L'âge et la récidive sexuelle Une comparaison des violeurs et des agresseurs d'enfants
Table des matières
par R. Karl Hanson
Ministère du Solliciteur général du Canada
Note de l'auteur
Les vues exprimées dans ce document sont celles de l'auteur et n'engagent pas nécessairement le portefeuille du Solliciteur général du Canada. Je remercie Marnie Rice, Grant Harris, Jean Proulx, Larry Motiuk, Marylee Stephenson, John Reddon, Lea Studer, Janice Marques, Roxanne Lieb et Lin Song de m'avoir donné accès à leurs ensembles de données originaux.
Sommaire
La présente étude examine la relation entre l'âge et la récidive sexuelle au moyen de données provenant de 10 études de suivi menées auprès d'agresseurs sexuels du sexe masculin (échantillon global de 4 673 sujets). Les violeurs étaient plus jeunes que les agresseurs d'enfants et leur risque de récidive diminuait progressivement avec l'âge. Par contre, les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales affichaient une baisse relativement minime du risque de récidive jusqu'à l'âge de 50 ans. Le taux de récidive des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions intrafamiliales était généralement faible (moins de 10 %), sauf pour le groupe des 18 à 24 ans, dont le risque de récidive était semblable à celui des violeurs et des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales. Nous discutons des résultats par rapport à l'évolution de la pulsion sexuelle, de la maîtrise de soi et des occasions de récidiver.
L'âge et la récidive sexuelle - Une comparaison des violeurs et des agresseurs d'enfants
Le public s'inquiète, et avec raison, du risque que présentent les délinquants sexuels. Même s'ils sont seulement de 10 % à 15 % après cinq ans (Hanson et Bussière, 1998), les taux observés de récidive sexuelle continuent à augmenter graduellement avec l'allongement des périodes de suivi (Hanson, Steffy et Gauthier, 1993a). Les délinquants sexuels continuent-ils à présenter indéfiniment un risque ou y a-t-il une limite d'âge après lequel le risque de récidive diminue sensiblement? Dans quelle mesure un agresseur d'enfants ou un violeur âgé de 60 ans constitue-t-il une menace?
La relation entre l'âge et le comportement criminel général est bien établie. La plupart des crimes sont commis par des personnes jeunes, et le taux de comportement criminel diminue graduellement avec l'âge. En ce qui concerne les crimes signalés à la police, l'âge le plus courant du délinquant est la fin de l'adolescence (16 à 18 ans), les délinquants violents étant un peu plus âgés que les délinquants non violents (Gottfredson et Hirshi, 1990). Des études longitudinales révèlent toutefois que le taux de comportement agressif atteint un sommet à l'âge préscolaire (3 ou 4 ans) et qu'il diminue ensuite graduellement (Tremblay, 2000). L'accroissement apparent de la criminalité avec violence à l'adolescence est simplement une fonction d'un changement dans la réaction de la collectivité à un comportement agressif chronique. Nagin et Tremblay (1999) n'ont trouvé aucun groupe de garçons chroniquement violents pour lesquels l'âge de la première manifestation de l'agression était postérieure à 6 ans.
La relation entre l'âge et la criminalité sexuelle est toutefois moins bien connue. D'après des données provenant de 179 services de police canadiens, 81 % des délinquants accusés d'infractions sexuelles étaient âgés de 18 ans ou plus (Centre canadien de la statistique juridique, 1999). Ces délinquants sont en moyenne beaucoup plus âgés que les autres délinquants et un peu plus âgés que la population générale. Toutefois, la répartition selon l'âge des délinquants sexuels est clairement bimodale : le sommet le plus marqué est atteint à l'âge de 13 ans et est suivi d'une baisse au début de la vingtaine puis d'un second sommet entre le milieu et la fin de la trentaine (Centre canadien de la statistique juridique, 1999). La raison de cette répartition bimodale est inconnue, mais elle semble indiquer l'existence éventuelle d'une différence qualitative entre les délinquants sexuels adolescents et les délinquants sexuels adultes. Le sommet atteint à l'âge de 13 ans serait attribuable au début de l'activité sexuelle de jeunes qui sont généralement agressifs et antisociaux. Le sommet de la fin de la trentaine serait quant à lui lié à l'accroissement des occasions de commettre certains types d'infractions sexuelles durant cette période (p. ex., inceste père-fille, agression à l'égard d'enfants).
On constate aussi des différences d'âge parmi les délinquants sexuels adultes. On a observé il y a déjà longtemps que les délinquants qui s'en prennent à des femmes (violeurs) tendent à être plus jeunes que ceux qui ciblent les enfants (agresseurs d'enfants) (Apfelberg, Sugar et Pfeffer, 1944; West, 1983).
La répartition selon l'âge des délinquants accusés d'infractions sexuelles ne correspond pas nécessairement à leur risque de récidive relatif. Même s'il y a relativement peu de délinquants sexuels âgés de plus de 50 ans, il se peut que les délinquants plus âgés manifestent un comportement plus (ou moins) chronique que les délinquants sexuels plus jeunes. Dans leur examen de 21 études de suivi (n = 6 969), Hanson et Bussière (1998) ont constaté une relation générale négative entre l'âge et le risque de récidive sexuelle (r moyen = -0,13). Toutefois, la relation n'était pas marquée, et il y avait beaucoup de variabilité entre les études.
Il est possible que la relation entre l'âge et la récidive sexuelle diffère selon les types de délinquants sexuels. De tous les délinquants sexuels, les violeurs sont ceux qui ressemblent le plus aux délinquants non sexuels (West, 1983). Ils tendent à avoir des antécédents criminels non sexuels et sont plus portés que les agresseurs d'enfants à récidiver en commettant des crimes autres que sexuels (Hanson et Bussière, 1998). Il est donc probable que le taux de récidive des violeurs diminue graduellement avec l'âge.
On ne sait pas dans quelle mesure les taux de récidive des agresseurs d'enfants diminuent avec l'âge. Étant donné que la plupart des comportements antisociaux diminuent avec l'âge, il est probable que les taux de récidive sexuelle des agresseurs d'enfants diminuent également. Mais il est aussi possible que la baisse soit minimale. Les agresseurs d'enfants qui commettent des agressions extrafamiliales sont les délinquants sexuels les plus susceptibles d'avoir des préférences sexuelles déviantes (Marshall, 1997). Il se peut que la présence de ces préférences sexuelles déviantes contribue à un niveau élevé de risque jusqu'à un âge bien avancé.
Les agresseurs d'enfants qui ciblent uniquement des victimes à l'intérieur de leur famille (auteurs d'inceste) présentent un risque de récidive systématiquement plus faible que les autres délinquants sexuels (Hanson et Bussière, 1998). Même si l'on peut s'attendre à ce que les auteurs d'inceste soient plus âgés que les autres agresseurs d'enfants (puisqu'un laps de temps doit s'écouler avant que leurs propres enfants n'atteignent un certain âge), on ne sait pas si leurs taux de récidive diminuent sensiblement avec l'âge. Le processus de divulgation pour l'infraction répertoriée limite peut-être l'accès aux enfants de leur famille actuelle, mais l'arrivée subséquente de petits-enfants crée éventuellement de nouvelles occasions.
Pour examiner la relation entre l'âge et la récidive sexuelle, des analyses secondaires ont été effectuées sur 10 échantillons de délinquants sexuels (nombre total de sujets = 4 673). Ces échantillons provenaient de divers milieux au Canada (k = 7), aux États-Unis (k = 2) et au Royaume-Uni (un échantillon).
Méthode
Échantillons
Le tableau 1 présente une vue d'ensemble des échantillons. Tous les délinquants étaient libérés d'établissements pénitentiaires, sauf pour environ la moitié des délinquants de l'échantillon SSOSA de l'État de Washington, auxquels on a imposé des peines communautaires. Pour la plupart des échantillons, l'origine raciale ou ethnique n'était pas indiquée, mais si l'on se base sur les données démographiques des provinces, États et pays d'origine, on peut supposer que les délinquants étaient surtout des Blancs. Les échantillons sont un peu plus petits que ceux utilisés dans les études originales parce qu'ils comprennent uniquement les délinquants pour lesquels on disposait des données sur l'âge et sur la récidive sexuelle. Tous les délinquants étaient des adultes du sexe masculin (âgés d'au moins 18 ans au moment de la mise en liberté).
Étude sur la récidive parmi les délinquants sous responsabilité fédérale au Canada - Mises en liberté 1983-1984 (Bonta et Hanson, 1995a; voir aussi Bonta et Hanson, 1995b). Cette étude a porté sur les 316 délinquants sexuels inclus dans l'échantillon total de 3 180 délinquants sous responsabilité fédérale mis en liberté par le Service correctionnel du Canada (SCC) au cours de l'exercice 1983-1984. Les délinquants sexuels étaient définis comme les délinquants mis en liberté après une condamnation pour infractions sexuelles. Les données sur la récidive ont été recueillies en 1994 à partir des dossiers nationaux d'antécédents criminels tenus par la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Délinquants sous responsabilité fédérale au Canada mis en liberté entre 1991 et 1994 (Motiuk, 1995; voir aussi Motiuk et Brown, 1993; Motiuk et Brown, 1996). Les auteurs ont suivi un groupe de délinquants sexuels mis en liberté par le SCC entre 1991 et 1994. Les délinquants inclus dans ce groupe avaient fait l'objet d'un examen en 1991 (voir Motiuk et Porporino, 1993) durant leur incarcération. Les données de suivi ont été codées à partir des dossiers de la GRC de 1994.
Administration fédérale canadienne - région du Pacifique (CS/RESORS Consulting, 1991; Hanson, Broom et Stephenson, 2001). Les auteurs ont suivi les délinquants sexuels mis en liberté en Colombie-Britannique entre 1976 et 1992. L'étude avait pour but initial de comparer les délinquants ayant bénéficié de services de counseling obligatoire dans la collectivité (n = 401) et des délinquants mis en liberté les années antérieures et n'ayant pas bénéficié de ce programme postlibératoire (n = 288). Les délinquants mis en liberté au cours de l'exercice 1983-1984 (n = 38) ont été retirés de cet échantillon pour éviter un chevauchement avec l'autre cohorte décrite ci-dessus. Les données sur la récidive ont été codées en 2000 à partir des dossiers de la GRC.
Alberta Hospital Edmonton - Programme Phoenix (Reddon, 1996; voir aussi Studer, Reddon, Roper et Estrada, 1996). Les délinquants sexuels examinés dans cette étude incluaient ceux qui ont participé au programme de traitement Phoenix (Alberta Hospital Edmonton) entre 1987 et 1994. Le programme Phoenix est un programme de traitement éclectique offert aux patients hospitalisés dont un grand nombre de participants sont des délinquants qui y sont dirigés par les responsables des établissements correctionnels fédéraux. Les données sur la récidive ont été recueillies en 1995 à partir des dossiers de la GRC.
Sex Offender Treatment and Evaluation Project (SOTEP) de la Californie (Marques et Day, 1996; voir aussi Marques, Day, Nelson et West, 1993; Marques, Nelson, West et Day, 1994). L'objectif premier de cette étude en cours est d'examiner l'efficacité du traitement. L'échantillon utilisé pour l'étude inclut des délinquants sexuels affectés au hasard au traitement (n = 172), un groupe témoin de bénévoles appariés, des délinquants qui ont refusé le traitement et un échantillon général de délinquants sexuels faisant partie du système correctionnel de la Californie (échantillon total = 1 137). Les hommes qui ont commis des agressions uniquement contre leurs enfants biologiques ont été exclus. Les sujets ont été inclus dans cette étude entre 1985 et 1995; les données de suivi ont été recueillies en 1995 à partir des casiers judiciaires locaux et nationaux ainsi que des rapports des services de probation et des services de police locaux.
Échantillon | Taille de l'échantillon | Âge (ET) | Type de délinquant Viol/EX/IN (%) |
Taille de l'échantillon pour le type | Nombre moyen d'années de suivi | Taux de récidive sexuelle | Critères de la récidive |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Délinquants mis en liberté sous responsabilité fédérale au Canada 1983-1984 | 315 | 31 (8,7) | -- / -- / -- | 0 | 10 | 19,7 | Condamnations |
Délinquants mis en liberté sous responsabilité fédérale au Canada 1991-1994 | 241 | 37 (11) | 53 / 19 / 28 | 208 | 2 | 7,1 | Accusations |
Délinquants mis en liberté sous responsabilité fédérale au Canada Région du Pacifique | 689 | 38 (11) | 36 / 30 / 33 | 362 | 11 | 24,7 | Accusations |
Millbrook (Ontario) | 186 | 33 (10) | 00 / 82 / 18 | 186 | 3 | 35,5 | Condamnations |
Institut Philippe Pinel | 363 | 36 (11) | 30 / 43 / 27 | 349 | 4 | 16,3 | Condamnations |
Alberta Hospital Edmonton | 363 | 36 (10) | 27 / 27 / 46 | 363 | 5 | 5,5 | Condamnations |
SOTEP (Californie) | 1 137 | 38 (8,9) | 29 / 40 / 31 | 1 130 | 4 | 13,3 | Accusations |
Oak Ridge Penetanguishene (Ontario) | 263 | 31 (9,4) | 52 / 26 / 22 | 246 | 10 | 36,1 | Accusations/ réincarcération |
HM Prison Service (R.-U.) | 529 | 36 (12) | 53 / 32 / 15 | 325 | 16 | 25,7 | Condamnations |
SSOSA - État de Washington | 587 | 36 (13) | 10 / 41 / 49 | 582 | 5 | 7,5 | Accusations |
Note: EX = Agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales; IN = Agresseurs d'enfants coupables d'agressions intrafamiliales
Institut Philippe Pinel (Montréal) (Proulx, Pellerin, McKibben, Aubut et Ouimet, 1995; voir aussi Proulx, Pellerin, McKibben, Aubut et Ouimet, 1997; Pellerin et coll., 1996). Cette étude a porté sur des délinquants sexuels traités dans un établissement psychiatrique à sécurité maximale entre 1978 et 1993. L'Institut Philippe Pinel de Montréal assure un traitement à long terme (1 à 3 ans) aux délinquants sexuels qui y sont dirigés par le système correctionnel et le système de santé mentale. Les données sur la récidive ont été recueillies en 1994 à partir des dossiers de la GRC.
Étude sur la récidive de Millbrook (Hanson, Steffy et Gauthier, 1993b; voir aussi Hanson, Scott et Steffy, 1995; Hanson, Steffy et Gauthier, 1992; Hanson et coll., 1993a). Cette étude a servi à recueillir des données au sujet de la récidive à long terme (15-30 ans) d'agresseurs d'enfants mis en liberté entre 1958 et 1974 par le centre correctionnel de Millbrook, un établissement provincial à sécurité maximale situé en Ontario. Environ la moitié des sujets de l'échantillon ont participé à un bref programme de traitement. Les renseignements sur la récidive ont été codés à partir des dossiers de la GRC en 1989 et 1991.
Division Oak Ridge du Centre de santé mentale de Penetanguishene (Rice et Harris, 1996; voir aussi Quinsey, Rice et Harris, 1995; Rice et Harris, 1997; Rice, Harris et Quinsey, 1990; Rice, Quinsey et Harris, 1991). L'étude d'Oak Ridge a servi à suivre les délinquants sexuels dirigés entre 1972 et 1993 vers ce centre de santé mentale à sécurité maximale situé en Ontario, au Canada, en vue de subir un traitement ou une évaluation. La plupart des délinquants ont été dirigés vers le centre par les systèmes de santé mentale ou les tribunaux (p. ex., dans le cadre des examens préalables de l'aptitude à subir un procès); quelques-uns y ont aussi été dirigés par les services correctionnels provinciaux ou fédéraux. Les données de suivi étaient basées sur les dossiers de la GRC et des services de santé mentale (c.-à-d., nouvelles admissions pour infractions sexuelles, que des accusations aient été portées ou non).
Her Majesty's Prison Service (R.-U.). (Thornton, 1997). L'étude consistait en un suivi pendant 16 ans de tous les délinquants sexuels ayant obtenu leur mise en liberté du Her Majesty's Prison Service (Angleterre et pays de Galles) en 1979 (n = 573). Les données sur la récidive ont été tirées des dossiers du Home Office réunis en 1995. Très peu de délinquants inclus dans cet échantillon auraient bénéficié d'un traitement spécialisé pour délinquants sexuels.
SSOSA de l'État de Washington (Berliner, Schram, Miller et Milloy, 1995; Song et Lieb, 1995). Cet ensemble de données a été créé pour évaluer le programme de solution de rechange à l'incarcération pour les délinquants sexuels (Sex Offender Sentencing Alternative - SSOSA) de l'État de Washington, qui permet aux juges de condamner les délinquants sexuels à un traitement dans la collectivité. Pour être admissibles au programme SSOSA, les délinquants doivent en être à leur première accusation d'infraction sexuelle autre que de viol au premier ou au deuxième degré. L'échantillon consistait en 287 délinquants ayant participé au programme SSOSA et 300 délinquants admissibles au programme qui n'y ont toutefois pas participé. La plupart des sujets étaient des Blancs (85%). Les délinquants ont été condamnés entre janvier 1985 et juin 1986, et les données de suivi ont été recueillies en décembre 1990.
Analyses
Les analyses ont été menées sur un ensemble de données combinant les échantillons précédents. L'âge a été calculé au moment de la mise en liberté, sauf pour l'échantillon du programme SSOSA de l'État de Washington, pour lequel on a utilisé l'âge au moment du prononcé de la peine. La récidive sexuelle a été mesurée en fonction des définitions employées dans les rapports originaux, soit, dans la plupart des cas, des accusations (k = 4) ou des condamnations (k = 5). Pour l'échantillon d'Oak Ridge, les critères de récidive incluaient également des réincarcérations dans des établissements psychiatriques.
Les analyses préliminaires ont porté sur le lien entre l'âge et la récidive dans chaque échantillon. La méta-analyse des différents échantillons a produit la même courbe de résultats que l'analyse de l'échantillon global. Par souci de simplicité, nous présentons uniquement les résultats pour l'échantillon global.
La principale méthode statistique employée pour mesurer le lien entre l'âge et la récidive sexuelle a été la régression logistique (Neter, Kutner, Nachtsheim et Wasserman, 1996). La régression logistique est préférable à la régression des moindres carrés ordinaire lorsque les variables du résultat sont dichotomiques. Comparativement aux coefficients de corrélation, les coefficients de la régression logistique sont moins influencés par les taux de base de la récidive et la variabilité dans les variables prédictives. On peut considérer le coefficient de régression logistique comme le taux de changement dans les taux de récidive au fur et à mesure que l'âge augmente d'une année; plus précisément, eB est un risque relatif rapproché (ou odds ratio). Par exemple, si B correspond à -0,04, le risque relatif rapproché serait (2,714)(-0,04) = 0,96. Cette valeur de 0,96 signifierait que si Jacques est plus vieux que François d'une année, son taux de récidive correspondrait normalement à 96 % du taux de récidive attendu de François (une réduction de 4 %). Pour des valeurs minimes de B, le changement en pourcentage des taux de récidive équivaut approximativement à la valeur absolue de B (c.-à-d., B = -0,04 correspond à une réduction de 4 %; B = 0,10 correspond à une augmentation de 10,5 %).
On peut vérifier les effets curvilinéaires en entrant le carré de la variable prédictive (Y2) après avoir entré la variable prédictive (Y). Signalons toutefois aux lecteurs que, si Y et Y2 sont examinés simultanément, la valeur de leurs coefficients de régression respectifs (et leurs tests de signification) peut être influencée par des aspects arbitraires de la mise à l'échelle. Par conséquent, les coefficients de régression résultant ne constituent pas un test de la grandeur relative des effets linéaires et curvilinéaires. Les coefficients de régression pour les composantes de la courbe sont néanmoins présentés pour indiquer le sens de tout effet curvilinéaire éventuel.
Résultats
L'échantillon confondu comprenait 4 673 délinquants sexuels. En fonction du choix prédominant de victimes, on a distingué dans l'échantillon les groupes suivants : les délinquants s'en prenant principalement aux femmes (violeurs, n = 1 133), les agresseurs d'enfants s'en prenant à des enfants avec lesquels ils n'ont aucun lien de parenté (auteurs d'agressions extrafamiliales, n = 1 411) et les agresseurs d'enfants s'en prenant uniquement à des enfants avec lesquels ils ont un lien de parenté (auteurs d'inceste, n = 1 207). Ont été exclus de cette classification 47 délinquants qui s'en sont pris tant à des femmes qu'à des enfants sans lien de parenté avec eux et 875 délinquants pour lesquels on ne possédait pas de renseignements sur leurs victimes. La classification était toutefois basée sur des données restreintes, et le chevauchement entre catégories de victimes est sans doute plus grand que ne le suppose cette classification.
Comme on peut le voir à la figure 1, les violeurs (moyenne = 32,1, ET = 8,9) étaient plus jeunes que les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales (moyenne = 37,1, ET = 11,5) et les auteurs d'inceste (moyenne = 38,9, ET = 9,9). Vu la taille des échantillons, les écarts entre tous les groupes étaient statistiquement significatifs à p < 0,001 même si la différence d'âge moyenne entre les deux groupes d'agresseurs d'enfants n'était que de 1,8 an.
Figure 1 - Répartition selon l'âge des délinquants sexuels
Description de l'image
Figure 1. Ce graphique présente la distribution statistique des délinquants sexuels en fonction de l'âge. L'axe vertical est nommé « fréquence », et s'étend de 0, au bas, à 350, au sommet. L'axe horizontal est nommé « catégorie d'âge », et contient les valeurs 18-24, 25-29, 30-34, puis continue par tranches de cinq ans jusqu'à 65-69 et se termine par la catégorie d'âge 70 et plus. Trois histogrammes sont présentés; un pour les violeurs (n = 1 133), un pour les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales (n = 1 411), et un pour les auteurs d'inceste (n = 1 207). Chaque histogramme commence au groupe d'âge 18-24 et atteint un maximum se situant entre 250 et 300. Le maximum se situe dans la catégorie d'âge 25-29 pour les violeurs, 30-34 pour les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales et autour de 40 ans pour les auteurs d'inceste. Les trois histogrammes présentent une fréquence près de zéro dans la catégorie d'âge 70 et plus, mais la courbe de diminution est moins rapide chez les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales que chez les violeurs ou les auteurs d'inceste.
Pour l'ensemble de l'échantillon, le taux de récidive sexuelle était de 17,5 % (820/4 673). Il diminuait progressivement avec l'âge (régression logistique, B = -0,036, ET = 0,004, p < 0,001). L'association était linéaire; l'ajout d'une composante curvilinéaire n'améliorait pas sensiblement l'ajustement de la courbe de régression (changement du khi-carré = 0,18, DDL = 1, p > 0,50). La corrélation entre l'âge et la récidive sexuelle était de -0,13 (p < 0,001) et la zone sous la courbe de la fonction d'efficacité du récepteur (ROC) était de 0,60 (intervalle de confiance de 95 % de 0,58 à 0,62).
Les groupes récidivaient à des taux différents (changement du khi-carré logistique = 57,91, DDL = 2, p < 0,001), les auteurs d'inceste récidivant moins souvent (8,4 %) que les violeurs (17,1 %) et les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales (19,5 %). Si l'on ne tenait pas compte de l'effet de l'âge, la différence dans les taux de récidive entre les violeurs et les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales n'était pas statistiquement significative (khi-carré logistique = 2,21, DDL = 1, p > 0,10). Toutefois, le fait de tenir compte de l'effet de l'âge faisait ressortir une différence significative entre les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales et les violeurs (khi-carré logistique = 7,71, DDL = 1, p < 0,005), les premiers récidivant plus souvent que les seconds. Dans toutes les comparaisons, les auteurs d'inceste affichaient des taux de récidive sensiblement plus bas (p < 0,001).
Même si l'effet de l'âge était linéaire pour l'ensemble de l'échantillon, la relation avec l'âge différait selon qu'il s'agissait de violeurs, d'agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales et d'auteurs d'inceste (voir la figure 2; interaction entre les groupes et l'âge2 [âge au carré] : changement du khi-carré logistique = 6,81, DDL = 2, p < 0,05). Les analyses distinctes pour les trois groupes sont présentées au tableau 2. Le taux de récidive des violeurs diminue régulièrement avec l'âge (B logistique = -0,40, ET = 0,010). Par contre, la tranche d'âge la plus à risque pour les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales n'était pas celle de 18 à 24 ans, mais plutôt celle de 25 à 35 ans. Le taux de récidive des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales diminuait relativement peu jusqu'à l'âge de 50 ans.
La tendance était différente pour les auteurs d'inceste. Le taux de récidive de ces derniers était généralement faible (moins de 10 %), sauf pour ceux qui étaient âgés entre 18 et 24 ans, dont le taux de récidive était beaucoup plus élevé (30,7 %).
Il y avait très peu de récidivistes parmi les délinquants sexuels libérés après l'âge de 60 ans (5/131 ou 3,8 %). Les récidivistes âgés de plus de 60 ans incluaient deux agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales (2/45 ou 4,4 %) et trois délinquants qui n'étaient classés dans aucun groupe (3/37 ou 8,1 %). Aucun des auteurs d'inceste (n = 39) ou des violeurs (n = 10) âgés de plus de 60 ans au moment de leur mise en liberté n'a récidivé. Le récidiviste le plus âgé de l'échantillon a été mis en liberté à l'âge de 72 ans et a été condamné de nouveau pour une infraction sexuelle l'année suivante.
Figure 2 - Taux de récidive selon le groupe d'âge
Description de l'image
Figure 2. Ce graphique illustre les taux de récidive sexuelle prévus en fonction de la catégorie d'âge et du type de victime. L'axe vertical est nommé « taux de récidive », et s'étend de 0 %, au bas, à 35 %, au sommet. L'axe horizontal est nommé « catégorie d'âge », et contient, de gauche à droite, les valeurs 18-24, 25-29, 30-34, 25-29, 30-34, 35-39, 40-44, 45-49, 50-59, 60-69 et 70 et plus. Trois courbes lissées sont présentées, une pour les violeurs, une pour les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales et une pour les auteurs d'inceste. Les trois courbes descendent de leur sommet à gauche (catégorie d'âge 18-24) jusqu'à zéro à droite, ce qui indique que le risque de récidive diminue avec l'âge. La courbe des auteurs d'inceste commence à 30 % dans la catégorie d'âge 18-24, descend à 10 % dans la catégorie d'âge 25-29 et continue de diminuer jusqu'à zéro dans la catégorie d'âge 60-69. La courbe des violeurs commence à 23 % et diminue de façon linéaire jusqu'à zéro dans la catégorie d'âge 60-69. La courbe des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales commence à 21 % dans la catégorie d'âge 18 24, augmente à 25 % dans la catégorie d'âge 25-29, puis diminue de façon linéaire jusqu'à zéro dans la catégorie d'âge 70 et plus.
Échantillon | Taille de l'échan-tillon | Étape | Coefficients de régression logistique | Changement x 2 | Modèle x 2 |
||
---|---|---|---|---|---|---|---|
interception | linéaire | curvilinéaire | |||||
Violeurs | 1 133 | 1 | -0,334 (0,319) |
-0,040 (0,010) |
- | - | 16,82*** |
2 | -0,585 (0,995) |
-0,024 (0,060) |
0,00023 (0,00088) |
0,073 | 17,37*** | ||
Agresseurs d'enfants - agressions extrafamiliales | 1 411 | 1 | -0,411 (0,232) |
-0,028 (0,006) |
- | - | 20,65*** |
2 | -2,344 (0,778) |
0,082 (0,043) |
-0,00144 (0,00056) |
7,44** | 27,98*** | ||
Auteurs d'inceste | 1 207 | 1 | -0,069 (0,448) |
-0,064 (0,013) |
- | - | 28,88*** |
2 | 1,359 (1,154) |
-0,144 (0,061) |
0,00108 (0,00079) |
1,59 | 30,38*** | ||
Total | 4 673 | 1 | -0,324 (0,140) |
-0,035 (0,004) |
- | - | 84,68*** |
2 | -0,489 (0,410) |
-0,026 (0,023) |
0,00013 (0,00030) |
0,19 | 84,87*** |
*p < 0,05; **p < 0,01, ***p < 0,001.
Note : Écarts-types entre paranthèses.
Discussion
Comme pour les autres comportements criminels, le taux d'infraction sexuelle a diminué avec l'âge. Le taux de baisse était passablement graduel, toutefois, et il y avait des différences significatives entre les types de délinquants sexuels. Les violeurs étaient plus jeunes que les autres délinquants sexuels (45 % avaient moins de 30 ans) et leur taux de récidive diminuait graduellement avec l'âge. Le risque de récidive des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales ne diminuait guère jusqu'à l'âge de 50 ans. La période la plus à risque pour ces délinquants sexuels était celle de 25 à 35 ans. Par contre, les jeunes auteurs d'inceste (18 à 24 ans) présentaient un risque beaucoup plus élevé que les auteurs d'inceste des autres groupes d'âges.
Le taux de récidive moyen pour les auteurs d'inceste (8 %) était inférieur au taux de récidive moyen des agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales (19 %) et des violeurs (17 %). Même si les taux de récidive des agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales et des violeurs étaient semblables, les premiers étaient en moyenne plus âgés que les seconds. Lorsqu'on tenait compte de l'effet de l'âge, on pouvait constater que les premiers présentaient un risque beaucoup plus élevé de récidive sexuelle que les seconds.
Parmi les divers facteurs liés aux crimes sexuels, les trois qui intéressent le plus la présente étude sont des intérêts sexuels déviants (motivation), l'occasion et un manque de maîtrise de soi. La répartition de ces trois facteurs parmi les catégories de délinquants peut aider à expliquer la répartition selon l'âge des délinquants et la variation dans leurs taux de récidive.
Intérêts sexuels déviants
Même si tous les délinquants sexuels se livrent à un comportement sexuellement déviant, la plupart n'ont pas une préférence durable pour des activités sexuelles illégales. Les préférences sexuelles présentent un certain degré d'élasticité; par exemple, les hommes préfèrent ordinairement des rapports sexuels avec des femmes consentantes, mais ils peuvent manifester une certaine excitation face à des filles ou des adolescentes (Freund et Blanchard, 1989) et des images de rapports sexuels forcés (Eccles, Marshall et Barbaree, 1994). Les délinquants peuvent réagir à ces objets et activités sexuels qui ne sont pas leurs préférés pour diverses raisons, y compris la pression exercée par leurs pairs (p. ex., Kanin, 1967), l'impulsivité et l'occasion.
Les intérêts sexuels déviants sont plus courants parmi les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales que parmi les auteurs d'inceste (Marshall, 1997). Il est difficile de comparer directement le taux d'intérêt sexuel déviant des violeurs et celui des agresseurs d'enfants. Les intérêts sexuels se situent le long d'un continuum, et l'on ne sait pas exactement quel niveau d'intérêt sexuel pour la violence correspond à un niveau d'intérêt sexuel également déviant pour les enfants. Néanmoins, en moyenne, les violeurs réagissent sexuellement davantage à des stimuli érotiques violents qu'à des images d'activités sexuelles entre personnes consentantes (Lalumière et Quinsey, 1994), ce qui semble indiquer que les violeurs ont dans une proportion significative des intérêts sexuels déviants. Ceux-ci sont sans doute plus répandus parmi les violeurs que parmi les auteurs d'inceste; on ne sait pas toutefois si les violeurs sont plus ou moins sexuellement déviants que les agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales.
D'après des recherches antérieures, l'intérêt sexuel déviant est un important facteur de risque en ce qui concerne la récidive sexuelle (Hanson et Bussière, 1998). Dans la mesure où les intérêts sexuels déviants font partie intégrante de la vie sexuelle du délinquant, on peut s'attendre à ce que la persistance des infractions sexuelles corresponde à la persistance des pulsions sexuelles du délinquant.
Les recherches sur la population normale ont révélé que la pulsion sexuelle masculine diminue graduellement avec l'âge, bien que la baisse soit assez faible jusqu'à l'âge de 50 ans (Kinsey, Pomeroy et Martin, 1948; Panser et coll., 1995; Trocki, 1992). Moins de 1 % des hommes âgés entre 40 et 49 ans ont dit n'avoir « aucune pulsion sexuelle », contre 26 % des hommes âgés de plus de 70 ans (Panser et coll., 1995). La maladie et des baisses avec l'âge du niveau de testostérone figurent parmi les facteurs qui contribuent à une diminution de la pulsion sexuelle (Gray, Feldman, McKinlay et Longcope, 1991).
Manque de maîtrise de soi
Le deuxième grand facteur lié à l'infraction sexuelle est un manque de maîtrise de soi ou un mode de vie criminel. Le manque de maîtrise de soi désigne la tendance à réagir impulsivement à une tentation immédiate, à peu tenir compte des conséquences et à se livrer à des comportements à risque élevé, comme la consommation d'alcool, la conduite à grande vitesse et la promiscuité sexuelle. La relation entre le manque de maîtrise de soi et le comportement criminel est suffisamment étroite pour pousser Gottfredson et Hirshi (1990) à la considérer comme la cause de la criminalité. Il n'est pas rare que les chercheurs incluent des mesures du comportement antisocial dans leurs définitions de l'impulsivité ou du manque de contrainte (p. ex., Prentky, Knight, Lee et Cerce, 1995; Wright, Caspi, Moffitt et Silva, 1999).
La maîtrise de soi augmente de façon marquée entre l'enfance et l'âge adulte. On ne sait toutefois pas très bien dans quelle mesure elle continue à se développer à l'âge adulte. Gottfredson et Hirschi (1990) croient que le niveau de maîtrise de soi d'une personne change peu après avoir été établi dans la famille d'origine. Toutefois, la diminution avec l'âge de presque tous les comportements impulsifs et à risque (p. ex., conduite rapide, consommation abusive de substances intoxicantes, vol, voies de fait) semble indiquer que la maîtrise de soi et la contrainte continuent à se développer jusqu'à un âge adulte assez avancé.
Des recherches antérieures sur les délinquants sexuels ont révélé que l'impulsivité et un mode de vie criminel étaient liés au risque de récidive sexuelle (Hanson et Bussière, 1998; Prentky et coll., 1995). Un manque de maîtrise de soi est plus courant parmi les violeurs que parmi les agresseurs d'enfants. Les violeurs présentent un grand nombre des caractéristiques de l'instabilité du mode de vie qu'on trouve chez les délinquants en général (West, 1983) et sont plus susceptibles de récidiver en commettant des crimes autres que sexuels que les agresseurs d'enfants (Hanson et Bussière, 1998). Les recherches n'ont pas encore révélé si les auteurs d'inceste et les agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales différaient les uns des autres pour ce qui est de l'instabilité de leur mode de vie. Miner et Dwyer (1997) ont constaté que les auteurs d'inceste signalaient moins de problèmes en ce qui concerne la satisfaction immédiate que les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales, tandis que Symbaluk (1998) a trouvé l'inverse : les auteurs d'inceste avaient plus de problèmes en ce qui concerne la maîtrise de soi que les agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales. Les auteurs d'inceste et les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales inclus dans les échantillons de Firestone et coll. (1999, 2000) affichaient des niveaux semblables de maîtrise de soi par rapport à des indicateurs comme un faible niveau de scolarité, la toxicomanie, l'agression et la psychopathie.
Occasion
Le troisième facteur lié aux infractions sexuelles est celui de l'occasion. Contrairement aux problèmes de maîtrise de soi, qui diminuent normalement au début de l'âge adulte, et aux pulsions sexuelles déviantes, qui baissent normalement à un âge plus avancé, les occasions de commettre des agressions contre des enfants augmentent habituellement vers le milieu de l'âge adulte. La plupart des agresseurs d'enfants exploitent une relation de confiance avec une victime qu'ils connaissent ou avec laquelle ils ont un lien de parenté. Les occasions d'établir des relations avec des enfants atteignent leur paroxysme entre la fin de la vingtaine et le milieu de la quarantaine. C'est durant cette période normalement que les hommes ont leurs propres enfants ou fréquentent des amis et des parents qui ont des enfants.
Par contre, les occasions de commettre un viol diminuent d'ordinaire graduellement avec l'âge. La plupart des victimes de viol sont des jeunes femmes connues de leur agresseur. Les gens tendent à fréquenter des personnes de leur âge; par conséquent, au fur et à mesure qu'ils vieillissent, les hommes rencontrent normalement moins de victimes éventuelles et se retrouvent moins souvent dans des circonstances qui peuvent se prêter au viol (p. ex., bars, fêtes entre amis au collège ou à l'université).
Interprétation et constatations au sujet de l'âge et de la récidive
Les trois facteurs que constituent la déviance sexuelle, la maîtrise de soi et l'occasion concordent avec les constatations relatives au lien entre l'âge et la récidive pour les violeurs et les agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales. Pour les violeurs, les trois facteurs diminuent normalement avec l'âge. La maîtrise de soi augmente normalement au début de l'âge adulte tandis que les pulsions sexuelles déviantes diminuent vers la fin de l'âge adulte et que les occasions de commettre des infractions diminuent d'ordinaire graduellement au fur et à mesure que l'âge avance. Dans la mesure où ces trois facteurs sont importants, il n'est pas étonnant que la plupart des violeurs sont jeunes et que leur risque de récidive diminue graduellement avec l'âge.
Dans le cas des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales, il se peut que d'autres facteurs influent sur le risque de récidive entre le début et le milieu de l'âge adulte. S'il est vrai que la maîtrise de soi s'améliore normalement durant le passage entre la vingtaine et la trentaine, les occasions d'agresser des enfants augmentent. Ce n'est que vers la fin de l'âge adulte que les occasions d'avoir des relations avec des enfants diminuent et que ce facteur, combiné à une baisse de la pulsion sexuelle, contribue à une diminution du risque de récidive. Cette thèse concorde avec les constatations selon lesquelles les agresseurs d'enfants sont plus âgés que les violeurs et que le taux de récidive des agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales demeure relativement constant au début et jusqu'au milieu de l'âge adulte.
Cette thèse ne concorde que partiellement avec les constatations relatives aux auteurs d'inceste. Le fait que l'inceste atteint son paroxysme à la fin de la trentaine concorde avec l'existence d'occasions accrues de commettre un acte incestueux vers le milieu de l'âge adulte. De même, le faible taux de récidive des auteurs d'inceste concorde avec leur niveau relativement faible d'intérêt sexuel déviant (comparativement aux agresseurs d'enfants auteurs d'agressions extrafamiliales), leur mode de vie passablement stable (comparativement à celui des violeurs) et des occasions réduites comparativement aux autres délinquants sexuels (leur groupe cible n'étant composé que de membres de la famille).
Nous avons toutefois été étonnés par les taux élevés de récidive affichés par les jeunes auteurs d'inceste. Il y avait relativement peu d'auteurs d'inceste dans le groupe des 18 à 24 ans (n = 75), mais leur taux de récidive était un des plus élevés de toutes les catégories de délinquants (31 %). Ces résultats semblent indiquer que les jeunes auteurs d'inceste forment peut-être un groupe distinct de celui du type classique père-fille. Dans la présente étude, on ne savait pas qui étaient les victimes des jeunes auteurs d'inceste, mais il ne s'agissait vraisemblablement pas de leurs propres enfants. Ces délinquants s'en prenaient sans doute à leurs frères et sours, leurs demi-frères ou demi-sours ou leurs neveux ou nièces. Il faudrait explorer la ressemblance entre ces jeunes auteurs d'inceste et les autres délinquants sexuels (p. ex., violeurs, agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales). Cependant, tous les délinquants inclus dans l'échantillon ont sans doute usé de force ou choisi une victime beaucoup plus jeune qu'eux. Les rapports sexuels entre frères et sours relativement consentants suscitent rarement l'application de sanctions pénales sévères comme celles qui ont été imposées à la plupart des délinquants inclus dans cette étude.
Il y avait relativement peu de délinquants sexuels, toutes catégories confondues, d'un âge avancé (11 % des sujets avaient plus de 50 ans), et leur taux de récidive était généralement faible (< 10 %). Cette baisse vers la fin de l'âge adulte peut être attribuée à une diminution tant de la pulsion sexuelle que des occasions. Toutefois, le principal facteur parmi les délinquants les plus âgés est sans doute un mauvais état de santé et la mort. Nous ne disposions pas des dossiers médicaux pour les sujets analysés dans cette étude; il faudrait par conséquent mener des recherches pour déterminer la mesure dans laquelle on peut s'attendre à une baisse du risque de récidive sexuelle parmi les délinquants plus âgés qui demeurent en bonne santé. Dans la population normale, une baisse de l'intérêt des activités sexuelles à un âge plus avancé est étroitement liée à la maladie (Panser et coll., 1995).
Bref, la présente étude a permis de conclure que le risque de récidive présenté par les délinquants sexuels diminuait avec l'âge, mais que l'effet global n'était pas considérable et que la courbe de diminution variait selon qu'il s'agissait de violeurs, d'agresseurs d'enfants coupables d'agressions extrafamiliales et d'auteurs d'inceste. Le risque de récidive présenté par les agresseurs d'enfants commettant des agressions extrafamiliales diminue relativement peu jusqu'à l'âge de 50 ans. Les délinquants sexuels mis en liberté après l'âge de 60 ans avaient des taux de récidive très faibles (3,8 %).
Bien que les facteurs que sont une pulsion sexuelle déviante, un manque de maîtrise de soi et des occasions puissent expliquer ces résultats, il faut aussi tenir compte d'autres explications. Les données étaient toutes transversales plutôt que longitudinales; une diminution apparente en fonction de l'âge de la criminalité sexuelle pourrait donc être attribuée aux effets de la cohorte. Comme la cohorte a des effets importants en ce qui concerne le comportement sexuel (p. ex., presque tous [95 %] les délinquants nés après 1964 avaient eu des rapports sexuels avant l'âge de 18 ans contre la moitié [51 %] des délinquants nés avant 1949; Trocki, 1992), il se peut que des effets de cohorte interviennent aussi en ce qui concerne les taux d'infractions sexuelles.
Un autre facteur dont il faut tenir compte est le fait qu'on a pris l'âge des délinquants au moment de la mise en liberté plutôt qu'au début de la perpétration d'infractions. La constatation selon laquelle les agresseurs d'enfants étaient plus âgés que les violeurs pourrait donc être attribuable au fait qu'il faut plus de temps pour détecter des infractions commises contre des enfants et intenter des poursuites que de détecter des infractions contre des adultes.
Une bonne part de la diminution avec l'âge des infractions sexuelles pourrait aussi être attribuée à un simple effet d'apprentissage. Avec le temps, les hommes peuvent apprendre que la criminalité sexuelle n'est pas un moyen efficace d'être heureux ou, ce qui est plus inquiétant, ils peuvent acquérir des façons nouvelles et améliorées d'éviter d'être découverts. Il faudra bien sûr poursuivre les recherches pour tirer au clair ces diverses explications.
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