant, [traduction] « jumeler des membres de la collectivité à la GRC » serait [traduction] « une bonne façon de montrer qu’ils sont ici pour nous aider, pas seulement pour nous enfermer tous quand nous sommes vilains (rires). Parce que vraiment, c’est comme ça que certaines personnes perçoivent la GRC : elle est ici pour nous diriger et établir des règles. Ce n’est pas le cas. »
Selon un fournisseur de services, la police a une [traduction] « merveilleuse occasion » d’être une ressource pour les femmes qui sont confrontées à la violence fondée sur le sexe.
[traduction]
Ils ont une telle occasion avec n’importe quelle personne, mais surtout avec les victimes de violence conjugale, une occasion d’éduquer et de protéger et de leur parler des options et de les mettre en contact avec eux. Donc, même s’ils peuvent avoir affaire à une femme qui ne veut pas intenter d’accusations et qui ne veut pas parler en détail de ce qui lui est arrivé, ils ont une merveilleuse occasion en tant que contacts de lui fournir un message positif sur sa situation et de lui offrir ensuite des possibilités ou des options d’autres services, des ressources qui peuvent l’aider à planifier sa sécurité. Donc, beaucoup de cet aspect éducatif peut avoir lieu avec la police.
Les participants ont également constaté la nécessité d’accroître les services sociaux et les ressources dans la collectivité. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Nous sommes comme un strict minimum dans le Nord, toujours un strict minimum. » Parmi les recommandations formulées par les participants, mentionnons les suivantes : une ligne d’assistance pour les femmes qui ont été victimes de violence sexiste; plus de conseillers pour soutenir les personnes qui ont un traumatisme; soutien aux aînés et aux hommes qui sont victimes de violence et d’abus; faire appel à des infirmières examinatrices dans les cas d’agression sexuelle; des logements de transition pour les femmes qui quittent des relations abusives; et des programmes d’éducation des jeunes hommes et femmes sur les relations saines.
De plus, les fournisseurs de services sociaux ont constaté la nécessité d’une meilleure coordination des services actuellement offerts. Un fournisseur de services a fait cette remarque [traduction] : « Je constate que les organismes font des choses à part. Comme, nous faisons des choses par nous-mêmes, mais nous devrions vraiment nous rassembler, mais plutôt comme une gestion de cas où vous êtes en mesure de parler de tout cela et comment nous pouvons répondre le mieux aux besoins de la collectivité. » Un autre a souligné la nécessité que les services [traduction] « savent ce que font les autres et offrent un point de connexion et d’aiguillage entre eux ». Une meilleure coordination des services signifierait que :
[traduction]
Si quelqu’un accédait à notre service en tant que victime de violence conjugale, alors s’il avait besoin d’un logement, et nous aurions un contact et saurions exactement à qui nous adresser. S’il y avait quelque chose de lié au soutien du revenu ou à la cour de justice familiale dont ils auraient besoin, nous aurions des points de contact mutuels, de sorte que les services seraient plus coordonnés et qu’il ne s’agirait pas seulement de fournir une liste de numéros à composer pour diverses choses.
Enfin, une femme a souligné que [traduction] « c’est bien d’avoir toutes les recherches et tout le reste, mais nous n’avons pas le financement réel pour être en mesure de faire ce qui doit être fait sur le terrain... Vous pouvez avoir toutes ces recommandations, toutes ces choses que la collectivité dit, mais il n’y a jamais de suivi, on ne mène jamais les choses à bien, en fonction des recommandations que les gens répètent encore et encore. »
Les services de police au Nunavik
La sécurité n’a pas toujours été un sujet de préoccupation dans les collectivités du Nunavik. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Quand j’étais enfant, nous ne verrouillions jamais les portes. Même lorsque nous étions dans le sud pendant une semaine, nous laissions nos portes ouvertes... Personne ne verrouillait ses portes à l’époque. » Cependant, ces derniers temps, les problèmes de consommation d’alcool et de drogues ont suscité des préoccupations en matière de sécurité [traduction] : « Il y a tellement d’alcoolisme et de toxicomanie maintenant que c’est si habituel. C’est la norme maintenant de voir les gens déambuler hors de contrôle dans la rue ou se battre dans la rue. C’est effrayant, c’est vraiment effrayant. » Une autre femme a fait un commentaire similaire :
[traduction]
Je sais que pour mes enfants, je crains pour leur sécurité à tout moment de la journée. Parce qu’il y a des gens qui sont complètement foutus, comme des ivrognes ou autre chose dans les coins de rue. Une fois, un gars est entré chez moi au milieu de la journée. Il ne savait pas où il était, mais il était évidemment très ivre.
Mais la menace de la violence fondée sur le sexe a également suscité des inquiétudes en matière de sécurité [traduction] : « Il y a tellement d’exploitation sexuelle dans cette collectivité, dans toutes les collectivités du Nunavik. Il y a tellement d’exploitation sexuelle, il y a tellement de violence familiale, il y a tellement de violence sexuelle à l’endroit des enfants. Et c’est vraiment, comme, sur une base régulière. »
Ces préoccupations en matière de sécurité soulèvent la question de l’efficacité de l’intervention de la police, surtout lorsque la violence fondée sur le sexe se produit. Au Nunavik, cette responsabilité incombe au Corps de police régional Kativik (CPRK), bien que lorsqu’un crime majeur comme l’agression sexuelle survient, la Sûreté du Québec (SQ) soit appelée à enquêter.
Appel à l’aide
Les femmes du Nunavik ont parlé de leurs expériences avec la police lorsque leur sécurité était menacée ou qu’une violence se produisait. Dans un cas, une femme qui craignait pour sa sécurité a été victime de violence policière lorsqu’elle a appelé la police pour l’aide pour traiter avec son partenaire indiscipliné. Elle a affirmé que c’était la première fois qu’elle craignait la violence de son partenaire, [traduction] « la seule fois où j’ai demandé de l’aide ». Au lieu de se faire aider par la police, cependant, elle a été [traduction] « violemment arrêtée. »
L’incident s’est produit après que la femme et son copain avaient passé leur soirée dans un bar, où l’homme avait consommé une grande quantité d’alcool. Après le retour au domicile après minuit, le copain s’est mis à s’agiter et a commencé à [traduction] « faire les cent pas dans le couloir et à frapper les murs. » La femme a fait de son mieux pour qu’il se calme, mais il se [traduction] « rapprochait de plus en plus » d’elle et elle a commencé à craindre pour sa sécurité, alors elle a téléphoné à la police. Deux agents sont arrivés à la maison. La femme a expliqué à la police qu’elle voulait que son copain sorte de la maison, expliquant [traduction] : « J’ai peur pour moi et pour enfants ». En voyant les agents de police, son copain a commencé à agir [traduction] « comme si rien ne s’était passé, s’est calmé, a pris un verre de jus, se tenant là comme si rien n’était jamais arrivé ». Croyant que [traduction] « ça recommencerait » si la police devait partir, la femme a demandé que l’homme soit retiré des lieux. Mais les agents lui ont dit [traduction] : « Eh bien, s’il habite ici, nous ne pouvons rien y faire » et « rien n’est arrivé ». Elle a répondu [traduction] : « Oh, vous voulez que quelque chose se produise avant que je vous rappelle? Dois-je littéralement être frappée pour que je vous rappelle? » La femme explique ce qui s’est passé ensuite :
[traduction]
Je me suis mise très, très en colère contre le fait que je ne peux pas obtenir de l’aide de la police locale quand je crains pour ma sécurité. Alors j’ai pointé du doigt le flic et il se rapprochait de plus en plus de moi. Et j’ai des problèmes de limites. Je n’aime pas que les gens s’approchent trop de moi. Je n’aime pas que les gens me touchent. Et c’est mon droit d’avoir mon, c’est ma zone de sécurité. Alors il est littéralement entré dans ma zone de sécurité et il se tenait au-dessus de moi, par-dessus moi [alors qu’elle était assise sur une chaise]... Alors je l’ai pointé du doigt. J’ai dit : « Crisse ton camp. »
Par la suite, l’agent de police lui a tordu le bras et lui a assommé le visage sur la table, cassant une de ses dents. Il l’a ensuite arrêtée de force :
[traduction]
Il saute sur mon dos, littéralement sur mon dos, et il a son genou sur mon dos, au milieu de mon dos ici. Je suis complètement immobilisée. Je ne peux pas bouger du tout. Et il m’a arrêtée physiquement, sévèrement, violemment. J’étais pleine de taches noires et bleues le long de mes bras à cause des menottes et sur mes jambes à cause de son genou. Donc toute cette situation m’a prise complètement au dépourvu. J’étais en état de choc. Je ne pouvais rien dire. Je ne pouvais pas; je n’avais pas de larmes. Je n’avais rien.
L’agent a ensuite poussé la femme jusqu’au perron. Il faisait moins 30 degrés Celsius ce soir-là. [traduction] « Il me pousse dehors alors que je suis pieds nus. Donc en descendant mes escaliers, je me suis coupé le dessous du pied. Je suppose que mon pied a dû être coincé, parce qu’il faisait si froid que la peau a été arrachée en dessous. J’ai donc été arrêtée et incarcérée pendant la nuit. »
La femme a été accusée d’avoir résisté à l’arrestation et d’avoir [traduction] « agressé un agent de police ». Elle a été libérée le lendemain matin avec des conditions (pas de drogues ni d’alcool, [traduction] « ne pas harceler les agents de police »). [traduction] « Donc, en appelant à l’aide, j’ai fini par avoir toutes ces accusations. J’ai dû vivre avec ces conditions dans une petite ville, dans une très petite ville, donc partout où je voyais des flics. » Il a fallu deux ans avant que les accusations ne soient réglées par le tribunal. Pendant ce temps, la femme a été arrêtée par le même agent de police, qui lui demandait [traduction] : « As-tu bu aujourd’hui? ». Compte tenu de la fréquence de ces arrêts, la femme a jugé que les interactions étaient une forme de harcèlement policier.
La femme a déposé une plainte auprès de la commission de police, qui a jugé que son cas était justifié puisque les caméras de surveillance du poste de police n’ont pas démontré qu’elle s’opposait à l’arrestation, malgré ce qui avait été écrit dans le rapport de l’agent de police.
L’expérience a laissé pour séquelles à la femme une anxiété grave et un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Il lui en a aussi coûté 15 000 $ en frais de déplacement et de soins dentaires pour faire réparer sa dent cassée. À la question de savoir si elle appellerait la police pour obtenir de l’aide à l’avenir, la femme a répondu [traduction] : « Je ne sais pas si j’appellerais les flics. Je pense que j’appellerai mes frères. J’ai de grands frères, vous savez ce que je veux dire? C’est comme, je ne sais pas, je ne suis pas rendue là. Je ne suis pas encore à l’aise à l’idée de faire confiance à la police. »
Lors des entrevues, d’autres femmes ont également exprimé un manque de confiance dans la police. Ce manque de confiance est engendré par un certain nombre de facteurs, dont l’un est le fossé qui existe entre les Inuits et les étrangers.
Le fossé
Le développement des industries d’extraction dans le Nord et celui des services sociaux dans les établissements permanents ont conduit à l’arrivée de plus en plus de Qallunaat venus prendre les emplois. Selon les participants, les collectivités du Nunavik se caractérisent par un fossé entre les habitants et les personnes de l’extérieur. Une partie de ce fossé s’explique par la nature temporaire de la population non locale, puisque les travailleurs [traduction] « arrivent pour une période de deux ans puis repartent. Donc, comme les gens de la région n’ont pas vraiment envie d’avoir de relation avec eux “parce que, comme, à quoi ça sert?”, lorsqu’ils sont dans la collectivité, les personnes de l’extérieur reçoivent un très bon salaire, on leur offre un logement, un beau logement, le logement est beaucoup plus beau que le logement local, à un taux vraiment bas. On leur offre des voyages et ils obtiennent, comme, je pense que c’est comme trois mois, ils peuvent obtenir trois mois de vacances par année. Alors que les gens de la région n’ont rien de ça. »
Ce fossé entre les gens de la région et les personnes de l’extérieur s’étend à la police. Les participants croient que les agents du CPRK sont mal intégrés dans la collectivité. L’une des raisons de ce manque d’intégration est que les agents ne sont dans la collectivité que pendant une courte période de temps. Selon les participants, cela affecte leur capacité à faire leur travail, [traduction] « parce que les Inuits aiment voir la même personne et apprendre à connaître cette personne et avoir confiance en cette personne ».
Un autre facteur est le manque d’expérience des agents. Lorsqu’on lui a demandé si la police faisait du bon travail, une femme a répondu :
[traduction]
Ils font ce qu’ils peuvent et avec la quantité de formation ou d’expérience qu’ils ont. Ils suivent quelle que soit la quantité, comme, deux ou trois ans de formation policière, puis on les sort tout de suite de l’école, ils sont placés dans le Nord où le taux de criminalité est beaucoup plus élevé que dans le Sud. J’ai remarqué que dans le Sud, les agents de police sont beaucoup plus matures, ils ont beaucoup plus d’expérience. Et ici ils sont comme des bébés. Donc, on s’attend presque à ce qu’ils ne sachent pas comment gérer les situations ou n’en aient pas la patience, surtout s’ils sont surmenés et s’ils sont, je ne sais pas, ils sont juste comme, j’ai l’impression qu’ils n’ont pas de formation sur la façon d’être débrouillard dans la rue dans le Nord, vous savez. Ils sont juste placés là parce qu’on a besoin d’agents de police.
Pour cette même participante, le manque de connaissances de la police au sujet de la collectivité met sa sécurité en péril :
[traduction]
Ça ne me fait pas me sentir en sécurité en sachant qu’ils ne sont pas débrouillards dans la collectivité. Ils ne savent pas si une situation se produit. Comme, disons qu’il y a un ours polaire dans la collectivité et que quelqu’un les appelle. Ils ne savent pas quels chasseurs aller voir pour tirer sur l’ours blanc, vous savez.
Selon l’un des fournisseurs de services, le manque de connaissances des agents du CPRK sur la collectivité va même jusqu’au point où ils ne savent même pas où se trouve le refuge pour femmes.
[traduction]
Une fois que j’ai dû appeler, nous avons eu une urgence et j’ai appelé le 911 et un agent de police a répondu et a dit : « Où est le refuge? « Quoi? Vous ne savez pas où se trouve le refuge? Vous devriez être le premier à savoir où se trouve le refuge. » Alors j’ai dû leur expliquer où se trouve le bâtiment. Et ça m’étonnait beaucoup. Ils doivent savoir où se trouve le refuge parce que je pense que tout le monde devrait savoir où se trouve le refuge. Je veux dire, ils sont la police ici.
Les participants croient également que les policiers sont limités dans leur travail en raison de leur compréhension limitée de l’histoire des collectivités inuites et des causes profondes des problèmes observés, particulièrement en ce qui concerne la consommation de drogues et d’alcool et la violence familiale.
[traduction]
Nous avons des agents de police vraiment fantastiques. Mais la plupart des agents de police qui arrivent sont très jeunes, ils sortent de l’académie et apprennent encore le métier de flic, je suppose, et ne sais pas, je ne sais pas ce que c’est, je ne vais pas comprendre leur côté. Mais je sais que c’est difficile de travailler dans le Nord, d’être loin de chez soi, je comprends. En même temps, si vous allez travailler dans le Nord, je pense qu’il est important que vous appreniez à nous connaître et à comprendre notre collectivité, nos façons de faire et notre culture et que vous essayiez de comprendre pourquoi les choses sont comme elles sont, pourquoi y a-t-il tant d’alcoolisme et pourquoi tant de femmes se font battre par leur mari. Impliquez-vous et apprenez et essayez d’apprendre avant de juger, je pense.
Un autre participant a partagé un point de vue similaire sur le manque de connaissances de la police, suggérant que cela a mené à une vision négative de la collectivité par la police :
[traduction]
J’ai l’impression qu’ils n’obtiennent pas cette [formation de sensibilisation culturelle]. Et j’ai l’impression que si on leur avait bien enseigné pourquoi les collectivités sont comme elles sont, comme, c’est sûr que nos taux de criminalité sont beaucoup plus élevés que ceux du Sud par population. Si on leur disait pourquoi nous sommes ainsi, ils comprendraient mieux. Et ils vont dans une collectivité et la première expérience qu’ils ont est négative parce qu’ils doivent maintenir l’ordre, vous savez. Donc, j’ai l’impression qu’ils voient la collectivité de façon négative parce que tout ce qu’ils font, c’est, comme, ils ne sont pas intégrés dans la collectivité, ils nous surveillent.
Ce fossé entre la police et la collectivité est exacerbé par les obstacles linguistiques. Comme l’a fait observer une femme [traduction] : « Parfois, certains officiers sont embauchés ne parlent pratiquement pas anglais. » Une autre femme croyait qu’elle avait été traitée avec plus de respect par un agent de police une fois qu’il était devenu évident qu’elle était en mesure de [traduction] « bien parler l’anglais, que je suis en mesure de porter plainte et tout. J’avais l’impression qu’il avait beaucoup plus de respect pour moi. Comme, son attitude a changé, ce qui était vraiment agaçant. » En revanche, elle croyait que les Inuits qui ont de la difficulté à parler anglais ou français sont traités avec moins de respect par la police; [traduction] « ils ne les prennent pas du tout au sérieux ».
Une femme a souligné l’importance que les agents de police puissent communiquer en inuktut [traduction] : « Nous avons besoin que quelqu’un parle inuktitut lorsque nous appelons la police. Lorsque nous devons appeler la police, nous voulons savoir que quelqu’un nous répondra dans une langue que nous pouvons comprendre, que nous pouvons communiquer avec eux. » Cette question est particulièrement importante lorsque les femmes signalent une agression sexuelle. Comme l’a expliqué cette même femme :
[traduction]
C’est parce que nous nous exprimons mieux en fait si nous le disons dans notre langue. Parce que dans une situation comme celle-là [une déclaration d’agression sexuelle], nous devons changer de langue alors que toutes les choses qui se passaient se déroulaient en inuktitut, et tout à coup nos paroles doivent être écrites en anglais. Je sais que c’est la seule façon de l’inscrire au tribunal, mais j’aurais aimé parler à un agent inuk à ce moment-là.
Un agent de police que nous avons interrogé a reconnu que les obstacles linguistiques constituent un défi important pour les services de police au Nunavik :
[traduction]
C’est assurément un avantage lorsque quelqu’un qui parle la langue travaille pour nous. Je trouve que les choses ne sont pas transmises aussi vite. Je veux dire, juste, la communication est l’aspect fondamental de la police, n’est-ce pas. Donc, assurément, avoir quelqu’un qui parle la langue nous aide certainement, vous savez, à résoudre des situations... Souvent, les gens du Nunavik, l’inuktitut est leur première langue, puis il s’agit souvent de l’anglais, de l’anglais ou du français, puis d’une troisième langue, l’anglais ou le français. Et nos agents de police qui viennent du Québec, eh bien, le français est leur langue maternelle et l’anglais, leur langue seconde. Eh bien, lorsque quelqu’un parle sa langue seconde à quelqu’un d’autre qui parle aussi sa langue seconde, c’est garanti qu’il y a aura des obstacles linguistiques. Donc, et puis, comme je l’ai dit, la communication est la base du maintien de l’ordre, n’est-ce pas? C’est pour désamorcer une situation. Donc, c’est vraiment un défi.
L’un des fournisseurs de services a indiqué que les obstacles linguistiques mènent à beaucoup d’incompréhension lorsque la police est appelée, et [traduction] « c’est pourquoi il y a beaucoup d’arrestations ».
Pour beaucoup de participants, ce fossé entre la police et la collectivité se décompose selon des critères raciaux. Comme l’a fait remarquer une femme [traduction] : « J’ai vu beaucoup d’agents de police traiter les Inuits comme s’ils n’étaient rien. Ils ont plus de respect pour les Français et les Anglais par ici. »
Une autre femme avoir été frustrée par la police lorsqu’elle avait dû s’occuper de son partenaire violent [traduction] : « Il y a deux semaines, il m’a battue et m’a expulsée de la maison. Et il s’en tire toujours. Les flics sont toujours de son côté parce qu’il est blanc. »
Une troisième femme a fait cette remarque [traduction] : « Si une personne blanche appelle et dit quelque chose, ils seront du côté de la personne blanche sans tenir compte de quoi que ce soit, sans rien voir même. » La fille de cette femme était dans une relation violente. La famille avait essayé de faire inculper son partenaire, mais rien ne s’est jamais produit. Comme la femme nous l’a dit par l’entremise d’un interprète [traduction] : « Il n’a jamais passé plus d’une nuit en prison ici. Il ne s’est jamais rendu dans le Sud. Il l’a menacée, est entré par effraction dans sa maison, a tiré sa fille à l’extérieur, l’a battue. Il a fait beaucoup, beaucoup de choses. Mais elle ne s’est jamais fait accorder une journée au tribunal pour prouver ses arguments, pour montrer au tribunal, au juge, sa version de ce qui s’est passé. Et il s’en tire toujours avec tout. »
Une femme a parlé de son expérience de comparution devant le tribunal. [traduction] « Donc nous étions beaucoup à attendre dans une grande salle, nous étions tous là assis à attendre. » Pendant qu’ils attendent, les agents de police passent par là et feront des commentaires comme : « Oh, vous êtes encore ici. Qu’avez-vous fait cette fois-ci? » ou « Êtes-vous vraiment sobre aujourd’hui? Vous allez être ici, allez-vous pouvoir terminer votre journée au tribunal? » La femme a trouvé que ces interactions étaient humiliantes pour les Inuits, [traduction] « et c’est tellement triste que les Inuits ne pensent pas qu’ils sont humiliés, ou bien ils tellement humbles qu’ils s’en moquent simplement. “Oui, j’ai fait quelque chose encore”, vous savez. Certaines personnes sont comme ça et d’autres, comme, ne peuvent rien y faire, alors elles n’ont pas d’autre choix que de se taire pour ne pas qu’on porte d’autres accusations. “Oh, je ne peux pas vous parler, si j’essaie de dire quelque chose à ce sujet, ce que vous me dites, on va m’arrêter, donc je ne peux rien dire.” »
Ce fossé entre la police et la collectivité est exacerbé par plusieurs autres facteurs.
Manque de ressources au CPRK
Les participants étaient bien conscients du manque de ressources au CPRK, qui a une incidence sur la capacité de l’organisme d’intervenir en cas de violence. Comme nous l’a expliqué un agent de police, la GRC n’effectue pas de patrouilles 24 heures sur 24 [traduction] : « Nos policiers dans la plupart des villages s’arrêtent entre 2 heures du soir et 8 heures. Ils dorment et ils répondent aux appels à la radio. » Appeler la police tard la nuit, cependant, peut n’engendrer aucune réponse. Une femme a parlé d’un incident où son amie avait été rudement battue. Mais quand elles ont essayé d’appeler la police pour obtenir de l’aide, il n’y avait pas de réponse. [traduction] « C’est à 5 heures du matin, 4 heures du matin, et je ne pouvais pas le croire. Comme, on n’arrêtait pas de les appeler et il n’y avait pas de réponse. »
Une autre femme croyait que le manque de ressources du CPRK était à l’origine d’erreurs par l’organisme. [traduction] « Ils sont tellement occupés qu’ils commencent à s’embrouiller un peu, je suppose. C’est ce qui s’est passé quand ils ont cassé ma porte. » Elle a confié qu’elle était à la maison un soir, donnant un bain à son enfant, lorsqu’un agent de police a fait irruption dans sa maison. [traduction] « Et j’ai dit : “Tu viens de casser ma porte.” Il a dit : “On nous a dit qu’il y avait quelqu’un avec un fusil ici.” “Vois-tu quelqu’un?” » La maison n’étant plus sécuritaire, la femme a dû trouver un autre endroit pour dormir la nuit, puis faire réparer sa porte. L’expérience lui a laissé un sentiment de « peur ». « Ils devraient être très prudents pour avoir la bonne maison, vous savez. Je sais qu’il est difficile d’entendre les conversations sur les walkies-talkies, mais il faut être [plus prudent]. Je n’ai pas aimé ça. Je me sens violée. »
De plus, étant donné que peu d’agents de police sont en service à un moment donné, la réaction en cas de violence peut être lente. Une femme qui était dans une relation violente a dit [traduction] : « Une fois que vous avez appelé la police chez vous, il leur faut beaucoup de temps pour venir à votre secours. » Un fournisseur de services a fait écho à ce point de vue [traduction] : « Lorsqu’ils répondent à une urgence ou répondent à un appel à une urgence, ils font un peu de laxisme, il leur faut un certain temps pour répondre... Ils demandent ce qui se passe et s’ils pensent que ce n’est pas un gros problème, ils prennent leur temps pour venir. »
Un autre fournisseur de services croyait que la pénurie de personnel du CPRK a une incidence sur la capacité de l’organisme d’intervenir en cas de violence fondée sur le sexe.
[traduction]
Vous pouvez voir parfois que s’ils répondent à un appel, ils s’inquiètent pour le prochain appel parce qu’ils doivent y aller, ils veulent clore le dossier le plus rapidement possible. Donc, lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une femme victime de violence, ils ne prendront pas nécessairement le temps de s’asseoir, de voir comment vous faites et de s’occuper du côté humain. Parce qu’ils sont plus en mode « Urgence, urgence, urgence. Je pourrais recevoir un autre appel. »
Ce même fournisseur de services a donné l’exemple d’un cas récent où une femme s’est présentée au poste de police après une agression sexuelle, voulant porter plainte.
[traduction]
Je ne sais pas ce qui se passait à ce moment-là, mais la réponse de l’agent de police quand la personne qui était à la station a appelé était : « Eh bien, ce n’est pas une urgence en ce moment. Peut-elle revenir? » – ce qui est, selon moi et beaucoup de gens, totalement inacceptable. Mais je peux comprendre, dans une certaine mesure, que si vous répondiez à un appel avec quelqu’un qui avait une arme à feu dans une maison, je ne sais pas quelle était l’autre situation. Mais si vous faites attendre quelqu’un qui pourrait avoir pris tout son courage pour porter des accusations, et vous dites « oui, ce n’est pas le moment, revenez demain », ce n’est pas la bonne réponse.
Les participants ont également exprimé des préoccupations au sujet de la façon dont la police mène son enquête en cas de violence fondée sur le sexe.
Enquête sur les agressions sexuelles
Une femme a raconté l’atroce histoire de l’agression sexuelle de sa jeune fille. L’agression s’est produite une nuit lorsque sa fille était seule à la maison. Un homme est entré dans la chambre de sa fille [traduction] « et il a tenté d’avoir des rapports sexuels avec elle. Ça n’a pas marché, ça n’est pas arrivé. Mais d’autres choses sont arrivées. Il a couvert son visage avec son t-shirt pour qu’elle ne voie pas son visage. Mais elle a vu son tatouage sur son cou et c’est comme ça qu’elle savait qui c’était.
La fille a divulgué ce qui s’était passé un mois plus tard à un conseiller scolaire, qui en a informé la mère. [traduction] « Elle ne voulait pas me le dire. Elle pensait que j’allais être fâchée parce qu’elle ne verrouillait pas la porte, vous savez, c’était sa faute. Quoi qu’il en soit, nous avons tiré ça au clair et, vous savez, « Ce n’est pas de ta faute. » Après avoir rencontré un travailleur social, ils ont pris la décision de porter des accusations « parce que je voulais m’assurer qu’elle pouvait le supporter parce que je savais ce qui s’en venait ». En dépit de la prudence de la mère à l’égard du dépôt d’accusations, ce qui s’est passé était pire qu’elle avait imaginé. Comme elle nous l’a déclaré [traduction] : « Je ne peux pas vous dire à quel point la police a mal géré le dossier. »
Lorsque l’agression a été signalée à la GRC, la mère a été informée que sa fille devait parler à un agent de la SQ de ce qui s’était passé. Quelques semaines plus tard, elles se sont rendues au poste de police pour rencontrer l’agent.
[traduction]
Quand nous sommes arrivés au poste de police, vous savez, nous parlons d’une fille de 10 ans qui n’avait même pas encore eu ses règles encore. Et vous avez un gars qui va chez elle qui essaie d’avoir des rapports avec elle. Et donc vous penseriez qu’il y aurait une sorte d’ambiance douce, accueillante et amicale. Comme, peut-être que ce serait bien qu’une femme soit là, mais non. Il y avait un homme... dont l’anglais n’était pas très bon. Il était Français. Ma fille parle anglais et inuktitut; elle parle français aussi, qu’elle apprend à l’école, mais, vous savez, ce n’est pas sa première ou sa deuxième langue. Et donc on lui a dit qu’elle allait devoir faire une entrevue devant caméra, ce que nous savions déjà. Et c’était, il a dit : « Vous le faites de cette façon, alors vous n’avez pas à aller devant le tribunal », n’est-ce pas. Dieu merci.
Cependant, on a dit à la mère qu’elle n’avait pas le droit d’être dans la salle d’entrevue avec sa fille.
[traduction]
Un homme, un étranger, parlant à une fille de 10 ans qui doit lui dire qu’il [un autre homme] a essayé de mettre son pénis dans son vagin. Voyons donc. Mais vous savez, je, je ne sais pas comment ça fonctionne. Et j’ai l’habitude d’être assez franche, mais j’ai juste dit, « D’accord, ma chérie, je suis juste ici. Je suis juste derrière la porte. » Parce que je lui avais demandé pourquoi, il a dit : « Parce que nous ne pouvons avoir aucun parti pris » ou quelque chose du genre. D’accord. Alors j’ai dit : « Je suis juste ici. » Elle pleurait. « Je suis juste ici, je suis juste ici, OK? » Alors elle est entrée. Ils ont été là pendant environ 20 minutes et puis ils sont sortis. Elle était très affectée, très ébranlée. Nous sommes rentrés chez nous. Elle a dit : « C’était horrible, maman. » J’ai dit : « C’est terminé. Tu l’as fait. Je suis fière de toi. »
Trois semaines plus tard, la mère a reçu un appel de l’agent de la SQ, lui disant qu’ils devaient faire une deuxième entrevue.
[traduction]
Et j’ai dit : « Pourquoi devez-vous faire une entrevue? Vous avez dit à ma fille que ça serait tout. » Il a dit : « Eh bien, il y a encore quelques questions. Nous avons un deuxième enquêteur de la SQ qui vient et nous aimerions l’interroger ensemble. « Est-ce que je peux être dans la chambre avec elle cette fois? « Non, vous n’y êtes pas autorisée. » Donc cette fois, c’était deux hommes, l’un avec qui l’entrevue avait déjà eu lieu, mais maintenant c’était un autre gars qui posait des questions encore plus détaillées. Encore une fois, je ne pouvais pas être là avec elle. Pas de travailleur social, pas de femme, pas de soutien, rien, juste une fille de 10 ans, deux hommes qu’elle ne connaît pas et une caméra, parlant de ce qui lui était arrivé. Elle a donc refait l’entrevue. Et elle a dit : « Je ne veux pas le refaire. » « Chérie, tu n’auras pas à le refaire. Ils nous l’ont dit, tu sais, ils nous l’ont dit.
Un an plus tard, l’affaire devait être présentée au tribunal. Croyant que l’affaire se déroulerait sans que sa fille ait à comparaître comme témoin de la Couronne, la mère s’est présentée devant le tribunal pour observer les procédures. Toutefois, le procureur de la Couronne lui a plutôt dit que l’audience avait été retardée et que pour que l’affaire soit jugée, sa fille devait témoigner.
[traduction]
Je suis allée à la maison et j’ai dit à ma fille ce qui s’était passé. Je devais lui dire. Et j’ai dit : « Chérie, ils pensent que tu vas devoir témoigner au tribunal. » Et ses yeux me disaient : « Je ne veux pas le faire. Je ne veux plus faire ça. Je ne veux plus en parler. Je ne veux plus faire ça. » Et j’ai dit : « D’accord. » Qu’est-ce que je pouvais faire? Je ne peux pas forcer ma fille à continuer à revivre ça. Elle suit des séances de counseling et de thérapie depuis que c’est arrivé, à l’école et à l’hôpital. Mais je ne peux pas la forcer à s’asseoir dans une salle d’audience et à faire face à l’homme qui lui a fait ça. Et c’est pourquoi je voulais venir parler de la façon dont les choses sont gérées avec la police et les femmes. Ce n’est pas juste. Ce n’est pas correct.
Pendant ce temps, l’agresseur reste dans la collectivité, sans répercussions pour son agression sexuelle d’une jeune fille.
Enquête sur les décès dans la collectivité
Les participants étaient également préoccupés par la façon dont les enquêtes policières sur les décès dans la collectivité sont menées. Quand une fillette de 17 ans a été retrouvée morte dans les bassins de stabilisation des eaux usées locaux, la SQ a été appelée pour enquêter. Mais [traduction] « dans les 24 heures, ils ont jugé que c’était un suicide et c’était fini ». La collectivité a reçu peu d’information sur la mort de la fille. [traduction] « Il n’y a pas eu de déclaration, il n’y a pas eu de mise à jour. Le Nunatsiaq News n’a jamais publié d’article à ce sujet. Rien. Zéro. C’est comme si ça n’était pas arrivé... C’est comme si elle n’avait pas d’importance... Comme, nous n’avions pas le droit de savoir ce qui se passait. C’est comme, je peux vous garantir que si une femme était brutalement assassinée comme ça dans le Sud, vous en entendriez parler, il y aurait une déclaration de faite, il y aurait quelque chose. »
Des membres de la collectivité soupçonnaient que la jeune fille avait été assassinée.[traduction] « Donc, elle n’est qu’une autre statistique, elle est une autre femme autochtone disparue et assassinée et elle a été assassinée. Elle ne s’est pas suicidée, et je ne suis pas dans le déni du suicide. » Une autre femme a fait ce commentaire [traduction] : « Ils appellent ça un suicide automatiquement lorsqu’il y a des preuves qui vont à l’encontre de toutes leurs, vous savez, lorsqu’il y a des preuves du contraire. Et ils appellent ça un suicide et ils ne font même pas d’enquête difficile. » Les participants ont fait une comparaison entre la façon dont la mort de cette jeune fille inuite a été traitée et la mort d’une infirmière francophone dans la collectivité [traduction] : « Quand la fille blanche a été assassinée, il leur a fallu deux, trois jours pour trouver le meurtrier. Ils étaient partout, frappant aux portes, tout. »
D’autres femmes ont parlé du manque de services et de mesures de soutien lorsque des femmes et des filles ont été agressées sexuellement. Une femme a raconté ce qui s’était passé après que sa fille avait été violée. [traduction] « Nous l’avons amenée à l’hôpital. La travailleuse qui est venue, c’était au milieu de la nuit, la travailleuse qui venait juste d’arriver, elle ne savait pas quoi faire. Et j’ai dit au moins qu’elle s’en souciait assez pour se présenter, mais qu’elle n’avait pas été formée pour parler à une victime de viol. » La femme a également déclaré que la police n’avait pas été utile pour gérer le viol et ses conséquences. [traduction] « Je n’ai pas trouvé qu’ils répondaient à ce dont nous avions besoin. Ils ne nous ont pas dirigés vers qui que ce soit, ils ne nous ont pas donné de survol étape par étape de qui allait se passer. Comme, ils n’ont pas de sentiments. C’était une chose épouvantable, épouvantable, épouvantable qui s’est produite. » La femme avait l’impression que la police « s’en fiche ». Elle a donné cette explication :
[traduction]
Je pense qu’ils ont peur de s’en soucier. Ils ont peur de montrer quelque émotion que ce soit. J’aurais cru que pour cette attaque, ils auraient envoyé un agent plus âgé et plus chevronné, alors qu’ils ont envoyé un très jeune agent. Et je me sentais mal pour lui. Je me sentais mal qu’il doive ressentir toutes ces émotions brutes lorsque nous lui faisions une déclaration. Il n’y avait personne avec lui non plus. C’est comme si les choses étaient simplement techniques pour eux. Mais cela doit certainement les affecter aussi d’entendre parler de tous ces crimes horribles. Ils doivent noter ce qui s’est passé. Qu’est-ce que ça leur fait finalement?
Intervenir contre la violence familiale
Le manque de ressources influe également sur la façon dont le CPRK réagit aux situations de violence familiale. Une femme qui a été victime d’abus par son partenaire a déclaré qu’à deux reprises, quand la police avait été appelée, elle lui a dit de quitter la maison. [traduction] « Et la maison est à mon nom et j’étais la seule à payer le loyer. Et la police m’a sorti de chez moi et l’a mis dans ma maison. » Un fournisseur de services a expliqué pourquoi la police enlève la femme du foyer et non l’homme : [traduction] « Il y a un refuge pour femmes, mais si le refuge pour sans-abri est fermé ou, en fait, s’il est ivre, il n’y a nulle part où amener les hommes ailleurs qu’en prison. Littéralement, ils n’ont nulle part où amener cette personne à part le poste de police. Et donc, j’ai vu une situation où ils préféraient amener la femme au refuge pour femmes, même si elle aurait eu le droit de rester là plutôt que d’avoir à trouver un endroit pour l’homme. »
L’une des stratégies communes de justice pénale utilisées en réaction aux cas de violence familiale consiste à imposer une ordonnance de non-contact (ONC), qui interdit à une personne d’être en contact physique ou verbal avec une autre personne. Les fournisseurs de services que nous avons interrogés ont déclaré que les ONC [traduction] « ne fonctionnent pas » dans les petites collectivités du Nunavik. Comme l’a expliqué un fournisseur de services :
[traduction]
Donc, si vous ne pouvez pas communiquer, je veux dire, regardez, en réalité, nous avons trois magasins dans une, dans certaines collectivités, il y a un magasin, il y a un hôpital, il y a une église, il y a, comment ne pas communiquer, ou ne pas être là ou cette personne se trouve... Peut-être qu’il vit à côté de vous, si vous ne pouvez pas communiquer avec lui ou, ouais, ces procédures sont très difficiles, très difficiles pour les clients. C’est pourquoi, parce que c’est trop difficile, ils disent simplement « ah, oublie ça », ce qu’ils font la plupart du temps, ce qui est triste.
Une femme a parlé des difficultés qu’elle a connues en raison de ses relations troublées avec son mari. Son mari avait usé de violence physique contre elle dans le passé. Quand ses enfants ont appelé la police, elle ne voulait pas que des accusations soient portées, car elle ne voulait pas qu’il aille en prison. Cependant, son mari a commencé une relation avec la meilleure amie de la femme. Une fois, la femme est allée faire face à son mari et à son amie au sujet de leur relation. Désespérée, elle a décidé de se faire du mal. La police a été appelée et a supposé qu’elle allait être violente envers l’autre femme, alors des accusations ont été portées contre elle et une ordonnance de non-contact a été imposée. La femme raconte à quel point il est difficile de respecter une ONC dans une petite ville :
[traduction]
C’est difficile, assez humiliant, comme celui-là, le juge m’a dit : « D’accord, je vais limiter tout cela pour vous », qu’il a dû me dire. « Où que vous soyez dans un lieu public, c’est vous qui devez sortir de là chaque fois que vous les voyez, pas eux. « Comme, qu’en est-il d’un magasin? « Non, si vous les voyez, vous devez sortir. « Qu’en est-il d’un lieu public? » « Si vous les voyez, vous devez être celui qui sort. » « Et eux? » « Non, ce n’est pas eux, vous, si vous faites quelque chose, si vous faites autre chose, vous allez aller directement en prison. » C’est, comme, c’était tellement humiliant... Et d’avoir à les observer partout, à devoir faire demi-tour. Si j’essaie d’aller dans un magasin, si je vois leur camion, je dois faire demi-tour. Comme, c’est stupide.
Le non-respect d’une ONC peut entraîner d’autres accusations criminelles, ce qui incite la s’intégrer de plus en plus au système de justice pénale.
La façon inuite par rapport à la façon du Sud
Pour beaucoup de participants, la police est une force externe. Comme l’a commenté une femme [traduction] : « Ils ne sont pas là pour aider les Inuits. Ils sont juste là pour nous criminaliser. » Une autre femme a dit :
[traduction]
Ils ne sont pas là pour résoudre les problèmes. Ils sont là pour en causer, en créer. Si vous les appelez, ils ne sont pas là pour vous aider à résoudre la situation. Ils sont là pour arrêter quelqu’un. Et cela dépend de qui ils veulent arrêter. Et ils viendront pour vous sauver ou non selon qui vous êtes.
Les participants étaient bien conscients du décalage entre la façon inuite de régler les conflits et la façon du Sud.
[traduction]
Disons que vous et moi avons un problème et que vous appelez les flics, mais nous ne nous voyons jamais, mais nous allons nous voir au tribunal, comme, [dans] cinq mois, vous savez ce que je veux dire. C’est la façon du Sud, vous savez. Comme, vous ne voyez pas votre agresseur ou accusateur avant la date d’audience. Les Inuits n’attendent pas une minute. Vous affrontez votre problème directement sur place et vous gérez le problème avec la personne avec qui vous avez un problème plutôt que de demander à un tiers de le résoudre pour vous.
Plutôt que d’exercer le pouvoir de criminalisation de la police en procédant à des arrestations, les participants estimaient que la façon inuite de faire la paix était justifiée; [traduction] « ce sont plus des conseillers que des agents d’application de la loi, vous savez, en suivant à la règle ce Code criminel. »
[traduction]
Mais aller sur le continent et n’être sur le continent que pendant quelques jours, une semaine même, cela changera l’humeur de n’importe quel Inuk et c’est, et je pense qu’avec des programmes culturels semblables où disons qu’il faut faire, comment dire, que vous avez commis un crime important, bien sûr qu’il y aura des conséquences plus grandes, mais pour les petits crimes où les gens sont coincés dans le système pour, disons que quelqu’un a une bagarre avec quelqu’un dans le bar. Vous êtes accusé et ensuite vous avez ces conditions qui persistent pendant des années et vous continuez à enfreindre vos conditions, parce que vous n’êtes pas censé boire ou vous n’êtes pas censé être dans les parages de la personne. Mais vous êtes dans une petite ville, donc vos accusations continuent à s’empile, à s’empiler et à s’empiler. C’est le système de justice en ce moment. Donc les gens finissent avec des problèmes plus grands qu’au début. Je pense qu’avec la façon inuite, vous résolvez le problème avant de créer d’autres problèmes.
Que faut-il faire?
[traduction]
Il nous faut une police, il faut que les lois soient appliquées, mais la façon dont ça se passe, je ne pense pas nécessairement que ça fonctionne pour nous dans le Nord.
À l’heure actuelle, il existe un fossé important entre le CPRK et les collectivités qu’il dessert. En plus de cerner les problèmes et les défis, les participants ont fait des suggestions sur la façon d’améliorer les services de police au Nunavik pour combler ce fossé.
Les participants croient que les agents de police doivent [traduction] « être plus compréhensifs, être plus compatissants, être plus disponibles ». Comme l’a expliqué une femme [traduction] : « Ils devraient être des gens que vous pourriez aborder et avec qui vous pourriez vous sentir à l’aise. Cette même femme croyait que la police devrait s’impliquer davantage dans la collectivité [traduction] : « Ils devraient avoir plus d’activités qui ne concernent que les citoyens, et peut-être leur expliquer ce qu’ils font réellement. C’est que les gens n’ont pas une très bonne image de la police, surtout s’ils ont eu des problèmes avec la police ou le manque de soutien par la police. »
Les participants étaient également conscients de l’incidence de la pénurie d’agents de police sur leur travail. Comme l’a dit une femme [traduction] : « Je suis presque qu’il serait bénéfique d’avoir plus d’agents de police pour qu’ils ne se sentent pas surmenés, débordés, sur-, comme, ils ont besoin de conseillers pour faire un compte rendu. Donc, je pense qu’une fois qu’il y aura plus de gens qui travaillent là-bas, ils seront en mesure de fournir de meilleurs services. »
Les obstacles linguistiques qui entravent le travail de la police doivent également être abordés :
[traduction]
La communication doit changer. Il doit y avoir un interprète de disponible en tout temps. Si cela signifie que quelqu’un doit vous accompagner dans votre voiture, au cas où vous receviez un appel, alors c’est exactement ce que ça veut dire. Comme, ils devraient toujours avoir un interprète. Alors, quand ils entrent dans une maison et ils disent : « qu’est-ce qui se passe? » et que personne ne parle anglais, eh bien, il y a un interprète qui va vous dire ce qui se passe.
Compte tenu du décalage entre la façon inuite et la façon du Sud pour maintenir l’ordre, plusieurs participants étaient d’avis que les Inuits devaient participer davantage à la résolution des conflits dans la collectivité. Une femme croyait que le fait d’avoir plus d’Inuits participant au maintien de l’ordre dans les collectivités inuites changerait les choses [traduction] : « Ils comprendraient mieux les Inuits au lieu, vous savez, de les restreindre violemment ou quelque chose comme ça. »
Une autre femme a suggéré l’utilisation d’aides naturelles [traduction] : « quelqu’un dans la collectivité à qui les gens s’adressent naturellement pour obtenir des conseils, de l’aide, quelqu’un qui, et ça pourrait être un homme ou une femme, quelqu’un qui est toujours prêt à aider, peu importe l’heure de la journée. Et nous avons de ces gens dans cette collectivité, ou quelqu’un qui est accessible et qui s’en soucie, qui s’en soucie vraiment et qui montre qu’il s’en soucie. » Une troisième femme était d’accord :
[traduction]
Je sais que les gens en crise réagissent différemment aux personnes de l’extérieur qu’aux personnes d’ici. Comme, les conseillers ici ont une si bonne relation. Comme, la collectivité a beaucoup d’estime pour ces personnes par rapport à la police parce qu’elles savent comment traiter avec certaines personnes, elles savent ce que certaines personnes ont vécu dans leur famille ou dans leur histoire, alors elles comprennent et elles semblent avoir plus d’empathie pour la personne.
Un fournisseur de services croyait également que le fait de tirer parti des compétences des travailleurs culturels inuits ou des aidants naturels [traduction] « serait davantage conforme aux valeurs traditionnelles et à la façon dont les choses se passaient. Parce que le conflit est universel, mais il y a différentes façons de gérer le conflit. Et les interventions policières musclées ne sont pas toujours adéquates ou la bonne façon de faire les choses. »
Dans cette optique, s’appuyer sur les compétences des Aînés inuits et des animateurs culturels au sein de la collectivité remodèlerait le rôle de la police. Plutôt que d’être une force externe, la police pourrait être mieux placée pour travailler en collaboration ou en partenariat avec les collectivités qu’elle a pour mandat de servir et de protéger.
Entre-temps, les participants croient que les Inuits doivent être mieux informés de leurs droits en ce qui concerne les services de police et le système de justice pénale canadien. Cela impliquerait que les Inuits se sentent [traduction] « plus à l’aise de connaître leurs droits et de savoir quand ils peuvent dire « oui » ou « non » ou ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire lorsqu’ils sont en contact avec la police ».
[traduction]
Et même si la police dirigeait ces ateliers, je pense que ça améliorerait la situation, parce que ça montrerait que oui, nous avons le pouvoir ou des choses que nous pouvons faire, mais nous avons aussi des limites à ce pouvoir et nous voulons nous assurer que vous connaissez vos droits quand nous interagissons et quelles sont mes limites et quelles sont vos responsabilités et vos limites en tant que citoyen. Et si vous avez besoin d’aide, ceux avec qui pouvez communiquer, parce que comme j’ai eu des gens qui pensent qu’ils ont besoin, s’ils sont une victime, que c’est eux qui paient un avocat. Et nous ne pensons pas à faire le tour et à nous assurer que tout le monde sait que si vous êtes victime d’un crime, c’est la Couronne qui vous représentera. La société vous représentera. Vous pouvez obtenir un avocat si vous voulez, mais si vous n’avez pas l’argent pour ça, c’est correct. C’est la même chose avec l’aide juridique; à moins d’avoir déjà eu des problèmes avec la loi, les gens ne comprennent pas comment cela fonctionne. Et donc, je suis certaine qu’il y a eu des fois où un agent de police a dépassé les bornes ou a profité de la situation, ou peut-être que des personnes ont été les victimes d’agents de police.
D’après nos entrevues avec les agents de police, il semble que le CPRK ait adopté certaines de ces suggestions. Plusieurs initiatives ont été mentionnées :
- Collaborer avec l’Université Laval pour offrir un cours de formation culturelle en trois parties aux agents du CPRK;
- Faire appel à des animateurs culturels dans chacune des 14 collectivités pour les aider dans les situations de crise; [traduction] « une personne respectueuse de la collectivité qui peut prendre la parole et avoir une sorte de communication pour désamorcer la situation »;
- La nouvelle entente tripartite prévoit une augmentation du financement pour l’achat de nouveaux équipements (y compris 24 nouveaux véhicules) et la mise à jour du système radio de la police;
- Un projet de centre d’appels avec des locuteurs inuktuts (un projet à long terme);
- Le signalement par un tiers en cas d’agressions sexuelles;
- Une entente avec le conseil scolaire pour réaliser plus d’activités de prévention avec les élèves et les enseignants;
- Des comparutions sur vidéo pour les détenus;
- Une entente avec le syndicat de la police pour augmenter la période de congés (3 mois de travail et 1 mois de congé) et une augmentation du salaire pour régler les problèmes de maintien en poste;
- Jumeler un travailleur social à un agent de police; une « unité de patrouille mixte » pour répondre aux appels en matière de santé mentale.
Néanmoins, les participants étaient conscients que les services de police à eux seuls ne peuvent résoudre les problèmes sociaux urgents auxquels sont confrontées les collectivités du Nunavik. Comme l’a dit un fournisseur de services, on cherche actuellement à « éteindre des feux ».
[traduction]
Tous ceux qui sont fournisseurs de services le font au Nunavik... Parce que nous n’avons jamais le temps d’éteindre un feu et de le garder éteint et de construire quelque chose parce que lorsque nous éteignons ce feu, d’accord, celui-là est éteint, nous allons faire ça, non, nous devons commencer par éteindre ce feu. Bon, maintenant on peut revenir, non parce qu’il y a celui-là. Ça ne s’arrête jamais. Ça ne s’arrête jamais, éteindre les feux ne s’arrête jamais... Nous devons finir par en arriver à un point où nous réglons les choses avant que l’incendie ne se déclenche, l’aspect de la prévention.
Dans cette optique, il est primordial de répondre aux besoins sociaux de base, y compris en matière de logement adéquat. Comme l’a fait remarquer un fournisseur de services :
[traduction]
Le principal problème est le logement dans toutes les régions, et je crois vraiment que c’est la base, pas la base, mais comme c’est une chose urgente que nous devrions vraiment régler... Donc, oui, si nous commençons par nous assurer que les besoins de base sont satisfaits, ce serait déjà très bien, et puis les gens pourraient peut-être se concentrer sur la guérison de ce qu’ils ont vécu, s’ils ne s’inquiètent pas de ce qu’ils mangeront, ou s’ils ont un problème de toxicomanie, de comment ils recevront la prochaine dose ou s’ils ne savent pas où ils resteront demain ou comment ils paieront le loyer.
Perspectives d’avenir
Les entrevues avec les femmes inuites et les fournisseurs de services ont donné une perspective importante de l’intervention policière face à la violence fondée sur le sexe. Ces entrevues mettent en évidence l’omniprésence et de la gravité de la violence vécue par les femmes inuites, ainsi que les difficultés que vivent ces femmes lorsqu’elles sont en quête de sécurité au cours d’un acte violent.
Pour bien comprendre cette violence fondée sur le sexe, il faut la situer dans son contexte colonial. Le colonialisme a perturbé les façons d’être inuites, y compris les relations entre les hommes et les femmes inuits. La violence fondée sur le sexe est l’une des manifestations de l’expérience vécue de traumatisme que le colonialisme a produit.
Historiquement, la GRC a joué un rôle clé pour apporter le colonialisme dans le Nord. À cet égard, les services de police étaient racialisés : ils étaient conçus pour s’assurer que les Inuits respectaient le régime colonial. Les pratiques policières comprenaient le déplacement de familles inuites vers les établissements permanents, le transport d’enfants inuits vers les pensionnats où l’on pouvait leur enseigner la culture qallunaat en vue de leur assimilation à l’ordre social colonial, et l’abattage de chiens de traîneau inuits, ce qui réduisait en fait les liens inuits avec la terre et l’accès à leur source traditionnelle de subsistance.
Des entrevues avec des femmes inuites ont révélé que les services de police racialisés persistent. Plusieurs participantes croient que le racisme déforme les rencontres des agents de police avec les Inuits :
[traduction]
Ils vous regarderont comme si vous êtes autre chose qu’un être humain, qu’une personne ordinaire. [Participante inuvialuite]
Dès qu’ils voient un Inuit, c’est tout de suite très perceptible quand leur expression faciale se transforme en un visage dégoûté lorsqu’ils se rendent compte que c’est avec un Inuk et non un Caucasien qu’ils font affaire. [Participante du Nunavut]
J’ai vu beaucoup d’agents de police traiter les Inuits comme s’ils n’étaient rien. [Participante du Nunavik]
J’ai l’impression qu’ils traitent les femmes inuites surtout comme si elles étaient bonnes à rien. Et qu’est-ce qu’on leur a fait? [Participante du Nunatsiavut]
Cependant, les services de police racialisés ne sont pas simplement question de certains agents qui ont des croyances et des stéréotypes racistes à l’égard des Inuits. Ils sont plutôt de nature systémique, ancrés dans les politiques et pratiques institutionnelles. Un exemple concerne les obstacles linguistiques. Comme l’a souligné un agent de police [traduction] : « La communication est la base du maintien de l’ordre. » Pourtant, lorsque les agents ont une connaissance limitée ou inexistante de l’inuktut, les systèmes d’appels de la police sont gérés par des opérateurs qui ne parlent pas inuktut et que les femmes inuites sont obligées de transmettre leurs expériences de violence fondée sur le sexe dans une langue qui n’est pas la leur, la capacité de la police à remplir son rôle est sérieusement compromise.
De toute évidence, des agents peuvent changer les choses et les changent effectivement. Comme l’a dit une femme du Nunavik [traduction] : « Nous avons des agents de police vraiment fantastiques. » Certaines des femmes ont partagé des histoires positives de leurs rencontres avec des agents de police. Et les agents de police interrogés ont affirmé leur engagement à remplir leur rôle dans la lutte contre la violence fondée sur le sexe. Comme l’a fait remarquer un agent, ils sont « passionnés » par ce qu’ils font.
Néanmoins, le portrait qui ressort de ces entrevues est un fossé profond entre la police et les collectivités inuites qu’ils ont pour mandat de servir. La police est réellement une force externe qui est distincte de la collectivité, et non pas une partie intégrante de celle-ci. Ce fossé engendre facilement peur et méfiance à l’égard de la police et entrave une intervention policière efficace contre la violence fondée sur le sexe.
La nature systémique des problèmes que le colonialisme a engendrés a été démontrée dans quantité de rapports et commissions d’enquête. Il y a plus de vingt ans, la Commission royale sur les peuples autochtones a conclu que le colonialisme et son impact continu constituaient l’explication la plus convaincante de la persistance du désavantage chez les peuples autochtonesNote de bas de page 204. La Commission a également soutenu que la violence dans les familles autochtones était distincte en ce qu’elle [traduction] « a envahi des collectivités entières et ne peut pas être considérée comme un problème d’un couple ou d’un ménage individuel »; elle émane des efforts déployés par l’État colonial pour perturber ou déplacer les familles autochtones, et elle est « soutenue par un environnement social raciste qui propage des stéréotypes humiliants sur les femmes et les hommes autochtones »Note de bas de page 205. Plus récemment, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a conclu que la violence culturelle, structurelle et systémique que le colonialisme a engendrée nécessite des changements fondamentaux – et non des solutions de fortune – pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles autochtonesNote de bas de page 206.
Pour aller de l’avant, il faudra donc modifier fondamentalement la façon dont les services de police sont assurés dans l’Inuit Nunangat. Pour que la police puisse réagir efficacement à la violence fondée sur le sexe, elle doit passer d’une force externe à une force de revitalisation communautaire. Ce changement fondamental nécessite nécessairement que la police participe à un processus de décolonisation.
Décolonisation
Comme l’explique l’Enquête nationale, la décolonisation (qui est en cours) « est un processus sociopolitique qui vise à contrer les multiples répercussions liées à la colonisation et à rétablir des nations et des institutions autochtones contemporaines fortes fondées sur des systèmes de valeurs, de croyances et de pensée traditionnelleNote de bas de page 207 ».
La décolonisation commence par une reconnaissance des préjudices que le colonialisme d’entreprise a causés et fait subir aux collectivités inuites. Les personnes, les familles et les collectivités doivent se remettre du traumatisme intergénérationnel que le colonialisme a provoqué. Les Inuits qui ont été lésés doivent vivre ce qu’une femme inuvialuite a raconté dans son histoire de guérison, afin que leur expérience vécue de traumatisme puisse devenir « l’histoire de quelqu’un d’autre », présentée dans le passé afin qu’on puisse avoir un avenir meilleur avec ses partenaires, ses enfants et ses petits-enfants. Pour ce faire, les collectivités inuites ont besoin des ressources nécessaires pour entreprendre ce processus de guérison.
La décolonisation nécessite aussi de redonner aux Inuits le contrôle et les pouvoirs décisionnels. Comme l’ont souligné plusieurs participants :
[traduction]
Tant que ces institutions ne seront pas développées, gérées et dirigées par les personnes qu’elles essaient de servir, donc développées, gérées et dirigées par des Inuits pour les Inuits, ça ne marchera jamais. [Participante du Nunavut]
Une fois qu’une collectivité s’unira, elle pourra, les membres de la collectivité, ils pourront travailler avec les organismes pour rendre notre collectivité plus sécuritaire... parce que les membres de la collectivité leur feront savoir quels sont nos problèmes dans la collectivité. [Participante inuvialuite]
Nous reprendrons notre pouvoir en tant que peuple autochtone. Et si nous reprenons ce pouvoir, alors nous sommes plus en mesure d’aider librement les fournisseurs de services qui viennent dans notre ville. [Participante inuvialuite]
En ce sens, la décolonisation signifie de renverser la stratégie coloniale d’assimilation. Plutôt que de s’attendre à ce que les Inuits acceptent l’ordre colonial ou s’y conforment, ce sont les services de police et les autres organismes de services sociaux qui doivent s’assimiler aux pratiques inuites.
La décolonisation exige donc la participation active des Qallunaat – qui ont énormément profité de l’avancée du colonialisme d’entreprise dans le Nord. En ces termes, les personnes non inuites ont un rôle à jouer dans la décolonisation en tant qu’alliés, se tenant aux côtés des Inuits et non devant eux dans leur quête de changement. De cette façon, la police et d’autres fournisseurs de services participent activement à la revitalisation de la collectivité. De plus, les gouvernements à tous les niveaux devront s’engager fermement à s’assurer non seulement que les Inuits exercent un plus grand contrôle sur le processus d’extraction des ressources naturelles et les avantages financiers qui en découlent, mais aussi à investir dans les mesures de guérison, d’éducation, d’emploi et de renforcement de la famille qui revigoreront les collectivités inuites. Comme l’a souligné l’Enquête nationale, la satisfaction des besoins des Inuits doit inclure [traduction] « l’injection de ressources et de fonds équitables, durables et à long terme » afin d’obtenir une égalité réelleNote de bas de page 208.
Les peuples autochtones — les Inuits, les Métis et les Premières Nations — ne sont pas homogènes. Ils ont des cultures différentes, des traditions différentes et des conceptions différentes de la paix et de l’ordreNote de bas de page 209. De plus, leur colonisation a eu lieu à différentes périodes, de façons différentes et dans différentes régions du Canada. À ce titre, la décolonisation sera spécifique, reconnaissant et reflétant les besoins et les structures de gouvernance distincts, ainsi que la diversité des histoires et des cultures dans les groupes autochtones et entre ceux-ciNote de bas de page 210. Bien qu’il n’existe pas de modèle de décolonisation qui soit applicable à tous les Autochtones ou unique, certains principes généraux peuvent guider ce processus.
Le Comité d’experts sur les services de police dans les communautés autochtones fait la promotion d’une approche fondée sur des données probantes pour décoloniser les services de police, en s’appuyant sur les connaissances autochtones et les visions autochtones du monde, selon une approche holistique et fondée sur les relationsNote de bas de page 211. Plutôt que d’être une force externe engagée dans l’application de la loi et le contrôle du crime, la police est positionnée comme un partenaire avec d’autres organismes de services sociaux pour favoriser la sécurité et le bien-être de la collectivité par la résolution de problèmes et la résolution de conflits.
Comme l’a souligné l’Enquête nationale, l’autodétermination des Inuits doit être au cœur d’une telle approche, ce qui signifie que les mesures doivent être dirigées par les Inuits et ancrées dans les lois, la culture, la langue, les traditions et les valeurs sociales inuitesNote de bas de page 212. Comme l’a expliqué un Aîné inuit, les « grands principes directeurs » de l’Inuit Qaujimajatuqangit (IQ) – « que les Inuits ont toujours su être vrais » – constituent le fondement d’une vie saine. Le gouvernement du Nunavut, par exemple, a pris l’initiative d’intégrer les principes suivants de l’IQ à ses pratiques de gouvernance :
- Inuqatigiitsiarniq :
- Respect de l’autre, rapports avec l’autre et compassion envers les autres.
- Tunnganarniq :
- Promouvoir un bon état d’esprit en étant ouvert, accueillant et intégrateur.
- Pijitsirniq :
- Servir la famille et la communauté.
- Aajiqatigiinniq :
- Discuter et développer des consensus pour la prise de décision.
- Pilmmaksarniq :
- Le développement des compétences par la pratique, l’effort et l’action.
- Qanuqtuurniq :
- Innovation et ingéniosité dans la recherche de solutions.
- Piliriqatigiinniq :
- Travailler ensemble dans un but commun.
- Avatittinnik Kamatsiarniq :
- Respect et soin de la terre, de la faune et de l’environnementNote de bas de page 213.
Bien que ces principes doivent être au centre de la décolonisation, les services de police eux-mêmes doivent être adaptés à la culture – s’adapter à chaque collectivité et répondre aux besoins d’une collectivité en particulierNote de bas de page 214. Comme l’a souligné la commission d’Enquête nationale, « Les Inuits sont en droit de recevoir des services de police en inuktut, adéquats et adaptés à la cultureNote de bas de page 215 ».
La compétence culturelle concerne à la fois les niveaux individuel et institutionnel. Au niveau individuel, les agents de police doivent avoir une bonne connaissance de l’histoire et de la culture inuites, y compris « la connaissance de l’histoire d’une communauté, de ses traditions, de ses valeurs et de ses pratiques; de ses défis actuels, et de ses buts et aspirations. Ces connaissances doivent être propres à la communauté plutôt qu’abordées de façon générique pour être appliquées dans n’importe quelle communauté autochtoneNote de bas de page 216. » Comme l’a fait remarquer le Comité d’experts, ces connaissances devraient également être d’« ordre structurel », prenant conscience des « systèmes sociaux, politiques et économiques qui entraînent désavantages, marginalisation et répressionNote de bas de page 217 ». Au niveau institutionnel, la compétence culturelle signifie que les politiques et les pratiques policières, y compris les procédures opérationnelles normalisées, sont conformes à l’IQ. Par exemple, le cadre de recours à la force couramment adopté par les services de police peut ne pas intégrer les contextes sociaux particuliers dans lesquels les services de police se déroulent dans l’Inuit Nunangat et minimiser le risque de désescalade des conflits lorsque ceux-ci surviennentNote de bas de page 218.
Selon le Comité d’experts, l’adoption d’une approche fondée sur les relations « sous-tend l’objectif de surmonter la méfiance et d’établir un respect mutuel et une réciprocité d’une manière qui s’harmonise avec le savoir, le droit, l’histoire, la culture et la spiritualité autochtonesNote de bas de page 219 ».
Une approche fondée sur les relations attire l’attention sur le réseau de relations qui contribuent à générer et à maintenir la sécurité et le bien-être communautairesNote de bas de page 220. La police est l’un des éléments de ce réseau, travaillant en étroite collaboration avec d’autres alliés engagés dans la décolonisation – y compris les travailleurs de l’éducation et du soutien du revenu, les services de logement, les services à l’enfance et à la famille –, en rendant toutefois des comptes aux collectivités inuites qu’elle sert. C’est pourquoi la police recevrait principalement son orientation des dirigeants communautaires, des Aînés, des animateurs culturels et des aidants naturels, qui sont au centre de ce réseau ou qui en sont les intermédiaires.
En parallèle, l’adoption d’une approche fondée sur les relations signifie que les femmes inuites doivent être au centre de ce réseau de relations, où elles jouent un rôle principal pour orienter la façon dont la violence fondée sur le sexe doit être traitée dans leurs collectivités. Permettre aux femmes inuites d’avoir une voix forte peut engendrer des sentiments d’autonomisation, qui sont fortement diminués en raison de la nature de la violence fondée sur le sexe. Le fait de placer les femmes au centre de ce réseau de relations attire également l’attention sur l’importance de services de police fondés sur le sexe et éclairés par les traumatismes et de veiller à ce que les droits et les besoins des personnes qui souffrent de traumatismes soient maintenus et respectés.
Bien que la décolonisation offre un cadre général permettant de situer le rôle de la police dans l’intervention face à la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites, on pourrait formuler des recommandations plus précises qui pourraient aider la police à apporter ce changement fondamental.
Recommandations
- Services de police adaptés à la culture :
- Des investissements doivent être faits pour s’assurer que les agents de police reçoivent une formation continue et approfondie sur les compétences culturelles en histoire et en culture inuites. La formation devrait être propre à la collectivité, élaborée et dirigée par les Inuits, et comprendre une formation linguistique sur le dialecte inuktut local.
- Comités consultatifs inuits :
- Composés d’Aînés, de dirigeants communautaires et d’animateurs culturels, ces comités auront pour principal objectif de s’assurer que les pratiques et les protocoles policiers sont conformes aux principes de l’Inuit Qaujimajatuqangit. En plus de mettre l’accent sur les méthodes inuites de résolution de problèmes et de résolution de conflits, ces comités favoriseront la compréhension mutuelle et le respect entre la collectivité et la police.
- Services de police éclairés par les traumatismes :
- Des investissements doivent être faits pour fournir à la police une formation adéquate sur les approches policières éclairées par les traumatismes. Cette formation doit être adaptée à l’histoire et aux expériences contemporaines des Inuits. En comprenant mieux les traumatismes et leurs indicateurs, la police sera mieux placée pour désamorcer les situations, établir des relations plus positives avec la collectivité et contribuer à assurer le bien-être et la sécurité communautaires.
- Traumatismes indirects :
- Pour aider à gérer le stress personnel découlant des activités quotidiennes de la police dans les collectivités inuites et les effets des traumatismes indirects sur les premiers intervenants, les agents de police devraient être encouragés à demander un soutien émotionnel et des conseils aux Aînés, aux conseillers ou aux aidants naturels de la collectivité.
- Formation sur la violence fondée sur le sexe :
- Les agents de police doivent suivre une formation continue et spécialisée sur la dynamique de la violence fondée sur le sexe, formation qui serait plus efficace si elle était dispensée, du moins en partie, par des défenseurs des droits des victimes. Après les victimes elles-mêmes, les défenseurs des droits des victimes possèdent la compréhension la plus complète des réalités de la violence fondée sur le sexe. Un élément enrichissant de la formation serait l’inclusion des commentaires des survivants inuits de la violence familiale pour instruire la police sur leurs expériences.
- Protocoles policiers fondés sur le sexe :
- Les protocoles policiers, y compris les stratégies d’enquête pour réagir aux agressions sexuelles et à la violence familiale, doivent être évalués et révisés pour s’assurer que la police répond de façon appropriée sur le plan culturel et centrée sur les victimes.
- Agentes :
- Pour que les femmes survivantes de la violence fondée sur le sexe puissent vivre une expérience plus positive, il faudrait qu’une agente de police soit présente pendant la collecte des déclarations, voire qu’elle dirige ce processus.
- Liaison en matière de prévention de la violence fondée sur le sexe :
- Ce poste communautaire viserait à procurer aux personnes touchées par la violence fondée sur le sexe une personne de soutien dédiée chargée de coordonner l’accès aux ressources offertes par la police et d’autres organismes de services sociaux. Un tel poste renforcerait les partenariats entre les organismes pour s’assurer que les multiples besoins des personnes touchées par la violence fondée sur le sexe – planification de la sécurité, conseils, logement, etc. – sont satisfaits.
- Intégration communautaire :
- La GRC et le CPRK devraient élaborer des protocoles pour présenter les nouveaux agents aux collectivités qu’ils servent. Ces protocoles seraient élaborés en étroite consultation et collaboration avec les dirigeants communautaires, les Aînés et les animateurs culturels inuits. L’objectif serait de renforcer la responsabilité des agents envers ces collectivités et de faciliter l’intégration des agents dans la collectivité.
- Durée des affectations :
- La GRC devrait revoir sa politique consistant à limiter les affectations à deux ans. Dans la mesure du possible, les contrats d’affectation devraient être prolongés pour maintenir un rapport positif entre les membres de la collectivité inuite et les membres du service régulier, et permettre d’intégrer la confiance et la réciprocité dans les relations entre la police et la collectivité.
- Postes civils inuits :
-
Afin d’améliorer l’efficacité des services de police et de mieux intégrer la police à la collectivité locale, des Inuits doivent être employés à chaque détachement de police et accomplir un certain nombre de fonctions :
- Des interprètes et traducteurs inuits
- Pour s’assurer que les résidents de la collectivité peuvent interagir avec la police dans le dialecte local approprié;
- Des animateurs culturels et/ou les guérisseurs naturels
- Pour servir d’agents de liaison entre la police et les membres de la collectivité, en se chargeant entre autres d’identifier les personnes à risque et d’intervenir;
- Des constables spéciaux, des aides-policières, des patrouilles communautaires ou des gardiens de la paix
- Pour aider les agents à répondre aux besoins de la collectivité en matière de sécurité et de sûreté;
- Des membres du personnel administratif
- Pour dispenser la police des tâches administratives et organisationnelles au sein du détachement afin qu’elle consacre plus de temps et d’énergie à la résolution de problèmes et aux activités de mobilisation communautaire.
- Accessibilité de la police :
- Le financement doit être fourni immédiatement pour remédier au manque de systèmes de répartition officiels et locaux de la police (et des services d’urgence) dans l’Inuit Nunangat. Il doit y avoir des locuteurs inuktuts de disponibles pour répondre aux appels (d’urgence) en tout temps.
- Éducation communautaire :
-
Des investissements doivent être réalisés pour créer des programmes d’éducation publique multilingues propres à l’Inuit Nunangat dans deux domaines principaux :
- Éducation sur le système de justice pénale :
- Afin de fournir au public des renseignements sur le rôle et la fonction de la police et les droits des citoyens en ce qui concerne le système de justice pénale, ces programmes pourraient prendre la forme de messages de routine par l’intermédiaire des médias existants, comme la télévision, la radio, les journaux et les médias sociaux, ainsi que dans divers forums communautaires locaux.
- Éducation sur la violence fondée sur le sexe :
- Pour renforcer la confiance dans le système de justice pénale, la police doit jouer un rôle essentiel dans l’élaboration, la conception et la mise en œuvre des efforts de prévention et d’éducation de la violence fondée sur le sexe. La police pourrait accomplir cette tâche en dirigeant des ateliers, des campagnes et des programmes spécialisés visant à encourager les victimes à signaler les cas de violence. Une telle mobilisation de la police auprès de la collectivité en général et des personnes qui sont considérées comme présenter un risque de violence fondée sur le sexe pourrait contribuer à donner aux personnes qui souffrent en silence l’assurance que la police est disponible pour les aider, ce qui augmenterait la confiance des femmes dans la police et réduirait leur réticence à signaler les abus.
- Mobilisation communautaire :
- L’intégration et la présence de la police dans la collectivité devraient être renforcées par des événements prévus (comme des cercles de couture) et la diffusion de rencontres positives entre la police et les citoyens (par l’intermédiaire des médias sociaux) afin de bâtir la confiance et une relation positive entre la police et la collectivité.
- Responsabilités du gouvernement fédéral :
- Étant donné que les services de police sont un service essentiel, le gouvernement du Canada doit s’assurer que toutes les régions de l’Inuit Nunangat ont des services de police efficaces et substantiellement équitables. De plus, le gouvernement a la responsabilité d’assurer un financement équitable des services aux victimes dans toutes les collectivités de l’Inuit Nunangat.
Ces recommandations découlent des pistes de réflexion, des connaissances et des expériences des femmes inuites et des fournisseurs de services dans les quatre régions de l’Inuit Nunangat. Comme l’a souligné un participant du Nunatsiavut : « Vous pouvez avoir toutes ces recommandations, toutes ces choses que la collectivité dit, mais il n’y a jamais de suivi, on ne mène jamais les choses à bien, en fonction des recommandations que les gens répètent encore et encore. » Elle soulève un point important. Les changements nécessaires pour régler le problème urgent de la violence fondée sur le sexe à l’égard des femmes inuites ne se produiront pas sans le financement, l’engagement et le soutien requis de tous les ordres de gouvernement.
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